VII

 

« Elle les enterrera tous »

 

Un panier de provision au bras, Clémentine Viney avait attendu pendant deux jours son « tour de confesse ».

Une fois l'absolution reçue, elle déchargea dans le cœur du saint Curé le fardeau de ses peines. Que d'ennuis, que de préoccupations, mon Dieu ! Elle était placée à Besançon chez la veuve du baron Gros, une bien bonne dame, assurément. Mais l'aînée de ses deux enfants, Mlle Sophie, était si malade : elle souffrait de névralgies faciales, au point que les médecins avaient dû lui arracher toutes les dents. L'estomac s'était pris ; les docteurs n'en donnaient à Mlle Sophie que pour quelques mois. Elle allait mourir à vingt-huit ans et elle avait promis à sa fidèle Clémentine de la secourir toute sa vie !... La pauvre domestique voyait l'avenir bien noir. Aussi ses confidences s'achevèrent-elles sous un déluge de larmes.

« Ô mon enfant, consolez-vous, répondit M. Vianney, Mlle Sophie enterrera tous ses parents et vous secourra jusqu'à votre mort. »

Cela se passait en 1853.

 

Lorsque, de retour à Besançon, Clémentine Viney, toute impressionnée, fit part à Mme Gros de la prophétie du Curé d'Ars, ses confidences provoquèrent de belles protestations. Madame n'était-elle pas dans la force de l'âge et son fils Joseph, de trois ans plus jeune que Mlle Sophie, ne faisait-il pas honneur à sa mère par sa mine florissante ? Si Mlle Sophie, vouée à une mort prochaine, devait cependant survivre à sa mère et à son frère, cela devenait gai, en vérité toute la famille Gros disparue à brève échéance ! « Vous radotez, ma pauvre Clémentine », concluait Madame.

Or, malgré toutes les apparences, le dernier mot devait rester à saint Jean-Marie Vianney.

 

Mlle Sophie Gros, née à Besançon, le 24 avril 1825, du mariage du baron Auguste Gros et de Louise Noirpoudre de Sauvigny, devait mourir âgée de quatre-vingt-cinq ans, en mars 1910.

Elle garda chez elle et entoura jusqu'à la fin de soins affectueux la bonne Clémentine, qui mourut veillée par elle.

En 1887, elle perdit sa vénérée mère.

Son frère, le baron Joseph Gros, était décédé depuis plus de vingt ans, après avoir perdu sa chère épouse, Mathilde, fille du baron Guégain, qui lui avait laissé une fille, Louise. Louise, mariée à M. de Beauséjour en 1871, mourait quelque deux ans plus tard, laissant elle-même une fille, Marie. Mlle Marie de Beauséjour, petite-nièce de Mlle Sophie Gros, mariée en 1893 à M. O'Kerrins, décédait bientôt, mère d'une petite, Kate, qui a épousé M. de Charrent. Mme de Charrent est la seule survivante de la lignée des barons Gros.

 

Son arrière-grand'tante Sophie vit donc s'en aller tous les autres ! Elle acheva sa vie dans la paroisse Saint-Maurice de Besançon qu'elle édifia longuement et où demeure le souvenir de ses vertus et de ses bonnes œuvres. (1)

 

 

(1) Les Annales d'Ars de mai 1904 ont relaté la prophétie du saint Curé au sujet de Mlle Sophie Gros. Les détails historiques concernant sa famille proviennent des renseignements précis qu'ont bien voulu nous communiquer M. Armand Noirpoudre de Sauvigny, cousin de Mlle Sophie Gros, et M. le chanoine Payen, curé de Saint-Maurice de Besançon.