III

 

Le rouleau de pièces d’or

 

Le Curé d'Ars n'eut pas que des amis. Il fut incompris, jalousé, tourné en ridicule, calomnié même. Que de racontars ! Il suffisait, il est vrai, de l'approcher pour que disparussent préjugés et antipathies. De la sorte, les contradictions peu à peu s'éteignirent ; l'un après l'autre se turent les détracteurs.

De ce nombre il y eut une religieuse des hospices de Lyon, que nous appellerons Sœur X... Elle avait pris en grippe cette Sœur Madeleine dont il était question tout à l'heure. Sœur Madeleine faisait fidèlement chaque année le voyage d'Ars. Sa compagne ne l'y encourageait pas précisément. « Coureuse de curés ! lui répétait-elle en sourdine à l'approche de ses vacances réglementaires. Encore un petit pèlerinage là-bas, naturellement ! »

Sœur Madeleine en était peinée, déplorant dans une religieuse, dévouée d'ailleurs auprès des malades, avec cette erreur de jugement, ce défaut de justice et de charité.

 

Or, un jour de 1851 où Sœur Madeleine s'apprêtait à partir pour Ars, l'autre, qui lui avait servi, les jours précédents, quelques-unes de ses taquineries habituelles, s'approcha de la voyageuse avec un air tout changé.

« Ma Sœur, lui confia-t-elle, recommandez-moi, je vous en supplie, à M. le Curé d'Ars, car j'ai de grands ennuis. »

Sœur Madeleine, après sa confession, parla au saint de sa compagne.

« Je prierai à ses intentions », répondit-il. Et ce fut tout. Mais à l'heure même où Sœur Madeleine allait repartir, M. Vianney la fit appeler par le Frère Jérôme. Il l'attendait à la sacristie. « Tenez, dit-il à la religieuse en lui remettant un rouleau de pièces d'or, vous porterez ceci à Sœur X..., et vous lui direz de s'en servir pour calmer sa peine. »

 

Quand elle reçut le don du Curé d'Ars, une stupeur se peignit dans les yeux de Sœur X... Enfin elle révéla à Sœur Madeleine son douloureux secret.

« J'étais entrée en religion, avoua-t-elle, sans avoir soldé une dette assez forte contractée dans le monde. Comment la payer ? Personne ne s'en acquittait à ma place. Ce souci me rongeait nuit et jour. Eh bien, Sœur Madeleine, le rouleau que vous m'avez apporté contenait juste la somme dont j'étais redevable. Dieu soit béni, et avec Lui le saint Curé d'Ars, son serviteur ! » (1)

 

 

(1) Annales d'Ars, avril 1906