XIV

 

Pierre Bossan et Fourvière

 

Érigée en exécution d'un vœu porté le 8 octobre 1870 devant l'autel de la chapelle antique par Mgr Ginoulhiac, la basilique de Fourvière est l'ex-voto splendide des Lyonnais.

« Nous faisons vœu, avait solennellement déclaré l'archevêque, de prêter un généreux concours à la construction d'un nouveau sanctuaire à Fourvière ; si la Très Sainte Vierge, notre Mère immaculée, préserve de l'ennemi la ville et le diocèse de Lyon. »

A cette heure-là, les Allemands occupaient Dijon. Ils n'allèrent pas plus loin. Restait à réaliser la promesse des Lyonnais. Ce fut rapide. Pas besoin de chercher un architecte : il était trouvé ; son plan était fait et avait reçu déjà des approbations nombreuses, celles du Curé d'Ars en particulier.

Pierre Bossan était employé à la « Société des usines à gaz » fondée à Lyon en 1847, lorsqu'il fut envoyé en Italie comme « architecte industriel ». Il s'ignorait alors ; la terre de beauté lui révéla sa vocation et son génie : dans les séjours qu'il fit soit à Palerme, soit à Rome, il s'éprit d'art religieux, puis se mit à crayonner des plans, dont l'un, dessiné avec plus d'amour, semblait destiné à une construction de rêve où il eût voulu réunir toutes les magnificences de Salomon : une basilique de Fourvière, construction idéale à laquelle personne en France ne songeait peut-être et qui pouvait rester un rêve toujours : on y prodiguerait les marbres les plus rares, les mosaïques les plus somptueuses, les vitraux les plus étincelants... Et l'édifice tout entier, par sa forme extérieure, par sa décoration symbolique, serait un hymne à Celle que l'Église nomme la Tour d'ivoire, la Maison d'or.

 

Pierre Bossan revint au pays natal. En 1851, il fit pour la première fois, en compagnie de ses sœurs Rosine et Thérèse, le pèlerinage d'Ars. Il y revint seul plus tard et montra à M. Vianney son plan de Fourvière. « Oh ! mon ami, s'écria le saint Curé, que ce sera beau, que ce sera beau !... Ce sera un monument d'action de grâces. »

 

Quand se construirait-il ? Le Voyant ne l'avait pas indiqué ; mais l'architecte emportait d'Ars une invincible confiance.

 

Que de raisons pourtant, de se décourager ! Pendant une douzaine d'années, l'esquisse de la future basilique serait présentée tour à tour à l'archevêché de Lyon, à la Société des Architectes, aux Beaux-Arts de Paris ; passerait sous les yeux d'un jury romain, puis de Pie IX lui-même. Partout des éloges !... Survint la guerre ! Adieu le beau projet de Fourvière ! Or, contre toute prévision, ce fut la guerre qui amena la décision et la rapide mise en œuvre.

 

En attendant, malgré les pires pronostics, l'architecte savait que sa basilique couronnerait un jour le coteau marial ; bien avant que ne fût posée la première pierre, il voyait debout le monument, fierté et sauvegarde de la cité lyonnaise.

 

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Un vicaire général de Lyon, Mgr Bonnardet, en a témoigné par la lettre ci-après, adressée à Mgr Convert.

 

Lyon, juillet 1912.

 

En mars 1866, le cardinal de Bonald ayant exposé, dans la salle des Pas-Perdus de l'archevêché, les plans que M. Bossan avait dressés pour la basilique de Fourvière, l'opinion publique s'émut en sens divers, et il s'éleva dans la presse une polémique très vive entre les admirateurs de ce style si neuf et si original et les tenants des anciennes architectures.

Voici la note qu'insérait l'Écho de Fourvière quelques semaines après l'exposition : « À partir du 19 mars, les plans de la basilique de Fourvière ont été exposés, sur l'ordre de Mgr de Bonald, dans la salle des Pas-Perdus de l'archevêché, où ils ont été diversement appréciés. » L'Écho de Fourvière, mécontent de la polémique très vive qui s'éleva alors dans les journaux, ne signale que d'un mot les divergences d'appréciation. Mais dès lors, on crut que tout était fini et que l'on ne parlerait plus de ces plans.

Le vénérable cardinal ne s'était point attendu à cette levée de boucliers. Craignant cette sorte d'agitation qui se manifestait, il retira les plans exposés, et les adversaires aussi bien que les amis furent unanimement persuadés qu'il ne serait plus question de ces projets. Du reste, l'opinion étant ainsi divisée, on ne pouvait pas espérer recueillir les sommes énormes nécessaires à une pareille entreprise.

On ne parla donc plus du tout de la reconstruction de Fourvière.

 

Or, durant les vacances de 1868 ou 1869, je fis avec Mme Servier-Million et ses deux filles aînées le pèlerinage d'Ars.

Au retour, nous nous trouvâmes, dans la voiture qui faisait le service d'Ars à Villefranche, seuls avec M. Bossan.

Mme Servier, qui connaissait beaucoup l'éminent architecte, lia aussitôt conversation avec lui, et tout naturellement, nous lui exprimions ensemble le très grand regret que nous éprouvions à voir totalement abandonnés les merveilleux projets de Fourvière, dont on ne parlait plus depuis bien longtemps.

A ces condoléances M. Bossan répondit avec le plus grand calme et l'assurance la plus parfaite :

« Je suis à cet égard bien tranquille. Le saint Curé d'Ars m'a dit que l'église se construirait et qu'elle se construirait en action de grâces. »

M. Bossan ignorait entièrement à la suite de quels événements devait un jour s'élever un monument de reconnaissance, mais il ne doutait point de la réalisation future de la parole du saint.

Je puis attester que j'ai entendu ce témoignage de la bouche même du pieux artiste, et il ne m'a pas été difficile de me le rappeler lorsque, trois ans après environ – le 8 octobre 1870 – Mgr Ginoulhiac prononça, dans la douleur de nos désastres, le vœu d'où est sortie l'entreprise de notre belle basilique.

En foi de quoi j'ai signé le présent écrit.

A. BONNARDET, vicaire général

 

 

Si Pierre Bossan ne vit pas le complet achèvement de l'édifice rêvé, il en vit, du moins, poser la première pierre, le 7 décembre 1872 ; il eut la consolation, lé 2 juin 1884, de saluer la croix dressée à la façade principale... Il s'éteignit très pieusement en 1888.

Trois ans après, le 1er mai 1891, le cardinal Foulon célébrait pour la première fois la messe à l'autel majeur de la basilique. Le 16 juin 1896, Mgr Coullié procédait aux cérémonies grandioses de la consécration.