XVII

 

« Ce sera bien juste, bien juste »

 

En l'année 1913, l'année de ses quatre-vingt-deux ans, Frère Maximien se décidait enfin à transcrire, dans un court mémoire, ses souvenirs d'Ars tant de fois contés, et si nets, si vivants encore, qu'ils lui semblaient d'hier. Nous en donnons ici ce qui est intuition ou prédiction.

 

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Lorsqu'en 1846, à seize ou dix-sept ans, je voulus me faire Frère, mon père me conseilla d'entrer chez les Frères de La Valla (Maristes) ; moi, je désirais aller au Puy, à Paradis. Mon père, cordonnier, qui avait déjà fait le voyage d'Ars, se rendit de nouveau auprès du saint Curé et lui exposa son désir et le mien. La réponse fut : « Laissez-le aller où il veut ».

Trois ans après, pendant une visite que je faisais à mes parents, M. le Curé de Riotord (Haute-Loire), et ses vicaires m'engagèrent à me faire prêtre. Ils se chargeaient des dépenses nécessaires.

« Ne décidons rien, dit mon père, j'irai à Ars. » Mon père porta donc le cas au saint Curé qui lui dit :

« Serait-ce votre fils dont vous m'avez parlé il y a trois ans ?

— Oui, mon Père, c'est lui-même.

— Laissez-le où il est, laissez-le où il est. »

 

Quand mon frère aîné fut du tirage au sort, mon père se rendit encore à Ars pour le recommander aux prières du saint, afin qu'il obtînt pour lui un bon numéro. Dans une famille de douze enfants et pas riche, c'eût été une bien grosse affaire de voir partir l'aîné pour si longtemps.

« Faites, dit M. le Curé, une neuvaine à sainte Philomène. » Puis, après un instant, il ajouta : « Ce sera bien juste, bien juste ».

Le jour de la révision, mon frère, son tour venu, allait entrer dans la salle lorsqu'on annonça que le contingent était complet. Le numéro 84 le complétait. Mon frère avait le numéro 85.

C'était bien juste.

J'ajoute que je dois à ce grand saint bien des grâces obtenues par son intercession et tout particulièrement une faveur qui m'amène aussi souvent que je puis à son tombeau.

Je lui recommande ma dernière heure qui sonnera bientôt.