XX

 

Le soldat de Crimée

 

Vers 1852, Mme Arbin, de Reyrieux (Ain), vint à Ars avec une de ses filles âgée d'environ neuf ans, consulter M. Vianney au sujet de son fils. Celui-ci avait atteint sa vingtième année et donc devait prochainement tirer au sort.

 

Mme Arbin arrive devant l'église, mais la foule est telle qu'elle ne peut se frayer un passage. « Quand et comment pourrons-nous aborder M. le Curé ? » se demandait-elle, anxieuse. Pendant qu'elle se livrait à ses réflexions, un Frère sort de l'église, parcourt les rangs et apercevant une femme accompagnée de sa petite fille et vêtue d'une robe violette, murmure tout bas : « Oui, c'est bien cette dame que m'a désignée M. le Curé ». Et s'approchant d'elle : « Madame, veuillez me suivre ; M. le Curé vous appelle ».

Elle se rend à la sacristie, conduite par le Frère. La voici en présence du saint Curé qui lui dit : « Madame, votre fils va tirer au sort, n'est-ce pas ? Avez-vous de quoi lui acheter un remplaçant ?

— Non, monsieur le Curé.

— Eh bien, vous reviendrez me trouver après le tirage au sort.

— Ô mon Dieu ! s'écria Mme Arbin, il va donc être soldat ?... »

Et elle se retira consternée.

 

Le tirage au sort eut lieu quelque temps après et donna en effet au jeune homme un numéro qui l'incorporait à l'armée.

 

Nouvelle visite de Mme Arbin au Curé d'Ars qui, ainsi que la première fois, l'envoie chercher par le Frère. A peine en présence de M. Vianney, la pauvre mère se met à pleurer. « Oh ! Ma bonne, ne pleurez pas comme ça, lui dit l'homme de Dieu. Votre fils servira sept ans ; il sera de deux grandes guerres ; mais qu'il couse cette médaille dans ses habits, il ne lui arrivera jamais rien ; il vous reviendra sain et sauf. »

Selon la prédiction, le jeune Arbin fit bien deux grandes guerres : les campagnes de Crimée et d'Italie ; il vit, en certains combats, tous ses compagnons d'armes tomber à ses côtés ; pour lui, il revint indemne, sans une égratignure.

 

Sa sœur, témoin de la prophétie et de sa réalisation, était appelée assez souvent dans les châteaux de la localité, chez les de Saint-Trivier, chez les du Pasquier, pour redire cette histoire : « Ils m'ennuient, disait-elle, en me faisant toujours répéter la même chose », et elle déclarait n'y plus vouloir retourner.

Le fait a été raconté à Mgr Convert, le 22 décembre 1923, par Mme veuve Dupuy, aujourd'hui paroissienne d'Ars, mais originaire de Reyrieux. Elle a entendu ce récit vingt fois de la bouche même de Mme Arbin et de sa fille. Mme Arbin a dû mourir en 1876.