Première partie : DANS L’AU-DELÀ

 

 

I

La petite noyée

 

Douloureuse histoire que traverse un rayon céleste.

 

Du temps du saint Curé vivait dans l'humble village d'Elze, perdu au milieu des Cévennes, à la pointe nord du département du Gard, une famille pauvre composée du père, de la mère et d'une fillette.

Elze – ou plus exactement la commune de Malons-et-Elze, que domine sur un pic son vieux château ruiné du XIVe siècle – Elze ne possédait pas encore d'école ; la fillette indigente devait passer pour s'instruire dans le département tout voisin de l'Ardèche, et elle ne pouvait se rendre à l'école de Sainte-Marguerite-Lafigère qu'en traversant, sur une passerelle le Chassezac, torrent aux crues terribles, qui gronde en des gorges étroites et profondes.

La petite partait sagement chaque matin, son panier au bras, et ne revenait à la maison que le soir. Sa mère lui faisait bien souvent des recommandations au sujet du torrent ; l'enfant protestait qu'elle ferait bien attention toujours.

 

Un soir, l'écolière ne revint pas.

Le lendemain, on retrouvait, pris entre deux roches, le petit corps déchiqueté.

Le chagrin des parents fut atroce. Leur foi seule les soutint et les garda du désespoir. Ils se résignèrent. Cependant, au fond de son cœur, la mère, très pieuse, conservait cette angoisse : « Notre enfant où est-elle ? Est-elle sauvée ? »

 

La renommée du saint Curé d'Ars avait pénétré jusque dans ce village de montagnes.

« Lui seul pourra me le dire, songea un jour la mère en deuil. Ars est bien loin. N'importe ! Je veux savoir. »

Et elle partit.

Quatre ou cinq jours plus tard, une Cénevole en larmes s'agenouillait dans le confessionnal du serviteur de Dieu. À la bénédiction du prêtre, elle ne put répondre que par des sanglots. Mais une voix douce murmurait à son oreille ce message d'en-haut :

« Allez en paix, ma pauvre dame, votre fille est sauvée (1). »

 

(1) « Ce fait, écrit M. l'abbé Alfred Merle, curé du Somme-Vesles, au diocèse de Châlons-sur-Marne, m'a été raconté maintes fois par ma grand'mère maternelle et mon père, tous deux originaires du même village d'Elze, et par ma mère. Tous trois ont bien connu la brave femme en question. »