VII

Ars et Villafranca

 

En 1859, un brave père de famille de Pélussin, dans la Loire, avait vu un de ses fils partir pour la guerre d'Italie, alors que le jeune homme s'apprêtait à revenir du régiment après sept ans de bons et loyaux services.

« Exonérer » le soldat était encore légalement possible, malgré les circonstances tragiques où il se trouvait engagé, mais justement qui consentirait à l'aller remplacer là-bas, sinon un exploiteur à court d'argent peut-être et qui exigerait la grosse somme ?... Pourtant si le fils perdait la vie dans cette guerre étrangère ?... Le père était plongé dans une perplexité cruelle.

Il se résolut soudain à faire le voyage d'Ars.

C'était dans la seconde semaine de juillet. La guerre d'Italie avait éclaté à la fin d'avril ; les sanglantes victoires de Magenta – le 4 juin – de Solférino – le 24 juin – ne semblaient pas de nature, tellement Napoléon III se montrait piètre chef de guerre, à terminer les hostilités...

M. Vianney laissa le voyageur de Pélussin détailler ses ennuis.

« Monsieur le Curé, faut-il le racheter, ce pauvre enfant, ou l'abandonner à son sort ?

— Laissez-le là-bas, mon ami, répondit le, saint. Cela ne vaut pas la peine de l'exempter : on ne tirera plus un seul coup de fusil. »

 

Or ces paroles étaient prononcées le 11 juillet, le jour précisément où Napoléon III, comme s'il avait été le vaincu et non le vainqueur, demandait lui-même une suspension d'armes à l'empereur d'Autriche François-Joseph. Le lendemain, les deux souverains signaient l'armistice de Villafranca, d'où sortirait bientôt la paix de Zurich.

Le 11 au matin, les hostilités avaient cessé complètement. Un seul homme le savait en France le matin même : le Curé d'Ars.

 

« Il venait de manifester une fois de plus, remarque le chanoine Ball, son don surnaturel d'intuition (1). »

Le brave père de famille de Pélussin réalisa ainsi une belle économie et goûta bientôt la grande joie de voir revenir son garçon sain et sauf.

 

(1) Documents, n° 112 – D'après une déposition de M. Jullien, maire de Pélussin et député, qui avait entendu plusieurs fois ce récit de la bouche même des intéressés.