VII

Future religieuse et futur prêtre

 

Mlle Joséphine Cournon, native de Puéchabon, dans le canton d'Aniane (Hérault), faisait l'école aux petites filles d'un village du même canton, Viols-le-Fort. Pieuse, distinguée, jeune encore, mais pauvre, elle était recherchée en mariage. Elle n'avait point donné son consentement, car elle ne pouvait s'y résoudre, ayant entrevu parfois un autre idéal. Elle ne pouvait cependant retarder sa détermination. Elle finirait par céder, oh ! sans joie ni enthousiasme.

Au milieu de ses réflexions, une douce figure se présenta soudain à sa pensée. « Elle avait depuis longtemps entendu parler de M. Vianney comme d'un homme de Dieu, guide sûr dans les affaires de vocation et révélateur des destinées futures. » – Ainsi s'exprime M. le chanoine Ball en son enquête. – Dans les circonstances où se trouvait Mlle Cournon, seul, pensait-elle, le Curé d'Ars pourrait lui donner la décision qu'elle suivrait aveuglément. Mais comment l'atteindre ? Il y a bien, rien qu'à vol d'oiseau, 250 kilomètres de Viols-le-Fort, au village d'Ars.

 

Au mois de juin 1859, une occasion inespérée se présenta. Mlle Cournon avait confié ses ennuis à une insigne bienfaitrice de son école, Mme la comtesse de Vogüé. Or, après semblables confidences, la comtesse elle-même se sentit poussée à consulter l'homme de Dieu ; si bien qu'un beau jour, elle vint dire à notre jeune institutrice : « Ma bonne Joséphine, je vais à Ars... où je vous emmène.

— Quel bonheur ! »

Pour un pèlerinage, c'en fut un que celui-là ! Les deux voyageuses furent plusieurs jours en chemin ; que de chapelets elles récitèrent !... Et que de pieuses réflexions, et que de soupirs vers le village béni où l'on pouvait voir, entretenir un saint, un grand saint !

 

M. Vianney était alors dans sa soixante-treizième année. Il paraissait, d'une heure à l'autre, devoir tomber sans recours. Et chaque nuit – car, même à cette époque extrême de sa vie, il n'attendit pas une seule fois la hâtive aurore pour revenir à son confessionnal – chaque nuit on le revoyait à l'église aussi pieux, aussi vaillant, aussi accueillant que la veille.

Mme de Vogüé et sa compagne attendirent pour se confesser le temps qu'il fallut, plusieurs jours sans doute.

« Mon Père, on me demande en mariage, lui confia la jeune institutrice de Viols-le-Fort.

— Non, mon enfant, répondit le serviteur de Dieu sans l'ombre d'une hésitation – et pourtant il affirmait des choses futures bien précises et bien extraordinaires – non, mon enfant, ne vous mariez pas. Faites-vous religieuse de la Conception. On vous enverra fonder un couvent aux États-Unis. C'est là que vous mourrez. »

 

Si étrange que fût la prédiction, Mlle Cournon la considéra comme un ordre du ciel. Elle n'insista pas auprès de M. Vianney, dont du reste une véritable multitude attendait depuis des jours la trop courte audience. Toutefois, ayant un de ses cousins, l'abbé Albert Combès, encore au séminaire, menacé d'une maladie de poitrine et que d'aucuns disaient trop gravement atteint pour être jamais prêtre :

« Mon Père, se permit-elle de demander encore, qu'en sera-t-il de mon cousin séminariste ?

— Mon enfant, il sera prêtre, et bon prêtre. »

Sur ces mots, le Curé d'Ars passa à une autre pénitente.

 

Ses deux prophéties se réaliseraient à la lettre.

Au mois d'octobre suivant – alors que depuis deux mois le serviteur de Dieu était allé au ciel recevoir sa récompense – Mlle Joséphine Cournon entrait comme postulante en ce couvent de la Conception dont elle n'avait jamais rêvé avant son pèlerinage d'Ars. Quelques années plus tard, elle était choisie par ses supérieurs pour une fondation aux États-Unis, où elle mourut.

Quant à l'abbé Albert Combès, après son ordination sacerdotale, il fut admis dans la Congrégation des Oblats de Marie-Immaculée. Excellent religieux, il mourut, jeune encore, dans un pays de mission (1).

 

(1) Documents Ball, n° 155