VI

« N'ai-je pas manqué ma vocation ? ... »

 

La lettre suivante, écrite « pour servir à la glorification du vénérable Curé d'Ars », fut adressée le 10 octobre 1898 à M. le Curé d'Ars – c’était déjà M. l'abbé Hippolyte Convert, mis à la tête de la paroisse en juillet 1889. Elle est par elle-même si intéressante, que nous la donnons telle quelle.

 

... En 1847, ma grand'mère née Marie Coudour, de Champoly (Loire), alla à pied trouver le vénérable Curé pour lui faire part d'une inquiétude qui la faisait beaucoup souffrir.

Jeune fille, elle avait eu souvent la pensée d'entrer dans la vie religieuse. Elle ne l'avait pas suivie. À l'âge de trente-cinq ans, elle se maria, mais voilà qu'après six ans de mariage, elle éprouvait du remords, s'imaginant avoir manqué sa vocation.

Donc, au cours de cette année 1847, trois personnes de Champoly formèrent le projet de faire le pèlerinage d'Ars. Ma grand'mère les pria de l'accepter en leur compagnie ; ce qu'elles acceptèrent volontiers. Après trois journées de marche, elles arrivèrent, les pieds ensanglantés ; au terme de leur voyage. Elles avaient dû traverser, souvent par de mauvais chemins dans la montagne, les deux départements de la Loire et du Rhône.

Ma grand'mère attendit trois jours avant de pouvoir aborder le saint Curé.

Elle se confessa, puis elle lui confia son inquiétude de ne pas s'être faite religieuse :

« Mon Père, n'ai-je pas manqué ma vocation ?

— Vous avez deux filles, repartit le serviteur de Dieu (grand'mère ne lui en avait pas parlé). L'une d'elles aura une nombreuse famille, et dans cette famille il y aura des prêtres, il y aura aussi des religieuses qui vous remplaceront. Soyez sûre que vous êtes dans votre vocation véritable... Mais repartez le plus tôt possible. Vos enfants ont besoin de vous. »

 

Ma mère, qui était l'aînée des deux filles, a eu dix enfants, dont neuf vivent encore.

Or parmi ces neuf enfants, il y a trois religieuses de Saint-Joseph et un prêtre, vicaire à Saint-Bonnet-le-Troncy, dans le département du Rhône. Un autre de mes frères vient de prendre la soutane au séminaire d'Alix. Un troisième attend d'avoir terminé son service militaire pour entrer à la Trappe de Notre-Dame d'Aiguebelle. L'aîné est marié. Je crois que lui seul restera dans le monde ; car mes deux plus jeunes sœurs veulent aussi prendre le voile...

Sœur SAINT-GEORGES,

religieuse de Saint-Joseph,

institutrice à Vaulx-en-Velin (Rhône).

 

M. le chanoine Ball, prédécesseur immédiat de Mgr Convert à la cure d'Ars et ancien vice-postulateur de la cause de saint Vianney, qui recopia cette lettre, a fait suivre son autographe des considérations suivantes :

 

Cette relation prouve dans le vénérable Curé d'Ars :

1° Le don d'intuition surnaturelle qu'il manifeste en disant à la grand'mère en question : « Vous avez deux filles. » Ce qu'il ne pouvait humainement savoir ni par elle qui ne le lui avait pas dit, ni par ailleurs d'aucune façon ;

2° L'esprit prophétique : il annonce en effet à la femme ci-dessus désignée que sa fille aînée, encore alors toute petite enfant, aurait une nombreuse famille dans laquelle se trouveraient des prêtres et des religieuses. Prophétie qui s'est surabondamment réalisée, ainsi que le démontre le récit (1).

 

(1) Documents, n° 152