VI

Clotilde Faye

 

Presque à la limite du département de la Loire, à peu de distance du département du Puy-de-Dôme, non loin du torrent de l'Auzon qui descend des montagnes, l'important centre de Noirétable dresse sa vénérable église contemporaine de Jeanne d'Arc.

Là venait souvent prier, avec des larmes, une mère bien malheureuse. Mme Faye se désolait de voir sa fille Clotilde « atteinte de crises de nerfs très prononcées et très pénibles, qui avaient résisté à tous les traitements ».

En 1856, Clotilde aurait ses 17 ans, et c'est depuis l'âge de 14 ans qu'elle souffrait de ces terribles crises. Sans espoir du côté de la terre, Mme Faye pensa que le Curé d'Ars y pourrait quelque chose. Il n'était pas un inconnu parmi ces monts du Bois-Noir et du Forez dont le pays de Noirétable marque la séparation. Jadis, un peu plus au nord, dans la forêt, assez proche, des monts de la Madeleine, Jean-Marie Vianney, conscrit réfractaire malgré lui, s'était caché pendant une année au village des Robins. Il y avait quarante-cinq ans de cela, et quelques vieilles gens en parlaient encore. Pour l'apitoyer, Mme Faye, elle l'espérait du moins, lui rappellerait ces lointains souvenirs.

Entre deux crises, Clotilde traversa avec sa mère les deux départements de la Loire et du Rhône. Ayant voyagé tantôt à pied, tantôt en voiture, elles arrivaient dans le village d'Ars bien fatiguées. Néanmoins, elles allèrent tout droit à l'église et prirent rang parmi les personnes qui attendaient de passer au confessionnal. Il y en avait d'interminables files !...

Deux heures, trois heures s'écoulèrent. Nos voyageuses, assises au fond de la nef, avaient tout au plus gagné un rang de chaises ; Clotilde commençait à s'agiter d'une façon inquiétante ; sa mère la regardait en tremblant : Pourvu qu'une crise !... Soudain, des personnes se levèrent, s'écartèrent.

Faisant signe qu'on lui laissât place, le Curé d'Ars venait vers Mme Faye.

« Faites passer de suite votre fille, lui dit-il. Venez, mon enfant », commanda-t-il ensuite à Clotilde qui se leva aussitôt.

Sorti spontanément de son confessionnal, M. Vianney qui, humainement parlant, ignorait l'existence et la venue de Mme Faye, savait pourtant que cette jeune personne assise auprès d'elle était sa fille. Il savait aussi que cette pauvre enfant ne pouvait attendre bien plus longtemps, qu'une nouvelle crise était possible !... Il savait autre chose encore qui intéressait son avenir.

Plus calme, et tout heureuse d'un appel si inattendu, Clotilde Faye suivit le saint Curé à travers les rangs pressés des pèlerins en avance sur elle. Après l'absolution, M. Vianney n'ajouta que deux mots qu'il répéta à plusieurs reprises :

« Vous guérirez, vous guérirez. »

En effet, ces graves malaises, que la Faculté déclarait inguérissables, ne reparaîtraient plus (1).

 

(1) Documents Ball, n° 169