XIV

Vous avez une « misère »

 

Mlle Virginie Odin, né à Saint-Héand (Loire), le 18 août 1830, et morte dans la même localité le 25 mars 1914, fit en hiver le voyage d'Ars peu d'années avant la mort du Saint Curé. Elle était âgée d'environ 25 ans et rêvait d'entrer au couvent. Elle voulut soumettre son projet à ce Monsieur Vianney dont tout le monde parlait avec tant d'admiration.

Le voyage fut pénible, à cause de la rigueur de la température et des difficiles moyens de locomotion de ce temps-là. Une fois dans le village, la pieuse jeune fille attendit deux jours et demi, nuits comprises, pour se confesser, tant l'affluence était grande. « Elle a souvent raconté, toujours dans les mêmes termes, à son neveu qui écrit ces lignes, et la messe du saint prêtre, et son catéchisme de onze heures, et son arrivée vers les deux ou trois heures du matin, par la petite porte de gauche. On l'entendait venir depuis la cure, à cause de la petite toux sèche dont le faible bruit le précédait.

« Quand la voyageuse eut fait sa confession, elle demanda la conseil concernant sa vocation. Quelle ne fut pas sa surprise douloureuse de s'entendre répondre : « Non, ma pauvre enfant, non ! Vous ne resteriez pas au couvent, vous avez une « misère » (maladie) que vous connaîtrez bientôt, et qui empêcherait la communauté de vous garder. »

« La même année, quelques mois plus tard, Virginie Odin se prit à souffrir d'une hernie venue sans accident préalable, et son état s'aggrava progressivement. Elle pensa plus d'une fois en mourir. Guérie cependant, elle « traîna sa misère », comme elle disait en se servant du mot du Curé d'Ars, et garda une profonde reconnaissance au saint prêtre de lui avoir épargné ainsi l'essai d'une vocation qui n'était pas pour elle.

« J'ajoute qu'elle n'emportait pas d'Ars une déception seulement, car elle contait aussi combien Monsieur Vianney l'avait affectueusement grondée de sa tendance au scrupule et à la défiance, disant : « Comme vous avez tort, ma pauvre enfant ! Mais le bon Dieu n'est pas comme vous, il n'a pas peur de vous aimer... Allons, allons, aimez-le toujours bien (1). »

 

(1) Nous tenons ce récit de M. le chanoine Odin, supérieur de l'Institution des Chartreux de Lyon, qui a bien voulu nous l'écrire le 2 juin 1933, après nous l'avoir conté de vive voix.