IV

Un fils à la guerre

 

Dans la dernière semaine de juin 1855, deux dames en deuil, les deux sœurs, devenues veuves presque en même temps, faisaient ensemble le pèlerinage d'Ars. L'une d'elles avait un fils, un fils unique. Le jeune homme était parti pour son sort l'année précédente, et il combattait en ce moment sur la terre de Crimée, la France ayant pris le parti des Turcs contre les Russes.

Jusque-là, il n'avait jamais manqué d'écrire tous les quinze jours à sa mère, et depuis deux longs mois elle n'avait de lui aucune nouvelle. Elle le croyait mort en quelque rencontre, et en était inconsolable. Selon l'enquête de M. le chanoine Ball, les deux veuves « se trouvaient le 29 juin, vers une heure de l'après-midi, sur la place d'Ars, au milieu de la multitude des pèlerins qui l'encombraient, lorsque M. Vianney la traversant au retour d'une visite de malades, vint droit à elles.. Sans avoir pu humainement les connaître, non plus que le motif de leur voyage, ni l'existence du jeune homme à l'armée d'Orient, il leur dit avec la plus parfaite assurance :

« Mes enfants, ne pleurez donc pas comme ça... Votre fils, madame, est toujours en Crimée. Il se porte bien. Ses lettres ont subi un retard. Allez-vous-en vite chez vous, et en arrivant, vous trouverez de ses nouvelles. »

 

« La joie de ces dames, poursuit le chanoine Ball, fut aussi grande que leur surprise. Elles n'avaient pas dit un mot au vénérable Curé ; elles lui étaient même complètement étrangères, et il leur révélait leur situation, celle du jeune homme, jusqu'aux détails de ses lettres retardées et arrivant à heure fixe.

Magnifique preuve d'intuition surnaturelle et de vue lumineuse à distance (1). »

 

(1) Documents, n° 116