VIII

« Dites-lui que je l'attends »

 

C'était en 1853, époque où les pénitents de M. Vianney n'étaient plus exposés à perdre leur place comme cela s'était vu dans le passé faute d'organisation. Des numéros d'ordre étaient remis aux pèlerins par des messieurs ou des dames préposés à la garde de la nef, et tout se passait à peu près sans encombre.

Une jeune fille, Antoinette Raffin, dont le pays d'origine ne nous est pas connu, venait d'arriver dans le village. Effrayée de voir les abords de l'église eux-mêmes envahis par la foule, elle allait et venait sur la place, quand une personne de Lyon qu'elle n'avait jamais vue s'arrêta près d'elle. Cette personne, munie de son ticket numéroté, était sortie de la nef surchauffée pour prendre l'air. Les deux étrangères entrèrent en conversation.

Mlle Raffin ne cacha pas son ennui de se trouver au milieu de tout ce monde. Un long séjour dans le village lui était impossible : elle repartirait le lendemain auprès de sa mère percluse de tous ses membres et alitée depuis quinze ans.

Cela se passait dans la soirée.

 

Le lendemain matin, vers cinq heures, la Lyonnaise avait la chance d'être des premières auprès du confessionnal, et elle plaignait dans son cœur cette pauvre jeune fille rencontrée la veille et qui sans doute, si elle avait eu le courage de prendre son tour, devait se trouver tout au dernier rang !

M. Vianney confessait depuis minuit. Soudain, au moment même où la pénitente de Lyon s'apprêtait à venir, il passa une main à travers les barreaux de la porte, comme pour appeler. La pénitente se hâta d'approcher.

« Mon enfant, murmura le saint, allez au fond de l'église, je vous prie. Là, vous trouverez cette personne qui vous a dit hier soir que sa mère est malade depuis quinze années. Dites-lui qu'elle vienne, que je l'attends. »

Et Mlle Antoinette Raffin, stupéfaite et ravie, vint s'agenouiller au confessionnal (1).

 

(1) Documents Ball, n° 139