23me DIMANCHE APRéS LA PENTECïTE

(DIXNEUVIéME SERMON)

Sur la mort du juste

 

 

Pretiosa in conspectu Domini, mors sanctorum ejus.

La mort des justes est prŽcieuse aux yeux du Seigneur.

(Ps. cxv, 15.)

 

La mort, M.F., est un juste sujet de trouble et de frayeur pour le pŽcheur impŽnitent, qui se voit forcŽ de quitter ses plaisirs. AccablŽ de douleur, assiŽgŽ de la pensŽe du jugement qu'il va subir, dŽvorŽ ˆ l'avance par la crainte des horreurs de l'enfer o il va bient™t tre prŽcipitŽ, il se voit comme abandonnŽ des crŽatures et de Dieu mme. Mais, par une loi toute contraire, la mort remplit de joie et de consolation l'homme de bien qui aura vŽcu selon l'ƒvangile, marchŽ sur les traces de JŽsus-Christ mme, et satisfait ˆ la justice divine par une vraie pŽnitence. Les justes regardent la mort comme la fin de leurs maux, de leurs chagrins, de leurs tentations et de toutes leurs misres ; ils la considrent comme le commencement de leur bonheur ; elle leur procure l'entrŽe ˆ la vie, au repos et ˆ la bŽatitude Žternelle. Mais, M.F., il n'est point d'hommes, et mme jusqu'aux plus scandaleux qui ne dŽsirent et ne souhaitent cette prŽcieuse mort. Ce qui est incomprŽhensible, c'est que tous nous dŽsirons une bonne mort, et que presque personne ne prend les moyens de se rendre heureux. C'est un aveuglement difficile ˆ expliquer ; cependant, comme je dŽsire ardemment que vous fassiez tous une bonne mort ; je vais vous engager ˆ vivre de manire ˆ pouvoir espŽrer ce bonheur, en vous montrant 1¡ les avantages d'une bonne mort, et 2¡ les moyens de la rendre bonne.

 

I. – Si nous devions mourir deux fois, nous pourrions en exposer une ; mais l'on ne meurt qu'une fois [1] , et de notre mort dŽpend notre ŽternitŽ. Lˆ o l'arbre tombe, il reste. Si une personne se trouve, au moment de la mort, dans quelque mauvaise habitude, sa pauvre ‰me, tombera c™tŽ de l'enfer ; si, au contraire, elle est en bon Žtat, elle prendra le chemin du ciel. O heureux chemin qui nous conduit ˆ la jouissance des biens parfaits ! Devrions-nous passer par les flammes du purgatoire, nous sommes sžrs d'y arriver. Toutefois, cela dŽpendra de la vie que nous aurons menŽe : il est certain que notre mort sera conforme ˆ notre vie ; si nous avons vŽcu en bons chrŽtiens et selon Dieu, nous mourrons de mme en bons chrŽtiens pour vivre Žternellement avec Dieu. Au contraire, si nous vivons selon nos passions, dans les plaisirs et le libertinage, nous mourrons infailliblement dans le pŽchŽ [2] . N'oublions jamais cette vŽritŽ qui a converti tant de pŽcheurs : o l'arbre tombera, il restera pour jamais [3] . Mais, M.F., la mort, par elle-mme, n'est pas si effrayante qu'on veut bien le croire, puisqu'il ne tient qu'ˆ nous de la rendre heureuse, belle et agrŽable. Saint JŽr™me Žtait prs de mourir ; ses amis le lui ayant annoncŽ, il sembla rŽunir toutes ses forces pour s'Žcrier : Ç O heureuse et bonne nouvelle ! ™ mort, venez bient™t ! ah ! qu'il y a longtemps que je vous dŽsire ! venez me dŽlivrer de toutes les misres de ce monde ! Venez, c'est vous qui m'allez rŽunir ˆ mon Sauveur ! È S'adressant aux assistants : Ç Mes amis, pour ne pas craindre la mort et la trouver douce, il faut marcher dans le chemin que JŽsus-Christ nous a tracŽ, et se mortifier continuellement. È En effet, c'est ˆ l'heure de la mort qu'un bon chrŽtien commence ˆ tre rŽcompensŽ du bien qu'il a pu faire pendant sa vie ; ˆ ce moment, le ciel semble s'ouvrir pour lui faire gožter la douceur des biens cŽlestes. Voici, sur ce sujet, un bel exemple. Saint Franois de Sales visitant son diocse, fut priŽ de venir auprs d'un bon paysan malade qui dŽsirait ardemment, avant de mourir, recevoir sa bŽnŽdiction. En toute h‰te, le saint Žvque se rendit auprs de lui, et trouva dans ce mourant un jugement encore fort sain. En effet, le malade tŽmoigna ˆ son Žvque la joie qu'il avait de le voir, et demanda ˆ se confesser. Quand il eut fini, se voyant seul avec le saint prŽlat, il lui fit cette question : Ç Monseigneur, dois-je bient™t mourir ? È Le saint, croyant que la frayeur portait le malade ˆ faire cette demande, lui rŽpondit pour le rassurer, qu'il avait vu des malades revenir de plus loin, et que du reste, il devait mettre sa confiance en Dieu, ˆ qui seul appartient notre vie comme notre mort. – Ç Mais encore, Monseigneur, croyez-vous que je meure ? È – Ç Mon fils, ˆ cela un mŽdecin rŽpondrait mieux que moi ; tout au plus, vous dirai-je que votre ‰me est en fort bon Žtat, et peut-tre dans un autre temps, n'auriez-vous pas d'aussi bonnes dispositions. Ce que vous avez donc de mieux ˆ faire, c'est de vous abandonner entirement ˆ la providence et ˆ la misŽricorde de Dieu ; afin qu'il dispose de vous selon son bon plaisir. È – Ç Monseigneur, reprit le paysan ce n'est pas la crainte de mourir qui me fait vous demander si je mourrai de cette maladie ; mais bien plut™t la crainte de vivre plus longtemps. È Le saint, surpris d'un langage aussi extraordinaire, et, sachant qu'une grande vertu ou une excessive tristesse Žtaient seules capables de faire na”tre le dŽsir de la mort, demanda au malade d'o lui venait ce dŽgožt pour la vie. Ç Oh ! Monseigneur, s'Žcrie le malade, ce monde est si peu de chose ! je ne sais comment on peut aimer cette vie. Si le bon Dieu ne nous forait d'y rester jusqu'ˆ ce qu'il nous en retire, il y longtemps que je n'y serais plus. – Est-ce la souffrance, la pauvretŽ, qui vous a ainsi dŽgožtŽ de la vie ? – Non, Monseigneur, j'ai menŽ une vie fort sereine jusqu'ˆ l'‰ge de soixante-dix ans o vous me voyez, et, gr‰ce ˆ Dieu, je ne sais pas ce que c'est que la pauvretŽ. – Peut-tre avez-vous eu quelque mŽcontentement de la part de votre femme, ou de vos enfants ? – Point du tout, ils ne m'ont jamais causŽ le moindre chagrin, et ont toujours cherchŽ ˆ me rendre heureux ; la seule chose que je regretterais en quittant le monde, serait de les quitter. – Pourquoi donc dŽsirez-vous la mort avec tant d'ardeur ? – C'est que j'ai entendu dire dans les prŽdications tant de merveilles sur l'autre vie et les joies du paradis que ce monde est pour moi comme un cachot et une prison. È Alors, parlant de l'abondance du cÏur, ce paysan ajouta des choses si belles et si sublimes sur le ciel, que le saint Žvque se retira ravi d'admiration, et profita lui-mme de cet exemple, pour s'animer ˆ mŽpriser les choses crŽŽes et ˆ soupirer aprs le bonheur du ciel.

N'avais-je pas raison de vous dire que la mort est douce et consolante pour un bon chrŽtien ; car elle le dŽlivre de toutes les misres de la vie et le met en possession des biens Žternels. O misŽrable vie, comment peut-on s'attacher si fort ˆ toi !... Job nous dit en peu de mots ce que c'est que la vie : Ç L'homme vit fort peu de temps et sa vie est remplie de misres. Comme une fleur, il ne fait que para”tre, et dŽjˆ se flŽtrit. Il est comme l'ombre qui passe et s'enfuit [4] . È Il n'y a point, en effet, d'animal au monde qui soit autant que l'homme, rempli de misres. Depuis la tte jusqu'aux pieds, il nÕest pas un endroit qui ne soit sujet ˆ toutes sortes de maladies. Sans compter les craintes, les frayeurs de maux qui, le plus souvent, ne nous arriveront jamais. Et la mort, M.F., nous dŽlivre de toutes ces misres [5] . Saint Paul Žcrivant aux HŽbreux leur dit : Ç Nous sommes ici comme de pauvres bannis, qui n'ont point de citŽ permanente ; mais nous en cherchons une qui est dans l'autre monde [6] . È Quelle joie, M F. pour une personne qui a ŽtŽ bannie de son pays, et conduite pour de longues annŽes en esclavage, lorsqu'on lui annonce que son exil est fini, qu'elle va revenir dans sa patrie, voir ses parents et ses amis ! Or, le mme bonheur attend une ‰me qui aime Dieu, et languit ici-bas, dans le dŽsir d'aller le voir au ciel au milieu des saints, qui sont ses vŽritables parents et amis. Elle soupire donc ardemment aprs le moment de sa dŽlivrance.

La mort, M.F., est ˆ l'homme de bien ce que le sommeil est au laboureur, qui se rŽjouit ˆ l'approche de la nuit o il va trouver le repos des fatigues de la journŽe. La mort dŽlivre le juste de la prison de son corps ; c'est ce qui faisait dire ˆ saint Paul : Ç Ah ! malheureux homme que je suis ! qui me dŽlivrera de ce corps de mort [7]  ? È – Ç Tirez-moi, mon Dieu, disait le saint roi David, tirez mon ‰me de la prison de ce corps, parce que les justes m'attendent, jusqu'ˆ ce que vous m'ayez donnŽ ma rŽcompense. Ah ! qui me donnera des ailes comme ˆ la colombe [8]  ? È Et l'ƒpouse du cantique Ç Si vous avez vu mon bien-aimŽ, dites-lui que je languis d'amour [9]  ! È HŽlas ! notre pauvre ‰me est dans notre corps comme un diamant dans la boue. O heureuse mort, qui nous dŽlivre de tant de misres !... Saint GrŽgoire rapporte qu'un pauvre homme nommŽ PrŽneste, depuis longtemps perclus de tous ses membres, Žtant prs de mourir, pria les assistants de chanter. On lui demanda pourquoi, et ce qui pouvait le rŽjouir dans l'Žtat o il Žtait. Ç Ah ! dit-il, c'est que bient™t mon ‰me va quitter mon corps ! Tout ˆ l'heure je vais tre dŽlivrŽ de cette prison ! È Lorsqu'ils eurent chantŽ un moment, ils entendirent une agrŽable musique d'anges. Oh ! leur dit le moribond, n'entendez-vous pas les anges qui chantent ? laissez, laissez-les chanter ! È et il mourut. A l'instant, il se rŽpandit autour de lui une odeur si agrŽable, que la chambre en fut embaumŽe. Dans cet exemple, M.F., nous voyons s'accomplir ˆ la lettre ce que Dieu dit par la bouche du prophte Isa•e : Ç Lve toi, JŽrusalem ma bien-aimŽe, rŽveille-toi, car tu as bu de ma main, jusqu'ˆ la lie, le calice de ma colre..., tous les maux sont venus ensemble fondre sur toi... ƒcoute, JŽrusalem, pauvre citŽ, tu ne boiras plus ˆ l'avenir le calice de mon indignation... ; revts-toi de ta force, Sion ; revts-toi des vtements de ta gloire... Sors de ta poussire, et romps les fers de ton cou [10]  !... È

Qui pourrait comprendre, M.F., la, grandeur des joies de sainte Liduwine ? Aprs vingt-sept ans de maladie, rongŽe par un chancre et dŽvorŽe par les vers, se voyant ˆ la fin de ses maux, elle s'Žcrie : Ç O bonheur ! tous mes maux sont finis !... Heureuse nouvelle ! PrŽcieuse mort, h‰te-toi ! Je te dŽsire depuis si longtemps [11]  ! È Quelle satisfaction pour saint ClŽment, martyr, lorsqu'aprs trente-deux ans de prison et de supplices ; on vint lui annoncer sa condamnation, ˆ mort ! Ç O heureuse nouvelle ! s'Žcrie-t-il, adieu prison, tortures et bourreaux ! voici donc enfin le terme de ma vie et de mes souffrances. O mort, que tu es prŽcieuse, ah ! ne tarde pas !... ; ™ mort tant dŽsirŽe, viens mettre le comble ˆ mon bonheur en me rŽunissant ˆ mon Dieu [12]  !É È

Qu'un chrŽtien est donc heureux, s'il a le courage de marcher sur les traces de son divin Ma”tre !... Mais en quoi consiste la vie de JŽsus-Christ ? Le voici, M.F. Elle consiste en trois choses, savoir : les prires ; les actions et les souffrances. Vous voyez que dans sa vie publique, le Sauveur s'est souvent retirŽ ˆ l'Žcart pour prier, et qu'il Žtait toujours en action pour le salut des ‰mes. Or, il faudrait, M.F., que la pensŽe de Dieu nous fžt aussi naturelle que la respiration. Pendant sa vie de prires et d'actions, JŽsus-Christ a beaucoup souffert, tant™t la pauvretŽ, tant™t les persŽcutions, tant™t les humiliations et toutes sortes de mauvais traitements. Ç Ma vie, nous dit-il par son prophte, a dŽfailli dans la douleur, et mes annŽes dans les gŽmissements, ma force s'est affaiblie dans la pauvretŽ [13] . È La vie d'un bon chrŽtien peut-elle tre autre chose que celle d'un homme attachŽ ˆ la croix avec JŽsus-Christ ? Un juste est un crucifiŽ.

Nous voyons que les saints ont trouvŽ tant de plaisirs dans la douleur, qu'ils semblaient ne pouvoir s'en rassasier. Voyez ce grand pape Innocent Ier : il Žtait couvert d'ulcres des pieds ˆ la tte, cependant il n'Žtait pas encore content, et soupirait sans cesse aprs de nouvelles souffrances. Il les demandait chaque jour ˆ Dieu par ses prires. Ç Mon Dieu, disait-il, augmentez mes douleurs, des maladies encore plus cruelles, pourvu que vous me donniez de nouvelles gr‰ces ! È – Ç Pour­quoi, lui disait-on, demandez-vous ˆ Dieu un surcro”t de souffrances ? vous tes dŽjˆ couvert de plaies. È – Ç Vous ne savez pas combien est grand le mŽrite des souffrances. Ah ! si vous pouviez comprendre ce que vaut la douleur, comme vous l'aimeriez ! È Saint Ignace le martyr, crai­gnant que les lions et les tigres ne vinssent ˆ lui lŽcher les pieds, comme cela arrivait quelquefois, fit entendre ces belles paroles : Ç Quand est-ce que je vous baiserai, btes farouches, vous qui tes prŽparŽes pour mon sup­plice ! Ah ! quand vous caresserai-je ? Si vous ne voulez pas me dŽvorer je vous exciterai ; afin que vous tombiez sur moi avec plus de fureur ; je vous presserai pour que vous vous h‰tiez de me dŽvorer. È Il Žcrivait ˆ ses disci­ples : Ç Je vous Žcris pour vous annoncer combien je suis heureux ! je vais mourir pour JŽsus-Christ mon Dieu ! Tout ce que je vous demande c'est de ne rien faire pour m'arracher ˆ la mort, je sais ce qui m'est avantageux. Je suis le froment de Dieu. Il faut que je sois moulu entre les dents des lions pour devenir un pain digne de JŽsus-Christ [14] . È

Entendez encore saint AndrŽ qui s'Žcrie ˆ la vue de la croix sur laquelle il va perdre la vie : Ç O heureuse croix, par toi je vais tre rŽuni ˆ mon Ma”tre ! ah ! bŽnite croix, reois-moi entre tes bras ; puisque, de tes bras, je serai reu entre ceux de mon Dieu. È La foule, voyant ce bon vieillard attachŽ ˆ la croix ; voulait mettre en pices le proconsul et dŽtacher le saint. Ç Non, mes enfants, leur cria saint AndrŽ du haut de sa croix, laissez-moi, laissez moi terminer une vie si misŽrable, puisque, de lˆ, je vais ˆ mon Dieu [15] . È Saint Laurent est Žtendu sur un gril de fer, les flammes qui, autrefois, ont ŽpargnŽ les trois enfants dans la fournaise de Babylone, le bržlent impitoyablement. Il est dŽjˆ r™ti d'un c™tŽ, et pour toute rŽcompense il demande d'tre retournŽ de l'autre c™tŽ ; afin que, dans le ciel, toutes les parties de son corps soient Žgalement glorieuses. Sans doute, M.F., cet exemple est un miracle de la gr‰ce, qui est toute-puissante dans celui qui aime Dieu ; mais voyez sainte Paule. Cette dame romaine Žtait torturŽe par de violentes douleurs qu'elle Žprouvait dans l'estomac, elle aima mieux mourir, que de boire une goutte de vin qu'on voulait lui faire prendre [16] . Saint GrŽgoire nous rapporte ce trait d'un pauvre mais cŽlbre mendiant ; qui, Žtant demeurŽ plusieurs annŽes paralytique, ne pouvant se remuer sur la paille o il couchait, souffrait des douleurs inconcevables, et, cependant, ne cessa pas un instant de sa vie de bŽnir Dieu. Il mourut en chantant ses louanges.

Ah ! dit saint Augustin, qu'il est consolant de mourir avec la conscience en paix ! Le repos de l'‰me et la tranquillitŽ du cÏur sont les dons les plus prŽcieux que nous puissions obtenir, nous dit le Saint-Esprit, il n'y a point de plaisir comparable ˆ la joie du cÏur [17] . Le juste, dit le mme Docteur, ne craint pas la mort, puisqu'elle va le rŽunir ˆ son Dieu et le mettre en possession de tontes sortes de dŽlices. Voyez la joie que les saints font para”tre en allant ˆ la mort... Voyez, nous dit saint Jean Chrysostome, l'intrŽpiditŽ et la joie avec laquelle saint Paul va ˆ JŽrusalem, quoiqu'il soit certain des mauvais traitements qui l'attendent : Ç Je sais qu'il n'y a pour moi que des tribulations et des cha”nes ; je sais les persŽcutions et les maux que j'y souffrirai ; mais, n'importe, je ne crains rien, parce que je suis persuadŽ que j'ai affaire ˆ un bon ma”tre qui ne m'abandonnera pas. JŽsus-Christ lui-mme est ma caution et mon garant. È Et voyant pleurer ses disciples, l'ap™tre ajoutait : Ç Que faites-vous, en pleurant et affligeant mon cÏur ? car moi, je suis prt, non seulement ˆ tre liŽ mais ˆ mourir ˆ JŽrusalem pour le nom du Seigneur JŽsus [18] . È Nous ne sommes pas sžrs, il est vrai, d'tre comme saint Paul, les amis du bon Dieu ; cependant, quoique pŽcheurs, si nous avons confessŽ nos pŽchŽs avec un sincre regret, et que nous ayons t‰chŽ de satisfaire autant que nous avons pu, par la prire et la pŽnitence ; mais surtout, si ˆ une grande douleur de nos pŽchŽs vient se joindre un ardent amour pour le bon Dieu, nous pouvons avoir confiance : nos pŽchŽs ont ŽtŽ noyŽs dans le sang prŽcieux de JŽsus-Christ, comme l'armŽe de Pharaon dans la mer Rouge. M.F., il y avait trois croix sur le calvaire, celle de JŽsus-Christ, qui est la croix de l'innocence, nous ne pouvons aspirer ˆ celle-lˆ, parce que nous avons pŽchŽ. Puis, celle du bon larron, la croix de pŽnitence : ce doit tre la n™tre. Imitons le bon larron, qui profita des derniers instants de sa vie, pour se repentir, et, de sa croix monta au ciel. JŽsus-Christ le lui annona : Ç Aujourd'hui mme tu sera, avec moi dans le paradis [19]  È La dernire croix est celle du mauvais larron ; nous devons la laisser ˆ ces pŽcheurs qui veulent mourir dans leur pŽchŽ... Mais, pour nous, M.F., nous pouvons certainement, si nous le voulons bien, tre du nombre de ceux qui font une bonne mort.

A la mort, tout nous quitte : biens, parents et amis ; mais ici, ce qui est un supplice pour le pŽcheur procure au juste une grande joie. Dites-moi quel chagrin, en effet, pourrait Žprouver un bon chrŽtien ˆ sa dernire heure ! Pourrait-il regretter ces biens, qu'il a mŽprisŽs toute sa vie ? Son corps ? il le regarde comme un cruel ennemi, qui l'a mis plus d'une fois en danger de perdre son ‰me. Serait-ce les plaisirs du monde ? Non, sans doute, puisqu'il a passŽ sa vie dans les gŽmissements, la pŽnitence et les larmes. Non, M.F., il ne regrette rien de tout cela. La mort ne fait que le sŽparer de ce qu'il a toujours ha• et mŽprisŽ ; c'est-ˆ-dire, le pŽchŽ, le monde et les plaisirs. En s'en allant, il emporte avec lui tout ce qu'il a le plus aimŽ : ses vertus et ses bonnes Ïuvres ; il quitte toutes sortes de misres pour aller prendre possession d'innombrables richesses ; il quitte le combat pour aller jouir de la paix ; il quitte un ennemi cruel, le dŽmon, pour aller se reposer dans le sein du meilleur de tous les pres. Oui, ses bonnes Ïuvres le conduisent en triomphe devant Dieu, qui lui appara”t, non comme un juge, mais comme un tendre ami, qui aprs avoir compati ˆ ses souffrances, ne dŽsire rien autre chose que de le rŽcompenser.

Le prophte Isa•e nous apprend que nos bonnes Ïuvres iront solliciter la bontŽ de Dieu, nous ouvriront la porte du paradis, et nous marqueront notre demeure dans le ciel. Il est parfaitement vrai que nos bonnes Ïuvres nous accompagneront. Voici un bel exemple du pieux roi EzŽchias. Le Saint-Esprit nous montre ce roi ornŽ de tous les mŽrites du juste. Il s'attache de tout son cÏur ˆ la pratique des bonnes Ïuvres, son intention est pure, le motif de toutes ses actions est uniquement celui de plaire ˆ Dieu. Il observe fidlement, et avec grand respect, toutes les cŽrŽmonies de la loi. Mais qu'arriva-t-il ? Le voici. Tout lui rŽussit pendant sa vie. Mais ˆ l'heure de sa mort toute sa magnificence et ses richesses, qui Žtaient trs grandes, le quittrent ; ses sujets les plus fidles furent forcŽs de l'abandonner ; tandis que ses bonnes Ïuvres ne le quittrent point. Par elles, il prie Dieu de lui faire gr‰ce : Ç Je vous en conjure, Seigneur, souvenez-vous que j'ai toujours marchŽ devant vous avec un cÏur pur et droit ; j'ai toujours cherchŽ ce que j'ai cru vous tre plus agrŽable [20] . È Telle est, M.F., l'heureuse fin d'une personne qui a travaillŽ toute sa vie ˆ bien faire tout ce qu'elle a fait, en vue de plaire ˆ Dieu seul. Ç Heureux, dit saint Jean, ceux qui meurent dans le Seigneur, car leurs Ïuvres les suivent [21]  ! È Oui, M.F., nous emporterons tout ce que nous avons de plus prŽcieux ; les biens qui doivent passer, nous les laisserons sur la terre, et ce qui doit durer Žternellement nous suivra. Le solitaire sera accompagnŽ de son silence, de sa retraite et de toutes ses oraisons ; le religieux sera accompagnŽ de ses macŽrations, de ses ježnes et abstinences ; le prtre de tous ses travaux apostoliques : il y verra toutes les ‰mes qu'il a converties et qui seront sa rŽcompense et sa gloire ; le chrŽtien fidle retrouvera toutes les bonnes confessions et communions qu'il aura faites, toutes les vertus qu'il aura pratiquŽes pendant sa vie. Heureuse mort, M.F., que celle du juste ! ƒcoutez le prophte Isa•e : Ç Dites au juste qu'il est heureux, parce qu'il recueillera le fruit de ses Ïuvres [22] . È

Vous conviendrez donc que la mort du juste est bien prŽcieuse aux yeux de tous les hommes ; qu'un prtre aille visiter un tel mourant, sa seule prŽsence l'affermira dans la foi et l'espŽrance ; qu'on lui parle de Dieu et de ses gr‰ces, aussit™t son amour s'enflammera comme une fournaise ardente ; qu'on lui parle des derniers sacrements, ce qui glace un pŽcheur de frayeur et de crainte, il est inondŽ d'un torrent de dŽlices ; car son Dieu va venir en son cÏur pour le conduire avec lui au paradis. Saint GrŽgoire nous rapporte que sa tante sainte Tharsille, Žtant prs de mourir, s'Žcria, transportŽe : Ç Ah ! voilˆ mon Dieu ! voilˆ mon Žpoux ! È et elle expira dans un Žlan d'amour. Voyez encore saint Nicolas de Tolentino [23] . Pendant les huit derniers jours de sa maladie, lorsqu'il avait reu le corps du Sauveur, on entendait les anges chanter dans sa chambre ; et quand ces chants eurent cessŽ, il mourut : les anges l'emmenrent au ciel avec eux. Heureuse mort que celle du juste !.. Sainte ThŽrse ayant apparu toute brillante de gloire ˆ une religieuse de son ordre, elle l'assura que Notre-Seigneur Žtait prŽsent ˆ sa mort, et avait conduit son ‰me au ciel. Heureuse l'‰me qui peut tre assistŽe ˆ la mort par JŽsus-Christ lui-mme !... Qu'il est doux et consolant de mourir dans l'amitiŽ de Dieu !... N'est-ce pas une premire rŽcompense du bien que l'on a pu faire pendant sa vie ?

 

II. – Je sais, M.F., que nous dŽsirons tous faire une bonne mort ; mais ce n'est pas assez de le dŽsirer, il faut encore travailler ˆ mŽriter ce bonheur, ce grand bonheur. Voulez-vous savoir ce qui nous peut procurer ce bien ? Le voici en peu de mots. Parmi les moyens que nous devons prendre pour bien mourir, j'en choisis trois, qui, avec la gr‰ce de Dieu, nous conduiront infailliblement ˆ une bonne mort. Il faut nous y prŽparer 1¡ par une sainte vie ; 2¡ par une vŽritable pŽnitence si nous avons pŽchŽ, et 3¡ par une parfaite conformitŽ de notre mort ˆ celle de JŽsus-Christ.

On meurt pour l'ordinaire, comme l'on a vŽcu : c'est lˆ une de ces grandes vŽritŽs que l'ƒcriture et les saints Pres nous affirment en maint endroit. Si vous vivez en bons chrŽtiens, vous tes sžrs de mourir en bons chrŽtiens ; mais si vous vivez mal, vous tes sžrs de faire une mauvaise mort. Le prophte Isa•e dit : Ç Malheur ˆ l'impie qui ne pense qu'ˆ mal faire, parce qu'il sera traitŽ comme il le mŽrite : ˆ la mort il recevra le salaire des Ïuvres de ses mains [24] . È Il est vrai cependant que l'on peut quelquefois, par une espce de miracle, mal commencer et bien finir ; mais cela arrive si rarement que, d'aprs saint JŽr™me, la mort est ordinairement l'Žcho de la vie ; vous croyez qu'alors vous reviendrez au bon Dieu ? non, vous pŽrirez dans le mal.

Mais si, Žtant touchŽs de repentir, vous commencez ˆ vivre chrŽtiennement, vous serez du nombre de ces pŽnitents qui attendrissent le cÏur de Dieu et gagnent son amitiŽ. Quoique moins riches, ils ne laissent pas que d'aller au ciel, et c'est d'eux prŽcisŽment que Dieu se sert pour manifester sa misŽricorde. Le Saint-Esprit nous dit : Ç Si vous avez un ami, faites-lui du bien avant votre mort [25] . È Eh ! M.F., pouvons-nous avoir un meilleur ami que notre ‰me ? Faisons pour elle tout ce que nous pourrons ; car au moment que nous voudrons lui faire du bien, nous ne le pourrons plus !... La vie est courte. Si vous diffŽrez de vous convertir jusqu'ˆ l'heure de votre mort, vous tes des aveugles ; puisque, vous ne savez ni le moment, ni le lieu o vous mourrez, peut-tre sans secours. Qui sait si vous n'irez point para”tre cette nuit mme, couverts de pŽchŽs devant le tribunal de JŽsus-Christ ?... Non, M.F., ce n'est pas ce que vous devez faire ; vous devez vous purifier, et vous tenir toujours en Žtat de para”tre devant votre juge. Voici un exemple qui vous fera voir que celui qui retarde de jour en jour son retour ˆ Dieu, meurt comme il a vŽcu. Le cardinal Pierre Damien nous rapporte qu'un religieux avait passŽ la meilleure partie de sa vie en chicanes et en disputes avec ses frres. ƒtant au lit de la mort, ses frres le conjuraient de confesser ses pŽchŽs, d'en demander pardon ˆ Dieu et d'en faire pŽnitence, avec un bon propos de n'y plus retomber, si la santŽ lui Žtait rendue. Ils n'en tirrent pas un seul mot. Mais un peu plus tard, ayant repris la parole, il leur parla, et de quoi ? hŽlas ! de ce qui avait fait le sujet de ses conversations pendant sa vie : de procs et autres affaires. Ses frres le suppliaient de songer ˆ son ‰me ; tout fut inutile, il se rendormit et mourut ainsi, sans donner le moindre signe de repentir. Oui, M.F., telle vie, telle mort. N'espŽrez pas un miracle que Dieu ne fait que rarement ; vous vivez dans le pŽchŽ, vous mourrez dans le pŽchŽ.

Un grand nombre d'exemples nous prouve qu'aprs une mauvaise vie, nous ne devons pas attendre une bonne mort. Nous lisons dans l'ƒcriture sainte [26] , qu'AbimŽlech, prince fier et orgueilleux, s'empara du royaume qu'il devait partager avec ses frres, et les fit mourir afin de rŽgner seul. Comme il attaquait une place, les assiŽgŽs s'Žtant rŽfugiŽs dans une tour, il s'en approcha pour y mettre le feu. Une femme qui le vit du haut du rempart, lui jeta une pierre et lui fendit la tte. Ce malheureux se sentant blessŽ, appela son Žcuyer et lui dit : Ç Tire ton ŽpŽe et perce moi le corps... Fais-moi promptement mourir, afin de m'Žpargner la confusion d'avoir ŽtŽ tuŽ par une femme. È Quelle Žtrange conduite, M. F : ? Est-il le premier prince qui ait ŽtŽ ainsi blessŽ ? Pourquoi, donc veut-il que son Žcuyer le tue ? HŽlas ! c'est qu'il n'a ŽtŽ toute sa vie qu'un ambitieux !... SaŸl venait de livrer bataille aux AmalŽcites, le sort des armŽes Žtait trs incertain ; il se sentait perdu, car il Žtait dŽjˆ blessŽ, et voyait l'armŽe ennemie prte ˆ fondre sur lui. S'appuyant sur son ŽpŽe, et voyant venir derrire lui un soldat, il lui dit : Ç Viens ici, mon ami, qui es-tu ? È Ç Je suis un AmalŽcite. È – Ç Eh bien ! fais-moi une gr‰ce : jette-toi sur moi et me tue ; parce que je suis accablŽ de douleur ; je ne saurais mourir, achve-moi [27] . È Et pourquoi, M.F., ce misŽrable veut-il mourir de la main d'un AmalŽcite ? ƒtait-ce donc le seul prince qui ait perdu une bataille ? Ne vous Žtonnez pas de cela, nous rŽpondent les saints Pres, c'est un prince qui, pendant sa vie, s'est livrŽ aux vices, qui s'est laissŽ dominer par l'envie, l'avarice et par toutes sortes de passions. Pourquoi meurt-il d'une manire si dŽshonorante ? C'est qu'il a mal vŽcu. Tout le monde sait qu'Absalon avait ŽtŽ toute sa vie dŽsobŽissant et rebelle ˆ son bon pre. L'heure de sa mort que Dieu avait marquŽe de toute ŽternitŽ, Žtant enfin arrivŽe, comme il passait sous un arbre, il y resta suspendu par les cheveux. Joab le voyant, lui tira trois coups de flches [28] . D'o vient, M.F., la fin malheureuse de ce prince ? sinon que toute sa vie il n'avait ŽtŽ qu'un mauvais fils. Il meurt de cette sorte, parce qu'il avait mal vŽcu.

Vous voyez donc clairement, M.F., que si nous voulons faire une bonne mort, il faut mener une vie chrŽtienne et faire pŽnitence pour nos pŽchŽs ; il faut exciter en nous, avec la gr‰ce de Dieu, une humilitŽ profonde, dans un cÏur plein de regret d'avoir offensŽ un ma”tre si bon. Mais un troisime moyen, pour nous prŽparer ˆ bien mourir, c'est de rŽgler notre mort sur celle de JŽsus-Christ. Quand on porte le bon Dieu ˆ un malade, on porte aussi la croix ; ce n'est pas seulement pour chasser le dŽmon, mais bien plus, pour que ce Sauveur crucifiŽ serve de modle au moribond, et afin que, jetant les yeux sur l'image d'un Dieu crucifiŽ pour son salut, il se prŽpare ˆ la mort comme JŽsus-Christ s'y est prŽparŽ. La premire chose que fit JŽsus-Christ avant de mourir fut de se sŽparer de ses ap™tres ; un malade doit faire de mme, s'Žloigner du monde, et se dŽtacher autant qu'il peut des personnes qui lui sont les plus chres pour ne s'occuper plus que de Dieu seul et de son salut. JŽsus-Christ sachant que sa mort Žtait proche, se prosterna la face contre terre dans le jardin des Oliviers, en priant avec instances [29] . Voilˆ bien ce que doit faire un malade aux approches de la mort ; il doit prier avec ferveur, et dans son agonie, s'unir ˆ l'agonie de JŽsus-Christ. Le malade qui veut rendre son mal mŽritoire doit accepter la mort avec joie, ou, du moins, avec une grande soumission ˆ la volontŽ de son Pre cŽleste ; pensant qu'il faut absolument mourir pour aller voir Dieu, et que c'est lˆ tout notre bonheur. Saint Augustin nous dit que celui qui ne veut pas mourir, porte la marque d'un rŽprouvŽ. Oh ! M.F., qu'un chrŽtien qui a bien vŽcu est heureux ˆ ce dernier moment ! Il quitte toutes sortes de misres pour entrer en posses­sion de toutes sortes de biens !... Heureuse sŽparation ! Elle nous unit ˆ notre souverain bien qui est Dieu mme !... C'est ce que je vous souhaite.



[1] Satutum est hominibus semel mori. Hebr. ix, 27.

[2] Mais, bien loin de travailler ˆ rendre heureuse notre mort, nous faisons tout le contraire ; dites-moi, est-ce cet orgueil qui va vous procurer une bonne mort ? est-ce ce... DŽtail de tous les autres pŽchŽs... Mort de la sainte Vierge.  (Note du Saint.)

[3] Si ceciderit lignum ad austrum, aut ad aquilonem, in quocumque loco ceciderit, ibi erit. Eccli. xi, 3.

[4] Job, xiv, 1-2.

[5] Trois choses consoleront un chrŽtien ˆ lÕheure de la mort, le passŽ, le prŽsent, lÕavenirÉ  (Note du Saint)

[6] Hebr. xii, 14.

[7] Rom. Xii, 24.

[8] Ps. cxli, 8 ; liv. 7.

[9] Cant, v, 8.

[10] Is. li, 17, 22 ; lii, 1-2.

[11] Ribadeneira, au 14 avril.

[12] Ibid. au 23 janvier, saint ClŽment, Žvque dÕAncyre et martyr.

[13] Ps. xxx. 10.

[14] Ribadeneira au 1er fŽvrier.

[15] Ribadeneira au 30 novembre

[16] Ibid. au 26 janvier

[17] Non est oblectamentum super cordis gaudium. Eccli. xxx. 16.

[18] Act. xx.

[19] Luc, xxiii, 43.

[20] Is. xxxviii, 3.

[21] Beati, qui in Domino moriuntur... Opera enim illorum sequuntur illos. Apoc. xiv, 13.

[22] Dicite jusio quoniam bene, quoniam fructum adinventionum suarum comedet. Is. iii, 10.

[23] Ribadeneira, au 10 septembre

[24] V¾ impio in malum : retributio enim manuum ejus fiet ei. Is. iii, 11.

[25] Eccli. xiv, 13.

[26] Judic. ix.

[27] I Reg. xxxi.

[28] II Reg. xviii.

[29] Matth. xxvi, 39.

 

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