15me DIMANCHE APRéS LA PENTECïTE

(SEPTIéME SERMON)

Sur la pensŽe de la mort

 

 

Cum appropinquaret porte civitatis, ecce defunctus efferebatur filius unicus matris suae : et haec vidua erat.

JŽsus, Žtant prs des portes de la ville de Na•m, trouva qu'on portait en terre le fils unique d'une mre qui Žtait veuve.

(S. Luc, VII, 12.)

 

Non, M.F., rien n'est plus capable de nous dŽtacher de la vie et des plaisirs du monde, et de nous porter ˆ nous occuper de ce moment terrible qui doit dŽcider de tout pour l'ŽternitŽ, que la vue d'un cadavre que l'on conduit dans le tombeau. C'est pourquoi l'ƒglise, qui est toujours attentive et occupŽe ˆ nous fournir tous les moyens les plus capables de nous faire travailler ˆ notre salut, nous met, trois fois par annŽe, le souvenir de ces morts que JŽsus-Christ ressuscita [1]  ; afin de nous forcer, en quelque sorte, ˆ nous en occuper pour nous prŽparer ˆ ce voyage. Dans un endroit de l'ƒvangile [2] , elle nous prŽsente une jeune fille ‰gŽe seulement de douze ans, c'est-ˆ-dire dans un ‰ge o ˆ peine l'on peut commencer ˆ jouir des plaisirs. Quoiqu'elle fžt fille unique, trs riche et tendrement aimŽe de ses parents, malgrŽ cela cependant, la mort la frappe et la fait dispara”tre pour jamais aux yeux des vivants. Dans un autre endroit [3] , nous voyons un jeune homme d'environ vingt-cinq ans, qui Žtait ˆ la fleur de son ‰ge, le seul appui et la seule consolation d'une mre veuve ; cependant, ni les larmes, ni la tendresse de cette mre dŽsolŽe, ne peuvent empcher que la mort, cette impitoyable mort, n'en fasse sa proie. Dans une autre partie de l'ƒvangile [4] , nous voyons un autre jeune homme, qui est Lazare. Il tenait lieu de pre ˆ ses deux sÏurs, Marthe et Madeleine ; il nous semble que la mort aurait dž au moins avoir Žgard ˆ ce dernier ; mais, non, cette cruelle mort le moissonne, et le rŽduit au tombeau, pour en faire la p‰ture des vers. Il fallut que JŽsus-Christ f”t trois miracles pour leur rendre la vie. Ouvrons les yeux, M.F., et contemplons un instant ce touchant spectacle, qui va nous prouver, de la manire la plus forte, la caducitŽ de la vie et la nŽcessitŽ de nous en dŽtacher, avant que cette mort inexorable nous en arrache malgrŽ nous. Ç Jeune ou vieux, disait le saint roi David, je penserai souvent que je mourrai un jour, et je m'y prŽparerai de bonne heure. È Pour vous engager ˆ faire de mme, je vais vous montrer combien la pensŽe de la mort nous est nŽcessaire pour nous dŽtacher de la vie et pour nous attacher ˆ Dieu seul.

 

I. – Nous voyons, M.F., que malgrŽ le degrŽ d'impiŽtŽ et d'incrŽdulitŽ o les hommes sont parvenus dans le malheureux sicle o nous vivons, ils n'ont cependant pas encore osŽ nier la certitude de la mort ; mais seulement, ils font tout ce qu'ils peuvent pour en bannir la pensŽe, comme d'un voisin qui pourrait les inquiŽter dans leurs plaisirs, et les troubler dans leurs dŽbauches. Mais aussi, nous voyons dans l'ƒvangile, que Notre-Seigneur JŽsus-Christ veut que nous ne perdions jamais de vue la pensŽe de notre dŽpart de ce monde pour l'ŽternitŽ [5] . Pour bien nous faire comprendre que nous pouvons mourir ˆ tous les ‰ges, nous voyons qu'il ne ressuscite ni des enfants qui sont encore insensibles aux plaisirs de la vie, ni des vieillards dŽcrŽpits, qui, malgrŽ leur attachement ˆ la terre, ne peuvent pas douter que leur dŽpart ne soit peu ŽloignŽ. Mais il ressuscite ceux qui sont dans un ‰ge o nous oublions le plus ordinairement cette pensŽe salutaire : c'est-ˆ-dire, depuis douze jusqu'aux environs de quarante ans. En effet, depuis quarante ans, la mort semble nous poursuivre rapidement ; nous perdons tous les jours quelque chose, qui nous annonce que nous devons bient™t sortir de ce monde ; nous sentons, chaque jour, nos forces diminuer, nous voyons nos cheveux blanchir, notre tte devenir chauve, nos dents tomber, notre vue s'affaiblir : tout cela nous dit adieu pour jamais, et nous avouons nous-mmes que nous ne sommes plus ce que nous Žtions autrefois. Non, M.F., personne n'a le moindre doute lˆ-dessus. Oui, M.F., il est certain qu'un jour viendra o nous ne serons plus du nombre des vivants, et que l'on ne pensera pas plus ˆ nous que si nous n'avions jamais ŽtŽ au monde. Voilˆ donc cette jeune fille mondaine, qui a pris tant de soin et tant de peine ˆ para”tre aux yeux du monde : la voilˆ rŽduite ˆ un peu de poussire, qui est foulŽe sous les pieds des passants. Voilˆ cet orgueilleux, qui faisait tant de cas de son esprit, de ses richesses, de son crŽdit et de sa charge, le voilˆ conduit dans un tombeau, mangŽ des vers, et mis en oubli jusqu'ˆ la fin du monde ; c'est-ˆ-dire, jusqu'ˆ la rŽsurrection gŽnŽrale, o nous le reverrons avec tout ce qu'il aura fait pendant les jours de sa malheureuse vie.

Mais, peut-tre allez-vous me demander ce que c'est que, ce moment de la mort qui doit tant nous occuper, et qui est si capable de nous convertir ? – C'est, M.F., un instant qui, peu sensible dans sa durŽe, nous est peu connu, et qui, cependant, suffit pour nous faire faire le grand passage de ce monde ˆ l'ŽternitŽ. Moment formidable par lui-mme, M.F., o tout ce qui est dans le monde meurt pour l'homme, o l'homme, en mme temps, meurt pour tout ce qui est ˆ lui sur la terre. Moment terrible, M.F., o l'‰me, malgrŽ l'union si intime qu'elle a avec son corps, en est arrachŽe par la violence de la maladie ; aprs quoi, l'homme Žtant dŽpouillŽ de tout, ne laisse aux yeux du monde qu'une figure hideuse de lui-mme, des yeux Žteints, une bouche muette, des mains sans action, des pieds sans mouvement, un visage dŽfigurŽ, un corps qui commence ˆ se corrompre et qui n'est plus qu'un objet d'horreur. Moment impitoyable, M.F., o les plus puissants et les plus riches perdent toutes leurs richesses et leur gloire, et o ils n'ont pour tout hŽritage que la poussire du tombeau. Moment bien humiliant, M.F., o le plus grand est confondu avec le plus misŽrable de la terre. Tout est confondu : plus d'honneurs, plus de distinctions, tous sont mis au mme niveau. Mais moment, M.F., mille fois plus terrible encore par ses suites que par sa prŽsence puisque les pertes en sont irrŽparables. Ç L'homme, nous dit le Saint-Esprit, parlant du mourant, ira dans la maison de son ŽternitŽ [6] . È Moment court, il est vrai, M.F., mais bien dŽcisif ; aprs lequel le pŽcheur n'a plus de misŽricorde ˆ espŽrer, et le juste de mŽrites ˆ acquŽrir. Moment dont la pensŽe a rempli les monastres de tant de grands du monde, qui ont tout quittŽ pour ne penser qu'ˆ ce terrible passage de ce monde ˆ l'autre. Moment, M.F., dont la pensŽe a peuplŽ les dŽserts de tant de saints, qui n'ont cessŽ de se livrer ˆ toutes les rigueurs de la pŽnitence que leur amour pour le bon Dieu a pu leur inspirer. Moment terrible, M.F., mais bien court, qui, cependant, va dŽcider de tout pour une ŽternitŽ entire.

D'aprs cela, M.F., comment se peut-il faire que nous n'y pensions pas ou, du moins, que nous y pensions d'une manire si faible ? HŽlas ! M.F., que d'‰mes bržlent maintenant, pour avoir nŽgligŽ cette pensŽe salutaire ! Laissons, M.F., laissons un peu le monde, ses biens et ses plaisirs, pour nous occuper de ce terrible moment. Imitons, M.F., les saints, qui en faisaient leur principale occupation ; laissons pŽrir ce qui pŽrit avec le temps, donnons nos soins ˆ ce qui est Žternel et permanent. Oui, M.F., rien n'est plus capable de nous dŽtacher de la vie du pŽchŽ, et de faire trembler les rois sur leurs tr™nes, les juges et les libertins au milieu de leurs plaisirs, que la pensŽe de la mort. En voici un exemple, M.F., qui va vous montrer que rien ne peut rŽsister ˆ cette pensŽe bien mŽditŽe. Saint GrŽgoire nous rapporte qu'un jeune homme, au salut de l'‰me duquel il s'intŽressait beaucoup, avait conu une telle passion pour une jeune fille, que celle-ci Žtant morte, il ne pouvait plus s'en consoler. Saint GrŽgoire, pape, aprs bien des prires et des pŽnitences, alla trouver ce jeune homme : Ç Mon ami, lui dit-il, venez avec moi, et vous verrez encore une fois celle qui vous fait pousser tant de soupirs et verser tant de larmes. È

Le prenant par la main, il le conduit au tombeau de cette jeune fille. Quand il eut fait lever la planche qui couvrait son corps, ce jeune homme voyant un corps si horrible, si puant, si rempli de vers, n'Žtant plus qu'un amas de corruption, recule d'horreur : Ç Non, non, mon ami, lui dit saint GrŽgoire, avancez et soutenez un instant la vue de ce spectacle que la mort vous prŽsente. Voyez, mon ami, considŽrez ce qu'est devenue cette beautŽ pŽrissable, ˆ laquelle vous Žtiez Žperdument attachŽ. Voyez-vous cette tte toute dŽcharnŽe, ces yeux Žteints, ces ossements livides, cet amas horrible de cendres, de pourriture et de vers ? Voilˆ, mon ami, l'objet de votre passion, pour lequel vous avez poussŽ tant de soupirs, et sacrifiŽ votre ‰me, votre salut, votre Dieu et votre ŽternitŽ. È Des paroles si touchantes, un spectacle si effrayant firent une impression si vive sur le cÏur de ce jeune homme, que, reconnaissant ds ce moment le nŽant de ce monde et la fragilitŽ de toute beautŽ pŽrissable, il renona aussit™t ˆ toutes les vanitŽs de la terre, ne pensa plus qu'ˆ se prŽparer ˆ bien mourir en se retirant du monde, pour aller passer sa vie dans un monastre, y pleurer, le reste de ses jours, les Žgarements de sa jeunesse, et mourir en saint. Quel bonheur, M.. F., pour ce jeune homme ! Faisons de mme, M.F., puisque rien n'est plus capable de nous dŽtacher de la vie, et de nous dŽterminer ˆ quitter le pŽchŽ que cette heureuse pensŽe de la mort.

Ah ! M.F., ˆ la mort, comme l'on pense bien autrement que pendant la vie ! En voici un bel exemple. Il est rapportŽ dans l'histoire, qu'une dame possŽdait toutes les qualitŽs capables de plaire au monde, dont elle gožtait tous les plaisirs. HŽlas ! M.F., cela ne l'empcha pas d'arriver comme les autres ˆ ses derniers moments, et bien plus t™t qu'elle n'aurait voulu. Au commencement de sa maladie, on lui dissimula le danger o elle se trouvait, comme on ne le fait que trop souvent ˆ ces pauvres malades. Cependant le mal faisait chaque jour de nouveaux progrs ; il fallut l'avertir qu'elle devait penser ˆ son dŽpart pour l'ŽternitŽ. Il lui fallait faire alors ce qu'elle n'avait jamais fait et penser ce qu'elle n'avait jamais pensŽ ; elle en fut extrmement effrayŽe. Ç Je ne crois pas, dit-elle ˆ ceux qui lui donnaient cette nouvelle, que ma maladie soit dangereuse, j'ai encore le temps ; È mais on la presse, en lui disant que le mŽdecin la trouvait en danger. Elle pleure, elle se lamente de quitter la vie dans un temps o elle pouvait encore jouir de ses plaisirs. Mais, tandis qu'elle pleurait, on lui reprŽsente que personne n'Žtant immortel, si elle Žchappait ˆ cette maladie, une autre l'emmnerait, que tout ce qu'elle avait ˆ faire Žtait de mettre ordre ˆ sa conscience, afin de pouvoir para”tre avec confiance devant le tribunal de Dieu. Peu ˆ peu elle rentra en elle-mme, et, comme elle Žtait instruite, elle fut bient™t convaincue de cela ; ses larmes se tournrent du c™tŽ de ses pŽchŽs ; elle demanda un confesseur pour lui faire l'aveu de ses fautes, qu'elle aurait bien voulu n'avoir jamais commises. Elle fait elle-mme le sacrifice de sa vie ; elle confesse ses fautes avec une grande douleur, une abondance de larmes ; elle prie ses compagnes ou ses amies de venir la voir avant qu'elle ne sorte de ce monde, ce qu'elles firent avec empressement. Quand elles furent autour de son lit, elle leur dit en pleurant : Ç Mes chres amies, vous voyez dans quel Žtat je suis ; il me faut aller para”tre devant JŽsus-Christ, pour lui rendre compte de toutes les actions de ma vie ; vous savez vous-mmes combien j'ai mal servi le bon Dieu et combien j'ai ˆ craindre ; mais, cependant, je vais m'abandonner ˆ ses misŽricordes. Tout le conseil que j'ai ˆ vous donner, mes bonnes amies, c'est de ne pas attendre, pour bien faire, ce moment o l'on ne peut rien, et o, malgrŽ les larmes et le repentir, l'on est en si grand danger d'tre perdu pour l'ŽternitŽ. C'est pour la dernire fois que je vous vois ; je vous en conjure, ne perdez pas un moment du temps que le bon Dieu vous donne et que je n'ai pas moi-mme. Adieu, mes amies, je vais partir pour l'ŽternitŽ, ne m'oubliez pas dans vos prires, afin que, si j'ai le bonheur d'tre pardonnŽe, vous m'aidiez ˆ me tirer du purgatoire. È Toutes ses compagnes, qui ne s'attendaient nullement ˆ ce langage, se retirrent en versant des larmes, et remplies d'un grand dŽsir de ne pas attendre ce moment, o nous avons tant de regrets d'avoir perdu un temps si prŽcieux.

Oh ! M.F., que nous serions heureux, si la pensŽe de la mort et la prŽsence d'un cadavre, nous faisaient la mme impression, opŽraient le mme changement en nous ! Cependant nous avons une ‰me ˆ sauver comme ces personnes, qui se convertirent ˆ la vue de cette jeune dame qui allait mourir ; et, de plus, nous avons les mmes gr‰ces si nous voulons en profiter. HŽlas ! mon Dieu, pourquoi s'attacher si fort ˆ la vie, puisque nous n'y sommes que pour un instant, aprs lequel, nous lais­sons tout, pour n'emporter que le bien et le mal que nous avons fait ?... Pourquoi, M.F., nous attacher si peu, au bon Dieu, qui fait, mme ds ce monde, notre bonheur, pour le continuer pendant l'ŽternitŽ ? Comment pourrions-nous nous attacher aux biens et aux plaisirs de ce monde, si nous avions ces paroles bien gravŽes dans nos cÏurs : Ç Nous venons au monde tout nus et nous en sortirons de mme ? È Cependant nous savons et nous voyons tous les jours que le plus riche n'emporte pas plus que le plus pauvre. Le grand Saladin le reconnut bien avant de mourir, lui qui avait fait trembler l'univers par la grandeur de ses victoires. Se voyant prs de mourir, reconnaissant alors, mieux que jamais, le vide des grandeurs humaines, il commanda ˆ celui qui marchait ordinairement devant lui, portant son Žtendard, de prendre un morceau du drap dont il devait tre enveloppŽ, de le mettre ˆ la pointe d'une pique, et de marcher dans la ville en criant autant fort qu'il pourrait : Ç Voilˆ tout ce que le grand Saladin, vainqueur de l'Orient, et ma”tre de l'Occident, emporte de tous ses trŽsors et de toutes ses victoires : un linceul. Ç ï mon Dieu ! que nous serions sages, si cette pensŽe ne nous quittait jamais !

En effet, M.F., si cet avare, dans le moment o il n'Žpargne ni injustices, ni tromperies, pour amasser du bien, pensait que, dans peu de temps, il va tout quitter, pourrait-il bien s'attacher si fort ˆ des objets qui vont le perdre pour l'ŽternitŽ ? Mais, non, M.F., en voyant la manire dont nous vivons, l'on croirait que jamais nous ne devons quitter la vie. HŽlas ! qu'il est ˆ craindre que si nous vivons en aveugles, nous mourions de mme ! en voici un exemple bien frappant.

Nous lisons dans l'histoire que le cardinal Bellarmin, de la Compagnie de JŽsus, fut appelŽ vers un malade qui avait ŽtŽ procureur, et qui, malheureusement, avait prŽfŽrŽ l'argent au salut de son ‰me. Croyant qu'il ne le mandait que pour ranger les affaires de sa conscience, il y courut avec empressement. En entrant, il commence ˆ lui parler de l'Žtat de son ‰me ; mais ˆ peine eut-il commencŽ ˆ parler que le malade lui dit : Ç Mon Pre, ce n'est pas pour cela que je vous ai demandŽ ; mais seulement pour consoler ma femme qui se dŽsole de me perdre ; car, pour moi, je m'en vais tout droit en enfer. È Le cardinal rapporte que cet homme Žtait si endurci et si aveugle, qu'il pronona ces paroles avec autant de tranquillitŽ et la mme froideur que s'il ežt dit qu'il allait prendre un moment de plaisir avec quelques-uns de ses amis. Ç Mon ami, lui dit le cardinal, qui se dŽsolait de voir sa pauvre ‰me tomber en enfer, pensez donc ˆ demander pardon au bon Dieu de vos pŽchŽs et confessez-vous ; le bon Dieu vous pardonnera. È Ce pauvre malheureux lui dit qu'il ne fallait pas perdre son temps, qu'il ne connaissait pas ses pŽchŽs, ni ne voulait les conna”tre ; qu'il avait bien le temps de les conna”tre en enfer. Le cardinal eut beau le prier, le conjurer, en gr‰ce, de ne pas se perdre pour l'ŽternitŽ, puisqu'il avait encore tous les moyens de gagner le ciel, lui promettant qu'il l'aiderait ˆ satisfaire ˆ la justice de Dieu, ajoutant qu'il Žtait sžr que le bon Dieu aurait encore pitiŽ de lui. Mais, non, rien ne fut capable de le toucher ; il mourut sans donner aucun sentiment de repentir.

HŽlas ! M.F., celui qui ne pense pas ˆ la mort pendant sa vie se met dans un grand danger de n'y jamais penser, ou de ne vouloir rŽparer le mal que quand il n'y aura plus de remdes. ï mon Dieu ! que ceux qui ne perdent jamais la pensŽe de la mort Žvitent de pŽchŽs pendant la vie et de regrets pour l'ŽternitŽ ! Le mme cardinal rapporte qu'Žtant allŽ visiter un de ses amis qui Žtait malade par un excs de dŽbauche, il voulut l'exhorter au repentir et ˆ se confesser de ses pŽchŽs, ou du moins, ˆ en faire un acte de contrition. Le malade lui rŽpondit : Ç Mon pre, que voulez-vous me dire par un acte de contrition ? Je n'ai jamais connu ce langage. È Le cardinal eut beau lui vouloir faire comprendre que c'Žtait regretter les pŽchŽs qu'on avait commis, pour que le bon Dieu nous pardonne. – Ç Mon pre, laissez-moi, vous me troublez, laissez-moi tranquille. È Il mourut sans vouloir produire un acte de contrition, tant il Žtait aveuglŽ et endurci. O mon Dieu ! quel malheur pour une personne qui a perdu la foi ! hŽlas ! il n'y a plus de ressources ! Ah ! M.F., que l'on a bien raison de dire : Telle est la vie, telle est la mort. HŽlas ! M. F, si cet ivrogne pensait un peu ˆ ce moment de la mort, qui doit terminer toutes ses dissolutions et ses dŽbauches, o son corps sera livrŽ aux vers, pendant que sa pauvre ‰me bržlera en enfer ; ah ! M.F., aurait-il le courage de continuer ses excs ? Mais, non, si on lui en parle, il s'en moque, il ne pense qu'ˆ se divertir, ˆ contenter son corps, comme si tout devait finir avec lui, nous dit le prophte Isa•e.

Ah ! M.F., le dŽmon a grand soin de nous en faire perdre le souvenir, parce qu'il sait bien mieux que nous combien il nous est salutaire pour nous tirer du pŽchŽ et nous ramener au bon Dieu. Les saints, M.F., qui avaient tant ˆ cÏur le salut de leur ‰me, avaient soin de n'en perdre jamais le souvenir. Saint Guillaume, archevque de Bourges, assistait aux enterrements autant qu'il le pouvait, afin de bien graver en lui la pensŽe de la mort. Il se reprŽsentait combien nous sommes misŽrables de nous attacher ˆ la vie qui est si malheureuse, si remplie du danger de nous perdre pour l'ŽternitŽ [7]  ! Il y en a un autre qui alla passer un an dans un bois, pour avoir le loisir de se bien prŽparer ˆ la mort : Ç parce que, disait-il, quand elle arrive, il n'est plus temps. È Ces saints avaient, sans doute, bien raison, M.F., parce que de cette heure dŽpend tout, et que, souvent, si nous attendons pour y penser le moment o la mort nous frappe, quelquefois cela ne sert ˆ rien.

Oh ! que la pensŽe de la mort est puissante pour nous garantir du pŽchŽ, et nous faire faire le bien ! HŽlas ! M.F., si ce malheureux qui se tra”ne dans les ordures de ses impuretŽs, pensait bien au moment de la mort o son corps, qu'il prend tant de soin de contenter, sera pourri en terre ; ah ! s'il faisait la moindre rŽflexion sur ces os secs et arides, amoncelŽs dans le cimetire ; s'il prenait la peine d'aller sur ces tombeaux, pour y contempler ces cadavres puants et pourris, ces cr‰nes ˆ demi rongŽs par les vers, ne serait-il pas frappŽ d'un tel spectacle ? Aurait-il d'autre pensŽe que de pleurer ses pŽchŽs et son aveuglement, s'il pensait au regret qu'il aura ˆ l'heure de la mort, d'avoir profanŽ un corps qui est Ç le temple du Saint-Esprit et les membres de JŽsus-Christ [8]  ? ÈVoulez-vous, M.F., conna”tre la fin malheureuse d'un impudique qui n'a pas voulu voir la mort pendant sa vie ? Saint Pierre Damien rapporte qu'un Anglais, pour avoir de quoi satisfaire sa passion honteuse, se donna au dŽmon, ˆ condition qu'il l'avertirait trois jours avant sa mort, dans l'espŽrance qu'il aurait bien le temps de se convertir. HŽlas ! que l'homme est aveugle, une fois dans le pŽchŽ ! Mais, aprs qu'il se fut tra”nŽ, roulŽ et baignŽ dans le jus de ses impuretŽs, le moment de son dŽpart arriva. Le dŽmon, tout menteur qu'il est, tint parole ˆ ce scŽlŽrat. Mais l'Anglais fut bien trompŽ dans son attente ; car, au grand Žtonnement de tous les assistants, ds qu'on lui parlait de son salut, il paraissait s'endormir, ne faisait aucune rŽponse ; mais si on lui parlait des affaires temporelles, il avait parfaitement sa connaissance ; de sorte qu'il mourut dans ses impuretŽs, comme il y avait vŽcu. Pour bien nous montrer qu'il Žtait rŽprouvŽ, le bon Dieu permit que de gros chiens noirs parussent environner son lit, comme prts ˆ s'Žlancer sur leur proie ; on les vit encore sur son tombeau, comme pour garder ce dŽp™t abominable. HŽlas ! M.F., que d'autres exemples aussi effrayants que ceux-lˆ !...

Dites-moi, si cet ambitieux pensait bien ˆ ce moment de la mort, qui lui fera voir tout le nŽant des grandeurs humaines, pourrait-il bien ne pas faire ces rŽflexions, que bient™t il sera couvert de terre et foulŽ aux pieds des passants, n'ayant pour toute marque de grandeur, que ces deux mots : Ç Ici repose un tel ? È O mon Dieu ! que l'homme est aveugle ! Nous lisons dans l'histoire, qu'un homme, pendant toute sa vie, n'avait nullement pensŽ ˆ son salut ; mais seulement ˆ se divertir et ˆ amasser du bien. ƒtant prs de mourir, il reconnut bien son aveuglement de n'avoir point travaillŽ ˆ faire une bonne mort. Il recommanda que l'on m”t sur sa tombe : Ç ici repose l'insensŽ, qui est sorti de ce monde sans savoir pourquoi le bon Dieu l'y avait mis. È Si, M.F., tous ces pŽcheurs qui se raillent de toutes les gr‰ces que le bon Dieu leur fait pour sortir du pŽchŽ et qui les mŽprisent ; s'ils pensaient bien que, dans le moment o ils sortiront de ce monde, ces gr‰ces leur seront refusŽes, et que, le bon Dieu qu'ils ont fui, les fuira ˆ son, tour, et les laissera mourir dans leurs pŽchŽs ; dites-moi, auraient-ils le courage de mŽpriser tant de gr‰ces que le bon Dieu leur prŽsente maintenant pour sauver leur pauvre ‰me ?

Ah ! M.F., que de pŽchŽs ne se commettraient pas, si l'on avait le bonheur de penser souvent ˆ la mort. C'est pourquoi le Saint-Esprit nous recommande si fort de ne jamais perdre le souvenir de nos fins dernires, parce que nous ne pŽcherions jamais [9] . Ce fut encore cette pensŽe, M.F., qui acheva de convertir saint Franois de Borgia. ƒtant encore dans le monde, il se trouvait ˆ la cour d'Espagne, lorsque l'impŽratrice ƒlisabeth [10] , femme de Charles-Quint, mourut. Comme on devait l'enterrer dans le tombeau de ses prŽdŽcesseurs, qui Žtait ˆ Grenade, l'on donna la conduite de ce corps ˆ Franois de Borgia. A l'arrivŽe ˆ Grenade, on voulut faire la cŽrŽmonie, et l'on ouvrit le cercueil o Žtait le corps. Franois de Borgia devait protester que c'Žtait bien le mme que l'on avait mis dans le cercueil. Quand on eut dŽcouvert ce visage qui avait ŽtŽ si beau, il se trouva tout noir et ˆ demi pourri ; les yeux Žtaient tout fondus ; il en sortait une odeur insupportable. Alors il dit : Ç Oui, je jure que c'est le corps qu'on a mis dans le cercueil, et que c'est celui de la princesse ; mais je ne le reconnais plus. È Ds ce moment, il fit rŽflexion sur le nŽant des grandeurs humaines et combien elles sont peu de chose ; il prit la rŽsolution de quitter le monde, pour ne plus penser qu'ˆ sauver son ‰me. Ç Ah ! disait-il, qu'est devenue la beautŽ de cette princesse, qui Žtait la plus belle crŽature du monde ? O mon Dieu ! que l'homme est aveugle de s'attacher ˆ de viles crŽatures en perdant son ‰me ! È Heureuse pensŽe, M.F., qui lui a valu le ciel !

Mais pourquoi est-ce, M.F., que nous oublions cette mort, qui nous ferait toujours tenir prts ˆ bien mourir ? HŽlas ! l'on ne veut pas y penser, l'on meurt sans y avoir pensŽ, et nous regardons cette mort comme bien ŽloignŽe de nous. Le dŽmon ne nous dit pas, comme autrefois, ˆ nos premiers parents : Ç Vous ne mourrez pas [11]  ; È parce que cette tentation serait trop grossire, elle ne tromperait personne ; Ç mais, nous dit-il, vous ne mourrez pas si t™t ; È et par cette illusion, nous ren­voyons la pensŽe de nous convertir ˆ notre dernire maladie, o nous ne serons plus en Žtat de rien faire. C'est ainsi, M.F., que la mort en a tant surpris, et en surprendra tant jusqu'ˆ la fin du monde. C'est cependant cette pensŽe qui en a tant tirŽ du pŽchŽ ; en voici un exemple bien frappant. Il est rapportŽ dans l'histoire qu'un jeune homme et une jeune fille avaient eu ensemble un commerce inf‰me. Il arriva que ce jeune homme, passant dans un bois, fut ŽgorgŽ. Un petit chien qui le suivait, voyant son ma”tre tuŽ, va trouver cette fille, la prend par son tablier, la tirant comme pour lui dire de le suivre. ƒtonnŽe de cela, elle suit ce petit chien, qui la mne au lieu o Žtait son ma”tre. Il s'arrta auprs d'un tas de feuilles. Ayant regardŽ ce qu'il y avait, elle vit ce pauvre jeune homme tout ensanglantŽ : des voleurs l'avaient poignardŽ. Rentrant en elle-mme, elle se mit ˆ pleurer, se disant : Ç Ah ! malheureuse, si le mme sort t'Žtait arrivŽ, o serais-tu ? hŽlas ! tu bržlerais en enfer. Peut-tre ce jeune homme bržle-t-il maintenant dans les ab”mes ˆ cause de toi !... Ah ! malheureuse, comment as-tu pu mener une vie si criminelle ? Ah ! dans quel Žtat est ta pauvre ‰me !... Mon Dieu ! je vous remercie, de ne m'avoir pas fait servir d'exemple aux autres ! È Elle quitta le monde, alla s'ensevelir dans un monastre pour toute sa vie, et mourut comme une sainte. Ah ! M.F., combien y a-t-il de pŽcheurs que de semblables exemples ont convertis ! O mon Dieu ! qu'il faut que nos cÏurs soient durs et insensibles pour n'tre touchŽs de rien, et vivre dans le pŽchŽ, peut-tre, sans penser ˆ en sortir !

HŽlas ! M.F., il est ˆ craindre que, dans le moment o nous voudrons revenir au bon Dieu, nous ne le puissions pas ; le bon Dieu, en punition de nos pŽchŽs, nous aura abandonnŽs. Je vais vous le montrer dans un exemple. Nous lisons dans l'histoire [12] , qu'un homme avait vŽcu longtemps dans le dŽsordre. S'Žtant converti, il retomba au bout de quelque temps dans ses anciens pŽchŽs. Ses amis, qui en Žtaient bien chagrinŽs, firent tout ce qu'ils purent pour le ramener au bon Dieu ; il leur promettait toujours et n'en faisait rien. Ils lui dirent qu'il y avait une retraite dans la paroisse voisine ; qu'ils l'y conduiraient avec eux, et qu'il devait s'y prŽparer. L'autre, qui depuis longtemps se moquait de Dieu et de tous leurs conseils, leur rŽpondit en riant, que oui ; qu'ils n'avaient qu'ˆ venir le prendre le matin du jour o elle devait commencer, et qu'ils partiraient tous ensemble. Les autres ne manqurent pas d'aller le trouver, dans l'espŽrance de le ramener au bon Dieu ; mais en entrant, il le virent Žtendu au milieu de sa maison : il Žtait mort, la nuit, de mort subite sans avoir eu le temps ni de se confesser, ni de donner le moindre signe de repentir. HŽlas ! M.F., o alla cette pauvre ‰me qui avait tant mŽprisŽ les gr‰ces du bon Dieu ?

 

II. – Nous avons dit qu'il est trs utile de penser souvent ˆ la mort : 1¡ pour nous faire Žviter le pŽchŽ et nous faire expier ceux que nous avons eu le malheur de commettre, et 2¡ pour nous dŽtacher de la vie. Saint Augustin nous dit qu'il ne faut pas seulement penser ˆ la mort des martyrs, chez qui, par une gr‰ce admirable, la peine du pŽchŽ est devenue comme un instrument de mŽrite, mais ˆ la mort de tous les hommes. Cette pensŽe de la mort serait pour nous un des plus puissants moyens de salut, et un des plus grands remdes ˆ nos maux, si nous en savions tirer les avantages que la misŽricorde divine veut nous procurer par le ch‰timent que sa justice exige de nous. Nous ne sommes condamnŽs ˆ mourir que parce que nous avons pŽchŽ [13]  ; mais il nous suffirait, pour ne plus pŽcher, de bien penser ˆ la mort ; comme nous dit l'Esprit-Saint [14] .

Nous disons, M.F., que la pensŽe de la mort produit en nous trois effets : 1¡ elle nous dŽtache du monde 2¡ elle arrte nos passions ; 3¡ elle nous engage ˆ mener une vie plus sainte. Si le monde, M.F., peut nous tromper pendant quelque temps, cela certainement ne durera pas toujours ; car il est sžr que toutes les choses du monde n'ont pas grande force contre la pensŽe de la mort. Si nous pensons que, dans quelques moments ; nous aurons dit adieu ˆ la vie pour n'y repara”tre jamais !  L'homme qui a la mort toujours prŽsente ˆ l'esprit ne peut se regarder que comme un voyageur sur la terre, qui ne fait qu'y passer, et qui laisse sans peine tout ce qu'il rencontre, parce qu'il tend ˆ un autre terme et qu'il avance vers une autre patrie. Telle fut, M. F :, la disposition de saint JŽr™me : comme il voyait qu'une fois mort il ne pourrait plus animer ses disciples par ses exemples de secrtes vertus, il voulut, en mourant, leur laisser de saintes instructions : Ç Mes enfants, leur dit-il, si vous voulez, comme moi, ne rien regretter ˆ la mort, accoutumez-vous ˆ vous dŽtacher de tout pendant la vie. Voulez-vous encore ne rien craindre dans ce terrible moment ? N'aimez rien de ce, qu'il vous faudra quitter. Quand on est bien dŽtrompŽ du monde et de toutes ses illusions, qu'on a mŽprisŽ ses biens, ses fausses douceurs et ses folles promesses ; quand on n'a pas mis sa fŽlicitŽ dans la jouissance des crŽatures, l'on n'a point de peine ˆ les quitter et ˆ s'en sŽparer pour toujours. È O heureux Žtat, s'Žcriait ce grand saint, que celui d'un homme, qui, plein d'une juste confiance en Dieu, ne se trouve retenu par aucun attachement au monde et aux biens de la terre ! Voilˆ, M.F., les dispositions auxquelles nous conduit la pensŽe de la mort.

Le second effet que la pensŽe de la mort produit en nous, c'est d'arrter nos passions. Oui, M.F., si nous sommes tentŽs, nous n'avons qu'ˆ penser vite ˆ la mort, et de suite, nous sentirons tomber la passion : c'Žtait la pratique des saints. Saint Paul nous dit qu'il meurt tous les jours [15] . Notre-Seigneur Žtant encore sur la terre, parlait souvent de sa passion [16] . Sainte Marie ƒgyptienne Žtant tentŽe, pensait vite ˆ la mort ; et de suite, la tentation la quittait [17] . Saint JŽr™me ne perdait pas plus cette pensŽe que la respiration. Il est rapportŽ dans la Vie des Pres du dŽsert, qu'un solitaire qui avait vŽcu quelque temps dans le grand monde, Žtant touchŽ de la gr‰ce, alla s'ensevelir dans un dŽsert. Le dŽmon ne cessa de lui rappeler la jeune personne pour laquelle il avait eu un amour criminel. Un moment avant qu'elle mouržt, Dieu le lui fit conna”tre. Il sort de sa solitude, il va la voir : elle Žtait prte ˆ tre mise en terre ; il s'approche du cercueil, lui dŽcouvre le visage, prend dans son mouchoir un abcs qui sortait de sa bouche. Aprs cela, il retourne dans son dŽsert, et toutes les fois qu'il Žtait tentŽ, il prenait ce mouchoir et se disait ˆ lui-mme, en se reprŽsentant les ordures de cette pauvre crŽature : Ç InsensŽ que tu es, voilˆ la douce faveur de l'objet que tu as tant aimŽ aux dŽpens de ton ‰me ; si ˆ prŽsent, tu ne peux supporter cette horrible puanteur qui est sortie du corps de cette crŽature, quelle n'a donc, pas ŽtŽ ta, folie de l'avoir aimŽe pendant sa vie, au prŽju­dice de ton salut. ; mais quel serait ton aveuglement que d'y penser encore aprs sa mort ! È Saint Augustin nous dit que quand il se sentait violemment portŽ au mal, la seule chose qui le retenait, c'Žtait de penser qu'un jour il mourrait, et qu'aprs sa mort, il serait jugŽ. Ç Je disais souvent ˆ mon cher ami Alype, lorsque je m'entretenais avec lui de ce qui devait faire le diffŽrent partage des bons et des mŽchants, je lui avouais que, malgrŽ tout ce que pouvaient me dire autrefois les impies, j'ai toujours cru, qu'ˆ l'heure de notre mort, le bon Dieu nous fera rendre compte de tout le mal que nous aurons fait pendant notre vie [18] . È

Il est rapportŽ dans l'histoire des Pres du dŽsert, qu'un jeune solitaire disait ˆ un ancien : Ç Mon pre, que faut-il faire quand je suis tentŽ, surtout contre la sainte vertu de puretŽ ? È – Ç Mon fils, lui dit le saint, pensez vite ˆ la mort et aux tourments rŽservŽs aux impudiques dans les enfers, et vous tes sžr que cette pensŽe chassera le dŽmon. È Saint Jean Climaque nous dit qu'un solitaire qui avait toujours la pensŽe de la mort gravŽe dans son esprit, quand le dŽmon voulait le tenter pour le porter ˆ se rel‰cher, s'Žcriait : Ç Ah ! malheureux, voilˆ que tu vas mourir, et tu n'as encore rien fait pour tre prŽsentŽ au bon Dieu. È Oui, M.F., une personne qui veut sauver son ‰me, ne doit jamais perdre le souvenir de la mort.

La pensŽe de la mort nous fournit encore de pieuses rŽflexions : elle nous met toute notre vie devant les yeux ; alors, nous pensons que tout ce qui nous rŽjouit selon le monde pendant notre vie, nous fera verser des larmes ˆ l'heure de la mort ; tous nos pŽchŽs, qui ne doivent jamais s'effacer de notre mŽmoire, sont autant de serpents qui nous dŽvorent ; le temps que nous avons perdu, les gr‰ces que nous avons mŽprisŽes : tout cela nous sera montrŽ ˆ la mort. D'aprs cela, il est impossible de ne pas travailler ˆ mieux vivre et ˆ cesser de faire le mal. Il est rapportŽ dans l'histoire, qu'un mourant, avant de rendre le dernier soupir, fit appeler son prince, ˆ qui il avait ŽtŽ trs fidle pendant bien des annŽes. Le prince s'y rendit avec empressement : Ç Demandez-moi, lui dit-il, tout ce que vous voudrez, et vous tes sžr de l'obtenir. È – Ç Prince, lui dit ce pauvre mourant, je n'ai qu'une chose ˆ vous demander, c'est un quart d'heure de vie. È – Ç HŽlas, mon ami, lui reprit le prince, cela n'est pas en mon pouvoir, demandez-moi toute autre chose, afin que je puisse vous l'accorder. È –  Ç HŽlas ! s'Žcria le malade, si j'avais servi le bon Dieu aussi bien que je vous ai servi, je n'aurais pas un quart d'heure de vie, mais une ŽternitŽ. È Mme regret Žprouva un homme de loi, lorsqu'il fut prs de sortir de la vie, sans avoir pensŽ ˆ sauver son ‰me : Ç Ah ! insensŽ que je suis, moi qui ai tant Žcrit pour le monde ; et rien pour mon ‰me ; il me faut mourir, je n'ai rien fait qui puisse me rassurer, et il n'y a plus de remdes ; je ne vois rien dans ma vie que je puisse prŽsenter au bon Dieu. È Heureux, M.F., s'il profita lui-mme de cela, c'est-ˆ-dire, de ses bons sentiments.

3¡ Voici les rŽflexions que la pensŽe de la mort doit nous faire faire : Si nous nŽgligeons de nous y prŽparer, nous serons sŽparŽs pendant toute l'ŽternitŽ de la compagnie de JŽsus-Christ, de la sainte Vierge, des anges et des saints, et nous serons, forcŽs d'aller passer notre ŽternitŽ avec les dŽmons, pour bržler avec eux. Nous lisons dans la vie de saint JŽr™me, qu'une longue expŽrience lÕavait rendu si savant dans la science du salut, qu'Žtant au lit de mort, il fut priŽ par ses disciples de leur laisser, comme par testament, de toutes les vŽritŽs de la morale chrŽtienne, celle dont il Žtait le plus persuadŽ. Que pensez-vous, M.F., que leur rŽpondit ce grand saint docteur ? Ç Je vais mourir, leur dit-il, mon ‰me est sur le bord de mes lvres ; mais je vous dŽclare que de toutes les vŽritŽs de la morale chrŽtienne, celle dont je suis le plus convaincu, c'est, qu'ˆ peine, sur cent mille personnes qui auront mal vŽcu, s'en trouvera-t-il une seule de sauvŽe en faisant une bonne mort, parce que, pour bien mourir, il faut y penser tous les jours de sa vie. Et ne croyez pas que ce soit un effet de ma maladie : je vous en parle avec l'expŽrience de plus de soixante ans. Oui, mes enfants, ˆ peine de cent mille personnes qui auront mal vŽcu, y en aura-t-il une seul qui fasse une bonne mort ! Non, mes enfants, rien ne nous porte mieux ˆ bien vivre que la pensŽe de la mort !

Que conclure de tout cela ? M.F., le voici : c'est que si nous pensons souvent ˆ la mort, nous aurons un grand soin de conserver la gr‰ce du bon Dieu ; si nous avons le malheur d'avoir perdu cette gr‰ce, nous nous h‰terons de la recouvrer, nous nous dŽtacherons des biens et des plaisirs du monde, nous supporterons les misres de la vie en esprit de pŽnitence, nous reconna”trons que c'est le bon Dieu qui nous les envoie pour expier nos pŽchŽs. HŽlas ! devons-nous dire en nous-mmes, je cours ˆ grands pas vers mon ŽternitŽ, tout ˆ l'heure, je ne serai plus de ce monde... Aprs ce monde, o vais-je aller passer mon ŽternitŽ ?... Serai-je dans le ciel ou dans l'enfer ?... Cela dŽpend de la vie que je vais mener ; oui, jeune ou vieux, je penserai souvent ˆ la mort, afin de m'y prŽparer de bonne heure.

Heureux, M.F., celui qui sera toujours prt ! C'est le bonheur que je vous souhaite !...


[1] Nous lisons dans l'Žvangile de la Messe la rŽsurrection de la fille de Ja•re, le XXIII¡ dimanche aprs la Pentec™te ; celle du fils de la veuve de Na•m, le jeudi de la IV¡ semaine de Carme et le XV¡ dimanche aprs la Pentec™te ; celle de Lazare, le vendredi de la IV¡ semaine de Carme.

[2] MARC. V, 42. 

[3] LUC. VII, 12.  

[4] JOAN. XI.

[5] MARC. XIII, 33.

[6] ECCLI. XII, 5.

[7] Voir Ribadeneira au 10 janvier

[8] I Cor, iii, 16 ; vi, 19.

[9] Eccli. vii, 40.

[10] Isabelle, et non Elisabeth. Mais nous ferons remarquer que RibadŽnŽira dans sa Vie de S. Franois de Borgia, au 3O septembre, appelle l'impŽratrice ƒlisabeth. Le lecteur sait, comme nous l'avons dit dans la PrŽface, que le VŽnŽrable se servait de la Vie des Saints de RibadŽnŽira.

[11] Gen. iii, 4.

[12] Le Saint a dŽjˆ racontŽ cet Žpisode dans un autre sermon.

[13] Per unum hominem peccatum in hunc mundum intravit, et per peccatum. Rom. v, 12.

[14] Eccli. vii, 40.

[15] I cor,  xv, 31.

[16] Matth. xvi, 21 etc.

[17] Vie des Pres du dŽsert, t. V. Saint Zozime et Saint Marie Egyptienne.

[18] Conf. Lib. VI, cap. xvi.

 

Table des matires suite