17me DIMANCHE APRéS LA PENTECïTE

(NEUVIéME SERMON)

Sur l'amour de Dieu

 

 

Diliges Dominum Deum tuum.

Vous aimerez le Seigneur votre Dieu.

 (S. Luc, x, 27.)

 

Nous lisons dans l'ƒvangile, M.F., qu'un jeune homme s'Žtant prŽsentŽ devant JŽsus-Christ, lui dit : Ç Ma”tre, que faut-il faire pour avoir la vie Žternelle ? È JŽsus-Christ lui rŽpondit : Ç Qu'est-il Žcrit dans la loi ? È – Ç Vous aimerez le Seigneur votre Dieu, lui rŽpondit le jeune homme, de tout votre cÏur, de toute votre ‰me et de toutes vos forces, et le prochain comme vous-mme. È – Ç Mais je fais tout cela. È – Ç Eh bien ! lui repartit JŽsus-Christ, vendez votre bien, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trŽsor dans le ciel. È Ce mot de vendre son bien pour le donner aux pauvres, le chagrina grandement. JŽsus-Christ voulait lui montrer que c'est par les Ïuvres et non par les paroles que nous faisons voir si nous aimons vŽritablement le bon Dieu. Si, pour l'aimer, nous dit saint GrŽgoire, il suffisait de dire qu'on l'aime, cet amour divin ne serait pas aussi rare qu'il l'est, parce qu'il n'y a pas une personne qui, Žtant interrogŽe si elle aime le bon Dieu, ne rŽponde aussit™t qu'elle l'aime de tout son cÏur : le juste le dira et le pŽcheur aussi, encore le juste ne le dira-t-il qu'en tremblant, ˆ l'exem­ple de saint Pierre [1]  ; au lieu que le pŽcheur le dira peut-tre avec un ton d'assurance, qui semblera rŽpon­dre de sa sincŽritŽ ; mais il se trompe grandement, parce que l'amour de Dieu ne consiste pas dans les paroles, mais dans les Ïuvres [2] . Oui, M.F., aimer le bon Dieu de tout son cÏur est une chose si juste, si raisonnable, et, en quelque sorte, si naturelle, que ceux d'entre nous dont la manire de vivre lui est le plus opposŽe, ne laissent pas que de prŽtendre et d'tre persuadŽs qu'ils l'aiment. Pourquoi tous croient-ils qu'ils aiment le bon Dieu, quoique leur conduite soit tout ˆ fait opposŽe ˆ cet amour divin ? Ah ! M.F., c'est que tout le monde cherche son bonheur, et que cet amour seul peut nous le procurer ; voilˆ pourquoi l'on veut se persuader que l'on aime le bon Dieu. Cependant rien de si rare que cet amour divin. Voyons donc en quoi consiste cet amour, et ˆ quoi nous pouvons conna”tre si nous aimons Dieu. Pour mieux le comprendre, considŽrons, d'un c™tŽ, ce que JŽsus-Christ a fait pour nous, et de l'autre, ce que nous devons faire pour lui.

 

I. – Il est trs certain, M.F., que le bon Dieu ne nous a crŽŽs que pour l'aimer et le servir. Toutes les crŽatures qui sont sur la terre sont crŽŽes pour l'homme, mais l'homme est crŽŽ pour aimer le bon Dieu. Pourquoi est-ce, M.F., que le bon Dieu nous a donnŽ un cÏur dont les dŽsirs sont si vastes et si Žtendus, que rien de crŽŽ n'est capable de le rassasier ? C'est afin de nous forcer, en quelque sorte, ˆ ne nous attacher qu'ˆ lui et ˆ n'aimer que lui ; parce qu'il n'y a que lui qui puisse nous contenter. Quand l'homme possŽderait l'univers entier, il ne sera jamais pleinement satisfait ; il lui restera toujours quelque chose ˆ dŽsirer, de sorte que rien de crŽŽ ne pourra le remplir. Oui, nous sommes si persuadŽs que nous sommes crŽŽs pour tre heureux, que nous ne cessons pas un seul instant de notre vie de chercher le bonheur, et de faire tout, ce qui dŽpend de nous pour nous le procurer. D'o vient donc que, malgrŽ toutes nos recherches, toutes nos peines et tous nos soins, nous ne nous trouvons pas encore contents ? HŽlas ! c'est que nous ne portons pas nos regards ni les mouvements de notre cÏur vers l'objet qui seul est capable de remplir la vaste Žtendue de nos dŽsirs, Dieu seul. Non, M.F., non, jamais vous ne pourrez vous contenter et tre pleinement heureux, du moins autant qu'il est possible de l'tre dans ce monde, si vous ne mŽprisez pas, au moins de cÏur, les choses crŽŽes pour ne vous attacher qu'ˆ Dieu seul. Nous devons donc appliquer tous nos soins et tous les mouvements de notre cÏur ˆ ne dŽsirer et ˆ ne chercher que Dieu seul en tout ce que nous faisons, sans quoi, notre vie se passera ˆ chercher vainement un bonheur que nous ne trouverons jamais. Nous nous sommes donc trompŽs jusqu'ˆ prŽsent ; puisque, malgrŽ tout ce que nous avons fait pour tre heureux, nous n'avons pas pu l'tre. Croyez-moi, M.F., cherchez l'amitiŽ du bon Dieu, et vous aurez trouvŽ votre bonheur. O mon Dieu ! que lÕhomme est aveugle de ne pas vous aimer ; puisque vous pouvez si bien contenter son cÏur ! Mais, M.F., pour vous engager ˆ aimer un Dieu si bon, si digne d'tre aimŽ, et si capable de remplir toutes les affections de notre cÏur, jetons un coup d'Ïil sur ce qu'il a fait pour nous ; suivons-le dans le cours de sa vie mortelle et jusqu'aprs sa mort.

Voyez-le, M.F., depuis le moment de son incarnation jusqu'ˆ l'‰ge de trente ans, ne sont-elles pas grandes, les preuves de son amour pour nous ? Qu'a-t-il fait dans son incarnation ? Il s'est fait homme comme nous et pour nous. Dans sa naissance il nous a ŽlevŽs ˆ la dignitŽ la plus Žminente ˆ laquelle une pure crŽature puisse tre ŽlevŽe ; il est devenu notre frre !... O quel amour pour nous ! l'avons-nous jamais bien compris ?... Dans sa circoncision, il s'est fait notre Sauveur. Mon Dieu ! que votre charitŽ est grande !... Dans son Žpiphanie, il est devenu notre lumire, notre guide. Dans sa prŽsentation au temple, il est devenu notre pontife, notre docteur ; oh ! que dis-je, M.F. ? il s'est offert ˆ son Pre pour nous racheter tous. Plus tard, c'est-ˆ-dire, dans la maison de saint Joseph, il est devenu notre modle, pour l'amour et le respect que nous devons avoir pour nos parents et nos supŽrieurs. Disons mieux encore : il nous a montrŽ comment nous devions mener une vie cachŽe et inconnue au monde, si nous voulions plaire ˆ Dieu son Pre. Suivons JŽsus-Christ dans sa vie agissante, tout ce qu'il a fait, il l'a fait pour nous : ses prires, ses larmes, ses veilles, ses ježnes, ses prŽdications, ses voyages, ses conversations, ses miracles ; oui, tout cela a ŽtŽ fait pour nous. Voyez, M.F., avec quel zle il nous a cherchŽs, dans la personne de la Samaritaine [3]  ; voyez avec quelle tendresse il reoit tous les pŽcheurs, et nous le sommes tous, dans la personne de l'enfant prodigue ; voyez avec quelle bontŽ il s'oppose ˆ la justice de son Pre, qui veut nous punir dans la personne de la pŽcheresse [4] . Dans sa vie souffrante, hŽlas ! que d'injures, que de tourments n'a-t-il pas endurŽs ? Il a ŽtŽ garrottŽ, souffletŽ, accusŽ, condamnŽ, et enfin, crucifiŽ pour nous. N'est-il pas mort pour nous, au milieu d'opprobres et de douleurs incomprŽhensibles ? Ah ! M.F., qui pourrait comprendre tout ce que son bon cÏur a fait pour nous ?... Entrons plus avant dans la plaie de ce bon cÏur. Oui, JŽsus-Christ pouvait satisfaire ˆ la justice de son Pre, pour nos pŽchŽs, par une goutte de son sang, par une seule larme, ah ! que dis-je ? par un seul soupir ; mais ce qui pouvait satisfaire ˆ la justice de son Pre ne pouvait pas satisfaire la tendresse de son cÏur pour nous. C'est encore son amour pour nous qui l'a fait souffrir d'une manire anticipŽe, dans le jardin des Olives, les souffrances qu'il devait endurer sur la croix. O ab”me de tendresse d'un Dieu pour ses crŽatures !É JŽsus-Christ s'est-il contentŽ de nous aimer jusqu'ˆ la fin ? Non, M.F., non. Aprs sa mort, la lance, ou plut™t son amour a ouvert son divin cÏur, pour nous ouvrir comme un asile, o nous viendrions nous cacher et nous consoler dans nos peines, nos chagrins et nos autres misres.

Mais, allons plus loin, M.F. Il veut, ce divin Sauveur, rŽpandre pour nous jusqu'ˆ la dernire goutte de son sang prŽcieux, afin de nous laver de toutes nos iniquitŽs. Aprs avoir expiŽ nos pŽchŽs d'orgueil par son couronnement d'Žpines ; par le fiel et le vinaigre, les pŽchŽs que nous avons le malheur de commettre par notre langue, et qui sont en si grand nombre ; tous nos pŽchŽs d'impuretŽ par sa cruelle et douloureuse flagellation ; tous ceux que nous avons commis par nos mains, c'est-ˆ-dire, toutes les mauvaises actions que nous avons faites, par les plaies de ses pieds et de ses mains ; il a voulu encore expier tous nos pŽchŽs par la blessure de son divin CÏur parce que c'est dans le cÏur que tous nos pŽchŽs prennent naissance. O prodige d'amour d'un Dieu pour ses crŽatures !... Il est offensŽ par nous et il est puni pour nous, et c'est sur lui-mme qu'il se venge des offenses que nous lui avons faites !...HŽlas ! si nous n'Žtions pas aussi aveugles que nous le sommes, nous reconna”trions que ce sont nos mains qui, vŽritablement, l'ont immolŽ sur la croix.

Mais, encore une fois, M.F., pourquoi tant de prodiges d'amour ? Ah ! vous le savez ; c'est pour nous dŽlivrer de toutes sortes de maux, et nous mŽriter toutes sortes de biens pour l'ŽternitŽ. Et si, malgrŽ cela, nous venons encore ˆ l'offenser, nous voyons qu'il est prt ˆ nous pardonner, ˆ nous aimer et ˆ nous combler de toutes sortes de biens, si nous voulons l'aimer. O quel amour pour des crŽatures si insensibles et si ingrates ! ...

Son amour va encore plus loin. Voyant que la mort allait le sŽparer de nous, et afin de rester parmi nous, il fit un grand miracle : il institua ce grand sacrement d'amour, o il nous laisse son corps adorable et son sang prŽcieux, pour ne jamais plus nous quitter, jusqu'ˆ la fin du monde. Quel amour pour nous, M.F., qu'un Dieu veuille bien nourrir notre ‰me de sa propre substance et nous faire vivre de sa propre vie ! Par le moyen de ce grand et adorable sacrement, il s'offre, chaque jour, ˆ la justice de son Pre, satisfait de nouveau pour nos pŽchŽs, et nous attire toutes sortes de gr‰ces. Voyez encore, M.F., ce tendre Sauveur qui, mort pour notre salut, nous ouvre le ciel. Pour nous y conduire tous, il va lui-mme tre notre mŽdiateur ; c'est lui-mme qui va prŽsenter toutes nos prires ˆ son Pre [5] et demander gr‰ce pour nous, chaque fois que nous aurons le malheur de pŽcher. Oui, M.F., il nous attend dans ce lieu de bonheur, dans ce sŽjour o l'on aime toujours et o l'on n'offense jamais...

Non, M.F., jamais vous n'avez bien rŽflŽchi comme le bon Dieu vous aime. Est-il bien possible que nous ne vivions que pour l'offenser, puisque nous ne pouvons tre heureux qu'en l'aimant ? Sans doute, si je vous demandais si vous aimez le bon Dieu, vous me diriez que vous l'aimez ; mais cela ne suffit pas ; il faut en donner la preuve. Mais, o sont-elles, M.F., ces preuves qui manifestent la sincŽritŽ de notre amour pour le bon Dieu ? O sont les sacrifices que nous avons faits pour lui ? O sont nos pŽnitences ? HŽlas ! le peu de bien que nous faisons, est fait en grande partie sans gožt, sans avoir une intention bien droite. Que de vues humaines !... que de bonnes Ïuvres faites par pur penchant et sans vŽritable dŽvotion ! HŽlas ! M.F., quelle pauvretŽ !...

 

II. – Maintenant, M.F., si vous voulez savoir comment nous pouvons conna”tre si nous aimons vŽritablement le bon Dieu, Žcoutez bien ce que je vais vous dire, et ensuite, vous allez vous-mmes juger si vous l'aimez en vŽritŽ. Voilˆ ce que JŽsus-Christ nous dit lui-mme : Ç Celui qui m'aime garde mes commandements [6] , mais celui qui ne m'aime pas ne les garde pas. È Il vous est donc bien facile de savoir si vous aimez le bon Dieu. Les commandements de Dieu ou sa volontŽ, M.F., ne sont qu'une mme chose. Il vous ordonne et veut que vous remplissiez bien tous les devoirs de votre Žtat, avec des intentions bien pures et bien droites, sans humeur, sans impatience, sans nŽgligence, sans fraude dans la vŽritŽ ni dans la bonne foi. Nous devons avoir un amour gŽnŽreux envers le bon Dieu, qui nous fasse prŽfŽrer la mort ˆ l'infidŽlitŽ. De cela, M.F., nous avons des exemples ˆ l'infini dans tous les saints, et surtout dans les martyrs dont beaucoup se sont laissŽs couper en morceaux, plut™t que de cesser d'aimer le bon Dieu. En voici un bel exemple dans la personne de la chaste Suzanne [7] . ƒtant allŽe un jour au bain, deux vieillards, qui Žtaient juges du peuple d'Isra‘l, l'ayant aperue, conurent le dessein de la solliciter au pŽchŽ ; ils la suivirent, lui proposrent leur inf‰me dessein, dont elle eut horreur. Levant les yeux au ciel, elle dit : Ç Seigneur, vous savez que je vous aime, soutenez-moi. È Ç Je me vois dans la peine de toutes parts, dit-elle aux vieillards ; nous sommes ici en la prŽsence de Dieu qui nous voit ; si j'ai le malheur de consentir ˆ votre passion honteuse, je n'Žchapperai pas ˆ la main de Dieu ; il est mon juge, je sais qu'il me fera rendre compte d'une action aussi l‰che et aussi criminelle. Si, au contraire, je ne consens pas ˆ vos dŽsirs, je n'Žchapperai pas ˆ vos ressentiments ; je vois bien que vous allez me faire mourir ; mais j'aime mieux mourir qu'offenser Dieu. È Ces misŽrables, se voyant ainsi rebutŽs, sortirent avec colre, et publirent aussit™t que Suzanne avait ŽtŽ surprise en adultre, qu'ils avaient vu un jeune homme faisant le mal avec elle. Malheureusement, hŽlas ! on les crut, et, sur leur tŽmoignage, elle fut condamnŽe ˆ la mort. Lorsqu'on la conduisait au supplice, un enfant de douze ans, qui Žtait le petit Daniel, s'Žcria du milieu de la foule : Ç Que faites-vous, peuple d'Isra‘l, pourquoi condamnez-vous le juste ? je vous dŽclare que je ne prends point part au crime que vous allez commettre, en versant le sang de cette innocente. È Le jeune Daniel, s'Žtant approchŽ du peuple, leur dit : Ç Faites venir les deux vieillards. È Les ayant fait sŽparer l'un de l'autre, il les interrogea. Ils se couprent dans leurs paroles de telle manire que l'on ne put douter qu'ils Žtaient eux-mmes coupables, et non Suzanne ; ils furent condamnŽs tous deux ˆ la mort. Voilˆ ce que fait, M.F., une personne qui aime le bon Dieu, en montrant dans l'Žpreuve qu'elle l'aime vŽritablement, qu'elle l'aime plus que soi-mme, Suzanne n'en pouvait pas donner une marque plus grande, puisqu'elle choisit la mort de prŽfŽrence au pŽchŽ. Il n'est pas douteux, que, quand il ne faut que des paroles pour dire qu'on aime le bon Dieu, il n'en cožte gure. Tous croient qu'ils aiment le bon Dieu et tous osent se le persuader ; mais si le bon Dieu nous mettait ˆ l'Žpreuve, combien peu auraient le bonheur de la soutenir !

Voyez encore ce qui arriva sous le rgne d'Antiochus [8] . Ce cruel tyran commanda aux Juifs, sous peine de mort, de manger de la viande dŽfendue par la loi dix Seigneur. Un saint vieillard nommŽ ElŽazar, qui avait toujours vŽcu dans la crainte et l'amour de Dieu, refusa courageusement d'obŽir ; il fut condamnŽ ˆ mort. Ç Il ne tient qu'ˆ vous, lui dit un de ses amis, de sauver votre vie, comme nous l'avons fait nous-mmes. Voilˆ de la viande qui n'a pas ŽtŽ offerte aux idoles : mangez-la, cette petite dissimulation apaisera le tyran. È Le saint vieillard leur rŽpondit : Ç Croyez-vous que je sois bien attachŽ ˆ la vie, et que je la prŽfre ˆ l'amour que je dois ˆ mon Dieu ? Et quand mme j'Žchapperais ˆ la fureur du tyran, croyez-vous que je puisse Žchapper ˆ la justice de Dieu ? Non, non, mes amis, j'aime mieux mourir que de dŽshonorer ma religion et offenser mon Dieu que j'aime plus que moi-mme. Non, il ne sera jamais dit qu'ˆ l'‰ge de quatre-vingt-dix ans j'abandonne mon Dieu et sa loi sainte. È Lorsqu'on le conduisait au supplice, et que le bourreau le tourmentait cruellement, on l'entendait s'Žcrier : Ç Mon Dieu, vous savez que c'est pour vous que je souffre. Soutenez-moi, vous savez que c'est parce que je vous aime ; oui, mon Dieu, c'est pour votre amour que je souffre ! È Voyez son courage ˆ voir couper et dŽvorer son pauvre corps. Eh bien ! M.F., voilˆ ce que nous appelons aimer vŽritablement le bon Dieu. Ce bon vieillard, qui donne sa vie avec tant de joie pour Dieu, ne se contente pas de dire qu'il l'aime ; mais il le montre par ses Ïuvres.

Nous disons bien que nous aimons le bon Dieu ; mais, quand tout va selon nos dŽsirs, quand rien ne nous contredit dans notre manire de penser, de parler et d'agir. Combien de fois une seule parole, un air de mŽpris, ou mme un air un peu froid, une pensŽe de respect humain ; ne nous font-ils pas abandonner le bon Dieu ?

Nous avons dit, M.F., que si nous voulons tŽmoigner au bon Dieu que nous l'aimons, il faut accomplir sa sainte volontŽ, qui est, que nous soyons soumis, respectueux envers nos parents, nos supŽrieurs, et tous ceux que le bon Dieu a placŽs au-dessus de nous pour nous conduire. La volontŽ de Dieu est que ceux qui sont supŽrieurs conduisent leurs infŽrieurs sans hauteur, sans duretŽ ; mais avec charitŽ et avec bontŽ, comme nous voudrions que l'on nous conduis”t ; la volontŽ de Dieu est que nous soyons bons et charitables envers tout le monde ; et que, si on nous loue, bien loin de nous croire quelque chose, au contraire, nous pensions que l'on se moque de nous, comme nous dit trs bien saint Ambroise : Ç Si l'on nous mŽprise il ne faut point nous chagriner, mais, penser que si l'on connaissait bien ce que nous sommes, l'on dirait beaucoup plus de mal de nous que l'on en dit. È Ou comme nous dit saint Jean : Ç Si l'on nous insulte, la volontŽ de Dieu est que nous pardonnions de bon cÏur et de suite ; et que nous soyons prts ˆ rendre service toutes les fois que l'occasion s'en prŽsentera. È Cette volontŽ est que, dans nos repas, nous ne nous laissions jamais aller ˆ la gourmandise ; que dans nos conversations nous t‰chions de cacher et d'excuser les dŽfauts de notre prochain et que nous priions pour lui. La volontŽ de Dieu est que, dans nos peines, nous ne murmurions pas, mais que nous les supportions avec patience et rŽsignation ˆ sa volontŽ ; c'est-ˆ-dire, que dans ce que nous faisons, et dans tout ce qu'il nous envoie, le bon Dieu veut que nous pensions que tout vient vŽritablement de lui et que tout cela est pour notre bonheur, si nous savons en faire un bon usage. Voilˆ, M.F., ce que les commandements de Dieu nous ordonnent. Si vous aimez le bon Dieu, comme vous le dites, vous ferez tout cela, vous vous comporterez de cette manire ; sinon, vous avez beau dire que vous l'aimez, saint Jean vous dit que vous tes menteurs et que la vŽritŽ n'est pas dans votre bouche [9] .

Examinons, M.F., toute notre conduite et toute notre vie, et voyons en dŽtail toutes nos actions. Il ne faut pas nous arrter ˆ toutes nos bonnes pensŽes, ˆ tous nos bons dŽsirs, et ˆ tous les mouvements sensibles que nous Žprouvons, comme, par exemple, lorsque nous sommes touchŽs en lisant un bon livre, en Žcoutant la parole sainte, nous formons toutes sortes de belles rŽsolutions : tout cela n'est autre chose qu'illusions, si, d'ailleurs, nous ne nous appliquons pas ˆ faire ce que Dieu nous ordonne par ses commandements, et si nous n'Žvitons pas ce qu'il nous y dŽfendu. Voyez, M.F., combien vous tes en contradiction avec vous-mmes. Le soir et le matin vous joignez les mains en faisant vos prires, vous dites : Ç Mon Dieu, je vous aime de tout cÏur, et par-dessus toutes choses ; È vous croyez dire la vŽritŽ ? Cependant quelques moments aprs, vos mains sont occupŽes ˆ voler votre prochain. HŽlas ! peut-tre ˆ quelque Ïuvre honteuse. Combien de fois n'avez-vous pas employŽ ces mains ˆ vous remplir de vin et ˆ vous livrer ˆ la crapule ; cette mme bouche qui vient de prononcer un acte d'amour de Dieu, va se souiller, ds que l'occasion s'en prŽsentera, par des jurements, par des rapports, des mŽdisances, des calomnies et par toutes sortes de paroles qui vont offenser et dŽshonorer ce mme Dieu, ˆ qui vous venez de dire que vous l'aimez de tout votre cÏur. HŽlas ! M.F., nous disons que nous aimons le bon Dieu de tout notre cÏur ! o sont les preuves qui nous assurent que ce que nous disons est vrai ?

L'on dit dans le monde que les vrais amis se connaissent dans l'occasion ; cela est vrai, et qu'il faut des Žpreuves pour savoir si les amis sont sincres : ce qui est bien facile ˆ comprendre. En effet, si je fous disais que je suis votre ami et que je ne fisse rien pour vous le montrer, et qu'au contraire, je fisse mille choses pour vous faire de la peine ; si, dans toutes les occasions o je pourrais vous tŽmoigner mon attachement, je ne vous donnais que des marques d'aversion, vous ne voudriez pas croire que je vous aime, malgrŽ que je vous l'aie dit souvent ; il en est de mme, M.F., par rapport ˆ Dieu. Vous aurez beau lui dire cent fois par jour : Ç Mon Dieu, je vous donne mon cÏur, È cela ne suffit pas. Il faut lui en donner des preuves en ce que nous pouvons faire chaque jour, parce qu'il n'y en a gure o nous ne soyons obligŽs ˆ faire quelque sacrifice au bon Dieu, si nous ne voulons pas l'offenser et si nous voulons l'aimer. Combien de fois le dŽmon ne nous donne-t-i1 pas des pensŽes d'orgueil, de haine, de vengeance, d'ambition, de jalousie, combien de mouvements de colre et d'impatience : combien de pensŽes ou dŽsirs contre la sainte vertu de puretŽ ? et, d'autres fois, combien de pensŽes et de dŽsirs d'avarice ? HŽlas ! notre misŽrable corps nous porte sans cesse au mal, pendant que les lumires de la conscience et les impressions de la gr‰ce nous portent au bien. Eh bien ! M.F., voilˆ ce que c'est que de plaire ˆ Dieu, ce que c'est que de l'aimer : c'est combattre, c'est rŽsister courageusement ˆ toutes les tentations. Voilˆ comment nous donnerons des preuves de l'amour que nous avons pour le bon Dieu ; voilˆ ce qui nous mettra dans une disposition continuelle de tout sacrifier plut™t que d'offenser le bon Dieu. Vous dites que vous aimez le bon Dieu, ou du moins que vous dŽsirez l'aimer, vous tes un menteur. Pourquoi donc laissez-vous entrer cette pensŽe d'orgueil dans votre cÏur ? vous livrez-vous ˆ ces murmures, ˆ ces jalousies, ˆ ces mŽdisances et ˆ ces complaisances en vous-mme ? c'est que vous n'tes qu'un hypocrite Vous en tes f‰chŽ, je le crois bien ; vous en serez bien f‰chŽ... HŽlas ! qu'il y en a peu qui aiment le bon Dieu !... Disons-le, ˆ la honte du christianisme, il n'y a presque personne qui l'aime de cet amour de prŽfŽrence, toujours prt ˆ tout sacrifier pour lui plaire, et toujours dans la crainte de lui dŽplaire.

Voyez, M.F., comment se comporta saint Eustache avec toute sa famille, voyez sa constance et son amour pour le bon Dieu. Il est rapportŽ dans sa vie [10] qu'Žtant ˆ la chasse, il poursuivait un cerf d'une grosseur Žnorme ; s'Žtant ŽlancŽ sur un rocher et cherchant le moyen de l'atteindre, il aperut entre ses cornes un beau crucifix qui lui dit d'aller se faire baptiser et de revenir, qu'il lui apprendrait tout ce qu'il aurait ˆ souffrir pour son amour, qu'il perdrait ses biens, sa rŽputation, sa femme, ses enfants et qu'il finirait par tre bržlŽ dans le feu, Saint Eustache entendit tout cela sans la moindre frayeur ni la moindre rŽpugnance, ni mme le moindre murmure. En effet, peu de temps aprs, la peste se mit dans ses troupeaux et parmi ses esclaves, et n'en Žpargna pas un. Tout le monde commenait ˆ le fuir et personne ne voulait le soulager, se voyant aussi misŽrable et si mŽprisŽ, il prit le parti d'aller en ƒgypte o il avait encore quelque bien. Sa femme et lui prirent chacun leurs petits enfants par la main et s'abandonnrent ˆ la Providence du bon Dieu. Quand il fallut traverser l'eau, le ma”tre du vaisseau garda la femme pour son passage, et jetant le pre et les enfants ˆ terre, fit voile d'un autre c™tŽ. Voilˆ notre saint Eustache encore privŽ d'une de ses plus grandes consolations. Supportant tout cela, sans un seul murmure contre la conduite que le bon Dieu tenait envers lui, nous dit l'auteur de sa vie, il prit un petit crucifix entre ses mains, et le baisant respectueusement, il continua son chemin. Un peu plus loin, il fallut passer une rivire assez large... et le reste... Voilˆ, M.F., ce que nous pouvons appeler un amour vŽritable, puisque rien n'est capable de le sŽparer de son Dieu.

Nous disons, M.F., que si nous aimons vŽritablement le bon Dieu, nous devons grandement dŽsirer de le voir aimer par toutes les crŽatures. Nous en avons un bel exemple dans l'histoire, et nous y voyons un beau spectacle de l'amour divin. On vit une femme, au milieu de la ville d'Alexandrie, tenant d'une main un vase plein d'eau, et de l'autre un flambeau allumŽ. Ceux qui la virent, tout ŽtonnŽs, lui demandrent ce qu'elle prŽtendait faire avec tout cet appareil. Ç Je voudrais, rŽpondit-elle, avec ce flambeau, embraser tout le ciel et tous les cÏurs des hommes, et, avec cette eau, Žteindre tout le feu de l'enfer, afin que, dŽsormais, l'on n'aim‰t plus le bon Dieu ni par l'espŽrance de la rŽcompense, ni par crainte de la punition rŽservŽe aux pŽcheurs ; mais uniquement parce qu'il est bon, et qu'il mŽrite d'tre aimŽ. È Beaux sentiments, M.F., dignes de la grandeur de l'‰me qui conna”t ce que c'est que Dieu, et combien il mŽrite par lui-mme toutes les affections de notre cÏur. L'on racontŽ dans l'histoire des Japonais, que, quand on leur annonait l'ƒvangile, qu'on les instruisait de Dieu et de ses amabilitŽs, surtout quand on leur apprenait les grands mystres de notre sainte religion, et tout ce que le bon Dieu avait fait pour les hommes : un Dieu naissant dans une pauvre Žtable, couchŽ sur une poignŽe de paille dans les rigueurs de l'hiver, un Dieu souffrant et mourant sur une croix pour nous sauver ; ils Žtaient si ŽtonnŽs de tant de merveilles que Dieu avait faites pour notre salut, qu'on les entendait s'Žcrier tout transportŽs d'amour : Ç Oh ! qu'il est grand ! oh ! qu'il est bon ! oh !qu'il est aimable, le Dieu des chrŽtiens ! È Mais quand ensuite on leur disait qu'il y avait un commandement qui leur ordonnait d'aimer le bon Dieu et qui les menaait de ch‰timents s'ils ne l'aimaient pas, ils en Žtaient tellement surpris, qu'ils ne pouvaient plus revenir de leur Žtonnement. Ç Eh quoi ! disaient-ils, ˆ des hommes raisonnable, faire un prŽcepte d'aimer un Dieu qui nous a tant aimŽs !... mais, n'est-ce pas le plus grand bonheur de l'aimer et le plus grand malheur de ne pas l'aimer ? Eh quoi ! disaient-ils aux missionnaires, les chrŽtiens ne sont-ils pas toujours au pied des autels de leur Dieu, tout pŽnŽtrŽs de la grandeur de ses bontŽs et tout embrasŽs de son amour ? È Et quand on venait ˆ leur apprendre que, non seulement il y en avait qui ne l'aimaient pas, mais encore qui l'offensaient : Ç O peuple injuste ! ï peuple barbare ! s'Žcriaient-ils avec indignation, est-il bien possible que des chrŽtiens soient capables de tel outrage envers un Dieu si bon ? Dans quelle terre maudite habitent donc ces hommes sans cÏur et sans sentiments ? È

HŽlas ! d'aprs la manire dont nous nous conduisons envers le bon Dieu, nous ne mŽritons que trop ces reproches ! Oui, M.F., un jour viendra o ces nations ŽloignŽes et Žtrangres appelleront ces tŽmoignages, contre nous, nous accuseront et nous condamneront devant Dieu. Que de chrŽtiens passent leur vie sans aimer le bon Dieu ! HŽlas ! peut-tre en trouverons-nous plusieurs, au grand jour du jugement, qui n'auront pas donnŽ un seul jour tout entier au bon Dieu ! HŽlas ! quel malheur ! ...

Saint Justin nous dit que l'amour a ordinairement trois effets. Quand nous aimons quelqu'un, nous pensons souvent, et volontiers ˆ lui ; nous donnons volontiers pour lui et nous souffrons volontiers pour lui : voilˆ, M.F., ce que nous devons faire pour le bon Dieu, si nous l'aimons vŽritablement. Je dis 1¡, que nous devons souvent penser ˆ JŽsus-Christ. Rien n'est plus naturel que de penser ˆ ceux qu'on aime. Voyez un avare : il n'est occupŽ que de ses biens ou du moyen de les augmenter ; seul ou en compagnie, rien n'est capable de le distraire de cette pensŽe. Voyez un libertin : la personne qui fait tout l'objet de son amour, ne le quitte gure plus que la respiration ; il y pense tellement que, souvent, son corps en est si accablŽ qu'il en est malade. Oh ! si nous avions le bonheur d'aimer autant JŽsus-Christ qu'un avare aime son argent ou ses terres, qu'un ivrogne, son vin, qu'un libertin, l'objet de sa passion, ne serions-nous pas continuellement occupŽs de l'amour et des grandeurs de JŽsus-Christ ? HŽlas ! M.F., nous nous occupons de mille choses qui, presque toutes, n'aboutissent ˆ rien ; tandis que, pour JŽsus-Christ, nous passons des heures et mme des jours entiers sans nous souvenir de lui, ou d'une manire si faible, que nous croyons ˆ peine ce que nous pensons. O mon Dieu, comment ne vous aime-t-on pas ! Cependant, M.F., de tous nos amis y en a-t-il un plus gŽnŽreux, plus bienfaisant ? Dites-moi, si nous avions bien pensŽ qu'en Žcoutant le dŽmon qui nous portait au mal, nous avons grandement affligŽ JŽsus-Christ, que nous l'avons fait mourir une seconde fois, aurions-nous eu ce courage ?... n'aurions-nous pas dit : Comment, mon Dieu, pourrais-je vous offenser, vous qui nous avez tant aimŽs ! Oui, mon Dieu, le jour et la nuit mon esprit et mon cÏur ne seront occupŽs que de vous.

2¡ Je dis que si nous aimons vŽritablement le bon Dieu, nous lui donnerons tout ce qu'il est en notre pouvoir de lui donner, et cela, avec un grand plaisir. Si nous avons du bien, faisons-en part aux pauvres, c'est comme si nous le donnions ˆ JŽsus-Christ lui-mme ; c'est lui qui nous dit dans l'ƒvangile : Ç Tout ce que vous donnerez au moindre des miens, c'est-ˆ-dire aux pauvres, c'est comme si vous le donniez ˆ moi-mme [11] . È Quel bonheur, M.F., pour une crŽature, de pouvoir tre libŽrale envers son crŽateur, son Dieu et son Sauveur ! Ce ne sont pas seulement les riches qui peuvent donner ; mais tous les chrŽtiens, mme les plus pauvres. Nous n'avons pas tous des biens pour les donner ˆ JŽsus-Christ dans la personne des pauvres ; mais nous avons tous un cÏur, et c'est prŽcisŽment de ce prŽsent qu'il est le plus jaloux ; c'est celui-lˆ qu'il demande avec tant d'empressement. Dites-moi, M.F., pourrions-nous lui refuser ce qu'il nous demande avec tant d'instances, lui qui ne nous a crŽŽs que pour lui ? Ah ! si nous y pensions bien, ne dirions-nous pas au divin Sauveur : Ç Seigneur, je ne suis qu'un pŽcheur, ayez pitiŽ de moi ; me voilˆ tout ˆ vous. È Que nous serions heureux si nous faisions cette offrande universelle au bon Dieu ! que notre rŽcompense serait grande !...

3¡ Mais cependant la meilleure marque d'amour que nous puissions donner au bon Dieu, c'est de souffrir pour lui ; car, si nous voulions bien considŽrer ce qu'il a souffert pour nous, nous ne pourrions pas nous empcher de souffrir toutes les misres de la vie, les persŽcutions, les maladies, les infirmitŽs et la pauvretŽ : Qui ne se laisserait. pas attendrir ˆ la vue de tout ce que JŽsus-Christ a souffert pendant sa vie mortelle ? Que d'outrages ne lui font pas souffrir les hommes, par la profanation de ses sacrements, par le mŽpris de sa religion sainte, dont l'Žtablissement lui a tant cožtŽ ? Quel aveuglement, M.F., de ne pas aimer un Dieu si aimable et qui ne cherche, en tout, que notre bonheur ! Nous avons un bel exemple dans la personne de sainte Magdeleine, devenue cŽlbre dans toute l'ƒglise par ce grand amour qu'elle a eu pour JŽsus-Christ [12] . Une fois qu'elle fut ˆ lui, elle ne le quitta plus ; non seulement de cÏur, mais encore rŽellement : le suivant dans ses voyages, l'assistant de ses biens, et l'accompagnant jusqu'au calvaire : Elle fut prŽsente ˆ sa mort, elle prŽpara les parfums pour embaumer son corps et se rendit de grand matin au sŽpulcre [13] . N'y trouvant plus le corps de JŽsus-Christ, elle s'en prend au ciel, ˆ la terre ; elle supplie les anges et les hommes de lui dire o ils ont mis son Sauveur ; parce qu'elle veut le trouver ˆ quel prix que ce soit. Son amour Žtait si ardent que nous pouvons dire qu'il fut impossible ˆ JŽsus-Christ de se cacher ˆ elle ; car, elle n'a pensŽ qu'ˆ lui, elle n'a dŽsirŽ et n'ˆ voulu que lui ; toutes choses ne lui sont rien ; elle n'a eu ni respect humain, ni crainte d'tre mŽprisŽe ou raillŽe ; elle a abandonnŽ tous ses biens, elle a foulŽ aux pieds les parures et les plaisirs pour courir ˆ la suite de son bien-aimŽ ; tout le reste ne lui est plus rien.

ƒcoutez encore la leon que nous donne saint Dominique [14] . Ce saint patriarche dont l'amour de Dieu avait rempli tous les dŽsirs, aprs avoir prchŽ toute la journŽe, passait les nuits entires en contemplation ; il se croyait dŽjˆ dans le ciel, et ne pouvait comprendre que l'on puisse vivre sans aimer le bon Dieu, puisque nous y trouvons tout notre bonheur. Un jour qu'il fut pris par des hŽrŽtiques, Dieu fit un miracle pour le tirer d'entre leurs mains. Ç Qu'auriez-vous fait, lui dit un de ses amis, s'ils avaient voulu vous faire mourir ? È – Ç Ah ! je les aurais conjurŽs de ne pas me faire mourir tout d'un coup, mais de me couper en tant petits morceaux qu'ils l'auraient pu ; ensuite de m'arracher la langue et les yeux, et, aprs avoir roulŽ le reste de mon corps dans mon sang, de me trancher la tte. Je les aurais priŽs de ne laisser aucune partie de mon corps sans la faire souffrir. Ah ! c'est alors que j'aurais eu le bonheur de dire vŽritablement au bon Dieu que je l'aime. Oui, je voudrais tre ma”tre de tous les cÏurs des hommes, afin de les faire tous bržler d'amour. È Quel beau langage part de ce cÏur bržlant de l'amour divin ! Toute sa vie ce grand saint chercha le moyen de mourir martyr, pour montrer au bon Dieu que vraiment il l'aimait.

Voyez encore saint Ignace, martyr, Žvque d'Antioche, qui fut condamnŽ, par l'empereur Trajan, ˆ tre exposŽ aux btes. Il eut tant de joie d'entendre la sentence qui le condamnait ˆ tre dŽvorŽ par les btes, qu'il crut mourir de bonheur. IL n'avait qu'une seule crainte, c'est que les chrŽtiens n'obtinssent sa gr‰ce. Il leur Žcrivit en leur disant : Ç Mes amis, que je devienne la proie des btes et que je sois moulu comme un grain de froment de Dieu pour devenir le pain de JŽsus-Christ. Je sais, mes amis, qu'il m'est trs utile de souffrir ; il faut que les fers, les gibets, les btes farouches dŽchirent mes membres et les brisent dans mon corps, et que tous les tourments viennent fondre sur moi. Tout m'est bon pourvu que j'arrive ˆ la possession de Dieu. Je commence maintenant ˆ aimer JŽsus-Christ ; c'est ˆ prŽsent que je suis son disciple. Je n'ai plus que du dŽgožt pour les choses de la vie, je ne suis affamŽ que du pain de mon Dieu, qui doit me rassasier pendant l'ŽternitŽ ; je ne suis altŽrŽ que de la chair de JŽsus-Christ, qui n'est que charitŽ [15] . È Dites-moi, M.F., peut-on trouver un cÏur plus embrasŽ de l'amour de Dieu ? En effet, il fut dŽvorŽ par les lions, qui ne laissrent que quelques parties de son corps.

Que faut-il conclure de tout cela, M.F., sinon que tout notre bonheur sur la terre est de nous attacher, ˆ Dieu ? C'est-ˆ-dire, il faut que, dans tout ce que nous faisons, le bon Dieu soit l'unique but ; puisque nous savons tous par notre propre expŽrience que rien de crŽŽ n'est capable de nous rendre heureux, que le monde entier avec tous ses biens, ses plaisirs ne saurait satisfaire notre cÏur. Ne perdez jamais de vue, M.F., que tout nous quittera. Un moment viendra o tout ce que nous avons passera ˆ d'autres mains... Au lieu que si nous avons le grand bonheur de possŽder l'amour de Dieu nous l'emporterons dans le ciel, ce qui fera notre bonheur pendant l'ŽternitŽ. Aimer Dieu, ne servir que lui seul et ne dŽsirer que sa possession : voilˆ le bonheur que je vous souhaite.


[1] Joan, xxi, 17.

[2] I Joan, iii, 18.

[3] Joan. iv, 6.

[4] Joan. viii, 11.

[5] Hebr. vii, 25.

[6] Joan. xiv, 23.

[7] Dan. xiii.

[8] II Mach, vi.

[9] I Joan, ii, 4.

[10] Ribadeneira au 20 septembre. LÕhistoire de Sainte Eustache est plusieurs fois citŽe par le Saint.

[11] Matth. xxv, 40.

[12] Matth. xxvi, 13.

[13] Joan. xx.

[14] Ribadeneira, au 4 aožt.

[15] Ribadeneira au 1er fŽvrier.

 

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