3ème dimanche après la Pentecôte
(PREMIER SERMON)

Sur la miséricorde de Dieu

 

Erant autem appropinquantes ei publicani et peccatores, ut audirent illum.
Les publicains et les pécheurs se tenaient auprès de Jésus-Christ pour l'écouter.
(S. Luc., XV, 1.)

 

La conduite que Jésus-Christ tenait pendant sa vie mortelle, nous montre la grandeur de sa miséricorde pour les pécheurs. Nous voyons qu'ils viennent tous lui tenir compagnie ; et lui, bien loin de les rebuter ou du moins de s'éloigner d'eux, au contraire, il prend tous les moyens possibles pour se trouver parmi eux, afin de les attirer à son Père. Il les va chercher par les remords de conscience, il les ramène par sa grâce et les gagne par ses manières amoureuses. Il les traite avec tant de bonté, qu'il prend même leur défense contre les scribes et les pharisiens qui veulent les blâmer, et qui semblent ne pas vouloir les souffrir auprès de Jésus-Christ. Il va encore plus loin, il veut se justifier de la conduite qu'il tient à leur égard, par une parabole qui leur dépeint, comme l'on ne peut pas mieux, la grandeur de son amour pour les pécheurs, en leur disant : « Un bon pasteur qui avait cent brebis, en ayant perdu une, laisse toutes les autres pour courir après celle qui s'est égarée, et, l'ayant retrouvée, il la met sur ses épaules pour lui éviter la peine du chemin ; puis, l'ayant rapportée à son bercail, il invite tous ses amis à se réjouir avec lui, d'avoir retrouvé la brebis qu'il croyait perdue. » Il ajoute encore cette parabole d'une femme qui, ayant dix drachmes et en ayant perdu une, allume sa lampe pour la chercher dans tous les coins de sa maison, et l'ayant retrouvée, elle invite toutes ses amies pour s'en réjouir. « C'est ainsi, leur dit-il, que tout le ciel se réjouit du retour d'un pécheur qui se convertit et qui fait pénitence. Je ne suis pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs ; ceux qui sont en santé n'ont pas besoin de médecin, mais ceux qui sont malades. » Nous voyons que Jésus-Christ s'applique à lui-même ces vives images de la grandeur de sa miséricorde envers les pécheurs. Ah ! M.F., quel bonheur pour nous de savoir que la miséricorde de Dieu est infinie ! Quel violent désir ne devons-nous pas sentir naître en nous, d'aller nous jeter aux pieds d'un Dieu qui nous recevra avec tant de joie ! Non, M.F., si nous nous damnons, nous n'aurons point d'excuses, quand Jésus-Christ nous montrera lui-même que sa miséricorde a toujours été assez grande pour nous pardonner comme que nous soyons coupables. Et pour vous en donner une idée, je vais aujourd'hui vous montrer : 1° la grandeur de la miséricorde de Dieu envers le pécheur ; 2° ce que nous devons faire, de notre côté, pour mériter le bonheur de l'obtenir.

I. – Oui, M.F., tout est consolant, tout est engageant dans la conduite que Dieu tient à notre égard. Quoique bien coupables, sa patience nous attend, son amour nous invite à sortir du péché pour revenir à lui, sa miséricorde nous reçoit entre ses bras. Par la patience, le prophète Isaïe nous dit que le Seigneur nous attend pour nous faire miséricorde. Nous n'avons pas plus tôt péché que nous méritons d'être punis : « Rien, nous dit-il, n'est plus dû au péché que la punition ; dès que l'homme s'est révolté contre Dieu, toutes les créatures demandent vengeance, en disant : Seigneur, voulez-vous que nous allions faire périr ce pécheur qui vous a outragé ? Voulez-vous, lui dit la mer, que je l'engloutisse dans mes abîmes ? La terre lui dit : Seigneur, que j'ouvre mes entrailles pour le faire descendre tout vivant dans les enfers. L'air lui dit : Seigneur, souffrirez-vous que je le suffoque ? Le feu lui dit : Ah ! de grâce, laissez-moi le brûler. Et ainsi, toutes les autres créatures demandent vengeance à grands cris. Le tonnerre et les éclairs vont jusqu'au trône de Jésus-Christ pour lui demander le pouvoir de l'écraser et de le dévorer. – Mais non, reprend ce bon Jésus, laissez-le sur la terre jusqu'au moment que mon Père a résolu ; peut-être que j'aurai le bonheur de le voir converti. « Si ce pécheur s'égare davantage, ce tendre Père en verse des larmes, et ne cesse de le poursuivre par sa grâce, en faisant naître en lui de violents remords de conscience. « O Dieu des miséricordes, s'écrie saint Augustin, encore pécheur je m'éloignais de vous toujours de plus en plus, mes pas et toutes mes démarches étaient comme autant de nouvelles chutes dans le mal, mes passions s'allumaient toujours davantage, et cependant, vous preniez patience et vous m'attendiez. O patience de mon Dieu ! il y a tant d'années que je vous offense, et vous ne m'avez pas encore puni : d'où peut venir ce long retard ? Hélas ! Seigneur, c'est que vous vouliez que je me convertisse, et que je retournasse à vous par la pénitence. »


Est-il bien possible, M.F., que, malgré le désir que le bon Dieu a de nous sauver, nous nous perdions si volontairement ? Oui, M.F., si nous voulons parcourir les différents âges du monde, nous voyons partout la terre couverte des miséricordes du Seigneur, et les hommes enveloppés de ses bienfaits. Non, M.F., ce n'est pas le pécheur qui revient à Dieu pour lui demander pardon ; mais c'est Dieu lui-même qui court après le pécheur et qui le fait revenir à lui. En voulez-vous un bel exemple ? Voyez comment il s'est comporté avec Adam. Après son péché, au lieu de le punir, comme il le méritait, pour cette révolte contre son Créateur, qui lui avait accordé tant de privilèges, qui l'avait orné de tant de grâces, destiné à une fin si heureuse, qui était d'être son ami et de ne jamais mourir... Adam, après son péché, s'enfuit de la présence de Dieu ; mais le Seigneur, comme un père désolé qui a perdu son enfant, court le chercher et l'appelle comme en pleurant : « Adam, Adam, où es-tu ? (
GEN. III, 9.) Pourquoi fuis-tu la présence de ton Créateur ? » Il a tant le désir de le pardonner, qu'à peine il lui donne le temps de demander pardon ; déjà il lui annonce qu'il le pardonne, et qu'il lui enverra son Fils, qui naîtra d'une Vierge, et réparera la perte que le péché lui a faite à lui et à tous ses descendants, et que cette réparation se ferait d'une manière admirable. En effet, M.F., sans le péché d'Adam, nous n'aurions jamais eu le bonheur d'avoir Jésus-Christ pour Sauveur, ni de le recevoir dans la sainte communion, ni même de le posséder dans nos églises. Pendant tant de siècles que le Père éternel demeura sans envoyer son Fils sur la terre, il ne cessa de renouveler ces consolantes promesses, par la bouche de ses patriarches et de ses prophètes. O charité, que vous êtes grande pour les pécheurs ! Voyez-vous, M.F., la bonté de Dieu pour le pécheur ? Pourrons-nous encore désespérer de notre pardon ?


Puisque le Seigneur témoigne tant le désir de nous pardonner ; si nous restons dans le péché, c'est donc bien notre faute. Voyez la manière dont il se conduisit envers Caïn, après qu'il eut tué son frère ? Il va le trouver pour le faire rentrer en lui-même, afin de pouvoir le pardonner ; parce qu'il faut nécessairement lui demander pardon si nous voulons qu'il nous le donne... Ah ! mon Dieu, est-ce trop ? « Caïn, Caïn, qu'as-tu fait (
GEN, IV, 10.)? Demande-moi pardon pour que je puisse te pardonner. » Caïn ne veut pas, il désespère de son salut, il s'endurcit dans son péché. Cependant nous voyons que le bon Dieu le laissa longtemps sur la terre, afin de lui donner le temps de se convertir, s'il l'avait voulu. Voyez encore sa miséricorde envers le monde, lorsque les crimes des hommes eurent couvert la terre et l'eurent imbibée du jus des infâmes passions : le Seigneur se voyait forcé de les punir ; mais, avant que d'en venir à l'exécution, que de précautions, que d'avertissements, que de retards ! Il les menace bien longtemps avant que de les punir, afin de les toucher, et de les faire rentrer en eux-mêmes. Voyant que leurs crimes allaient toujours en augmentant, il leur envoya Noé, à qui il commanda de bâtir une arche, et d'y mettre cent ans, et de dire à tous ceux qui demanderaient pourquoi il faisait ce bâtiment, que c'était le Seigneur qui allait faire périr le monde entier par un déluge universel ; mais que, s'ils voulaient se convertir et faire pénitence, il changerait son arrêt. Mais enfin, voyant que tous ces avertissements ne servaient de rien, qu'on se moquait de ses menaces, il fut forcé de les punir. Cependant, nous voyons que le Seigneur dit qu'il se repentait de les avoir créés : ce qui nous montre la grandeur de sa miséricorde. C'est comme s'il avait dit : J'aimerais mieux ne pas vous avoir créés que de me voir forcé de vous punir (GEN. VI.)? Dites-moi, M.F., tout Dieu qu'il est, pouvait-il porter plus loin sa miséricorde ?


M.F., c'est ainsi qu'il attend les pécheurs à la pénitence, et qu'il les y invite par les mouvements intérieurs de sa grâce et par la voix de ses ministres. Voyez encore comment il se comporte envers Ninive, cette grande ville pécheresse. Avant d'en punir les habitants, il commande à son prophète Jonas d'aller, de sa part, leur annoncer que, dans quarante jours, il allait les punir. Jonas, au lieu d'aller à Ninive, s'enfuit d'un autre côté.


Il veut traverser la mer ; mais, bien loin de laisser les Ninivites sans avertissement avant de les punir, Dieu fait un miracle pour conserver son prophète, pendant trois jours et trois nuits dans le sein d'une baleine, qui, au bout de trois jours, le vomit sur la terre. Alors le Seigneur dit à Jonas : « Va annoncer à la grande ville de Ninive, que dans quarante jours elle périra. » Il ne leur donne point de conditions. Le prophète étant parti, annonça à Ninive que, dans quarante jours elle allait périr. A cette nouvelle, tous se livrent à la pénitence et aux larmes, depuis le paysan jusqu'au roi. « Qui sait, leur dit le roi, si le Seigneur n'aura pas encore pitié de nous ? » Le Seigneur, les voyant recourir à la pénitence, semblait se réjouir d'avoir le plaisir de les pardonner. Jonas voyant le temps échu pour les punir, se retira hors de la ville, afin d'attendre que le feu du ciel tombât sur elle. Voyant qu'il ne tombait pas : « Ah ! Seigneur, s'écrie Jonas, est-ce que vous m'allez faire passer pour un faux prophète ? Faites-moi plutôt mourir. Ah ! je sais bien que vous êtes trop bon, vous ne demandez qu'à pardonner ! – Eh quoi ! Jonas, lui dit le Seigneur, tu voudrais que je fisse périr tant de personnes qui se sont humiliées devant moi ? Oh ! non, non, Jonas, je n'en n'aurais pas le courage ; au contraire, je les aimerai et les conserverai (
JON. I-IV.). »


Voilà précisément, M.F., la conduite que Jésus-Christ tient à notre égard ; il semble quelquefois vouloir nous punir sans miséricorde ; au moindre repentir, il nous pardonne et nous rend son amitié. Voyez ce qu'il fit, lorsqu'il voulut faire descendre le feu du ciel sur Sodome, Gomorrhe et les villes voisines. Il semblait ne pas pouvoir s'y résoudre sans consulter son serviteur Abraham, comme pour savoir ce qu'il devait faire. « Abraham, lui dit le Seigneur, les crimes de Sodome et de Gomorrhe sont montés jusqu'à mon trône, je ne puis plus les souffrir ; je vais les faire périr par le feu du ciel. – Mais, Seigneur, lui dit Abraham, allez-vous punir les justes avec les pécheurs ? – Oh ! non, non, lui dit le Seigneur. – Eh bien ! lui dit Abraham, s'il y avait trente justes dans Sodome, la puniriez-vous, Seigneur ? – Non, dit-il, si j'en trouve trente, je pardonne à toute la ville en faveur des justes (
GEN. XVIII.). » Il alla jusqu'à dix. Hélas ! chose étrange ! dans une si grande ville, il n'y eut pas dix justes. Vous voyez que le Seigneur semblait prendre plaisir à consulter son serviteur sur ce qu'il fallait faire. Se voyant forcé de les punir, il envoya vite un ange dire à Loth de sortir, lui et toute sa famille, afin de ne pas les punir avec les coupables (Ibid. XIX.). Ah ! mon Dieu, quelle patience ! que de retards avant d'en venir à l'exécution !


Voulez-vous savoir quel est le péché qui a forcé le Seigneur à faire tomber sur la terre tant de châtiments ? Hélas ! c'est ce maudit péché d'impureté dont la terre était toute couverte. Voulez-vous voir comment Dieu est long à punir ? Voyez ce qu'il fit pour punir Jéricho (
JOS. VI.). Il ordonna à Josué de faire porter l'arche d'alliance, qui était un instrument qui montrait la grandeur de la miséricorde du Seigneur. Il voulut qu'elle fût portée par les prêtres, qui sont les dépositaires de ses miséricordes. Il ordonna de faire, pendant sept jours, le tour des murs de la ville, faisant sonner les mêmes trompettes dont on se servait pour annoncer l'année du jubilé, qui était une année de réconciliation et de pardon. Cependant, nous voyons que ces mêmes trompettes qui leur annonçaient leur pardon, firent tomber les murs de la ville, pour nous montrer que si nous ne voulons pas profiter des grâces que le bon Dieu veut bien nous accorder, nous n'en devenons que plus coupables ; mais que si nous avons le bonheur de nous convertir, il en éprouve une si grande joie qu'il nous dit qu'il vient plus promptement nous accorder notre pardon qu'une mère ne tire son enfant du feu.


Nous venons de voir, M.F., que, depuis le commencement du monde, jusqu'à la venue du Messie, ce n'est que miséricorde, que grâce et que bienfaits. Cependant nous pouvons dire que, sous la loi de grâce, les bienfaits dont il a comblé le monde sont encore bien plus abondants et bien plus précieux. Quelle miséricorde dans la personne du Père éternel, de n'avoir qu'un Fils et de consentir à lui faire perdre la vie pour nous sauver tous ! Hélas ! M.F., si nous parcourions toute la passion de Jésus-Christ avec un cœur reconnaissant, que de larmes ne verserions-nous pas ! En voyant le tendre Jésus dans sa crèche, et le reste...


Nous voyons que la miséricorde du Père ne peut pas aller plus loin, puisque, n'ayant qu'un fils, il le sacrifie pour nous sauver, ce Fils, qui est tout ce qu'il a de plus cher. Mais si nous considérons l'amour du Fils, qu'en dirons-nous ? Il consent si volontairement à souffrir tant de tourments, et la mort même, pour nous procurer le bonheur du ciel ! Hélas ! M.F., que n'a-t-il pas fait pour nous pendant les jours de sa vie mortelle ? Non content de nous appeler à lui par sa grâce, et de nous fournir tous les moyens pour nous sanctifier, voyez comment il court après ses brebis égarées ; voyez comment il parcourt les villes et les campagnes pour les chercher, et les ramener dans le lieu de sa miséricorde ; voyez comment il quitte ses Apôtres pour aller attendre la Samaritaine auprès du puits de Jacob, où il savait qu'elle viendrait ; il la prévient lui-même, il commence à lui parler, afin que son langage plein de douceur, uni à sa grâce, la touche et la console ; il lui demande de l'eau à boire, afin qu'elle-même lui demande quelque chose de bien plus précieux, qui est sa grâce. Il fut si content d'avoir gagné cette âme que lorsque ses Apôtres le prièrent de prendre de la nourriture : « Oh ! non, leur dit-il. » Il semblait leur dire : « Ah ! non, non, je ne pense pas à la nourriture du corps, tant j'ai de joie d'avoir gagné une âme à mon Père !(
JOAN. IV.) »


Voyez-le dans la maison de Simon le lépreux ; ce n'est pas pour y manger qu'il y va ; mais il savait qu'il y viendrait une Madeleine pécheresse : voilà, M.F., ce qui le conduit dans ce festin. Considérez la joie qu'il montre sur son visage en voyant Madeleine à ses pieds, qui les arrose de ses larmes et qui les essuie de ses cheveux, pendant tout le temps du repas. Mais le Sauveur, de son côté, la paie bien de retour ; il vide à pleines mains sa grâce dans son cœur. Voyez comme il prend sa défense contre ceux qui s'en scandalisent (
LUC. VII.). Il va si loin, que non content de lui pardonner tous ses péchés, en chassant les sept démons qu'elle avait dans son cœur, il veut encore la choisir pour une de ses épouses ; il veut qu'elle l'accompagne dans tout le cours de sa passion et que, « dans le monde où cet Évangile sera prêché, l'on raconte ce qu'elle vient de faire à son égard (MATTH. XXVI, 13.) » ; il ne veut pas parler de ses péchés, parce qu'ils sont déjà tous pardonnés par l'application de son sang adorable, qu'il doit répandre.


Voyez-le prendre la route de Capharnaüm pour aller trouver un autre pécheur dans son bureau : c'était saint Matthieu : c'est pour en faire un zélé apôtre (
IBID. IX.). Demandez-lui pourquoi il prend la route de Jéricho, il vous dira : qu'il y a un homme nommé Zachée, qui passe pour un pécheur public, et, qu'il veut aller voir s'il pourra le sauver. Afin d'en faire un parfait pénitent, il fait comme un bon père qui a perdu son enfant, il l'appelle : « Zachée, lui crie-t-il, descendez ; car c'est chez vous que je veux aller loger aujourd'hui, je viens vous accorder votre grâce. » C'est comme s'il lui disait Zachée, quittez cet orgueil et cet attachement aux biens de ce monde ; descendez, c'est-à-dire, choisissez l'humilité et la pauvreté. Pour bien le faire comprendre, il dit à tout ceux qui étaient avec lui : « Cette maison reçoit aujourd'hui le salut (LUC. XIX.)». – O mon Dieu ! que votre miséricorde est grande pour les pécheurs !


Demandez-lui encore pourquoi il a passé dans cette place publique. « Ah ! vous dira-t-il, c'est que j'attends cette femme adultère que l'on doit amener pour la faire lapider ; et moi, je vais prendre sa défense contre ses ennemis, la toucher et la convertir. » Voyez-vous ce tendre Sauveur auprès de cette femme, comment il se comporte, comment il prend sa défense ? La voyant tout environnée de cette populace qui n'attendait que le signal pour l'assommer, le Sauveur semble leur dire : « Un moment, laissez-moi agir, ensuite vous agirez à votre tour. » Il s'abaisse sur la terre, il écrit, non sa sentence de condamnation, mais d'absolution. S'étant relevé, il les regarde. Ne semble-t-il pas leur dire : « Maintenant que cette femme est pardonnée, elle n'est plus une pécheresse, mais une sainte pénitente : quel est celui d'entre vous qui est égal à elle ? Si vous êtes sans péché, jetez-lui la première pierre. » Tous ces fameux hypocrites, voyant que Jésus-Christ lisait dans leur conscience, les plus vieux, qui sans doute étaient les plus coupables, se retirèrent les premiers, et ainsi des autres. Jésus-Christ, la voyant seule, lui dit avec bonté : « Femme, qui sont ceux qui vous ont condamnée ? » comme s'il lui avait dit : Après que je vous ai pardonnée, qui serait celui qui aurait osé vous condamner ? « Ah ! Seigneur, lui répondit cette pécheresse, personne. – Eh bien ! allez, et ne péchez plus (
JOAN. VIII.). »


Voyez encore ce qu'il éprouve en voyant cette femme qui, depuis douze ans, avait une perte de sang. Elle se jette humblement à ses pieds ; « car, disait-elle, si je peux seulement toucher le bord de son manteau, je suis sûre d'être guérie ». Jésus-Christ se tournant, d'un air de bonté dit : « Qui est-ce qui me touche ? Allez, mon enfant, lui dit-il, ayez confiance, vous êtes guérie dans l'âme et dans le corps (
MATTH. IX.)». Voyez-le, comme il prend compassion du chagrin de ce père qui lui présente son fils, possédé du démon dès son enfance... (MARC. IX.)


Voyez-le pleurer en approchant de la ville de Jérusalem, qui était la figure des pécheurs qui ne veulent plus se laisser toucher le cœur. Voyez comment il verse des larmes sur sa perte éternelle. « Oh ! combien de fois, ingrate Jérusalem, n'ai-je pas voulu te ramener dans le sein de ma miséricorde, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes ; mais tu n'as pas voulu. O ingrate Jérusalem ! qui as tué les prophètes et fait mourir les serviteurs de Dieu ! oh ! si, du moins, tu voulais encore aujourd'hui recevoir ta grâce que je viens t'apporter ! (
MATTH. XIII.).» Voyez-vous, M.F., comment le bon Dieu pleure la perte de nos âmes quand il voit que nous ne voulons pas nous convertir ?


D'après tout ce que nous voyons que Jésus-Christ a fait pour nous sauver, comment pourrions-nous désespérer de sa miséricorde, puisque son plus grand plaisir est de nous pardonner ; de sorte que, quelque multipliés que soient nos péchés, si nous voulons les quitter et nous en repentir, nous sommes sûrs de notre pardon. Quand nos fautes égaleraient les feuilles des forêts, nous serons pardonnés, si notre cœur est vraiment contrit. Pour vous en convaincre, en voici un bel exemple. Nous lisons dans l'histoire qu'un jeune homme, nommé Théophile, qui était prêtre, fut accusé auprès de son évêque, et déposé d'une dignité dont il était pourvu. Cet affront le porta à une telle fureur, qu'il appela le démon à son secours. Cet esprit malin lui apparut sous une forme ordinaire, lui promettant de lui faire recouvrir sa dignité s'il voulait renoncer de suite à Jésus et à Marie. Il le fit, étant aveuglé par la fureur, et donna au démon une renonciation par un écrit fait de sa main. Le jour suivant, l'évêque ayant reconnu sa faute, le fit appeler dans l'église, lui demanda pardon d'avoir cru trop facilement ce que l'on avait dit de lui, et le rétablit dans sa dignité. Sur cela le prêtre se trouva dans un grand embarras ; il demeura longtemps déchiré par les remords de sa conscience. Il lui vint en pensée d'avoir recours à la sainte Vierge, voyant qu'il était si indigne de demander lui-même pardon au bon Dieu. Il alla donc devant une image de la sainte Vierge, la priant de lui obtenir son pardon auprès de son divin Fils ; et, pour cela, il jeûna quarante jours et pria continuellement. Au bout de quarante jours, la sainte Vierge lui apparut, lui disant qu'elle avait obtenu son pardon. II fut bien consolé de cette grâce ; mais il lui restait encore une épine bien profonde à tirer : c'était ce billet qu'il avait donné au démon. Il pensa que le bon Dieu ne refuserait pas cette grâce à sa Mère ; il continua trois jours à la prier, et, à son réveil, il trouva son billet sur sa poitrine. Plein de reconnaissance, il va à l'église, et, devant tout le monde, il publie la grâce que le bon Dieu lui avait accordée par l'entremise de sa sainte Mère. Faisons de même : si nous nous trouvons trop coupables pour demander pardon au bon Dieu, adressons-nous à la sainte Vierge et nous sommes sûrs de notre pardon.


Mais, pour vous engager à avoir une grande confiance en la miséricorde de Dieu qui est infinie, en voici un exemple que nous donne l'Évangile et qui nous montre que la miséricorde de Dieu est infinie : c'est celui de l'enfant prodigue, qui, après avoir demandé à son père tout le bien qui pouvait lui revenir, alla dans un pays étranger. Il y dissipa tout son bien en vivant comme un libertin et un débauché. Sa mauvaise conduite le réduisit à une telle misère qu'il se trouvait trop heureux d'avoir les restes des pourceaux, encore ne lui en donnait-on pas autant qu'il en voulait. Réfléchissant un jour sur la grandeur de sa misère, il disait à son maître chez qui il était pour garder les pourceaux : « Donnez-moi au moins de ce que mangent les plus sales animaux. » Quelle misère, M.F., est comparable à celle-là ? Cependant personne ne lui en donnait. Se voyant contraint de mourir de faim, et vivement touché de son malheureux état, il ouvre les yeux et se rappelle qu'il avait un si bon père qui l'aimait tant. Il prend la résolution de retourner dans la maison paternelle, où les plus simples valets avaient du pain plus qu'il ne leur en fallait. II se disait à lui-même : « J'ai bien mal fait d'avoir abandonné mon père qui m'aimait tant ; j'ai dissipé tout mon bien en menant une mauvaise vie ; je suis tout déchiré et tout sale, comment est-ce que mon père pourra me reconnaître pour son fils ? Mais je me jetterai à ses pieds, je les arroserai de mes larmes ; je lui demanderai de me mettre seulement au nombre de ses serviteurs. » Le voilà qui se lève et qui part, tout occupé de l'état malheureux où son libertinage l'avait réduit. Son père, qui pleurait depuis bien longtemps sa perte, le voyant venir de loin, oublia son grand âge et la mauvaise vie de ce fils, il se jeta à son cou pour l'embrasser. Ce pauvre enfant, tout étonné de l'amour de son père pour lui : « Ah ! mon père, s'écrie-t-il, j'ai péché contre vous et contre le ciel ! je ne mérite plus d'être appelé votre fils, mettez-moi seulement au nombre de vos serviteurs. – Non, non, mon fils, s'écrie le père tout plein de joie d'avoir le bonheur de retrouver son fils qu'il croyait perdu ; non, mon fils, tout est oublié, ne pensons plus qu'à nous réjouir. Qu'on lui apporte sa première robe pour l'en revêtir, qu'on lui mette un anneau au doigt et des souliers aux pieds ; qu'on tue le veau gras et qu'on se réjouisse ; car mon fils était mort et il est ressuscité, il était perdu et il est retrouvé (
LUC. XV.). »


Belle figure, M.F., de la grandeur de la miséricorde de Dieu pour les pécheurs les plus misérables ! En effet, dès que nous avons le malheur de pécher, nous nous éloignons de Dieu, et nous nous réduisons, en suivant nos passions, à un état plus misérable que celui des pourceaux qui sont les plus sales animaux. O mon Dieu ! que le péché est quelque chose d'affreux ! comment peut-on le commettre ? Mais tout misérables que nous sommes, dès que nous prenons la résolution de nous convertir, à la première preuve de conversion, les entrailles de sa miséricorde sont touchées de compassion. Ce tendre Sauveur court, par sa grâce, au-devant des pécheurs, il les embrasse en les favorisant des consolations les plus délicieuses. En effet, jamais un pécheur n'éprouve plus de plaisir que dans le moment où il quitte le péché pour se donner au bon Dieu ; il lui semble que rien ne pourra l'arrêter ; ni prière, ni pénitence : rien ne lui parait trop dur. O moment délicieux ! que nous serions heureux si nous avions le bonheur de le comprendre ! Mais, hélas ! nous ne correspondons pas à la grâce, et alors, ces heureux moments disparaissent. Jésus-Christ dit au pécheur par la bouche de ses ministres : « Que l'on revête ce chrétien qui est converti, de sa première robe qui est la grâce du baptême qu'il a perdue ; qu'on le revête de Jésus-Christ, de sa justice, de ses vertus et de tous ses mérites. » Voilà, M.F., la manière dont Jésus-Christ nous traite quand nous avons le bonheur de quitter le péché pour nous donner à lui. Ah ! M.F., quel sujet de confiance pour un pécheur, quoique bien coupable, de savoir que la miséricorde de Dieu est infinie !

 

II. – Non, M.F., ce n'est pas la grandeur de nos péchés, ni leur nombre, qui doivent nous effrayer ; mais seulement les dispositions que nous devons avoir. Tenez, M.F., voici un autre exemple qui va vous montrer que, comme que nous soyons coupables, nous sommes sûrs de notre pardon, si nous voulons le demander au bon Dieu. Nous lisons dans l'histoire qu'un grand prince, dans sa dernière maladie, fut attaqué d'une tentation terrible de méfiance en la bonté et la miséricorde de Dieu. Le prêtre qui l'assistait dans ce moment, voyant qu'il perdait confiance, faisait tout ce qu'il pouvait pour lui en inspirer, en lui disant que jamais le bon Dieu n'a refusé le pardon à celui qui le lui a demandé. « Non, non, dit le malade, il n'y a plus de pardon pour moi, j'ai trop fait de mal. » Le prêtre voyant qu'il n'y avait plus de ressources, se mit en prière. Dans ce moment, le bon Dieu lui mit à la bouche ces paroles que le saint Roi-Prophète prononça avant de mourir : « Prince, lui dit-il, écoutez le prophète pénitent ; vous êtes pécheur comme lui, dites sincèrement avec lui : Seigneur, vous aurez pitié de moi, parce que mes péchés sont bien grands, et c'est précisément la grandeur de mes péchés qui sera le motif qui vous engagera à me pardonner. » A ces paroles, le prince revenant comme d'un profond sommeil, s'arrête un moment tout transporté de joie, et poussant un profond soupir : « Ah ! Seigneur, c'est bien pour moi que ces paroles ont été prononcées ! Oui, mon Dieu, c'est précisément parce que j'ai fait bien du mal que vous aurez pitié de moi ! » Il se confesse et reçoit tous ses sacrements en versant des torrents de larmes ; il fait avec joie le sacrifice de sa vie, et meurt ayant entre les mains son crucifix qu'il arrose de ses larmes. En effet, M.F., qu'est-ce que nos péchés, si nous les comparons à la miséricorde de Dieu ? C'est une graine de navette devant une montagne. O mon Dieu ! comment peut-on consentir à être damné, puisqu'il en coûte si peu pour se sauver et que Jésus-Christ désire tant notre salut ?...


Cependant, M.F., si le bon Dieu est si bon de nous attendre et de nous recevoir, il ne faut pas lasser sa patience : s'il nous appelle, s'il nous invite à venir à lui, il faut aller à sa rencontre ; s'il nous reçoit, il faut lui rester fidèle. Hélas ! M.F., il y a peut-être plus de cinq à six ans que le bon Dieu nous appelle ; pourquoi restons-nous dans nos péchés ? Il est toujours présent pour nous offrir notre grâce, pourquoi ne pas quitter le péché ? En effet, M.F., saint Ambroise nous dit : « Le bon Dieu, tout bon et tout miséricordieux qu'il est, jamais il ne nous pardonne, si nous ne lui demandons pardon, si nous n'unissons pas notre volonté à celle de Jésus-Christ. »


Mais quelle volonté, M.F., est-ce que Dieu demande de nous ? La voici. C'est une volonté qui corresponde aux saints empressements de sa miséricorde, qui nous fasse dire comme à saint Paul : « Vous avez entendu dire quelles ont été ma conduite et mes actions avant que Dieu ne m'eût fait la grâce de me convertir. Je persécutais l'Église de Jésus-Christ avec tant de cruauté, que j'en ai horreur moi-même toutes les fois que j'y pense. Qui aurait pu croire que ce fût ce moment que Jésus-Christ avait choisi pour m'appeler à lui (
GAL. I, 13-15.)? Ce fut dans ce moment que je fus tout environné d'une lumière ; j'entendis une voix qui me dit : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? (ACT. XXII, 6-7.)» Hélas ! M.F., combien de fois le bon Dieu ne nous a-t-il pas fait la même grâce ? Combien de fois dans le péché, ou prêts à pécher, n'avons-nous pas entendu une voix intérieure qui nous criait : « Ah ! mon fils, pourquoi veux-tu me faire souffrir et perdre ton âme ? » En voici un bel exemple.


Nous lisons dans l'histoire qu'un enfant dans sa colère tua son père. Il en conçut un si grand regret qu'il lui semblait continuellement entendre une voix qui lui criait : « Ah ! mon fils, pourquoi m'as-tu tué ? » Ce qui lui fut si sensible, qu'il alla lui-même se dénoncer à la justice. Non seulement, M.F., nous devons quitter le péché parce que le bon Dieu est si bon que de nous pardonner ; mais nous devons encore pleurer de reconnaissance. Nous en avons un bel exemple dans la personne du jeune Tobie conduit et ramené par l'ange (
TOB. XII.), ce qui nous montre combien on plaît à Dieu quand on le remercie. Nous lisons dans l'Évangile que cette femme qui, depuis douze ans, était atteinte d'une perte de sang, ayant été guérie par Jésus-Christ, en reconnaissance, afin de montrer à tout le monde la bonté de Dieu à son égard, fit placer près de sa maison une belle statue représentant une femme auprès de Jésus-Christ, qui l'avait guérie. Plusieurs auteurs nous disent qu'il y venait une herbe inconnue à tout le monde, et que dès qu'elle montait jusqu'à la frange de la robe de la statue, elle guérissait toutes sortes de maladies. Voyez saint Mathieu : afin de remercier Jésus-Christ de la grâce qu'il lui avait faite, il l'invita chez lui et lui fit tous les honneurs qu'il pouvait lui faire (LUC. V, 29.). Voyez le lépreux samaritain : se voyant guéri, il retourne sur ses pas, se jette aux pieds de Jésus-Christ pour le remercier de la grâce qu'il venait de lui faire (LUC. XVII, 16.).


Saint Augustin nous dit que la principale action de grâces, c'est que votre âme soit sincèrement reconnaissante envers la bonté de Dieu, en se donnant tout à lui avec toutes ses affections. Voyez le Sauveur, quand il eut guéri les dix lépreux, voyant qu'il n'y en avait qu'un qui revenait le remercier : « Et les neuf autres, lui dit Jésus-Christ, n'ont-ils pas aussi été guéris ? (
IBID. XVII, 17)» comme s'il leur avait dit : Pourquoi est-ce que les autres ne viennent pas me remercier ? Saint Bernard nous dit qu'il faut être très reconnaissants envers le bon Dieu, parce que cela l'engage à nous accorder beaucoup d'autres grâces. Hélas ! M.F., que de grâces n'avons-nous pas à rendre à Dieu de nous avoir créés, de nous avoir rachetés par sa mort et passion, de nous avoir fait naître dans le sein de son Église, tandis que tant d'autres vivent et meurent hors de son sein. Oui, M.F., puisque la bonté et la miséricorde de Dieu sont infinies, tâchons donc d'en bien profiter, et, par là, nous aurons le bonheur de lui plaire, et de conserver nos âmes dans sa grâce : ce qui nous procurera le bonheur d'aller jouir de sa sainte présence avec tous les bienheureux dans le ciel. C'est ce que je vous souhaite.