LE DON SANS RESERVE


    Une scène qui a dû se passer souvent pendant le séjour du Christ à Jérusalem.
Jésus regardait la foule qui sortait du Temple, l'office terminé. Jésus, Celui qui demeure, considérait la foule, ce qui passe. Il les regardait. Mais eux ne se savaient pas observés. Et Son regard posé sur eux les mettait chacun à leur véritable place.

C'était le moment où les fidèles déposaient leurs Offrandes dans le tronc placé à la porte du sanctuaire. Il y avait des riches qui puisaient dans des bourses que portaient leurs esclaves ; des pharisiens qui aimaient à se faire remarquer, d'autres qui jetaient un regard furtif sur la pièce qu'ils tenaient dans le creux de leur main pour s'assurer que c'était bien celle-ci dont ils avaient décidé de se séparer, d'autres donnaient de leur pauvreté. Et ils ne se doutaient pas qu'il y avait là Quelqu'un qui les regardait du regard même de Dieu.

Dans la foule Il vit passer, modeste, une femme. Cette femme était veuve et elle était pauvre. Quand elle arriva devant le tronc, elle y mit deux petites pièces dont la valeur totale représentait le quart d'un sou de notre monnaie avant sa dévaluation.

De quelle utilité pouvait être cette somme infime au milieu de l'or et de l'argent déposés là par la foule des fidèles? Sans doute le trésorier du Temple, en voyant les deux pauvres petites pièces, a-t-il eu un haussement d'épaules dédaigneux. Quoi faire en effet de cette somme qui n'entrait dans aucun des cadres de sa comptabilité ?

Mais quand on se dit que ces deux petites pièces étaient tout ce que possédait la malheureuse, tout ce qui lui restait pour vivre, alors on est confondu.

Si elle tenait à faire une offrande, ne pouvaitelle pas tout au moins garder l'une des deux petites pièces qui étaient tout son avoir?

La veuve ne raisonne pas, elle ne mesure pas elle donne, comme l'arbre qui donne son fruit et qui ne demande plus rien après. L'avenir : elle ne s'en préoccupe pas , elle s'en remet à Dieu.

Voilà la foi: la confiance totale à la Providence divine. Et l'on comprend qu'une telle foi apparaisse au monde comme une folie. Folie de tout donner, folie de faire un don inutile, folie de se réduire à la misère ! Folie ! ...

Et Jésus appela Ses disciples et leur déclara :

« En vérité je vous le dis, cette pauvre veuve a mis dans le tronc plus que tous les autres ».

C'est que les riches avaient mis dans le tronc de l'argent ou de l'or, tandis qu'elle y avait mis son coeur.

Peut-être, en donnant les deux petites pièces, la veuve a t-elle pensé aux pauvres que soutenait le Temple. Seuls ceux qui connaissent la pauvreté savent ce qu'endurent ceux qui y passent. Certainement, en donnant les deux petites pièces, elle a pensé à Dieu , elle a rencontré Dieu, car Dieu est l'Absolu et son don était un absolu.

Superflu, nécessaire. Grandeurs relatives. Tout être dont la situation matérielle s'améliore est tenté de considérer comme indispensable à sa vie des choses à la possession desquelles il n'aurait jamais osé songer auparavant. Le nécessaire, le superflu sont des notions purement individuelles. Il y a des riches qui n'ont que leur nécessaire et il y a des pauvres qui ont du superflu. L'un et l'autre sont sanctifiés ou avilis par l'usage qui en est fait. Les riches que regardait jésus donnaient non pas leur superflu, mais de leur superflu , la pauvre veuve n'avait pas de superflu - elle a donné non pas de son nécessaire, mais son nécessaire tout entier.

Voilà ce qui fait que rien n'est grand au monde comme l'offrande de la pauvreté. Elle est désintéressée, elle est pure de tout alliage, elle est belle d'une beauté céleste, car elle est le don du coeur, le don fait Pour l'amour de Dieu.

Il n'est pas besoin d'être riche pour donner car la valeur d'un don se mesure à l'âme qu'il renferme.

Il ne faut pas dire : Si j'étais riche, je ferais du bien. Il ne faut pas le dire, parce que c'est un jugement porté sur les riches qui ne font pas leur devoir et que nous ne devons pas juger. Il ne faut pas le dire, parce que tout être, quelle que soit sa situation, peut venir en aide à un plus malheureux que lui.

Le don. Nous ne savons pas Comment l'épi donne le blé ni comment le cep donne la grappe ; mais nous savons que, pour nous, êtres humains, le don est un acte de libre volonté. Ainsi le don est J'apanage de l'homme. Il est ce qui nous révèle le mieux notre dignité originelle, ce qui nous rapproche le plus de Dieu. Car Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné Son Fils unique.

Le don, c'est la manifestation de J'amour. Pour donner comme a donné la veuve de l'Evangile, il faudrait aimer comme elle a aimé.

Emile BESSON. Octobre 1956.