Emile BESSON. janvier 62


LAZARE

Il y avait un pauvre, nommé Lazare, qui était couché à la porte d'un homme riche. (Luc XVI, 20)

 
Que cette coexistence de l'opulence et du dénuement, qui se constate sur notre terre depuis qu'il s'y trouve des hommes, doive un jour disparaître, nous le croyons. Que la paternité de Dieu prêchée par le Christ s'exprime un jour ici bas par une réelle fraternité humaine, c'est notre foi et notre espérance. Mais écoutons la parabole.

Lazare vit sa misère et l'homme riche vit sa richesse. Puis tous deux meurent; le pauvre d'abord et il est porté par les anges dans « le sein d'Abraham », le riche ensuite et il est conduit dans un lieu de tourments.

Ce n'est nullement parce que Lazare a été pauvre qu'il connaît la félicité dans l'au-delà et ce n'est pas parce que le riche a eu de la fortune qu'il connait la souffrance dans la vie future. L'humilité de Lazare, sa résignation lui valent d'être porté par les anges dans « le sein d'Abraham » ; l'égoïsme, l'insensibilité du riche lui valent d'être placé dans le lieu des tourments.

La richesse en elle même n'est pas un motif de condamnation et la pauvreté en elle même n'est pas un titre à la bénédiction de Dieu.

Les contemporains du Christ voyaient dans la fortune une marque visible de la faveur divine. C'est faux. La fortune n'est ni un bien ni un mal, c'est une responsabilité. L'usage que l'homme fait de l'argent qu'il possède sanctifie ou maléficie cet argent.

Mais il est certain que la richesse et la pauvreté ont chacune leurs incidences sur la vie des hommes. La richesse est une sorte de royauté, un instrument de puissance et d'ascendant sur les hommes, une source d'influence, un moyen d'aider, le consoler; mais aussi elle encourage l'esprit de domination, la tendance à l'oisiveté, à la vie facile, à l’orgueil et à l'égoïsme, elle risque de maintenir le regard tourné vers la terre, de faire oublier les réalités de l'esprit, les choses qui demeurent, de rendre sourd à la voix d'en haut; le Christ l'a dit: « Qu'il est difficile à un riche d'entrer dans le Royaume des cieux ! » - La pauvreté trempe les énergies, prépare aux luttes de chaque jour, elle met à l'abri de bien des tentations, elle tourne les regards vers le Ciel, vers l'espérance; mais aussi elle présente les dangers du découragement, de l'inertie, de l'envie, de la révolte.

Le Christ a appelé à Lui les pauvres, non pas pour les rendre riches des biens de ce monde, mais pour leur donner la richesse impérissable. « Heureux êtes vous, ô pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous ! »

Voici le grand problème: Qu'est-ce qu'être riche, qu'est-ce qu’être pauvre ?

Etre riche selon l'Evangile, ce n'est pas du tout posséder beaucoup d'argent : être pauvre selon l'Evangile, ce n'est pas ne pas avoir d'argent. Etre riche, c'est trouver sa pleine satisfaction dans la richesse, c'est aimer l'argent, c'est avoir cédé aux « séductions de la richesse » (Matthieu XIII, 22), à tel point qu'on n'a pas un regard pour Lazare étendu devant la porte; être pauvre, c'est avoir l'esprit de pauvreté, être détaché, considérer l'argent comme un moyen et non comme un but. On peut être « riche » en ayant peu d'argent; on peut posséder beaucoup d'argent et avoir l'esprit de pauvreté.

Pour les auditeurs du Christ comme pour chacun de nous, la question est celle-ci: parvenir à « être riche au regard de Dieu » (Luc XII, 21).