Emile BESSON. janvier 66


LE MAITRE ET LE DISCIPLE

Là où je suis, mon serviteur y sera aussi (jean XII, 26)

Cette parole, qui révèle la bienheureuse union du Maître avec Ses disciples, le Christ la prononce à trois reprises : l'une dans Ses instructions à ses  disciples « Là où je suis, mon serviteur y sera aussi » l'autre comme une promesse pour le temps qui suivra Sa mort : « Lorsque je m'en serai allé et que je vous aurai préparé la place, je reviendrai et je vous prendrai avec moi afin que là où je serai, vous y soyez aussi ». Et, dans Sa dernière prière, au moment de S'en aller au Gethsémani et à la mort, Il dit à Dieu : « Père, mon désir est que, là où je suis, ceux que Tu m'as donnés y soient avec moi ».

Voilà, exprimé en un mot, le mystère de l'Incarnation, le plan de l'universelle rédemption. Le Christ a quitté le séjour de Son Père, Il est venu sur notre terre ; Il a adressé au monde Son appel. Quelques

tins ont entendu cet appel ; Il les a nommés Ses disciples et par eux Il a fait connaître Son message, Sa personne jusqu'aux extrémités du monde.

Ce que le Christ a voulu, c'est établir une union entre Lui et ceux qui croient en Lui, ceux qui L'ont suivi alors qu'Il était sur la terre et ceux, jusqu'à la fin des siècles, qui Lui auront donné leur foi. Entre Lui et eux une communion inaltérable s'établit, une union indissoluble indépendante des circonstances extérieures, au delà du bonheur et du malheur, des succès et des revers; à eux tous, Il déclare : « Là où je serai, mon serviteur y sera aussi ».

Mais le Christ les a prévenus : Le serviteur n'est pas plus que son maître. Si le monde a aimé le Maître, il aimera les serviteurs, s'il a haï le Maître, il haïra les serviteurs.

Dans sa vie non plus le serviteur n'est pas plus que son Maître ; il lui suffit, déclare le Christ, d'être comme son Maître. Le monde cherche avidement ce qu'il appelle le bonheur ; les disciples du Crucifié ne veulent pas dormir sur des lits de roses ; le Christ a pleuré sur Ses compatriotes inconstants, Ses disciples ne voudraient pas d'une béatitude sur la terre alors que des millions d'êtres sont dans la souffrance.

Mais ceux qui se sont engagés dans la voie du renoncement pour suivre leur Maître ont la joie indicible de Sa présence dans leur coeur et même ils voient parfois cheminer à leur côté Celui qui est leur Espérance et leur Amour, Celui qui est leur Vie dans le temps et dans l'éternité.

Là où est le Christ, là est le paradis. Mais ce serait une illusion de croire que le paradis est un lieu de délassement, un lieu de réjouissance. Ceux qui sont au paradis portent la pensée constante des malheureux qui sont au dehors et qui s'imaginent étancher la soif éternelle de leur âme avec les satisfactions illusoires du Créé. Les habitants du paradis présentent au Christ dans une offrande perpétuellement renouvelée leur vie, leurs travaux pour ceux qui sont encore à l'extérieur, car la devise de leur vie, le but de leurs efforts est la parole du Christ : « Il y aura un seul troupeau et un seul Berger ».

Le contact du Christ avec Ses disciples lorsqu'Il était avec eux sur la terre a dû être quelque chose d'inexprimablement bon et bienfaisant. Cette communion merveilleuse, cette joie dont furent pleines les âmes des saints' dont leurs écrits enflammés transmettent l'écho, Il veut qu'elle soit le privilège de Ses amis jusqu'à la fin du monde.

Cette présence constante du Christ auprès de nous est le grand arcane de la religion chrétienne. Le Christ présent auprès de nous lorsque nous pensons à Lui et lorsque nous ne pensons pas à Lui ; auprès de nous lorsque nous essayons d'accomplir Ses commandements tant de fois entendus, auprès de nous aussi lorsque notre esprit se détourne de Lui ; mais de quelles tristesses Son coeur doit se remplir quand Il nous voit vivre au long de nos journées !

Là où je suis. - Où est le Christ en ce temps ?

Dans les dernières instructions qu'Il a données à Ses disciples avant de les quitter, le Christ, parlant des misères qu'ils rencontreront, leur dit : « J'ai eu faim, j'ai eu soif, j'étais malade et nu et étranger». C'est donc Lui qui souffre dans la personne douloureuse des malheureux et Il énumère les souffrances que sous leur aspect Il endure : la faim et la soif, l'exil, la pauvreté, la maladie, la captivité.
Lorsqu'Il vivait sur cette terre, c'est des pauvres, des misérables qu'Il a fait Sa société de prédilection. Et, après vingt siècles, n'est-ce pas encore dans les maisons où règne la tristesse que nous Le trouvons bien plutôt que dans les demeures où l'on ne manque de rien ?

« Tout ce que vous avez fait à ces malheureux, c'est à Moi-même que vous l'avez fait ». Ces malheureux, il n'est pas difficile de les trouver ; il nous suffit d'ouvrir les yeux pour les voir ; ils sont à notre porte, petit-être sont ils à notre foyer.

Le Christ n'est pas avec nous seulement au moment de nos exaltations spirituelles, lorsque nous chantons Son amour ; Il n'est pas seulement avec nous lors de nos grandes douleurs, où nous L'appelons à l'aide ; Il est avec nous dans les heures où nous sommes Ses disciples, c'est-à-dire lorsque nous nous comportons là où nous sommes comme Lui Se comporterait.

Toutes les fois qu'ils le veulent, les disciples peuvent rendre actuelle la parole de leur Maître : « Là où je suis, mon serviteur y sera aussi ». Le Christ en effet a déclaré : « Là où vous êtes deux ou trois réunis en mon nom, je suis au milieu de vous ».

Les rencontres des hommes les uns avec les autres, les réunions qui sont si précieuses aux hommes peuvent être transfigurées par la présence du Christ si ceux qui se réunissent le font « en Son nom » ; il ne s'agit pas seulement pour eux de penser à Lui, de parler de Lui, mais d'être dans Son esprit, dans Son souvenir, dans la bonne volonté de conformer leur vie à Ses commandements.

je ne résiste pas au désir de reproduire ici une lettre personnelle, adressée par Sédir à une chère amie de nos « Amitiés » :
« Tous les serviteurs du Christ ne sont tels qu'en vertu de leur union avec le Christ. Cette union est plus ou moins profonde ; mais, si profonde qu'elle soit, l'individualité du serviteur, son Je subsiste toujours distinct du Je du Christ. Il n'y a jamais identité entre Lui et le serviteur, mais ressemblance, concordance, harmonie. L'identité qu'enseignent les Orientaux entre Atma et Parabrahm n'est qu'une illusion métaphysique.

Le Seigneur de ce monde est celui des serviteurs, soldats ou amis du Christ qui possède la qualité et la quantité de Lumières les plus propres à relier toute la vie terrestre directement au Verbe. Il reçoit les ordres du Christ, les exécute et Lui transmet les voeux des terrestres. Il représente le Christ. Il n'est pas le Christ ; aucune créature ne pourra jamais recevoir le Verbe total. Il est tout ce que la Terre est capable de percevoir et de recevoir du Christ. Et elles ne se trompent pas, car il est le Christ, je vous le répète, dans la mesure où le Christ total petit Se montrer à notre planète sans l'éblouir ou la réduire en cendres ».