LE CHEMIN

Je suis le chemin  (Jean XIV, 6).

Depuis qu'il y a des hommes sur la terre s'est posé à eux le problème de l'être et de la destinée : d'où venons‑nous ? où allons‑nous ? En d'autres termes, les rapports de Dieu avec nous et de nous avec Dieu.

Les gens qui se croient habiles disent que nous ne pouvons ni atteindre ni même connaître le but de la vie et ils déclarent que le rechercher est une  illusion.

Mais tous les raisonnements n'y feront rien nous avons besoin de savoir où nous allons, nous avons besoin de savoir ce qu'il y a après la vie après ses joies et ses peines

Chez beaucoup de personnes la question primordiale est . croire ou ne pas croire en Dieu c'est à dire croire ou ne pas croire qu'il y a un Etre suprême, créateur des univers. Question importante assurément, question primordiale. Mais la solution de cette question est une base et une base n'est rien si on ne construit pas sur elle. La foi qui est sans influence sur la vie, sur le comportement en face de la vie n'est pas la foi. La‑ religion n'est pas la solution d'un problème de l'esprit. mais la rencontre avec une Personne. Le mot religion vient du verbe relier.

Nous connaissons tous des êtres qui cherchent Dieu, qui voudraient trouver le chemin qui mène à Lui. Ils savent que d'autres ont trouvé Dieu. Eh bien ! il faut que ceux qui ont trouvé soient sensibles à la queste de ceux qui cherchent.

Le Christ déclare : « je suis le chemin ». Il n'est que de lire l'Evangile pour voir tout tracé ce chemin. Il tient en un mot : le Royaume de Dieu : l'amour régnant sur le monde, la paix dans les cœurs, l'harmonie dans la famille humaine.

Et le Christ nous conduit sur ce chemin. L'homme peut tout au plus montrer le chemin à un autre homme; le Christ, Lui, est le chemin parce qu'Il est le Fils de l'Homme et le Fils de Dieu, parce qu'Il nous aime d'un amour éternel et parce qu'Il veut pour nous une certitude et un bonheur éternels. «Dieu nous a donné la vie éternelle et cette vie est en Son Fils ».

Pour entrer dans ce chemin il est une porte l'amour et le service du prochain. Le Christ l'a dit « Le plus grand commandement, c'est d'aimer Dieu et d'aimer le prochain ». Et Il a ajouté : « Si tu n'aimes pas le prochain que tu vois, comment aimeras tu Dieu que tu ne vois pas ? ».

Aimer le prochain. ‑ Combien de fois nous est‑il arrivé d'aller nous asseoir auprès d'une créature souffrante et là de nous rendre compte que nos mains étaient vides, que nous ne savions que dire, nous qui venions à ce malheureux dans l'intention de le réconforter, de l'aider ! Qu'il est difficile d'aimer le prochain !

Et pourtant Sédir disait que cet amour du prochain ne doit pas nous apparaître comme quelque chose d'extraordinaire; ce n'est rien d'autre qu'une justice; « c'est le culte raisonnable que vous devez à Dieu», écrivait saint Paul aux chrétiens de Rome.

Mais quand on considère que cet amour du prochain n'est qu’une étape sur le chemin qui mène à Dieu; quand on pense que le Christ a dit à ceux qui veulent être Ses disciples : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, parlez avec bienveillance de ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient. Ne résistez pas an méchant; si quelqu'un te frappe à la joue droite, présente lui aussi l'autre; donne à celui qui te demande, et à qui s'empare de ce qui est à toi, ne réclame rien », alors nous nous rendons compte à quel point nous sommes loin ! Et pourtant que d'efforts nous faisons et avec sérénité pour le gain, pour le plaisir, pour la vanité, pour la rancune...

C'est pourquoi Dieu nous a mis sur le chemin de la souffrance. Nous sommes tellement égoïstes, tellement imbus de nous‑mêmes que, pour que nous puissions comprendre l'amour, pour que nous puissions aimer, il faut que quelque chose nous brise le cœur  afin de l'ouvrir, afin de le rendre perméable à l'influence divine. C'est pourquoi la souffrance existe; elle nous purifie et aussi elle nous fait comprendre la souffrance du prochain et nous aide à y compatir. C'est pourquoi le Maître de Sédir a dit : « Si nous savions ce qu'est la souffrance, nous la demanderions ».

Celui qui aime est près de Dieu et Dieu est près de lui. A celui‑là Dieu parle et cette parole est spécialement  pour lui... « votre Père qui est dans le secret ». ‑ On ne petit même plus dire de celui‑là qu'il croit au Christ: pour reprendre la parole de saint Paul, ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ qui vit en lui.

Nous ne valons devant Dieu que ce que nous valons en face du commandement suprême : Tu aimeras ton prochain comme toi même.

Beethoven disait : « Chacun aime comme il peut ». C'est cela seulement qui nous est demandé : aimer les êtres tels qu'ils sont; les aimer comme nous pouvons, mais autant que nous pouvons.

A l'époque contemporaine, Simone Weil a réalisé de façon très émouvante cet amour total, ce service du prochain dont le Christ a fait l'équivalent du « premier et plus grand commandement ». (1).

Née juive et restée jusqu’à la fin de sa vie en dehors de l'Église catholique, soli, existence a été tout entière par et pour le Christ. Toujours elle a porté en elle la pensée de la souffrance des autres, la volonté de partager leur sort. Elle était possédée par l'amour des faibles et des petits; à tel point qu'elle ne se sentait à l'aise qu'au dernier degré de l'échelle sociale, confondue avec la masse des pauvres et des déshérités.

A l'âge de cinq ans, lorsqu' éclata la guerre de 1914 et qu'elle découvrit la misère, elle ne voulut plus prendre lui seul morceau de sucre afin de tout envoyer à ceux qui souffraient ail front. De même elle ne portait pas de bas en hiver pour être les petits pauvres. Plus tard, elle se rendit comme compte que les ouvriers étaient astreints à de durs travaux pour avoir droit à l’allocation de chômage. Elle était alors agrégée de philosophie et professeur au Puy.

Elle se contenta, pour vivre, de l'allocation de chômage distribuant aux autres le surplus de ses appointements. En 1934, elle voulut prendre dans toute sa dureté la condition ouvrière; elle connut la faim et la fatigue, les rebuffades et l'oppression du travail à la chaîne, l'angoisse du chômage. Elle écrivit alors lui « journal d'usine » qui est un témoignage bouleversant. Pendant la dernière guerre, elle voulut communier à la détresse paysanne. An cours de l'été 1941, elle se voua au travail des champs. Mais l’épreuve surpassa ses forces et elle fut comme écrasée par cette conscience du malheur.

Elle a voulu vivre comme le Christ avait vécu et elle a écrit cette phrase extraordinaire : « Toutes les fois que je pense à la crucifixion du Christ, je commets le péché d'envie ».

Qu'ajouterons nous ?

Que nous sommes tous indignes; pourtant nos âmes sont les sœurs  des âmes des saints.

Un chemin, il faut le suivre ou s'en éloigner. Il n'y a pas d'autre attitude.

Le Christ est le chemin, l'unique chemin qui conduit à Dieu. Heureux sont dès à présent ceux qui s’engagent sur ce chemin ! Lorsque, dans un avenir inconnaissable, nous l’aurons parcouru, nous remercierons Dieu, avec une gratitude infinie, pour tout ce qu'Il aura mis pour nous sur ce chemin .

Emile BESSON. Juillet 1970

(1) S. Weil Attente de Dieu. Introduction.