LA COMPASSION DU CHRIST

Voyant la foule, il fut ému de compassion pour elle. (Matthieu ‑ IX, 36)

Il y avait là, assurément, la foule que le Christ avait devant Ses yeux ‑ cette foule palestinienne composée de paysans, de villageois, de citadins habitués aux rigueurs, aux privations, qui vivait sous la domination de fer des Romains, dépouillée de cette indépendance qui avait été le trésor des anciens patriarches et qui restait l'idéal, inaccessible ici‑bas, de tous ces malheureux. Mais, par‑delà cette foule, il y avait la foule humaine, la foule, innombrable jusqu'aux extrémités de la terre, de tous ceux à qui le Christ apportait le salut, à qui Il disait les paroles de la vie éternelle.

Voyant donc cette foule, Il fut ému de compassion pour elle.

Voilà le signe auquel tous les siècles reconnaîtront le Christ.

Les chefs d'états, les conducteurs de peuples, tant que règne la paix, regardent la foule d'un regard tranquille, même avec bienveillance, ils le peuvent, car leur situation est bien assise et leurs privilèges ne courent pas de risques. Mais, que viennent des jours d'incertitude, des jours de troubles, alors ils regardent la foule avec inquiétude ; ou ils la fuient ou ils la flattent, ou ils mettent en branle leurs soldats.

Le Christ a eu compassion de la foule. Il l'a regardée avec amour. Il l'a écoutée; Son coeur était ouvert à ses aspirations, à ses désirs, à ses déceptions, à ses peines, à ses erreurs aussi, à ses égotismes, à ses mauvaises pensées. Son regard purificateur et libérateur allait partout, pénétrait partout, apportant l'amour et la rédemption.

Le Christ a révélé l'amour au monde. Et cet amour s'est exprimé par cette bouleversante parole de saint Paul: « Pour nous il s'est fait pauvre, de riche qu'il était ».

Il avait tous les droits, Il avait tous les pouvoirs ; Il a renoncé à tout; Il a voulu être semblable au plus petit d'entre les hommes. Et dans ce total dépouillement s'est incarnée la plénitude même de Dieu.

C'est pourquoi tous les malheureux de ce monde, tous les misérables, tous les vagabonds constituent Son cortège de prédilection et marchent à Sa suite. C'est pourquoi aussi, là où sont les pauvres, les souffrants, là Il Se trouve, là Il est chez Lui.

Il peut avoir compassion d'eux parce qu'avant l'aurore des siècles, Il a pris sur Lui tout ce qui pouvait les faire souffrir. Il n'a jamais été le tribun ni le révolutionnaire que certains ont voulu voir en Lui ; Il a été l'ami, l'ami de tous les souffrants, de tous les opprimés, de tous les trahis; Il a recueilli en Son coeur toutes leurs douleurs, toutes leurs larmes, leur misère matérielle et leur misère morale plus douloureuse encore ; comme eux Il a connu la faim, le froid et la chaleur, la fatigue sous toutes ses formes. Il a eu compassion des pécheurs, de ceux qui se désaltèrent à des sources empoisonnées, de ceux qui subissent tous les esclavages, et dont le destin, est cependant de devenir un jour les rois de la Création. Et le plus immense témoignage de Sa compassion, c'est cette mort qu'Il a acceptée, qu'Il a voulue, pour laquelle Il est venu.

Nous vivons au sein de la foule, mais combien en est il qui la regardent? et de quel regard la considèrent ils? Nous sommes trop pris par nos soucis personnels pour arrêter notre pensée sur les peines des autres. Au reste, on s'habitue si facilement à les voir souffrir! Nous n'aimons pas entendre les autres raconter leurs misères ; et nous avons plus de peine encore à les entendre raconter leurs joies.

Le Christ nous a dit que le plus grand commandement est d'aimer le prochain comme nous mêmes. Il ne faut pas que ce soient là de belles paroles ; il faut que nous ayons des coeurs qui comprennent ceux qui souffrent et qui prennent sur eux leurs souffrances. L'amour, c'est le tout de la vie ; rien ne remplace l'amour.

Dans son poème « La Prière et l'Aumône » Louis Ratisbonne a écrit : « Joindre les mains, c'est bien ; mais les ouvrir, c'est mieux ».

Et Sédir : « Le véritable amour de Dieu, c'est l'amour du prochain qui l'engendre » (1)

Les êtres qui nous entourent ont été, comme nous, créés à l'image de Dieu. Si nous pouvions les regarder avec le regard du Christ !

N'a‑t‑il pas dit: « je vous ai donné un exemple afin que vous aussi vous fassiez comme je vous ai fait » ?

(1) Méditations pour chaque Semaine, XVIII, La Compassion. Initiations, La Vierge. Les Guérisons du Christ, IV, L'Amour divin.

Emile BESSON.Octobre 1971