LES FARDEAUX

Portez les fardeaux les uns des autres, Chacun portera son propre fardeau.  (St Paul aux Galates ‑ VI ‑ 5)

Les deux paroles de l'apôtre Paul que nous venons de lire ne sont nullement contradictoires.

« Portez les fardeaux les uns des autres » Quels fardeaux ? ‑ Tous les fardeaux.

C'est d'abord prendre sur soi quelque chose des souffrances, des fatigues, des peines qui accablent notre prochain. C'est accomplir le devoir de l'altruisme, de la charité envers le malheureux qui est notre frère le plus proche. Il n'est personne qui n'ait un jour ou l'autre besoin du dévouement d'autrui; il n'est personne qui ne soit tôt ou tard sollicité par l'obligation morale d'aider le prochain. Dans la vie de chaque jour nous avons besoin les uns des autres; l'homme ne peut pas vivre séparé des hommes; le contact avec les autres lui est indispensable; la vie en société est la condition de l'existence. La poésie de Sully Prudhomme est dans toutes les mémoires :

« Le laboureur m'a dit en songe : Fais ton pain;

je ne te nourris plus, gratte la terre et sème. 

je connus mon bonheur et qu'au monde où nous sommes

Nul ne peut se vanter de se passer des hommes;

Et, depuis ce jour‑là, je les ai tous aimés. »

C'est ensuite supporter les ennuis que les fautes des autres peuvent nous occasionner. Les plus élevés parmi les êtres sont faillibles et il petit arriver que nous ayons à souffrir de la part de ceux dont nous l'attendrions le moins C'est faire preuve de compréhension, c'est faire preuve de solidarité humaine que d'endurer ces désagréments. Ne nous arrive‑t‑il pas, à nous, de faire de la peine à ceux que nous aimons le plus ?

Les fautes des hommes se répercutent sur la société tout entière. Il faudrait supporter ces contrecoups avec sérénité, car ils sont la conséquence de la solidarité dans laquelle Dieu a voulu que les hommes vivent les tins avec les autres. L'humanité est réellement un corps; or « quand un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui et, quand un membre est heureux, toits les membres le sont aussi » (I Corinthiens 26). Une bonne action accomplie à une extrémité du monde se répercute jusqu'à l'autre extrémité ‑ et il en est (le même d'une mauvaise action. Dans ce sens les fautes des uns sont les fautes des autres. Si nous sentions davantage cette solidarité qui unit tous les membres de la famille humaine, notre vie individuelle serait plus riche et plus féconde.

Souvenons‑nous aussi que l'apôtre nous demande, de porter les fardeaux des autres, et non pas de les traîner, Au reste, devant Dieu qui est innocent ?

Il y a une solidarité du bien comme il y a une solidarité du mal. Le mal est une contagion qui sévit dans le monde et celui qui fait le mal est solidaire de tous ceux qui, au travers du temps et de l'espace, font le mal. Le moyen de neutraliser ce mal est assurément de ne pas le commettre soi même, mais c'est aussi d'en subir les conséquences, à l'image du Christ qui, selon la parole du prophète Isaïe, « s'est chargé de nos infirmités et a porté nos maladies ».

Vivre pour les autres. Le portement des fardeaux d'autrui peut revêtir des formes pernicieuses. Sous prétexte de porter les fardeaux du prochain, il ne s'agit pas de considérer l'humanité comme une galerie devant laquelle on parade; il ne s'agit pas de se mettre en représentation ni de jouer un rôle  Vivre pour les autres, ce n'est pas non plus vivre en esclave des conventions; être le reflet, l'écho du comportement des autres, s'habiller au goût du jour, selon que « cela se porte », organiser sa maison selon que « cela se fait », ou encore aller dans la direction ou à contre courant du « sens de l'histoire ». Ce n'est pas vivre que d'abdiquer toute personnalité, qu'être « les autres ».

La pire manière de vivre pour les autres est de vivre à leur place. Que de personnes, particulièrement parmi les parents, pensent pour ceux qu'elles aiment, raisonnent pour eux, travaillent pour eux, les obligent à vivre comme elles l'entendent ! Comme si leur idéal était d'en faire des copies, des reflets! Nous devons développer la personnalité de ceux que Dieu nous a donnés, les mettre en mesure de vivre par eux‑mêmes. C'est porter une lourde responsabilité que de prendre la vie des autres et de la vivre soi‑même. Notre devoir est de respecter la conscience d'autrui, de l'épanouir ‑ non pas de l'étouffer, de l'éteindre !

Portez les fardeaux les uns des autres, dit l'apôtre, qui ajoute : C'est accomplir la loi du Christ. Et il poursuit: Chacun portera son propre fardeau.

Ceci est un fait d'expérience quotidienne. Il y a une solidarité collective et il y a une solidarité individuelle. Nous sommes entourés de « la grande nuée de témoins » ; cette bienveillance est spirituelle et assurément elle nous aide. Mais, parallèlement, dans l'accomplissement de notre tâche, nous sommes seuls responsables devant Dieu, nous portons notre propre fardeau. C'est à nous que revient l'effort à faire , la bonne volonté à mettre dans le travail qu'il S'agit d'accomplir. Nul de nous ne vit pour soi‑même, mais aussi nul de nous ne vit pour soi seul. Et mieux nous accomplirons notre tâche personnelle, mieux nous servirons le prochain, mieux nous servirons le Père qui nous a envoyés.

Et puis, il arrivera un moment où il nous faudra porter notre propre fardeau. Ce sera lorsque, tu dernier de nos jours, nous ferons le bilan de notre vie. Chacun de nous est responsable de lui‑même; nous savons que nous aurons des comptes à rendre à Dieu. Mais nous savons aussi que nous lie serons pas seuls en cette heure suprême. Tous les actes d'amour que nous aurons accomplis ici‑bas seront là et c'est au travers d'eux que passera  se posant sur nous, le regard de notre éternel Ami.

Emile BESSON. Avril 71.