LA REDEMPTION DE LA NATURE

La nature attend anxieusement la révélation des fils de Dieu. (Epître aux Romains, VIII, 19).

A l'origine du monde le Christ est descendu à travers les campagnes de l'Infini, par delà les constellations et les galaxies, traçant le chemin par où la création remonterait vers le Père.

Nous nous imaginons que la nature est immobile et impassible; c'est que nous ne la connaissons pas. Nous n'avons pas idée du foisonnement formidable de la vie universelle. Et en particulier nous ne percevons pas le rapport de la nature avec la créature humaine.

Un lien étroit unit l'homme et la nature. « Le champ a des yeux et le bois, des oreilles », disait Andréas au docteur. Cette parole est vraie pour l’univers tout entier. Partout est la vie sous des formes infiniment variées et infiniment changeantes. La nature entend les paroles des hommes, elle obéit aux commandements de Dieu, et la vie de la nature parle à la vie de l'homme.

Lorsque la sainte Famille s'en allait en Egypte, le dattier a courbé ses branches pour offrir ses .fruits à l'Enfant et à Ses parents qui avaient faim.

Si les disciples s'étaient tu dans l'allégresse du jour des Rameaux, les pierres, selon la déclaration du Christ, auraient crié leur enthousiasme.

Quand le Christ eut à payer l'impôt, un poisson apporta la pièce de monnaie dont Il avait besoin. Lorsque la tempête secoua la barque des disciples, le Christ lui ordonna de se calmer, et elle s'apaisa.

Lorsque des êtres étaient aux prises avec la ,maladie, le Christ parlait au Mal, et celui‑ci se retirait. Quand Son ami Lazare mourut, le Christ commanda à la Mort et elle laissa aller son prisonnier.

Quand Jésus et Shiva cheminaient côte à côte dans la jungle obscure, les feuilles qu'effleurait le dieu séchaient, les pierres qu'heurtait son pied se pulvérisaient, des oiseaux et des singes et d'autres bêtes tombaient mortes ; mais Jésus, tout en marchant, touchait du pied ou de la main la branche ou l'animal que le contact de Son compagnon avait fait mourir, et la branche reverdissait et l'animal revenait à la vie.

Lors des douleurs indicibles de la Passion, la lune et les étoiles qui avaient éclairé la scène du Gethsémani, le soleil dont les rayons étaient tombés sur le Golgotha se voila de désespoir et le roc qui s'était prêté à l'exécution du crime se fendit d'effroi par le travers de ses veines. A la neuvième heure la nature s'arrêta de vivre, elle cria sa douleur, le voile du Temple se déchira en deux depuis le haut jusqu'au bas ; des tombeaux s'ouvrirent.

Les Evangiles racontent en termes pathétiques que, lors de l'avènement du Fils de l'homme, « il y aura de grands tremblements de terre, des phénomènes prodigieux dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles , les puissances des cieux seront ébranlées; sur terre, au milieu du fracas de la mer et des flots, les nations seront paralysées d'angoisse ».

« Le champ a des yeux et le bois, des oreilles ». Un serviteur du Ciel a dit un jour: « Ne prononcez .pas le mot de grève générale, la terre pourrait entendre ».

Les chemins de croix que la piété des paysans a tracés si nombreux dans les campagnes, c'était autrefois la communion poignante du peuple douloureux pressuré de toute façon avec son Dieu montant au supplice. Les humbles revivaient l'espérance éternelle qui ne s'achète qu'au prix de la douleur.

La vie est partout dans l'univers. La guerre aussi est partout. La magnifique parure dont la nature couvre le monde ne doit pas faire oublier la lutte obscure des racines dans le sol, le combat perpétuel des branches contre les forces qui s'opposent à leur croissance. Trop souvent l'homme laisse s'obscurcir la lumière que Dieu a allumée en lui et il vénère le mal, le mal physique et le ‑mal moral ; aussi le Christ le compare‑t‑Il parfois au « mauvais arbre qui produit de mauvais fruits ». Trop souvent il manque de respect à cette nature, il la traite en pays conquis; trop souvent l'homme brutalise la terre dont il est né ; il l'exploite, il tire d'elle tout ce qu'il lui est possible d'en tirer, il l'épuise et, ce faisant, il est responsable des catastrophes que sa cupidité peut déclencher.

« La nature attend anxieusement la révélation des fils de Dieu ». Et saint Paul ajoute ‑ « Elle gémit et elle endure les douleurs de l'enfantement mais elle garde l'espérance ».

Si l'homme avait écouté la parole de Dieu, s'il avait obéi aux commandements de Dieu, il aurait été véritablement l'ambassadeur de Dieu dans ce monde où il a été placé.

L'homme est responsable des exemples qu'il donne. Le moindre de ses gestes a une importance qui. le dépasse. Le caillou qu'il lance contre un adversaire sent cette colère et la garde en lui.

Si l'homme regardait davantage la nature, il ferait l'apprentissage de l'harmonie. Au contact de la nature immensément généreuse, prodigue, Il apprendrait la charité, l'humilité, la soumission. Lé poète lui demandait dé se laisser instruire par la fidélité formidable des astres.

C'est pourquoi Sédir disait à ses amis : « Il n'y a pas une minute à perdre », car, tout indignes que nous soyons, nous sommes la réponse vivante au cri de douleur et d'espoir des générations.

Le disciple du Christ Porte le Christ avec lui au long des journées, dans tous ses actes, dans tous ses travaux. La moindre réalisation d'amour, la plus petite victoire remportée sur le moi, le plus minime acte d'obéissance atteint plus haut que les étoiles. Et quand la rédemption de l'homme sera accomplie, la rédemption de la nature le sera aussi.

La nature attend anxieusement la révélation des fils de Dieu. Cette immense nature a son évolution  ces océans, ces montagnes, ces astres ont leur destin. A cause de Jésus, l'homme est le rédempteur de l'homme, il est aussi le rédempteur de la nature. L'homme est à la fois beaucoup plus et beaucoup moins qu'il ne le croit. Et chaque geste, chaque attitude du plus pauvre d'entre les hommes a son importance. L'homme, si faible qu'il soit maintenant, a été mis par Dieu au milieu de la nature pour l'achever et la lui offrir. L'homme est le roi de la création ; sa mission est de transmettre au monde le message que le Christ a apporté, les paroles de la vie éternelle, « l'unique chose nécessaire »,. « Le ciel et la terre passeront, mais, mes paroles ne passeront pas ». Là où un serviteur du Ciel a passé, jusqu'à la fin du monde on peut retrouver sa trace. Les vrais disciples du Christ portent partout où ils vont « l'Eucharistie de leur coeur » et tous ceux qui les rencontrent, la terre la rivière la forêt le chemin en reçoivent un bienfait.

Pour terminer, ouvrons nos coeurs à ce que la nature dit à l'homme. Un même élan pousse la création tout entière vers la perfection, vers Dieu. Le grand voyageur que fut Maxime du Camp le dit en des termes. profondément émouvants : « Cette aspiration vers le plus élevé, vers le meilleur, écrit‑il, qui est l'aiguillon de tant d'âmes et le secret de tant d'efforts, il me semble que l'homme n'est pas le seul à la ressentir. Ne vibre‑t‑elle pas dans l'universalité des êtres, dans l'universalité des choses ? La nature entière, dans sa diversité, rêve peut‑être de s'améliorer, de s'embellir, de se purifier. Entre le ciel et la terre, il y a bien des voix mystérieuses ; on les entend, il faut les écouter et les comprendre. Est‑ce un hymne d'actions de grâce. Ne serait‑ce pas une prière désespérée

Il y a longtemps, par une nuit claire et bleue des pays tropicaux, pendant que les dix sept étoiles de la Croix du Sud éclataient à l'horizon austral. je dressai l'oreille à un bruit imperceptible qui passait sur le désert. C'était plus qu'un soupir, c'était moins qu'un sanglot. N'était ce que le vent qui murmurait en frôlant les sables ? Le Nubien qui me servait de guide me dit alors : « Ecoute le désert. Entends tu comme il pleure 1 Il a soif, il se lamente, parce qu'il voudrait être une prairie ». Et Maxime du Camp termine par ces paroles : « Cette plainte de la solitude et de l'aridité, ma mémoire me l'a répétée bien souvent. Tous en effet, nous portons en nous mêmes un désert qui voudrait être une prairie. Si l'homme aspire à devenir un Dieu, pourquoi la fleur ne rêverait elle pas de devenir un oiseau pendant qu'elle reste seule à voir tourner son ombre à ses pieds ? »

« Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ».

Emile BESSON. Octobre 67