De quels signes les inspirations de Dieu sont précédées, accompagnées et suivies. Comment on doit les souhaiter et les recevoir.
1. Nous avons assez parlé des marques par lesquelles on peut reconnaître l'esprit de Dieu. Mais pour tâcher de rendre ce traité plus accompli, j'ai dessein d'examiner encore plus exactement avec saint Bernard, par quelle adresse et par quelle vigilance l'âme fidèle doit observer le temps que Dieu la visite, en s'appliquant très soigneusement à reconnaître l'arrivée de l'Époux ; afin qu'aussitôt qu'il sera venu, et qu'il aura frappé à la porte de son coeur, elle lui ouvre sans retardement. Heureuse l'âme que le Seigneur aura trouvé vigilante, aussitôt qu'il sera venu vers elle ! Cette vigilance lui fera mériter d'en être souvent visitée, et il lui fera entendre des paroles de paix et de salut, des paroles d'amour et de joie. Voici les marques de la venue de ce divin Époux, que ce saint Docteur témoigne avoir apprises tant par son expérience propre, que par l'expérience des autres.
La première est la suggestion à des choses qui sont bonnes. Si je suis averti, dit-il (57. in Cant. n. 5.), ou au dehors par un homme, ou au dedans par l'esprit, d'observer la justice et de garder l'équité, cet avertissement salutaire m'annoncera très-assurément que ce saint Époux de l'âme est tout prêt de venir en moi, et me fera une préparation à recevoir sa visite toute céleste et toute divine. C'est le Prophète qui m'apprend ce signe des approches de l'Époux en disant : La justice marchera devant lui (Psal. 84. 14.) , et disant encore : La justice et l'équité préparent son trône et sa demeure (Ibid. 88. 15.). J'aurai encore la même espérance de sa venue, si sa parole m'instruit de l'humilité, de la patience, de la charité fraternelle, de l'obéissance qu'on doit aux supérieurs, et principalement de la sainteté des moeurs, de la paix, de l'obligation que l'on a de chercher l'entière pureté du coeur : puisque l'Écriture sainte nous dit que la sainteté est l'ornement de la maison du Seigneur (Ibid. 92. 5.), qu'il établit sa demeure dans la paix (Ibid. 75. 3.) , et que ceux qui ont le coeur pur, verront Dieu (Mat. 5. 8.). De sorte que tout ce qui me sera suggéré soit de ces vertus soit des autres vertus chrétiennes, me sera un signe que le Seigneur des vertus est sur le point de me favoriser de sa visite.
La correction est la seconde marque de l'approche de l'esprit de Dieu, selon saint Bernard. Si le juste, dit Père (Serm. 57. in Cant. n. 6. - Psal. 140. 5.), me corrige avec charité et me fait des réprimandes sévères, j'aurai le même sentiment de l'approche de l'esprit de Dieu, sachant que le zèle du juste et sa bienveillance préparent le chemin à celui qui monte sur l'Occident, comme parle le Prophète (Psal. 5. 67.). C'est un favorable Occident lorsqu'un homme n'est point abattu par la correction que lui fait le juste, et qu'au contraire le vice tombe par terre, et que le Seigneur monte sur ce vice le foulant aux pieds et le brisant de peur qu'il ne se relève. Il ne faut donc pas rejeter la correction du juste, puisqu'elle est la ruine du péché, la guérison du coeur, et aussi la voie par laquelle Dieu s'approche de l'âme.
L'exhortation est la troisième marque de l'approche de l'esprit de Dieu observée par saint Bernard. Il ne faut, dit ce Père (Serm. 57. in Cant. n. 6.), écouter négligemment aucun discours qui peut édifier pour la piété, pour les vertus, pour les bonnes moeurs. Car ce sont autant de chemins par lesquels la grâce salutaire de Dieu se vient montrer à nous (Psal. 49. 23.). Que si les discours qui nous doivent être utiles, commencent à nous être agréables et doux, en sorte qu'au lieu d'en avoir quelque dégoût nous les désirions et les aimions en les écoutant ; alors nous devons croire que non-seulement l'Époux vient, mais qu'il se hâte, c'est-à-dire qu'il s'avance en désirant d'arriver bientôt. Car c'est son désir qui produit le vôtre et de ce que vous vous hâtez de recevoir ses paroles, cela vient de ce qu'il se hâte d'entrer en vous : puisqu'il est certain que ce n'est pas nous qui l'avons aimé les premiers, mais que c'est lui qui nous a aimés le premier (I. Joan.4. 19 ).
La componction est la quatrième marque , selon saint Bernard, de l'approche de l'esprit de Dieu. Si vous sentez, dit ce Père (Serm. 57. in cant. n. 6. - Psal. 118. 40.) , que la parole de Dieu soit de feu pour vous, et qu'elle vous brûle au dedans par le souvenir de vos péchés, pensez alors qui est celui dont l'Écriture dit, que le feu marchera devant lui (Psal. 96. 3.), et ne doutez point qu'il ne soit proche, étant encore assuré d'ailleurs que le Seigneur est proche de ceux a qui la componction brise le coeur (Psal. 33. 19.).
La conversion est la cinquième marque qui nous est indiquée par saint Bernard, de la venue de l'esprit de Dieu. Si sa parole, dit-il (Serm. 57. in Cant. n. 7.), ne produit pas seulement en vous des sentiments de componction, mais vous convertit entièrement au Seigneur, vous faisant jurer et résoudre fortement, à l'exemple du Prophète, de garder les ordonnances de sa justice (Psal. 118. 106.), vous devez, alors reconnaître qu'il est déjà présent, principalement si vous vous sentez embrasé de son amour : car nous voyons l'un et l'autre dans la parole de Dieu, et que le feu précède son arrivée (Ibid. 96. 3.), et qu'il est lui-même un feu, selon ce témoignage de Moïse : Le Seigneur votre Dieu est un feu consumant (Deut. 4. 24.). Mais il y a cette différence entre ces deux feux, que celui que Dieu envoie devant sa venue a de l'ardeur, mais ne donne point encore d'amour ; il commence à brûler ce qui est impur, mais il n'achève pas de le consumer ; il ébranle, mais il n'emporte pas ; il est seulement envoyé pour exciter et pour préparer, et aussi pour vous avertir de ce que vous êtes par vous-même, afin que vous goûtiez davantage ce que vous serez bientôt par le changement que Dieu daignera faire en vous. Mais le feu qui est Dieu même brûle en faisant sentir de la douceur, et ne fait que de très heureuses destruction. Reconnaissez donc le Seigneur présent dans la vertu qui vous change, et dans l'amour qui vous enflamme.
La grâce qui élargit et qui éclaire le coeur, est la sixième marque de la venue de l'esprit de Dieu, enseignée par saint Bernard. Après, dit ce Père (Serm. 57. in Cant. n. 8.), que ce feu a consumé toutes les taches du péché et toutes les souillures des vices, si votre conscience étant ainsi purifiée et calmée, vous sentez ensuite une soudaine et extraordinaire dilatation du coeur, et un épanchement de lumière dans l'esprit, soit pour entendre l'Écriture sainte, soit pour pénétrer les mystères, dont l'un nous est donné, comme je pense, pour notre propre consolation, et l'autre pour l'édification du prochain, c'est sans doute un effet de l'oeil de l'Époux qui vous regarde et qui fait paraître votre justice comme la lumière, et votre innocence comme le soleil en son midi (Psal. 36. 6.), selon ces paroles d'Isaïe : Votre lumière se lèvera comme le soleil (Isa. 58. 10.).
La grâce par laquelle Dieu nous insinue sa volonté, est la septième marque de la venue de son Esprit, selon Saint Bernard. Après ce regard si plein de miséricorde et de bonté, dit ce Père (Serm. 57. in Cant. n. 9.), on entend la voix qui insinue doucement et agréablement la volonté divine : et ce n'est autre chose que l'amour qui ne peut être dans l'oisiveté, mais qui sollicite et exhorte à tout ce qui est de Dieu. Enfin cette voix divine dit à l'Épouse qu'elle se lève, qu'elle se hâte (Cant. 2. 10.), et il ne faut point douter que ce ne soit afin qu'elle aille gagner des âmes. Car c'est le propre de la contemplation sincère et désintéressée de remplir quelquefois l'âme, qu'elle a plus ardemment enflammé par un feu divin, d'un zèle et d'un désir d'autant plus grand d'acquérir à Dieu des personnes qui l'aiment comme elle, qu'elle lui fait plus volontiers interrompre son repos pour s'appliquer à l'instruction des autres. Et est aussi le propre de cette contemplation après qu'elle a contenté ses désirs vers le prochain, de retourner à son exercice avec d'autant plus d'ardeur qu'elle ne l'a interrompu que pour une plus grande utilité. Et après qu'elle a recommencé à goûter les saintes délices de la contemplation, elle retourne encore, avec plus de vigueur et de joie, à faire de nouveaux gains. Voilà comme saint Bernard s'explique sur ce sujet, dépeignant ensuite la peine ou se trouve l'âme qui aime Dieu dans les vicissitudes de l'action et de la contemplation dont elle ne saurait s'exempter.
II. De ces sept marques que nous avons rapportées de saint Bernard pour reconnaître les inspirations divines, les quatre premières la précèdent, les trois dernières l'accompagnent : mais il faut qu'il y en ait encore d'autres qui la suivent. Le divin Epoux venant dans l'âme comme en son jardin, y cueille de la myrrhe avec d'autres plantes aromatiques, y laissant de fervents désirs d'une mortification héroïque, et de toutes les autres vertus dont elle est comme la racine. Notre-Seigneur Jésus-Christ, dit Richard de saint Victor (In. Cant. 32.), cueille la myrrhe, quand il achève le travail qu'il a commencé dans l'âme pour lui faire atteindre la perfection de la vertu ; et il lui donne un amour plein de force et de douceur, afin qu'elle trouve ses délices à faire ce qu'elle avait auparavant eu une plus grande aversion. Il lui donne toute la consolation et tout le goût dont elle a besoin, répandant en elle la lumière des vérités de la foi avec un tendre sentiment des mystères qui y sont cachés, et la remplissant d'une incroyable douceur ; afin que l'entendement et la volonté se nourrissent de ces vérités mystérieuses et divines, et que ces deux puissances y trouvent conjointement les délices qui leur sont propres. Notre-Seigneur, par l'abondance de ses consolations, cause à l'âme comme un saint enivrement, la remplissant d'une très grande ferveur, et tempérant tellement en elle le zèle avec la discrétion, qu'elle n'entreprend jamais de travail qui passe ses forces et qu'elle n'a point de zèle qui excède sa science.
Saint Bernard explique encore ailleurs d'autres signes de la venue et de la présence de l'esprit de Dieu. Si je sens, dit ce Père (Serm. 69, in Cant. n. 6.), que Dieu m'ouvre l'esprit pour me faire entendre les Écritures, ou que la parole de la sagesse sorte comme en abondance du fond de mon cur, ou qu'une lumière d'en-haut se répandant en mon esprit me révèle les divins mystères, ou que le Ciel m'ouvre comme un large sein, et que je sente tomber en mon âme, comme une abondante et féconde pluie des vérités qui l'occupent et qui la remplissent, je ne doute plus que L'poux ne lui soit présent. Que si pareillement je sens se répandre en moi un sentiment de piété qui soit humble, mais qui remplisse le fond de mon coeur, en telle sorte que l'amour de la vérité dont je suis instruit produise en moi nécessairement un mépris et une haine de toutes sortes de vanités pour m'empêcher d'être enflé par la science, ou de m'élever des fréquentes visites de Dieu que je reçois : alors je reconnais que je suis traité avec une bonté toute paternelle, et je ne doute plus que le Père des miséricordes ne me soit présent. Que si je persévère à répondre aux grâces dont il daigne me favoriser, avec des perfections et une conduite qui soient dignes de ses bien-faits, et que la grâce de Dieu ne soit point inutile en moi ; alors le Père qui nourrit mon âme, et le Verbe qui l'instruit, établiront conjointement en moi leur demeure.
III. Dieu par son inspiration opère en l'âme toutes choses par des moyens qui sont divers, et qui sont tellement cachés qu'ils ne sont pas même connus de celui qui les reçoit. Car je confesse, dit S. Bernard (Ser. 74. in Cant. n. 5. ), que j'ignore d'où l'esprit de Dieu est venu dans mon âme, selon cette parole de Notre-Seigneur : Vous ne savez point d'où il vient, ni où il va (Joan. 3. 8.). Et l'on n'a point sujet de s'en étonner, parce que c'est celui auquel il est dit : On ne pourra reconnaître les traces de vos pas (Psal. 76. 20.).
On connaît sa présence par ses effets, parce qu'il remplit l'âme de sa clarté, qu'il l'élève au-dessus d'elle-même, qu'il lui donne du dégoût pour toutes les choses de la terre, qu'il l'enflamme de l'amour saint, qu'il rétablit dans un état paisible et tranquille, qu'il l'arrose abondamment de sa grâce, afin qu'elle fasse du fruit de plus en plus, qu'elle croisse en perfection et qu'elle s'élève jusqu'à la vie éternelle. Or encore que cet esprit saint souffle où il veut (Joan. 3. 8.), en nous prévenant, comme il lui plaît, de ses bénédictions (Psal. 20. 4.), il faut néanmoins lui demander ses grâces avec des désirs ardents et des prières ferventes et assidues, afin qu'il daigne descendre en nous comme en une terre où il faut qu'il apporte la fécondité, et d'où il faut qu'il éloigne les froids pour y faire souffler un vent chaud et doux. Eloignez-vous, aquilon, dit l'Epouse sainte, et venez, vent du midi, souffler sur les plantes et les fleurs de mon jardin, afin qu'elles répandent leurs douces odeurs (Cant. 4. 16.). Fuyez, dit cette Epouse, et retirez-vous, aquilon, esprit de tristesse et d'impureté, qui n'avez ni lumière ni chaleur, et laissez souffler le vent de midi qui vient du côté de la chaleur et de lumière. Venez, esprit de bien, source de chaleur et de la lumière ; venez, divin souffle, vous répandre sur mon âme qui vous est toute consacrée, et arrosez-la , comme d'un fleuve, des grâces dont elle a besoin pour être féconde en toutes sortes de vertus, et pour en épancher les odeurs.
Il est encore besoin de préparer notre âme à recevoir les inspirations divines par la mortification de nos désirs et de nos sentiments naturels, de crainte que cet Esprit-Saint venant en elle, ne la trouve partagée par de différentes inclinations, et ne la trouve répandue au dehors par des affections inconstantes et vagues. Car cette sentence de saint Bernard est très véritable (Ser. 3. de Asc. n. 7.), que l'âme ne saurait être remplie des visites de Notre-Seigneur, pendant qu'elle est engagée , aux distractions du siècle, et que plus elle s'en dégagera, plus elle sera remplie de ces visites divines. Si elle s'en dégage beaucoup, elle en sera beaucoup remplie ; si elle ne s'en dégage que peu, elle n'en pourra recevoir que peu. Or, après que l'âme aura été favorisée de la venue de Notre-Seigneur, et que la grâce de sa visite l'aura toute remplie, elle doit le retenir par une instante prière et par la disposition sainte avec laquelle elle reçoit ses faveurs ; elle doit avoir une extrême reconnaissance de ses grâces, et doit prendre soigneusement garde à n'en jamais abuser par la moindre enflure de présomption ; ce qui lui serait aussi pernicieux qu'il serait injurieux à son divin bienfaiteur. Il a été inutile à plusieurs, dit saint Bernard (Ibid. 74. in Cant n. 8.), d'avoir reçu ces grâces de Dieu, pour n'avoir pas reçu la grâce de se modérer dans la connaissance et la possession de la vérité, comme elles avaient reçu les autres grâces dont elles se sont superbement élevées ; et il leur est arrivé de là qu'elles ont été privées des grâces dont elles ont voulu se prévaloir, et dont elles ont eu une complaisance eccesive en elles-mêmes. De sorte qu'on aurait pu leur dire, quoique peut-être trop tard : Apprenez ce que c'est que de servir le Seigneur avec crainte, et que de se réjouir avec tremblement de ses grâces (Psal. 2. 11.). Car une âme sainte a dit autrefois dans son abondance : Je ne serai jamais ébranlée (Ibid. 29. 7.) ; et aussitôt elle a senti que le visage du Verbe s'est détourné, et qu'ensuite elle a été non-seulement ébranlée, mais qu'elle est tom bée dans le trouble. Et ainsi dans la tristesse où elle a été abattue, elle a appris qu'elle avait besoin, avec la grâce de la piété et de la ferveur, du poids de la vérité qui l'empêchât de s'élever trop par la vaine légèreté de sa nature.
L'humilité est donc extrêmement nécessaire après avoir été favorisé de la visite de Dieu ; et il est besoin d'entrer dans le sentiment de l'Apôtre, qui dit à Jésus-Christ en se jetant à ses pieds : Seigneur, retirez-vous de moi, parce que je suis un pécheur (Luc. 5. 8.). Il est nécessaire de joindre une profonde reconnaissance à une sincère humilité, et en reconnaissant son indignité propre, il faut référer la grâce qu'on a reçue à la pure bonté de celui de qui seul procède tout ce qui est bon (Jac. 1. 17.). Enfin il faut joindre la prudence et la circonspection à ces deux autres vertus, afin d'accomplir avec fidélité tout le bien auquel l'inspiration de Dieu excite et porte notre âme