TROISIÈME CONFÉRENCE

 

Les trois grands faits annoncés dans les prophéties

Les méprises d’Israël

 

 

Mes frères, en reprenant, après les fêtes de Noël, la série de ces conférences, je crois devoir d'abord rappeler en quelques mots les principes que j'ai posés.

Dans la première conférence, j'ai montré que, s'il y a réellement, dans l'Ancien Testament, des prédictions surnaturelles de l'avenir, ces textes doivent être obscurs, plus ou moins équivoques, et que le sens prophétique doit en être caché et ne pouvoir être découvert qu'à la lumière de la connaissance de l'événement accompli, ces textes étant adressés non aux contemporains, mais aux générations futures qui seules peuvent contrôler l'accord entre la prophétie et son accomplissement. J'ai ajouté qu'à côté, autour de ce sens ou de ces sens prophétiques (car ils sont quelquefois multiples) il y avait dans beaucoup d'endroits un sens apparent, extérieur, un sens compris par les contemporains, et que ce sens n'était pas le même que le sens prophétique.

De là j'ai conclu que la critique historique qui, par ses méthodes, cherche à découvrir le sens d'après la pensée des contemporains de l'auteur (quant à celle de l'auteur lui. même, c'est un phénomène psychologique où nous n'avons pas à entrer ; nous ne savons pas si le prophète a compris ou n'a pas compris ce qu'il disait) ; la critique, qui cherche à découvrir le sens d'après la pensée des contemporains, ne trouve pas le sens prophétique ; elle en trouve un autre qu'il est bon de connaître ; et les résultats de cette critique, quels qu'ils soient, ne nuisent pas à la force de la preuve apologétique.

Appliquant ces principes au grand phénomène de l'attente du Messie et aux textes prophétiques qui ont produit cette attente, j'ai montré que ces textes prophétiques avaient un sens extérieur et apparent ; qu'ils conduisaient à l'idée d'une restauration politique de la dynastie de David sur le trône d'Israël et, par là même, à l'idée de la délivrance du peuple d'Israël, soumis aux Romains. À ces idées de restauration et de délivrance, on joignait encore l'idée que le roi d'Israël, lorsqu'il aurait affranchi son peuple du joug des étrangers, prendrait sa revanche, et soumettrait au peuple juif, à titre de vassaux, tous les peuples du monde et tous les rois de l'univers.

J'ai dit que ce sens prophétique n'était que le sens apparent et extérieur ; et que le sens véritable couvert par les mêmes paroles était le sens spirituel, d'après lequel il s'agit, non pas d'une royauté politique, mais d'un empire du ciel sur les âmes ; que, par le terme d'Israël, on devait entendre non l'Israël d'autrefois, mais le peuple chrétien, et, par les termes de Sion et de Jérusalem, non pas la ville de Jérusalem située dans la Palestine, mais la vraie Jérusalem, c'est-à-dire l'Église de Dieu. J'ai montré que c'était l'interprétation donnée par Notre-Seigneur. Il me reste à compléter ce sujet.

 

D'une part, je voudrais montrer, sans m'appuyer sur les paroles de Notre-Seigneur, que cette interprétation des textes prophétiques est légitime ; que ce n'est point une altération du texte ni une invention arbitraire pour échapper aux difficultés, mais la vraie interprétation. Puis, une fois que j'aurai justifié cette interprétation, qui applique à l'Église les promesses qui, en apparence, s'appliquaient au royaume terrestre d'Israël, j'espère vous montrer que l'enseignement général des prophètes, qui a produit cette attente du Messie, contient des prédictions extrêmement claires d'événements qui se sont accomplis quatre, cinq ou six siècles après que les prophètes ont écrit, et que cet accomplissement est absolument surnaturel, qu'il ne peut s'expliquer que par la prescience de Dieu et sa toute-puissance.

 

Avant de commencer, je remercie ceux d'entre vous qui m'ont, après la première conférence, manifesté les objections ou les difficultés qu'ils avaient trouvées dans ce que j'ai dit. J'espère qu'à l'avenir ceux qui trouveraient que les principes que j'expose donnent lieu à certaines objections ou paraissent obscurs, auront la bonté de me le communiquer, soit, verbalement, soit par écrit ; cette communication entre l'orateur et les auditeurs sera très utile pour le succès de cette grande œuvre de défense de la preuve tirée des prophéties.

 

L'attente du Messie, c'est-à-dire de ce personnage dont le nom signifie roi, sacré roi d'Israël, car c'est là le vrai sens du mot Messie : Meschiah en hébreu, et Christos en grec ; l'attente du Messie présentait aux Israélites un personnage devant jouer un triple rôle : un rôle politique, de roi d'Israël et de libérateur de la nation ; un rôle doctrinal : il devait convertir tous les peuples ; et enfin un rôle que j'ai appelé transcendant et surnaturel, pour éviter le terme propre de la théologie moderne. Ce terme est un peu étrange ; je crois cependant qu'il est préférable que je vous indique ce terme en vous le traduisant ; j'appellerai ce rôle : le rôle eschatologique, ce qui veut dire relatif aux destinées dernières de l'humanité, à la fin du monde, à la fin de toutes choses. Le Messie ne devait pas seulement être le roi d'Israël, le restaurateur du trône de David, mais il devait conduire le peuple d'Israël et l'humanité entière à leur suprême destinée. Il ne devait point avoir de successeur ; selon la pensée des Israélites, il ne devait point mourir. La mort du Messie, la mort du Christ, qui a été suivie de sa résurrection, était précisément le point des anciennes prophéties qui était voilé aux Juifs. Le Messie devait régner toujours, et il devait établir les hommes dans un état définitif de bonheur ou de malheur. Selon la croyance des Israélites de cette époque, si l'on excepte la secte des Saducéens qui ne croyaient pas à la vie future, selon la croyance de la nation entière, cette destinée dernière était ce que nous croyons comme chrétiens : c'était le partage de l'humanité en une portion fidèle qui devait jouir d'un bonheur sans fin, et une portion rebelle qui devait subir des châtiments éternels ; l'expression de la géhenne de feu, qui exprime l'enfer, n'a point été inventée par Notre-Seigneur : elle a été prise dans le langage, dans les croyances de son temps.

Donc le Messie devait, d'une part, être un roi, un roi terrestre et temporel, suivant la pensée des Israélites ; mais, d'autre part, il devait être le roi du ciel, le roi des élus, le roi de la société des saints, et le juge qui condamne et qui précipite dans la géhenne les méchants.

 

Comment s'accordaient, dans la pensée des Israélites, ces deux rôles qui diffèrent et qui même semblent incohérents ? Il est difficile de le savoir. Probablement, dans l'esprit de beaucoup d'Israélites, ces idées flottaient confusément ; ils ne savaient pas bien comment les choses s'accordaient ; ils concevaient le bonheur du ciel sous la forme du bonheur terrestre et temporel, et c'est ce que semblent avoir pensé les apôtres qui demandaient à Notre-Seigneur d'être à sa droite et à sa gauche dans son royaume, c'est-à-dire d'être ses premiers ministres.

Néanmoins, pour ceux qui pouvaient réfléchir un peu, il y avait une solution ; elle consistait à supposer que ces deux seraient successifs ; qu'après avoir commencé par établir son trône temporel, par restaurer le trône de David, lui, le Messie, plus tard, à un jour donné, au grand jour du Seigneur annoncé par les prophètes, ressusciterait les morts, précipiterait les méchants dans l'enfer, et établirait son royaume définitif. Telle paraît avoir été la pensée d'une partie des Israélites.

Mais il y avait un autre sens possible du même texte, sens qui leur a échappé et que nous avons adopté. Ce sens consistait à supposer qu'au lieu d'établir, entre le royaume politique et temporel et le royaume céleste et éternel une relation de succession, il y avait, entre ces deux notions, une relation de figure et de réalité ; que le royaume politique n'était destiné qu'à faire manifester aux esprits grossiers la réalité qu'ils ne pouvaient pas comprendre : celle du royaume céleste ; et que, lorsque l'on parlait, dans les prophètes, de cette restauration temporelle, c'était une manière symbolique d'indiquer le triomphe spirituel et universel du Messie.

 

Une telle manière de parler n'a rien de contraire au génie oriental. L'allégorie, la parabole sont extrêmement fréquentes dans la sainte Écriture, et nous savons que, dans le Nouveau Testament, Notre-Seigneur n'a parlé qu'en paraboles. C'était la manière de parler générale de son temps.

De plus, la parabole ou l'allégorie était si simple, sortait si naturellement des idées, qu'on se l'explique facilement.

Que faut-il faire pour transformer tous ces textes prophétiques qui parlent du royaume d'Israël, de la ville de Sion, de Jérusalem, en des termes qui s'appliquent à la béatitude du ciel ? Il suffit de dire : Israël, ce sont les élus dans le ciel ; Sion et Jérusalem, c'est la cité du ciel. Mais qu'est-ce qu'était Israël ? C'était le peuple choisi de Dieu, choisi pour glorifier Dieu parmi tous les peuples. Si, par sa race, le peuple d'Israël sortait de Jacob et d'Abraham, par sa vocation il était le peuple qui adore Dieu. Donc appliquer le mot d'Israël à ceux qui adoreront dans le ciel, quelle que fût leur origine, qu'ils vinssent d'Israël ou d'ailleurs, c'était pour ainsi dire ne pas s'éloigner d'un langage très naturel.

De même Sion et Jérusalem, c'était la montagne et la ville où s'élevait le temple de Jéhovah, le lieu de la terre où on l'adorait. Est-ce que le ciel n'est pas le lieu où Dieu est adoré ? Donc prendre Sion et Jérusalem dans le sens du ciel, c'est tout simplement prendre le sens élevé de ces textes, en laissant de côté le sens inférieur et grossier.

 

Du reste, il est possible que beaucoup d'Israélites crussent que le bonheur du ciel aurait lieu sur la terre, que Jérusalem et Sion subsisteraient, et que c'est même là que les élus seraient réunis pour adorer Dieu. Mais enfin, quelle que fût cette idée, interpréter les mots dans le sens que nous indiquons, n'a rien de contraire à la vraie logique du langage.

 

Nous arrivons à l'Évangile ; et nous y voyons que tout le travail de Notre-Seigneur a été de faire entrer lentement, péniblement, cette idée symbolique dans la pensée de ses apôtres et de ses disciples.

Vous avez sans doute remarqué, dans l'Évangile, ces expressions si fréquentes de : royaume de Dieu ; royaume du ciel ; évangile du royaume ; prêcher le royaume de Dieu. Pourquoi ce mot de royaume ?... Parce que le Messie était roi ; parce que la royauté était le caractère du Messie ; parce que le Messie était le roi d'Israël, et que c'est sous la forme de cette royauté d'Israël que la bonne nouvelle devait apparaître au monde. Mais observez que Notre-Seigneur prend soin d'expliquer ce langage ; ce n'est pas le royaume d'Israël seulement, c'est le royaume de Dieu ; c'est le royaume des cieux. Il reprend l'expression de royaume, il la relève en disant : le royaume des cieux. Il l'a fait par ses paroles, il l'a fait même d'une manière plus profonde et plus haute quand il a dit : « Le royaume de Dieu est au-dedans de vous », le royaume de Dieu, c'est la paix du cœur, c'est l'union avec Dieu.

Mais s'il l'a fait par ses paroles, il l'a fait aussi par ses miracles et, en particulier, par le grand miracle de la Transfiguration. Les apôtres avaient pressé de questions Notre-Seigneur ; ils lui avaient dit : Quand établirez-vous votre royaume ? Montrez-nous ce royaume que nous attendons.

Et alors il leur dit : « Il y en a parmi vous qui ne mourront point qu'ils n'aient vu le Fils de l'Homme venant dans son royaume » (1). Il les conduisit alors sur le Thabor, et là, quand ils virent le Sauveur au-dessus de la terre, le visage tout éclatant de lumière, et auprès de lui les prophètes de l'ancien temps, Moïse et Elie, les apôtres furent tellement transportés qu'ils eurent l'idée que ce royaume du ciel était quelque chose de transcendant, et leur esprit alors put entrevoir une différence entre le royaume du ciel et le royaume terrestre qu'ils attendaient. Et cependant ils ne comprirent pas encore. Ils ne comprirent même pas après la résurrection ; et, la veille même de l'Ascension, ils demandaient encore à Notre-Seigneur quand il rétablirait le royaume d'Israël : tant il est vrai qu'il a fallu la lumière de l'événement pour les pousser dans le sens spirituel qui était le vrai sens des prophéties, mais qui était le vrai sens, parce que l'événement ne faisait que révéler ce qui était caché dans les prophéties.

 

Quand cela fut arrivé, quand le Seigneur, remonté au ciel, fut devenu invisible aux apôtres, ceux-ci durent renoncer définitivement à l'espérance de le voir établir le royaume temporel d'Israël. Les esprits se tournèrent vers le royaume du ciel, mais non pas tous, cependant. Aux premiers siècles de l'Église, la croyance à un futur royaume temporel du Christ subsista chez un certain nombre de chrétiens. C'est l'erreur du millénarisme qui croyait s'appuyer sur un passage de l'Apocalypse (2), et espérait que le Christ reviendrait ici-bas pour y régner à Jérusalem sur les Juifs, ou pour y régner sur le monde en roi temporel. Cette erreur fut repoussée, sans être d'abord officiellement condamnée (3) ; et l'esprit des chrétiens se porta tout entier vers l'idée que le vrai royaume était le royaume du ciel. Seulement on croyait encore que ce royaume serait très prochain ; dans le premier siècle de l'Église, tous attendaient ce qu'ils appelaient la parousie : la présence, l'apparition, l'apocalypsis, la manifestation du Sauveur. On espérait voir le retour du Christ avant de mourir, et saint Paul, sans donner aucun enseignement positif, en disant même que l'époque de l'avènement du Sauveur est inconnue, parle cependant comme si lui et ses auditeurs devaient voir le Christ revenir (4). C'est à ce royaume du ciel, qui devait se manifester avec éclat comme au Thabor, que l'on appliquait alors les paroles des prophètes.

 

Mais le temps s'écoula, il fallut, non pas renoncer à cette espérance, car cette espérance est toujours la nôtre, mais l'ajourner. Et alors on s'aperçut que les mêmes paroles des prophètes qui s'appliquaient à l'Église triomphante, pouvaient aussi s'appliquer à l'Église militante ; que, de même qu'on avait passé du peuple d'Israël terrestre, qui était la préparation de l'Évangile, à la Sion céleste qui est le terme définitif de toutes les prophéties, on pouvait revenir en arrière de l'Église triomphante et appliquer à l' Église militante ces mêmes termes d'Israël, de Sion et de Jérusalem qui avaient été déjà appliqués à l'Église du ciel. Tout cela se fit par un même travail, par une même interprétation parfaitement légitime, parce qu'au fond, comme Israël est le peuple choisi de Dieu, tous ceux qui sont Choisis de Dieu et qui marchent vers le ciel sont le véritable Israël ; et comme Sion et Jérusalem sont le lieu où Dieu était adoré autrefois, Sion et Jérusalem désignent l'Église qui est le vrai tabernacle où Dieu est adoré aujourd'hui.

 

Vous voyez donc que cette interprétation, bien qu'elle se soit produite lentement, et seulement par l'effet des événements, comme je l'avais annoncé, est cependant parfaitement légitime, et que nous pouvons accepter comme le vrai sens des prophéties le sens spirituel tel que je viens de le définir.

 

Il me reste maintenant à accomplir la plus difficile partie de ma tâche. Jusqu'à présent, je n'ai fait, pour ainsi dire, que préparer les voies à la démonstration de l'existence des prophéties. Pour faire cette démonstration, j'avais commencé par résumer en trois points le grand enseignement des prophètes relatif au Messie et à l'Église. Le premier point, c'est l'annonce d'un personnage surnaturel, transcendant, miraculeux, divin, d'un prophète supérieur à tous les prophètes, d'un homme supérieur à tous les hommes, d'un législateur suprême venu du ciel pour enseigner l'humanité. Voici quels titres Isaïe donne à ce prophète, sept siècles avant l'ère chrétienne. Il parle d'un petit enfant qui sera donné (c'était l'enfant de Bethléem), et il dit : « Il sera appelé l'Admirable, l'Ange du grand Conseil, le Dieu fort, le Père du siècle à venir » (5), Rien de plus grand que ces titres. Malachie l'appelle le Dominateur (6) ; enfin les prophètes voient en lui un homme au-dessus de tous les hommes. Voilà le premier point.

Le second point de l'enseignement des prophètes, c'est que les nations se convertiront à la religion du Dieu d'Israël, du Dieu d'Abraham et de Jacob. Quelquefois Isaïe les représente venant à Jérusalem (et là, il faut l'entendre d'une manière spirituelle) pour apporter leurs hommages au vrai Dieu ; d'autres fois, il nous montre les missionnaires partant vers les îles lointaines pour y porter le culte de Jéhovah, et il nous dit : « Parmi les nations, Jéhovah prendra ses prêtres et ses lévites » (7). C'est la conversion de tous les peuples au culte de Jéhovah.

Enfin le troisième point, c'est celui sur lequel nous avons tant insisté : l'établissement sur la terre d'un empire du Christ, l'empire du Messie, empire universel qui comprend toute la terre, et empire spirituel.

 

Ces trois grandes prédictions ont-elles été accomplies ? Ont-elles été accomplies surnaturellement par la puissance de Dieu ? Telles sont les deux questions auxquelles nous avons à répondre.

 

À la première question, la réponse est bien facile : La terre a-t-elle vu un personnage unique, transcendant, surnaturel, miraculeux, attirant l'admiration, imposant l'adoration ? Oh ! Demandez-le à l'Évangile. Regardez, écoutez les apôtres saisis de stupéfaction après les paroles de Notre-Seigneur, et ses ennemis eux-mêmes disant : « Jamais homme n'a parlé comme cet homme ! (8). Regardez quelle impression profonde cette personnalité du Sauveur a produite dans les esprits ; comment elle les a, pour ainsi dire, écrasés par sa grandeur, lorsqu'il a paru dans le monde.

Au témoignage des contemporains joignez le témoignage de tous les siècles chrétiens. Appelez ici tous les docteurs, tous les saints, tous les grands génies qui se sont prosternés le front contre terre en contemplant Jésus-Christ ; qui ont trouvé que l'admiration n'était rien, que seule l'adoration répondait à la grandeur de sa figure. Et vous savez, je l'ai déjà dit ici, que, lorsqu'on veut enlever à cette figure son auréole divine, on la fausse nécessairement et on la détruit ; que les adversaires ne peuvent point présenter un Christ véritable qui ne soit pas le Christ adorable ; et alors même qu'ils le mettent au dessus de tous les hommes, en ne le faisant pas Dieu, ils le font autre qu'il n'est réellement, autre qu'il n'apparaît il, à l'humanité.

Son action dans le monde est, d'ailleurs, bien évidente. Les sociétés humaines reposent sur sa doctrine. C'est lui qui a fait entrer dans les législations des peuples cette grande loi du mariage unique et indissoluble ; dans la morale, cette loi du pardon des injures, inconnue partout ailleurs en dehors du Christianisme. C'est lui qui a fondé tout l'esprit public, qui a pénétré, qui a imbu de son Évangile toutes nos sociétés créées par lui.

Voulez-vous invoquer un autre témoignage ? Le Sauveur nous a dit lui-même, lorsqu'on voulait faire taire ceux qui l'acclamaient, au jour des Rameaux : « Si ceux-ci se taisent, les pierres crieront (9). » Eh bien ! Les pierres ont crié. Oui, les pierres de nos cathédrales, les pierres de nos églises de village, les pierres de ces édifices du Moyen Âge qui attestent la foi de ceux qui, au prix de tant de sacrifices, les ont bâtis, ces pierres aussi ont crié. Enfin, aujourd'hui, dans notre société qui semble incrédule, dans notre France officielle où l'on blasphème Dieu tous les jours, n'y a-t-il pas, sur les hauteurs de Montmartre, des pierres qui crient et qui disent : « La France reste chrétienne ; la France se repent et se consacre au Sacré-Cœur ; la France reconnaît la souveraineté du divin Sauveur ! » Et cela dix-huit siècles après sa venue ici-bas ! Ne venez donc pas dire qu'il n'a point paru sur la terre un personnage réalisant la grandeur du personnage qu'annonçait Isaïe.

 

Les peuples se sont-ils convertis au Dieu d'Israël ? Peut-on contester ce fait ? Dites-moi donc ce que sont devenus les dieux des peuples païens, ces dieux objets d'un culte public, pompeux, ardent, passionné. Nous le savons ; ces dieux dont le culte pénétrait toute la vie des païens, vie sociale, vie de famille, vie publique, ces dieux auxquels s'associait l'idée de la Patrie ; ces dieux de Rome et de la Grèce : Jupiter, Vénus, Mercure, Bacchus ; ces dieux de l'Égypte : Ammon, Phta ; ces dieux de la Syrie : Astarté, Baal, tous ces dieux, que sont-ils devenus ? Où sont-ils ? Cherchez-les dans le monde. Il reste de ces dieux leurs noms, qui ont été les ornements de notre poésie ; leurs statues qui décorent nos jardins et nos musées, rien de plus ; si l'on trouve encore quelque part l'idolâtrie, c'est dans la portion inférieure de l'humanité, celle qui recule devant la lumière de l'Évangile. Le seul Dieu qui soit adoré dans le monde, c'est le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.

 

Il y a quelques années, lors de l'Exposition de 1889, on a bien essayé de restaurer un petit culte païen, mais il a fallu prendre le culte de Bouddha, c'est-à-dire d'un personnage qui n'a pas voulu être dieu, qui s'est donné comme philosophe. Mais au Dieu véritable, au Dieu d'Israël on n'a point osé opposer un autre Dieu.

La prédiction du prophète s'est donc accomplie, et les missionnaires sont allés aux îles les plus éloignées ; récemment, sous l'influence d'un grand évêque français (10), ils ont pénétré jusque dans le centre de l'Afrique. Voilà donc une prophétie accomplie.

Enfin, peut-on douter que l'empire du Christ sur les âmes existe ? Mais qu'est-ce que c'est donc que cette Église catholique dont tout le monde s'occupe, soit pour la louer, soit pour lui obéir, soit pour la combattre, soit pour la renverser ? Qu'est-ce donc que cette force jugée si grande que, chaque jour, on cherche de nouveau à la détruire ? À qui sont érigées de nos jours ces statues qui se dressent sur nos places publiques ? À des libres-penseurs, à des hommes qui ont prétendu affranchir l'esprit humain du joug de Jésus-Christ. Cet empire a donc existé, et tous les efforts que l'on tente prouvent qu'il existe encore.

 

Quand, au commencement de ce siècle, l'homme peut-être le plus grand qui ait paru sur la terre comme génie militaire et politique, l'homme qui a conquis l'Europe et restauré aussi la société française, a voulu relever les débris qu'il trouvait sous ses pieds, qu'a-t-il fait ? Il est allé chercher un vieillard pauvre, faible, dépourvu de toute force matérielle, dont le prédécesseur était mort emprisonné ; et parce que ce vieillard était le vicaire du Christ, le vicaire du Messie, parce qu'il gouvernait l'empire du Messie, Napoléon l'appela à travailler avec lui à restaurer la société française ; il fit ainsi alliance avec l'empire du Christ. Direz-vous que cet empire n'existe pas ?

Cette alliance, il est vrai, on veut la détruire de nos jours, mais ne sent-on pas que, si on pouvait la détruire, tout s'écroulerait, tout s'effondrerait dans la société ? Et qu'est-ce qui soutient la malheureuse France dans ses calamités, en présence de perspectives si tristes ? Quelle est sa principale ressource ? C'est la prière, c'est la bénédiction, c'est la protection du Souverain Pontife, du vicaire du Messie sur la terre. Vous voyez donc, ici encore la prophétie s'accomplit.

 

Il nous reste à voir si cet accomplissement est surnaturel. C'est là le dernier point.

Peut-être beaucoup d'entre vous ont déjà tiré la conclusion dans leur esprit, Mais je ne veux pas qu'on aille si vite, et, pour que la démonstration soit complète, il faut chercher, bien chercher s'il y a quelque explication naturelle de cet accord entre les trois grandes paroles des prophètes sur la personne du Messie, sur la conversion des peuples et sur l'établissement de l'Église, et les faits qui sont sous nos yeux.

D'abord je ne pense pas que vous prétendiez attribuer cette coïncidence au hasard. Le hasard peut servir à expliquer de petites coïncidences, de petits faits ; mais, quand il s'agit de grands faits de ce genre, quand il s'agit de la longue prédiction des prophètes, qui a animé toute la pensée, toutes les croyances du peuple d'Israël et qui a fait la loi de sa destinée ; quand il s'agit de la religion chrétienne, qui a orienté la destinée de l'humanité entière et créé la civilisation moderne, on ne peut dire que de tels faits sont arrivés par hasard. Laissons de côté cette explication.

Y a-t-il eu, de la part des prophètes, une prévision humaine ? Ont-ils pu prévoir ces faits ? Leur a-t-il été possible, avec une grande perspicacité d'esprit, de voir cet avenir devant leurs yeux ? Je ne pense pas qu'on ose le soutenir. Prévoir la venue, la naissance d'un grand personnage comme le Messie, six siècles à l'avance, c'est évidemment impossible. C'est Dieu qui fait naître les grands hommes à l'heure qu'il a fixée ; personne ne peut les créer, personne non plus ne peut savoir quand ils naîtront. Lorsqu'ils surgissent, c'est, sous l'apparence du hasard, la Providence qui se manifeste ; et la prévision eût été impossible. Qui aurait prédit, qui pouvait prédire, il y a cent cinquante ans seulement, la naissance de Napoléon ? Et prédire que l'homme incomparable, le Messie, naîtrait du peuple d'Israël, et de la race de David, le pouvait-on ? Les prophètes pouvaient-ils au moins prévoir que tous les peuples se convertiraient au culte du Dieu d'Israël ; et qu'un grand empire spirituel s'établirait sur la terre entière ? Réfléchissez, je vous en prie, à ce qu'était la puissance du Dieu d'Israël au temps où les prophètes ont parlé. Quand Isaïe écrivait ces grandes choses sur la conversion des nations, tous les peuples de l'univers étaient païens. Il n'y avait d'adorateurs du vrai Dieu que dans le royaume de Juda. Le royaume des dix tribus était déjà tombé dans l'idolâtrie ; deux tribus, Juda et Benjamin, représentant la valeur d'un département français, et entourées des immenses monarchies païennes de la Chaldée et de l'Égypte, seules, dans le monde entier, adoraient le Dieu d'Israël. Même dans le royaume de Juda, le culte de Jéhovah était-il sans mélange ? Là même, on rencontrait le paganisme, des idoles adorées sur les hauts lieux, des chapelles élevées par Salomon aux dieux païens (elles ne furent détruites que par Josias). – Même, dans le temple, à certains moments, on a placé des idoles ; et les prophètes, avec la minorité fervente de la nation, luttaient contre le paganisme intérieur ; et c'est dans ces circonstances que les prophètes auraient pu prévoir que ce Dieu, dont l'action paraissait si faible, qui ne conservait pas même l'adoration d'un petit peuple, deviendrait le Dieu du monde entier ! Non, aucune explication humaine n'est possible.

 

On a cependant essayé de donner une autre explication, laquelle repose sur une théorie aujourd'hui très répandue, la théorie de l'évolution. Voici à peu près comment on se sert de cette théorie pour expliquer l'accomplissement des prophéties. D'abord, on dit que, dans le peuple d'Israël, le prophétisme apparaît comme un phénomène nouveau : D'où sortait-il ? D'une cause, sans doute, mais d'une cause aveugle, inconsciente, inconnue. Il a paru des hommes, des prophètes d'Israël qui se sont représenté le Dieu national d'Israël, le Dieu Jéhovah, le Dieu d'un peuple, comme le Dieu unique, le Dieu du monde entier, le Dieu créateur. Ils ont conçu le monothéisme. Pourquoi ? Comment ? On ne le sait pas. Ils ont imaginé que ce Dieu était le Dieu créateur, ils en ont conclu qu'il triompherait dans le monde, et ils ont espéré ce triomphe. Puis, comme le temple consacré à Jéhovah était le temple de Jérusalem, où régnait la race de David, et qu'on croyait à la perpétuité de cette race, ils ont supposé que ce serait un descendant de David qui accomplirait cette grande chose. Mais comment peut-on expliquer cet accomplissement ? Ah ! C'est bien simple. Quand une chose est dans les esprits, il est naturel qu'elle passe dans les faits. Au XVIIIe siècle, il y avait dans les esprits, dans la littérature, tout un ensemble de tendances à des réformes. Eh bien, les tendances ont abouti, les idées se sont traduites dans les faits. La pensée des prophètes a donc pénétré l'âme du peuple, elle s'est développée, elle a grandi, et enfin, un jour, cette pensée a éclaté au dehors : il s'est trouvé un personnage qui y a répondu, qui s'est attribué les titres que les prophètes donnaient au descendant de David ; qui a accompli les prédictions des prophètes, au moyen de l'impression produite par une influence, laquelle provenait des prophètes eux-mêmes.

 

Voilà l'explication. Voulez-vous me permettre de la reprendre point par point ? Ce ne sera pas long.

Et d'abord, le point de départ est bien fragile, car enfin, pourquoi, dans le peuple d'Israël seul, y a-t-il eu des prophètes croyant au vrai Dieu, croyant au Messie ? En quoi ce peuple différait-il des autres ? Par la race, il était frère des Iduméens ; de même aussi par tradition ; même origine, même climat : donc même destinée, si l'on admet le principe de l'évolution, c'est-à-dire la loi du déterminisme qui fait que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Pourquoi donc, tandis que les peuples voisins d'Israël ont eu des nabis, des devins, des espèces de prophètes qui jouaient à peu près le rôle de nos somnambules, le peuple d'Israël a-t-il eu des prophètes qui ont proclamé cette grande doctrine du monothéisme, qui ont enseigné une morale très pure, et dont les successeurs ont prêché l'Évangile et remué le monde par leur parole ? Pourquoi cela ? Qu'on le dise ! Il n'y a pas de réponse dans l'évolutionnisme. La seule et vraie réponse est celle que donne la Bible : c'est que Dieu est un être souverain ; souverainement maître et souverainement libre ; il a choisi celui qu'il a voulu : « J'ai choisi Jacob et j'ai rejeté Esaü (11) ». J'ai pris ce peuple-là, aussi mauvais que les autres, plus mauvais peut-être, plus cupide, plus grossier, plus sensuel, plus avare, moins capable de la vérité que d'autres, je l'ai pris parce que je l'ai voulu ; j'ai mis la vérité dans ce peuple, et je lui ai envoyé mes prophètes. (12) Voilà la seule explication du prophétisme. Toute autre est vaine dans son point de départ. Et quant au point d'arrivée, il n'est pas plus solide. Comment explique-t-on que certains ordres de croyances, de désirs, de pensées, d'aspirations, arrivent à se traduire au dehors dans les faits ? Cela se fait généralement par un progrès croissant et continu. On voit ces idées se développer ; ces idées acquièrent une plus grande influence sur un plus grand nombre d'esprits ; des tentatives de les réaliser échouent d'abord, puis recommencent, et par une sorte d'effervescence, de bouillonnement, elles finissent par faire passer l'idée à l'état de fait. Est-ce ce qui s'est passé pour les prédictions des prophètes relatives au Messie, à la conversion des nations et à l'établissement de l'Église ? Demandons la réponse à l'histoire. Les prophètes qui ont annoncé ces grandes vérités ont parlé vers le septième, le sixième, le cinquième siècle avant Jésus-Christ. Puis la série des prophètes s'arrête. À partir de Malachie, il y a eu interruption jusqu'à Jean-Baptiste. Je sais bien que certains écrivains supposent une prophétie intermédiaire : celle de Daniel ; ils la mettent plus tard qu'elle n'a eu lieu. Mais enfin ce n'est pas ce que disent les Juifs, car nous avons un témoignage très précis : le livre des Macchabées qui a été écrit avant Jésus-Christ, un peu après l'époque de la rénovation nationale d'Israël par les Macchabées, parle de l'époque depuis laquelle on n'a pas vu de prophète. C'est une ère pour les Juifs : « Il n'y a rien eu de pareil depuis le temps où un grand prophète a paru dans Israël (13) ». Et le même livre dit, en parlant de certaines questions de rituel : « On laissa la chose suspendue jusqu'à ce que vint un prophète fidèle (14). » Donc, selon la croyance des Israélites, il y a eu un intervalle de quatre cents ans durant lequel la prophétie s'est tue. Connaissez-vous un mouvement d'opinion créé par une croyance et par une pensée, arrêté pendant quatre cents ans par un silence complet, et reprenant ensuite sa force ? Cela est-il naturel ? Pendant ce temps, remarquez-le, la croyance du Messie a subsisté dans le peuple d'Israël, mais elle n'a pas produit cette effervescence, ce bouillonnement que produisent les croyances qui passent à l'état de fait. Durant ces quatre cents ans, il n'y a eu aucun faux Messie, aucune tentative de réaliser l'espérance messianique, et cependant il s'est passé de grands événements : il y a eu la persécution d'Antiochus Epiphane et la révolte des Macchabées. Tout cela s'est fait par des moyens humains, sans penser au Messie ; les faux messies n'ont paru que très peu de temps avant Jésus-Christ. Le peuple attendait, mais attendait quelque chose qui viendrait du ciel, et non de la terre. Ce n'est donc pas un mouvement populaire qui s'est traduit en fait.

 

Allons plus loin et cherchons ce qui s'est réellement passé dans l'esprit, dans les mœurs du peuple d'Israël pendant ce long silence des prophètes. Qu'est-il survenu pendant ce temps ? Il est survenu dans l'esprit du peuple une grande déviation de la pensée des prophètes. Les prophètes annonçaient une religion spirituelle, élevée, un culte du cœur, un culte qui exigeait avant tout l'amour de Dieu et la justice. Dieu disait par leur bouche : « Les holocaustes ne m'ont pas plu. Je demande des hommes justes ; soyez purs, soyez chastes, protégez l'orphelin, rendez justice à l'opprimé, chassez l'iniquité de vos cœurs, chassez-la de vos cités, et alors vous m'immolerez des victimes. Mais, si vous venez avec des mains impures, je ne vous recevrai pas ». C'est donc un culte élevé qu'enseignaient les prophètes.

Pendant les quatre cents ans, le peuple d'Israël est tombé dans le ritualisme étroit, dans le fanatisme des petites cérémonies, dans l'hypocrisie du pharisaïsme ; il a faussé la pensée des prophètes. Les prophètes annonçaient la conversion des nations et, par là même, ils parlaient d'une religion qui les attirerait à elle et qui les recevrait dans son sein. Or, pendant ces quatre cents ans, le peuple d'Israël s'est confiné dans un exclusivisme jaloux ; il s'est séparé de tous les peuples ; il les a considérés comme impurs ; il les méprisait, il était méprisé d'eux ; il a établi des barrières infranchissables entre lui et le reste du monde.

 

Enfin, cette attente du Messie, dans la pensée des prophètes, avait sans doute le caractère d'une attente politique, mais, dans leurs textes, on voit apparaître, sous ces enveloppes grossières d'une restauration politique, toutes les lumières de l'Évangile, toute l'idée du royaume céleste, ce vrai royaume de Dieu. Le peuple d'Israël, au contraire, pendant ces quatre cents ans, s'est attaché exclusivement à la lettre des prophètes, au sens grossier, à la restauration politique ; il en a embrassé l'idée avec ardeur, il l'a saisie avec obstination ; il s'y est attaché de manière à ne pas y renoncer.

Aussi, lorsque Jésus-Christ vint accomplir l'annonce des prophètes ; lorsqu'il est venu renouveler leur enseignement, il a trouvé contre lui, à l'état d'obstacle pour ainsi dire invincible, tout ce courant d'opinion produit par les prophètes. Au lieu d'être porté par ce courant, comme cela fût arrivé s'il eût été en présence d'idées se développant naturellement, il a dû lutter contre ce courant, et il a triomphé par sa mort en résistant, en ayant comme adversaires tous ceux qui étaient imbus de l'enseignement faussé des prophètes.

Et qu'est-il advenu encore ? Lorsqu'il a fallu faire triompher dans le monde cette nouvelle religion ; lorsqu'il a fallu que le culte du vrai Dieu se répandit dans l'univers, les Juifs n'y ont été pour rien, ou, du moins, il n'y a eu qu'une minorité de Juifs qui ont commencé. Ce sont les peuples païens que saint Paul a prêchés, parce que les Juifs repoussaient l'Évangile ; ce sont les Grecs, les Romains, les Syriens, les Asiatiques, qui ont adopté cette religion et qui l'ont portée aux extrémités de l'univers. De sorte que les prophéties ont été accomplies non pas par ceux qui y croyaient, mais par ceux qui les ignoraient ; la religion chrétienne a été combattue par ceux qui lisaient constamment les prophètes, et c'est ce que déclare Isaïe, dans les paroles si remarquables que cite saint Paul. Dieu dit : « J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, et je me suis manifesté à ceux qui ne m'invoquaient pas ». Voilà pour les païens. Et pour les Juifs, voici ce qu'il dit : « J'ai étendu mes mains toute la journée vers un peuple incrédule et rebelle (15). » Et ainsi, vous le voyez, bien loin que cette idée des prophètes ait passé dans les faits par un développement naturel, elle n'a passé dans les faits qu'en luttant contre l'action même des prophètes, et par une puissance divine. Cela est encore exprimé dans une autre prophétie, dans les psaumes : « La pierre que ceux qui bâtissaient ont rejetée est devenue la pierre de l'angle (16) ». Le Christ, c'est la pierre que ceux qui bâtissaient, que les Juifs ont rejetée, et qui est devenue la pierre de l'angle de nos sociétés.

Et remarquez que le psalmiste ajoute une autre phrase par laquelle nous terminerons. Après avoir indiqué ainsi ce fait si étrange, que les prophéties ont été accomplies par ceux qui ne les connaissaient pas, malgré la résistance de ceux qui les connaissaient, il ajoute : A Domino factum est istud. « Cela a été accompli par le Seigneur. » Non, l'évolutionnisme n'explique pas cet accomplissement des prophéties ; l'évolutionnisme échoue, et il faut recourir à Dieu, à son action, à sa prescience, à sa toute-puissance, pour expliquer comment ces choses se sont passées. Elles se sont passées contre le cours naturel des choses, par la puissance divine : A Domino factum est istud. Et le psalmiste ajoute : et est mirabile in oculis nostris ; et la merveille est sous nos yeux ! Oui, cette merveille est sous nos yeux ; nous la voyons, nous la contemplons. Nous voyons, en effet, devant nous ces deux peuples sortis des prophéties : le peuple juif et le peuple chrétien ; ils sont sous nos yeux ; ils luttent ensemble, et leur lutte est, en ce moment, arrivée à une période de crise. Il y a donc deux peuples sortis d'une même souche, deux religions sorties d'un même tronc. Toutes deux sortent des grandes prophéties d'Israël, mais l'une a pris ces prophéties à contre-sens ; de là la grande lutte entre les Juifs et les Chrétiens. Et, dès lors, cette merveille est sous nos yeux, et, par conséquent, nous sommes obligés d'en chercher la cause. En présence de cette lutte, nous n'avons pas le droit de demeurer indifférents : nous devons chercher d'où vient l'opposition entre le Judaïsme et le Christianisme ; et si nous cherchons, nous trouverons que l'opposition vient uniquement de la double interprétation de ces mêmes prophéties. Nous reconnaîtrons que l'interprétation chrétienne est absolument surnaturelle, et qu'il n'y a aucune manière humaine d'expliquer comment cette triple pensée des prophètes : la venue d'un grand personnage comme le Messie, la conversion des nations, et l'établissement de l'Église, a pu être produite par l'action même des prophètes, puisqu'il y a eu un intervalle de quatre cents ans entre le dernier des prophètes et l'accomplissement des prophéties ; puisque ceux, qui ont écouté les prophètes ont résisté à l'accomplissement même de leur parole.

 

Remercions Dieu, mes frères, de nous avoir ainsi donné ces grandes preuves de la religion. Disons avec le psalmiste : « Vos témoignages, Seigneur, sont infiniment croyables (17) » ; et, dans les peines de la vie, dans les découragements, dans les troubles où notre foi pourrait être ébranlée, rappelons-nous ces grandes promesses de Dieu qui se sont accomplies. S'il nous semble que Dieu, est long à accomplir ses promesses, rappelons-nous que, pendant quatre cents ans, les Israélites ont attendu l'accomplissement de la promesse du Messie, et disons après le psalmiste, avec une confiance qui ne sera jamais trompée, si nous y persévérons : « Le Seigneur est fidèle dans toutes ses paroles et juste dans toutes ses œuvres : Fidelis Dominus in omnibus verbis suis et sanctus in omnibus operibus suis (18).

 

 

 

(1) Matth., XVI, 28 ; Marc, VIII, 39.

(2) Apoc, XX, 4.

(3) V. l’ouvrage du P. Lescœur, de l'Oratoire : Le règne temporel de Jésus-Christ, Etude sur le  millénarisme. Paris, Douniol, 1868 (.A. L.).

(4) I Thess. IV, 14-17.

(5) Isaïe, IX, 6.

(6) Malach., III, 1.

(7) Isaïe, LXVI, 21.

(8) Joan, VII, 46.

(9) Luc, XIX, 40.

(10) Le cardinal Lavigerie.

(11) Malach. I, 2, 3.

(12) 

(13) I Macc., IX, 27.

(14) I Macc., IV, 46.

(15) Rom., X, 20, 21 ; Isaïe, LXV, 1, 2.

(16) Ps. CXVII, 22.

(17) Ps. XCII, 5.

(18) Ps. CXLIV, 13.