SEPTIÈME CONFÉRENCE
Les attributs divins manifestés dans les prophéties
et dans l'histoire d'Israël
Scio quia tu Deus clemens et misericors es, patiens et multae miserationis, et ignoscens super malitia. Je sais que vous êtes un Dieu clément, miséricordieux, patient, abondant en compassion et aimant à pardonner le péché.
Ces paroles sont tirées du prophète Jonas (1). Ce sont les paroles que le prophète adressa comme une sorte de reproche à Dieu qui l'avait envoyé, lorsqu'il vit que la prédiction qu'il avait été chargé de faire contre la ville coupable de Ninive, dont il avait annoncé la destruction, ne s'accomplirait pas, et que Dieu, touché de la pénitence des Ninivites, ajournerait ce châtiment, même leur pardonnerait entièrement.
Ce texte n'est pas le seul, dans l'Ancien Testament, où il soit parlé d'une manière si éloquente et avec tant d'abondance d'expressions de la patience et de la miséricorde de Dieu. Les textes qui annoncent cette miséricorde se lisent à toutes les pages ; nous voyons dans les psaumes que la miséricorde de Dieu remplit la terre, que cette miséricorde de Dieu est au-dessus de toutes ses uvres. On peut dire : il n'y a point d'attribut de Dieu dont il soit parlé plus fréquemment, d'une manière plus touchante que cette patience de Dieu à l'égard de ceux qui l'importunent par leurs révoltes, par leurs péchés, contre lesquels il devrait être toujours irrité.
Mais ce n'est pas seulement et principalement dans les paroles des prophètes que nous trouvons manifesté cet attribut divin, c'est plus encore dans l'histoire même du peuple d'Israël, laquelle est comme une grande manifestation des attributs de Dieu. J'avais commencé il y a trois ans, en disant que je chercherais dans l'Ancien Testament les preuves à l'appui de l'existence des attributs de Dieu si contestées de nos jours ; je vous ai montré comment la sainte Écriture nous fait voir en action dans l'histoire sainte la liberté souveraine de Dieu, sa fidélité et sa générosité à accomplir ses promesses.
Aujourd'hui encore, je veux vous montrer comment cette même histoire met en évidence cette patience et cette miséricorde infinies du vrai Dieu. Avant tout, il faut bien comprendre pourquoi la miséricorde est en Dieu un attribut si digne d'attention, si remarquable et si touchant : c'est que Dieu est la sainteté même ; c'est qu'il est le principe éternel et souverain de la justice. S'il n'était qu'un Dieu ayant une bienveillance vague, indifférent au bien et au mal, nous reconnaîtrions en lui une sorte d'indulgence, de tolérance qui ne serait pas réellement la miséricorde. Mais nous savons, par la sainte Écriture, que Dieu est l'être parfait, l'être parfaitement saint ; nous savons que cette perfection qui est en lui-même, cette sainteté parfaite en vertu de laquelle le mal lui fait horreur et ne peut subsister en sa présence, Dieu veut la voir dans sa créature, dans les créatures qu'il choisit pour s'unir étroitement avec elles. Dieu s'est manifesté sur la terre dans l'Évangile ; il s'est manifesté en chair en Jésus-Christ, et l'humanité du Sauveur est le miroir où reluisent les attributs divins. Dieu veut se créer un peuple saint qui ressemble à son Fils unique, à Jésus-Christ. C'est le plan, c'est le dessein fondamental de Dieu, que les chrétiens soient semblables à Notre-Seigneur, et que ce peuple qu'il a choisi, qu'il adopte pour sa famille, et qu'il veut recevoir dans le ciel, ait les mêmes vertus qui se sont manifestées en Notre-Seigneur : sa pureté sans tache, sa chasteté, sa douceur, sa bonté, son humilité, sa religion, enfin toutes ces vertus qui nous apparaissent dans le type incomparable que nous présente l'Évangile. Mais, avant d'accomplir ce dessein définitif, avant de créer d'une manière miraculeuse sa sainte Église, qui devait être le corps du Christ, et dont les membres devaient être l'image de ce divin chef, avant de commencer cette uvre, Dieu a voulu faire une uvre préparatoire, il a choisi un peuple ; il a élu Abraham, Isaac et Jacob pour être les pères du peuple qui serait dépositaire de ses enseignements, qui le glorifierait sur la terre, et, enfin, d'où sortiraient le Christ et le nouveau peuple de Dieu, la sainte Église.
Or, le peuple que Dieu avait choisi pour cette uvre préparatoire était, par sa nature et ses instincts, en opposition avec ce caractère du peuple chrétien que Dieu voulait imprimer dans ses élus. Le peuple d'Israël, comme son histoire l'atteste, a été, pendant de longs siècles, porté à l'idolâtrie, et par conséquent rebelle à cette adoration unique, à ce respect souverain, à cet amour sans bornes pour le seul Maître du monde qui est la gloire essentielle de la vie chrétienne, conformément à l'exemple de Notre-Seigneur qui a répondu au tentateur : « Tu n'adoreras que Dieu seul (2) ». Le peuple d'Israël était entraîné vers les voluptés charnelles ; et parce qu'il y cédait volontiers, parce qu'il voulait les satisfaire, il préférait au culte de son Dieu, dont cependant il sentait la protection et les bienfaits, les dieux étrangers, les dieux de la Phénicie et des peuples voisins dont les fêtes se célébraient dans des orgies infâmes. Le peuple d'Israël était cupide, intéressé, avare, et, conséquemment, en opposition avec le principe du renoncement chrétien. Dans ses derniers temps, il était devenu orgueilleux, exclusif des autres peuples, méprisant tout ce qui l'entourait. Épris d'une justice purement extérieure ; accomplissant certaines formalités et, se croyant justifié par elles, il s'arrogeait le droit de mépriser les autres. Rien de plus contraire à l'humilité chrétienne que cet orgueil du peuple juif qui, fier de descendre d'Abraham, pensait que les bienfaits de Dieu lui étaient dus ; qui, parce qu'il pratiquait certaines observances de la loi de Moïse, tout en enfreignant beaucoup de préceptes plus importants, se croyait sauvé par ses propres mérites.
Rien aussi de plus contraire à l'exemple que nous a donné Notre-Seigneur. C'était le culte du dehors se substituant au culte du cur ; c'était la créature n'attendant que d'elle-même sa justice au lieu de l'attendre de Dieu comme un don. L'opposition est si grande entre le caractère que manifeste le peuple d'Israël dans toute son histoire et la religion chrétienne, qu'aux premiers siècles, des hérétiques, les marcionites (3), ont nié que le Dieu des juifs fût le même Dieu que celui des chrétiens. Nous savons bien cependant que c'est le même Dieu : les deux Testaments se rejoignent, Notre-Seigneur lui-même cite les livres de l'ancienne Alliance. Que résulte-t-il de tout ceci ? Que pour que Dieu ait pu, durant quinze cents ans, supporter le peuple d'Israël, ce peuple au col raide (4) comme il l'appelle, ce peuple toujours révolté et toujours idolâtre, indocile à l'enseignement des prophètes et en opposition constante avec le type du vrai peuple chrétien qui était dans la pensée divine, il fallait que Dieu eût une patience infinie, et c'est cette patience qui se manifeste tout le long de l'histoire d'Israël. À peine Dieu a-t-il sauvé le peuple de la captivité d'Égypte ; à peine lui a-t-il fait traverser la mer Rouge et l'a-t-il amené au pied du Sinaï pour lui enseigner sa loi, que le peuple tombe dans une idolâtrie abominable, et qu'au pied du Sinaï, il commence à adorer le veau d'or. Dans le désert, recevant miraculeusement sa nourriture et son breuvage, toujours protégé et défendu par Dieu, il continue de murmurer. Toute l'histoire de ce voyage dans le désert est l'histoire des révoltes de ce peuple contre Moïse et contre Dieu. Arrivé dans la riche terre de Chanaan que Dieu lui avait donnée en humiliant ses ennemis, établi dans une région fertile, le peuple d'Israël, dès le commencement, abandonne le culte de Jéhovah, le culte de son Dieu, pour tourner vers les idoles. Ses rechutes dans l'idolâtrie se renouvellent ; depuis l'entrée dans la terre de Chanaan jusqu'à la captivité de Babylone, les annales d'Israël ne nous montrent que des récidives et des châtiments suivis de trop courts repentirs. Malgré toutes ces ingratitudes, Dieu ne se lasse pas. Il envoie ses prophètes qui appellent le peuple à la pénitence et lui promettent le pardon. Par leur bouche, Dieu adresse à son peuple de touchants appels. « Et toi, Israël que j'ai choisi, que j'ai créé, que j'ai formé, je t'ai fait sortir de l'Egypte ; je t'ai porté dans mes bras comme un père... » Lors même que Dieu frappe son peuple par l'épée des Assyriens ou par d'autres calamités, ou lorsqu'il le menace, c'est toujours pour solliciter le repentir de ce peuple. Au nom de Dieu, Isaïe dit à Israël : « Comment pourrais-je vous frapper encore ? Vous êtes couvert de plaies, et vous ne vous repentez pas ! » Si Dieu finit par livrer le peuple au roi de Babylone, et par permettre la destruction de la ville sainte et du temple et la dispersion d'Israël, c'est avec la pensée que le peuple reviendra ; que, converti par ses malheurs, Israël demandera et pourra obtenir le pardon. La même patience, la même miséricorde nous apparaissent dans l'histoire du peuple après la captivité. Lorsque Dieu envoie son Fils sur la terre, et qu'au lieu de recevoir avec gratitude un si grand don, au lieu d'admirer la sainteté et les bienfaits de l'envoyé divin, le peuple juif, entraîné par ses chefs et par son orgueil, résiste à Notre-Seigneur, et, après l'avoir acclamé, demande sa mort et le livre aux Romains, la miséricorde de Dieu s'est-elle rebutée ? Le peuple d'Israël est-il parvenu à épuiser la patience divine : Non, certes ; et Notre-Seigneur regardait comme possible le retour d'Israël, lorsqu'il s'écriait : « Jérusalem qui tues les prophètes, combien de fois ai-je voulu rassembler tes fils, comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et tu ne l'as pas voulu... Vous ne me verrez plus jusqu'au jour où vous direz ? Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (5).
Notre-Seigneur semble donc annoncer un retour, et ce que dit Notre-Seigneur, saint Paul le dit avec plus de clarté. Vous savez comment les apôtres parlent du peuple d'Israël qui devait, quarante ans après sa grande apostasie, quarante ans après avoir rejeté le Messie, être dispersé dans le monde entier. Je dis : quarante ans ; cela nous montre que Dieu a laissé un long délai à la nation juive, pour revenir sur ce qu'elle avait fait. Pendant ces quarante ans, les apôtres, tous juifs d'origine, n'ont pas cessé d'exhorter leurs compatriotes à se convertir et à croire au Messie. Et l'on voit avec quels ménagements saint Pierre, dans ses prédications, tout en disant aux juifs qu'ils ont crucifié le Messie, s'efforce d'atténuer leur crime, et leur annonce que Dieu est prêt à pardonner à leur repentir (6). On voit aussi par quelles précautions, dans les premiers temps de l'Église, on évita de blesser l'orgueil du peuple juif. Avant que la nouvelle religion eût passé entièrement du côté des gentils, et que les nations eussent constitué l'ensemble même de l'Église, on avait eu soin de respecter la primauté de l'Église de Jérusalem, et de maintenir une partie des cérémonies juives, et enfin, quand, malgré ces appels réitérés, les Israélites ont fini par subir le terrible châtiment dont Dieu les avait menacés ; lorsque la ville a été détruite et que du temple il n'est pas resté pierre sur pierre ; lorsqu'après le massacre d'une immense multitude d'Israélites dans la ville même, d'innombrables juifs ont été vendus comme esclaves dans tout l'empire ; lorsque le peuple dispersé parmi toutes les nations est devenu un peuple maudit, partout opprimé, est-ce que la miséricorde divine a définitivement abdiqué ? Peut-on dire que Dieu a entièrement rejeté le peuple qu'il avait choisi ? Saint Paul va nous répondre. « Mais », dit-il dans l'Épître aux Romains, « les juifs ont-ils tellement offensé Dieu qu'ils soient perdus sans retour ? » À. Dieu ne plaise. C'est à cause de leur révolte que la religion est passée du côté des gentils. Mais si, par leur résistance à la grâce et leur affaiblissement, ils ont répandu les richesses de la grâce sur le monde entier, que serait leur relèvement s'il était complet ! Ce serait comme la résurrection d'entre les morts. Si les prémices sont saintes, la masse l'est aussi ; si la racine est sainte, les rameaux le sont aussi. Je ne veux pas que vous ignoriez ce mystère que l'aveuglement est tombé en partie sur le peuple d'Israël, jusqu'à ce que la plénitude des nations fût entrée dans l'Église, mais qu'ensuite Israël entier sera sauvé. À cause de l'Évangile qu'ils ont rejeté, ils sont ennemis de Dieu, et c'est pour nous un bien, puisque c'est pour cela que la religion a passé du côté des Gentils. Mais selon le choix de Dieu ils sont aimés à cause de leurs pères, car les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance (7). »
Ainsi, même après leur crime, après cette épouvantable apostasie des Juifs, rejetant et crucifiant le Fils de Dieu et le Messie, la nation, en tant que nation, n'est point définitivement réprouvée de Dieu, et l'Apôtre semble indiquer non seulement comme possible mais comme certaine, dans les desseins de Dieu, une conversion de la nation juive. Je ne parle pas seulement de la conversion de certains individus, ce qui est toujours possible, pour eux comme pour les autres hommes ; je parle d'une sorte de retour national des Juifs à la vraie religion. Si nous remarquons que, par leur ténacité dans la conservation de leurs coutumes, de leurs traditions, de leur caractère national, les Juifs du monde entier, liés les uns aux autres et séparés de tout le reste, forment encore, quoique dispersés, un corps de nation, nous comprendrons qu'il est possible que, sans perdre la forte cohésion qui les unit, ils se convertissent tous à la religion chrétienne ; et, si cela arrivait, ce serait pour l'Église une glorieuse conquête et un immense bienfait pour l'humanité. Le grand obstacle qui, aux premiers temps, arrêtait la prédication apostolique, c'était la résistance des Juifs. Les apôtres n'ont porté la lumière au monde que malgré leurs compatriotes qui partout ont contrarié leur action. Et cette même résistance du peuple juif, entraîné par son apostasie dans la haine du christianisme, a duré dans tous les siècles ; elle se manifeste de nos jours ; et certainement c'est un grand obstacle au progrès de la religion chrétienne, un des grands dangers de la religion, que cette influence de la nation juive qui reste toujours hostile, même lorsqu'elle a perdu presque tout sentiment religieux. Elle croit à peine à son Dieu, elle ne croit plus à son Messie, et, cependant, de l'apostasie de ses pères, elle garde la haine de Jésus-Christ et du nom chrétien. Qu'un changement, une conversion, un retour de la nation juive, vienne à se produire, et un grand obstacle disparaîtrait ; et nous pourrions concevoir l'espérance d'une plus vaste propagation du christianisme, et du relèvement de l'Église dans l'univers.
Ajoutons que certains indices pourraient montrer qu'un tel retour n'est pas impossible ; qu'il pourrait se produire, je ne dirai pas prochainement, mais dans un avenir plus ou moins éloigné. Notre siècle a vu des conversions extraordinaires d'Israélites qui sont devenus des apôtres. Ici, auprès de nous, nous avons connu les deux frères Ratisbonne, l'un ramené par les moyens ordinaires, par les réflexions, la science, l'exemple des chrétiens ; l'autre miraculeusement terrassé et converti par la Sainte Vierge ; et ils avaient établi, dans notre voisinage, cette maison de Sion, destinée à devenir le centre d'un mouvement de conversion des Israélites. Nous avons aussi, non loin d'ici, au séminaire du Saint-Esprit, la fondation d'un Israélite, du père Libermann, fils d'un rabbin, élevé dans la haine du nom chrétien, qui, s'étant converti, est devenu prêtre, apôtre, fondateur de Congrégation, et a répandu ses missionnaires dans le monde entier. Ce sont les missionnaires qu'il a formés qui vont maintenant dans le centre de l'Afrique porter la religion chrétienne et en même temps la civilisation française. Nous apercevons donc quelques signes du retour des Israélites, et certainement ce serait une des plus grandes gloires de l'Église.
Dès lors, quelle doit être notre attitude à l'égard de cette nation qui a été ainsi maudite pour avoir apostasié et crucifié le Fils de Dieu ? Il faut sans doute leur résister quand ils nous oppriment ; nous devons nous défendre contre toute puissance qui est contraire à la religion et à l'Église, contre celle-là comme contre toute autre, plus que contre toute autre peut-être, parce qu'elle est la plus acharnée de toutes ; mais, tout en résistant et en se défendant contre ceux qui se montrent, par leur conduite, les ennemis de Dieu et de l'Église, tout en faisant ce qu'ont fait les apôtres qui ont résisté aux Juifs en face et constamment, nous devons nous garder de les haïr et de les mépriser. N'oublions pas que les Israélites sont nos frères aînés dans le choix de Dieu ; que Dieu les a choisis avant nous ; que c'est par eux qu'est venu le salut ; que c'est de leur nation qu'est sorti le Sauveur ; que c'est de leur nation que sont sortis les apôtres ; et que, si Dieu touchait leur cur de manière à les convertir, ils seraient nos frères, et nos frères aînés. N'ayons donc aucune haine, aucun désir de venger nos injures par des voies illégitimes. Nous devons simplement résister là où nous trouvons des ennemis, et, en même temps, prier pour que Dieu accomplisse sa promesse en les ramenant à l'Église.
Et maintenant que nous avons considéré dans son ensemble cette conduite de Dieu à l'égard du peuple d'Israël, il est bon de nous rappeler une autre Parole de saint Paul. L'apôtre dit : « Toutes ces choses arrivaient en figure aux Israélites (8) ». Non pas, sans doute, qu'elles ne soient arrivées réellement : leur histoire est véridique, elle est contrôlée par d'autres histoires ; mais enfin, tout en étant une histoire réelle, elle est en même temps une figure. La conduite de Dieu envers le peuple d'Israël était le type, la figure et l'image de sa conduite envers nous. Et nous pouvons le dire également, la conduite du peuple d'Israël à l'égard de Dieu est bien souvent l'image de la nôtre. On a reproché au peuple d'Israël d'avoir souvent abandonné le culte du vrai Dieu pour adorer les idoles et pour suivre ses passions. Nous aussi, nous sommes idolâtres ; nous aussi, nous sacrifions sur l'autel de nos convoitises ; nous aussi, nous quittons Dieu pour nous donner tout entiers à ce que Dieu déteste, aux ennemis de Dieu. Nous revenons ensuite à Dieu comme l'ont fait les Israélites, et puis nous retournons à nos idoles. L'histoire des continuelles rechutes du peuple d'Israël, n'est-ce pas l'histoire anticipée des continuelles rechutes des chrétiens ? Après la captivité, Israël, devenu observateur rigide de la loi, a été fortement blâmé pour son hypocrisie et son orgueil ; pour ne s'être montré soucieux que d'une justice extérieure, que d'une vertu plâtrée ; pour le mépris qu'il témoignait aux étrangers et que les Pharisiens ressentaient pour tous les pécheurs. Ces vices ont-ils disparu de la nation chrétienne ? N'y a-t-il point parmi nous des gens qui, fiers d'une conduite extérieurement bonne, méprisent ceux qui tombent, et se glorifient devant Dieu de leurs efforts ? N'y en a-t-il pas, et en grand nombre, qui cachent dans le fond de leur conscience bien des misères, bien des hontes, et sont les premiers à jeter la pierre à ceux qui ont été moins habiles à cacher leurs fautes ? N'y en a-t-il pas qui, fiers d'une certaine énergie naturelle, blâment hautement ceux qui n'en ont pas été doués, ceux aussi qui ont été favorisés de moins de grâces ? Ah ! Le pharisaïsme des Juifs se retrouve aussi chez les chrétiens ! En tout cas, nous avons tous besoin de la miséricorde et de la patience de Dieu ; et s'il a fallu que Dieu eût une patience et une miséricorde infatigables pour supporter, durant tant de siècles, les révoltes et les vices du peuple d'Israël, notre conscience doit nous dire que, pour nous avoir supportés depuis notre baptême jusqu'à aujourd'hui, il n'a point fallu à Dieu une patience et une miséricorde moindres. Cela est d'autant plus vrai que nous avons reçu beaucoup plus qu'Israël. Les Juifs ne connaissaient pas l'Évangile. Et nous qui avons été éclairés par cette lumière ; qui, par le baptême, avons été honorés de l'adoption divine ; à qui l'Eucharistie rend Dieu présent dans nos âmes, que nous sommes loin de l'idéal chrétien qui nous est proposé ; et qu'il faut à Dieu de patience pour nous supporter ! Nous pouvons dire comme le prophète : « C'est grâce à la miséricorde du Seigneur que nous n'avons pas été détruits (9) ». Comptons sur cette miséricorde et non sur nos mérites et sur nos efforts ; comptons, pour être sauvés, sur la patience et la bonté divine, et n'oublions pas que Dieu a mis deux conditions à l'exercice de sa miséricorde. La première, c'est que nous nous humiliions devant lui, que nous reconnaissions nos fautes, que nous implorions le pardon divin ; que nous attendions le salut des mérites de Jésus-Christ et non seulement de nos propres efforts. La seconde condition, c'est que, pour obtenir miséricorde, nous soyons nous-mêmes miséricordieux envers nos frères. Telle est la condition rigoureuse que Notre-Seigneur a posée ; il a dit qu'il pardonnerait à ceux qui pardonnent.
(1) Jonas, IV, 2.
(2) Matth. IV, 10 ; Luc, IV, 8.
(3) Disciples de Marcion qui, originaire du Pont, enseigna à Rome vers le temps d'Hadrien (117-138). « Marcion était l'auteur d'un traité intitulé : Αντιθέσεις, savoir de l'antagonisme inconciliable de l'Ancien et du Nouveau Testament. » (Mgr Battifol, Anciennes littératures chrétiennes, I, La littérature grecque, p. 81.)
(4) Exod., XXXII, 9; XXXIII, 3; Deuter., IX, 13.
(5) Matth., XXIII, 37-39.
(6) Act. Ap., II, 22 et seq.
(7) Rom., XI, 11-29.
(8) 1 Cor., X, 11.
(9) Jérem., Lament., III, 22.