La Royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ
par le Cardinal Pie
(3ème partie)

Sommaire

TROISIÈME PARTIE

COMMENT RÉTABLIR LE RÈGNE SOCIAL DE JÉSUS CHRIST ?

SECTION I : LES RESTAURATEURS ET LEURS DEVOIRS

D'après Mgr Pie, tous nous sommes coupables si le règne social de Jésus-Christ est renversé.

«Les grands ont conspiré avec les petits et les petits avec les grands. Le pouvoir et le savoir ont également donné la main à la rébellion. L'étendard de l'indépendance a été levé avant tout contre Dieu et en vérité tous nos autres torts pâlissent à côté de ce premier attentat. C'est contre Dieu seul que nous avons péché.»[1]

Tous doivent donc travailler à la restauration : les petits et les grands, le pouvoir et le savoir. Les petits, ce sont les simples fidèles. Les grands, ce sont les prêtres. Ce sont encore tous ceux qui par leur science et surtout par le pouvoir exercent une autorité sur les peuples.

En vue de la restauration du royaume. Mgr Pie a tracé pour chacun de ces groupes tout un programme d'action.

Il a indiqué ce que devaient faire les fidèles ; il a insisté sur le devoir des prêtres. Il s'est étendu longuement sur les obligations de l'élite intellectuelle et des chefs des peuples, réfutant avec soin toutes leurs objections, dissipant tous leurs préjugés, désignant les modèles qu'ils doivent imiter.

Nous allons exposer rapidement ses enseignements.


CHAPITRE I : DEVOIR DES FIDÈLES POUR LA RESTAURATION DU RÈGNE SOCIAL DE JÉSUS-CHRIST

L'instruction religieuse. - La foi en la Royauté du Christ. - La pratique publique du culte chrétien. - L'affirmation de leur foi dans la vie familiale et publique et dans leurs relations sociales. - La prière pour le règne social.


Le premier devoir des fidèles, pour aider à la restauration sociale chrétienne, c'est avant tout de faire régner Jésus-Christ dans leur intelligence par l'instruction religieuse.

«La seule espérance de notre régénération sociale, leur dit Mgr Pie, repose sur l'étude de la religion... le premier pas de retour à la paix et au bonheur sera le retour à la science du christianisme.»[2]

Mgr Pie insiste sur ce point qui est pour lui capital, car, à ses yeux, la renaissance sociale chrétienne de la France est liée étroitement à la renaissance catéchistique. Dans quatre sermons prêchés à la cathédrale de Chartres, il expliqua longuement aux fidèles l'importance de l'étude de la religion et leur indiqua la méthode à employer dans cette étude.[3]

Ces sermons du jeune vicaire de la cathédrale de Chartres, donnés en 1840, sont toujours d'une actualité frappante, et nous ne connaissons rien de plus clair et de plus persuasif. En les relisant, tous les fidèles seront puissamment encouragés à donner dans leur vie la première place à l'instruction religieuse. Comment, en effet, n'être pas touché par des paroles aussi vraies et aussi fortes : «Détourner son esprit de la vérité, y être indifférent, c'est là précisément le crime que Dieu punira avec plus de sévérité et de justice... Il est évident que la seule ignorance volontaire de la religion est par elle-même un crime digne de mort, parce qu'elle renferme le mépris de Dieu et la volonté d'échapper à sa main toute puissante.»[4] Cette solide instruction religieuse exigée des fidèles doit être en eux l'aliment d'une foi intégrale et complète, et pour Mgr Pie la foi complète, la seule vraie foi, est celle qui non seulement affirme la Divinité et l'Humanité de Jésus-Christ, mais proclame encore sa Royauté sociale. Écoutons-le, commentant aux fidèles un passage de saint Grégoire, répondre ainsi au chrétien de nos jours, imbu des fausses idées modernes. «Mon frère, vous avez la conscience en paix, me dites-vous, et tout en acceptant le programme du catholicisme libéral, vous entendez demeurer orthodoxe, attendu que vous croyez fermement à la divinité et à l'humanité de Jésus-Christ, ce qui suffit à constituer un christianisme inattaquable. Détrompez-vous. Dès le temps de saint Grégoire il y avait «d'aucuns hérétiques, nonnulli hæretici» qui croyaient ces deux points comme vous et leur «hérésie» consistait à ne point vouloir reconnaître au Dieu fait homme une royauté qui s'étendit à tout: sed hunc ubique regnare nequaquam credunt.

«Non, vous n'êtes point irréprochable dans votre foi ; et le Pape saint Grégoire, plus énergique que le Syllabus, vous inflige la note d'hérésie si vous êtes de ceux qui, se faisant un devoir d'offrir à Jésus l'encens, ne veulent point y ajouter l'or»[5], c'est-à-dire reconnaître et proclamer sa Royauté sociale.

Ainsi, s'ils veulent avoir «un christianisme inattaquable» et demeurer«irréprochables dans leur foi», s'ils veulent être fidèles et non hérétiques, les catholiques doivent croire fermement que Jésus-Christ doit régner sur les institutions sociales, les pénétrant de son esprit et rendant leur législation conforme aux lois de son Évangile et de son Église.

C'est la conclusion rigoureuse de l'évêque de Poitiers, exposée par lui très souvent aux fidèles et développée magistralement dans le panégyrique de saint Émilien, dans les instructions synodales sur les erreurs du temps présent et dans plusieurs homélies.[6]

La foi en la royauté sociale du Christ, le fidèle la manifestera surtout en pratiquant publiquement la religion chrétienne. C'est en effet montrer à tous que le Christ doit diriger les actes publics du chrétien tout comme ses actes individuels et domestiques.[7]

La religion chrétienne est une religion publique, et les fidèles sont tenus de la pratiquer ostensiblement.

Mgr Pie, qui voyait avec raison dans ce caractère public de la religion l'acheminement normal vers le règne social de Jésus-Christ, a rappelé avec insistance aux fidèles la nécessité du culte public[8] et de ce qu'il impose.

Nous avons de lui trois sermons sur la sanctification du dimanche[9] développés plus tard en deux magnifiques instructions pastorales sur la loi du dimanche,[10] loi qu'il appelle le chef d'oeuvre de la législation sociale.[11]

Nous possédons plusieurs de ses instructions sur la Messe, sacrifice public de la religion chrétienne.[12]

Sur la liturgie, qui est l'ensemble du culte public, nous trouvons dans les oeuvres de l'évêque de Poitiers une série d'instructions qui formeraient à elles seules un précieux volume.[13] Il n'a pas oublié non plus de traiter de l'observance de la loi quadragésimale, qui pour le bonheur des peuples avait autrefois un caractère éminemment social.[14] Une autre manifestation publique de la foi, le pèlerinage, a été étudié par lui avec soin.[15]

Cette énumération rapide des pratiques extérieures et publiques de la religion nous montre combien le grand évêque tenait à ce que les fidèles fussent bien pénétrés de leur importance et de leur haute portée sociale. Enfin, dans une magnifique instruction pastorale sur l'obligation de confesser publiquement la foi chrétienne, Mgr Pie leur montre qu'ils doivent non seulement s'associer ostensiblement au culte, mais encore se poser en chrétiens dans toute leur conduite publique. Après avoir établi par l'Écriture la rigoureuse nécessité de ne pas rougir de Jésus-Christ devant les hommes, après avoir rappelé sans détour avec saint Jean que les «trembleurs» qui n'osent pas avouer leur foi, auront un même sort avec ceux qui ne croient pas, et dont le partage sera l'étang de feu. «Timidis autem et incredulis, pars illorum erit in stagno ardenti» (Apoc. XXI, 8) Mgr Pie réfute l'objection que la lâcheté, hélas ! met aujourd'hui sur presque toutes les lèvres. La voici : «A tort, sans contredit, la sphère dans laquelle je suis forcément placé n'est pas une sphère chrétienne, constate le catholique timide, m'y poser en chrétien serait une singularité et un contraste, parfois même ce serait une provocation au sarcasme et au blasphème. Il faut bien se plier aux exigences des temps et aux nécessités des positions.»

«Donc, mon très cher frère, répond l'évêque, c'est parce que Jésus-Christ est méconnu de beaucoup de vos contemporains que vous vous croyez autorisé à le méconnaître ; c'est parce qu'un souffle mauvais et irréligieux a passé sur la génération présente que vous revendiquez le droit de participer à la contagion.»

« Eh bien ! sachez-le, cette infidélité générale que vous invoquez comme une excuse, c'est une circonstance qui aggrave plutôt qu'elle n'atténue votre faute. En face de cette apostasie du grand nombre, vous étiez tenu de déclarer plus hautement votre foi et de devenir ainsi un exemple et une protestation. N'entendez-vous pas retentir à vos oreilles la solennelle affirmation du Sauveur : Celui qui se sera fait honte de Moi et de Mon Évangile, devant cette génération corrompue et pécheresse, J'en aurai honte à mon tour quand J'apparaîtrai dans la gloire de Mon Père, en la société de mes anges.»

«Eh quoi ! mon frère, vous seriez avili à vos propres yeux, vous auriez perdu le droit de vous estimer vous-même, si vous aviez la lâcheté de ne pas sembler reconnaître un ami au jour de la disgrâce ; et parce que le Dieu du ciel et de la terre, le Dieu de votre âme et de votre baptême est devenu impopulaire, parce que vous risqueriez de partager avec lui la défaveur d'une génération abaissée et digne de mépris, vous croyez être quitte de vos devoirs envers lui ! Non, non, c'est la loi même de l'ordre et de la justice qui l'exige : nous serons traités de Jésus-Christ comme nous l'aurons traité Lui-même. Si nous Lui demeurons fidèles, nous régnerons avec Lui ; mais si nous Le renions, Il nous reniera...

«Honneur donc à vous, chrétiens, qui êtes conséquents avec vous-mêmes ; honneur à vous qui croyez et qui ne rougissez point de votre croyance. Celui que vous confessez devant les hommes, sans ostentation, sans jactance, mais aussi sans respect humain, sans fausse honte, vous confessera devant Son Père et devant ses anges».[16]

Éclairé et réconforté par de telles paroles, quel est le fidèle qui, méprisant le respect humain, ne travaillera de toutes ses forces par la pratique du christianisme, au règne social du Christ ?[17]

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Le grand moyen pourtant de promouvoir ce règne, c'est la prière qui vivifie l'action et obtient du ciel le succès que nos seuls efforts ne sauraient procurer.

Mgr Pie nous a montré dans les trois premières demandes du Pater : «que Votre nom soit sanctifié, que Votre règne arrive, que Votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel», la prière par excellence, pour l'avènement du Royaume social ici-bas.

Il veut que les fidèles saisissent le sens complet de cette prière et qu'ils sachent que le règne dont il est parlé n'est pas seulement le ciel, mais encore le règne social du Christ sur la terre. Ils doivent donc, en la récitant, désirer ce règne et prier avec confiance le Père céleste d'accorder au monde cet inestimable bienfait.

Écoutons l'Évêque de Poitiers recommander la prière pour le royaume. C'est à une religieuse qu'il s'adresse et par elle, à tous les fidèles qui aiment N.-S. Jésus-Christ. «La cure spirituelle n'avance pas chez ceux qui sont au timon des affaires, soit hommes du pouvoir, soit hommes de l'avenir. Dieu n'est mis par personne à sa place. Hélas ! nous apprendrons à nos dépens, qu'on ne se passe pas impunément de l'Être nécessaire. Le monde lui pardonne son existence, pourvu qu'il veuille bien laisser son œuvre se passer de lui, et ce monde n'est pas seulement le monde impie, mais un certain monde politique chrétien. Pour nous, appliquons-nous à mieux sentir, à mieux accentuer que jamais les trois premières demandes du Pater. Et tant que le monde présent durera, ne prenons point notre parti de confirmer le règne de Dieu au ciel, ou même à l'intérieur des âmes : sicut in coelo et in terra ? Le détrônement terrestre de Dieu est un crime : ne nous y résignons jamais ! Et comme le détrônement de son représentant visible s'y lie étroitement, prions sans cesse pour que la grande iniquité consommée à Rome ait une fin. Puis, comme la délivrance de Rome ne peut venir que par la France, mettons plus que jamais notre patriotisme national, mais mettons surtout toute l'ardeur de notre amour de Dieu, et de Son Église à travailler au relèvement de la France par nos prières et nos souffrances !»[18]

Que les fidèles ne se lassent donc pas de prier pour l'avènement du Royaume et que leur prière, en nos jours d'apostasie nationale, soit plus fervente et plus confiante que jamais ! C'est le mot d'ordre du Cardinal Pie.[19]

Apprendre toute la religion et la pratiquer publiquement, croire à la royauté sociale de Jésus-Christ et prier pour qu'elle arrive, c'est le devoir des fidèles.


CHAPITRE Il : DEVOIR DES PRÊTRES

Rôle capital du prêtre dans le renouvellement social. Le prêtre doit être profondément initié à la doctrine de la Royauté du Christ. Nécessité pour lui d'étudier les documents pontificaux sur cette question. Il doit prêcher la Royauté sociale du Christ sans atténuation, sans relâche et sans peur.


Dans cet immense travail de restauration sociale chrétienne, un rôle capital est réservé au prêtre. Sans lui, rien ne pourra être fait.

«Je crois, écrivait Mgr Pie, quelques jours après sa promotion épiscopale, que Dieu demandera beaucoup de nous, pour le maintien de son Église et le renouvellement de la société. Tout est à refaire pour créer un peuple chrétien;cela ne se fera pas par un miracle, ni par une série de miracles surtout, cela se fera par le ministère sacerdotal, ou bien cela ne se fera pas du tout, et alors la société périra.»[20]

Rempli de ces pensées, il les communiquait à ses prêtres, en leur demandant de consacrer leur vie à la cause du Royaume social de Jésus-Christ. «Ne nous bornons pas comme les simples fidèles à dire chaque jour: Notre Père qui êtes aux cieux, que Votre règne arrive. Vouons notre vie entière, leur disait-il, à procurer cet avènement.»[21]

Mais, à quoi précisément se ramène ce rôle du prêtre ? Mgr Pie va nous l'indiquer :

Le premier obstacle à la restauration du règne du Christ, nous l'avons vu, c'est l'ignorance religieuse, d'où les idées fausses et les préjugés du monde sur cette question capitale.

Le devoir primordial du prêtre sera donc d'instruire, pour redresser les esprits et dissiper les préjugés. C'est là sa mission.

L'évêque de Poitiers la lui rappelle. «Après avoir établi qu'il n'est aucune atteinte, aucune lésion dans l'ordre intel- lectuel qui n'ait des conséquences funestes dans l'ordre moral et même dans l'ordre matériel», après avoir constaté l'ignorance et les mille préjugés accrédités dans le peuple, Mgr Pie poursuit : «Parmi cette confusions d'idées et de fausses opinions, c'est à nous prêtres, de nous jeter à la traverse et de protester ; heureux si la rigide inflexibilité de notre enseignement peut arrêter le débordement du mensonge, détrôner les principes erronés qui règnent superbement dans les intelligences, corriger des axiomes funestes qui s'autorisent déjà de la sanction du temps, éclairer enfin et purifier une société qui menace de s'enfoncer dans un chaos de ténèbres et de désordres.»[22]

C'est là un programme universel d'assainissement intellectuel, mais quant au point qui nous occupe, ce programme sera réalisé, si le prêtre est un homme de doctrine, sachant donner aux fidèles et aux gouvernants l'enseignement complet de l'Église sur la royauté sociale du Christ. Pour que cet enseignement soit proposé avec fruit, Mgr Pie exige du prê- tre qu'il en soit bien pénétré lui-même et le donne sans l'atténuer, dans son intégrité et qu'il ne craigne point d'insister, malgré des difficultés et oppositions inévitables.

Le prêtre doit être d'abord profondément pénétré de la doctrine de l'Église sur la Royauté de Jésus-Christ.

Il faut qu'il la connaisse à fond et, à cette fin, qu'il l'étudie dans les Pères, dans la tradition et qu'il soit scrupuleusement fidèle aux directions doctrinales données en ces derniers temps par le Saint-Siège sur cette haute question.[23]

Dans le bullaire pontifical du XIXè siècle Mgr Pie a en vue tout spécialement l'encyclique «Quanta cura» du 8 décembre 1864 avec le Syllabus errorum qui y est annexé.

«L'acte du 8 Décembre, dit-il à ses prêtres, a une portée considérable... Le naturalisme politique érigé en dogme des temps modernes par une école sincèrement croyante, mais qui se met en cela d'accord avec la société déchristianisée au sein de laquelle elle vit : voilà l'erreur capitale que le Saint Siège a voulu signaler et à laquelle il a voulu opposer les vrais principes de la doctrine catholique...[24]

«Les sociétés, les pouvoirs, les dynasties, rien ne tient, rien ne dure depuis un siècle. De nouvelles et plus effroyables crises sont imminentes. Dans cet état de choses, le Saint Siège proclame la vérité sur les droits de Dieu, sur les devoirs des nations et de ceux qui les régissent. Entendue, sa voix peut sauver les sociétés, les pouvoirs, les dynasties ; méprisée, elle expliquera et justifiera leur chute, leur ruine. Dans tous les cas, l'Église aura rempli sa mission, le pasteur suprême aura délivré son âme...[25].

«En conséquence, que chacun d'entre nous ayant devant soi ce trésor nouveau et ancien, que notre excellent Père en Jésus-Christ a daigné nous ouvrir de la plénitude de son coeur, s'applique à y puiser une doctrine pure et irrépréhensible touchant ces importantes questions.»[26]

Cette doctrine pure et irrépréhensible, le prêtre doit la donner entière.

Mgr Pie, dans une instruction synodale, compare la doctrine sociale chrétienne à un merveilleux breuvage qui doit sauver la société. Le prêtre est le médecin. Que par des mélanges, il n'enlève pas à la précieuse boisson sa puissante vertu curative.

Écoutons plutôt : «Supposons qu'en. temps d'épidémie le pharmacien de la cité ait la barbarie de couper de moitié eau l'antidote qui aurait besoin de toute sa puissance pour triompher du fléau mortel, cet homme serait-il moins criminel qu'un empoisonneur public ? Or, la société moderne est en proie à un mal terrible qui lui ronge les entrailles et qui peut la précipiter au tombeau. Le contrepoison ne sera efficace que s'il garde toute son énergie ; il sera impuissant s'il est atténué. Ne commettons pas le crime d'obéir aux fantaisies, aux sollicitations même du malade. Le miel, aux bords de la coupe, à la bonne heure, mais que le breuvage conserve toute sa force, sinon la société périra «par cette funeste condescendance».[27]

Enfin, sans crainte de se répéter, le prêtre doit insister sur l'enseignement des droits sociaux de Jésus-Christ. Prêcher, sans relâche, le règne de Dieu «prædicare regnum Dei, c'est le devoir premier du prêtre, comme c'est le plus grand besoin de l'époque présente.»[28]

Mgr Pie indique aux prêtres les raisons d'une proclamation incessante. Il faut prêcher les droits de Jésus-Christ sur la société, parce que le naturalisme politique qui s'y oppose est toujours très vivant, étendant de jour en jour ses ravages. Il faut prêcher cette doctrine, sans se lasser jamais, parce que le naturalisme triomphera fatalement, si le sacerdoce ne lui oppose la réfutation la plus incessante. «Ne nous reprochez pas, dit-il, de revenir si souvent sur cette question des droits de Jésus-Christ sur la société ; le devoir du médecin spirituel, comme du médecin des corps, dure aussi longtemps que le mal qu'il s'agit de déraciner. Nos plus saints et nos plus illustres devanciers nous ont tracé le devoir à cet égard. Les erreurs des Donatistes avaient une portée incomparablement moindre que celles dont nous expérimentons actuellement les lamentables effets. Nous voyons cependant, en lisant les sermons du saint Évêque d'Hippone, qu'il n'omettait pas une occasion de reprendre contre eux une polémique devenue à peu près quotidienne. L'esprit de secte est éminemment opiniâtre et entêté ; sans égard aux réponses les plus péremptoires, aux réfutations les plus décisives, il répète imperturbablement les même banalités, reproduit invariablement et non sans pudeur les mêmes lieux communs. Si les défenseurs de la vérité, par une délicatesse hors de propos, se font scrupule de la redite, s'ils ne renouvellent pas les coups déjà cent fois portés au mensonge, celui-ci reste maître du terrain.»[29]

Que le prêtre ne se lasse donc pas de proposer à la société cette doctrine de vie, qu'il l'enseigne à temps et à contretemps, sans hésitation, sans crainte. Il est bien vrai que sa parole sera tenue par les ennemis du règne de Jésus-Christ, comme une parole intéressée[30], «parole dangereuse et funeste pour le pays»[31]. Il est vrai encore «que son attitude énergique en face du naturalisme rencontrera la contradiction et le blâme, même chez les bons», que son intervention sera discutée, dans sa forme, dans son opportunité, dans ses résultats et deviendra le thème des appréciations les plus diverses.»[32]

Qu'importe ! C'est la loi de la vérité d'être combattue mais c'est aussi sa loi de triompher par l'opposition même qui lui est faite.

Telle est la mission du prêtre pour la restauration du Règne social : mission doctrinale.[33]


CHAPITRE III : DEVOIRS DE L'ÉLITE INTELLECTUELLE ET DES CHEFS

RÔLE VÉRITABLEMENT CAPITAL DES CHEFS POUR LA RESTAURATION SOCIALE CHRÉTIENNE CHAPITRE III :

Mais à qui sera-t-il donné de réaliser cette doctrine enseignée par le prêtre ? A qui incombera d'introduire le Droit chrétien dans les lois et les institutions ?

Mgr Pie le précise. C'est d'en haut que doit partir le mouvement. Voici ses paroles : «Les dispositions de ceux qui président ici-bas aux empires ont une importance réelle. C'est qu'ils peuvent beaucoup pour la vie ou la mort des âmes. Avec Constantin, le monde entier, je veux dire le monde connu et civilisé, ne tarde pas à devenir chrétien. Le baptême de Clovis entraîne celui de tout le peuple franc. Tant que le prince n'est pas conquis à la vérité, l'apostolat peut multiplier les conquêtes individuelles, mais il ne remporte pas sa victoire définitive qui est la proclamation publique et sociale de la vérité. Les peuples ne sont entrés en masse dans l'Église qu'à la suite de leurs princes et l'Église n'a régné sur les nations, sur leurs lois, sur leurs institutions, sur leurs mœurs que quand elle a pris possession du cœur des rois.»[34]

La réponse est claire et nous voici, avec le grand évêque, au cœur de notre sujet. C'est par les princes, les chefs de peuples que Jésus-Christ a régné autrefois et c'est par eux qu'il veut régner aujourd'hui.

Les chefs sont de deux sortes : l'élite intellectuelle et, au sens strict, tous ceux qui détiennent à quelque degré l'autorité civile : empereurs ou rois, présidents de Républiques, ministres, membres des assemblées nationales, préfets de provinces et magistrats de communes.[35]

Quels devoirs leur impose la Royauté sociale de Jésus-Christ ?

Mgr Pie les indique longuement, avec une insistance qui nous montre combien ce sujet lui tenait au cœur. Pour exposer complètement son enseignement, nous donnons dans ce chapitre, divisé en deux parties : les devoirs communs à l'élite intellectuelle et aux chefs d'abord, puis, les devoirs de l'élite intellectuelle. Quant aux obligations spéciales des chefs politiques, elles formeront une section distincte : le programme de Restauration sociale.


I - DEVOIRS COMMUN A L'ÉLITE INTELLECTUELLE ET AUX CHEFS

Solide et complète instruction religieuse basée sur la philosophie de saint Thomas d'Aquin.- Participation ostensible et officielle à la vie liturgique de l'Église.

L'évêque de Poitiers rappelle tout d'abord que le titre de laïques, que se donnent volontiers les chefs des sociétés modernes pour justifier leur neutralité areligieuse, ne les dispense pas de leurs devoirs de chrétiens.

«Laïque» est un nom de création et d'origine chrétienne[36], il n'est pas synonyme d'indifférent ; il équivaut au nom de fidèle, par opposition à celui de clerc et de moine[37]. La qualité de laïque n'exclut donc pas les conséquences du baptême chrétien[38], mais bien plutôt elle les implique rigoureusement[39]. Ainsi, pour Mgr Pie, le premier devoir des chefs, comme des autres fidèles, c'est qu'ils s'instruisent de la religion chrétienne.

«Sachez au moins votre catéchisme, s'écrie-t-il, vous qui gouvernez le monde»[40].

Il exige plus, il veut chez les chefs, cette instruction solide, complète, supérieure, et il en trace lui-même le programme détaillé. C'était en 1875, à l'occasion de l'érection de la Faculté de théologie de Poitiers. L'évêque aurait voulu y voir entrer tous ceux qui un jour pourront avoir une part au gouvernement du pays. «Si l'enseignement d'une bonne faculté de théologie, disait-il, recrutait chaque année dix ou douze étudiants laïques des divers points de la France, s'ils venaient y suivre un bon cours de philosophie selon saint Thomas, un cours de droit naturel, un cours de droit social chrétien et de droit ecclésiastique, avec cela le pays changerait de face.

«Dans dix ans, cent élèves auraient reçu cet enseignement et la moitié d'entre eux dussent-ils n'en pas profiter, car il faut prévoir les défaillances, les autres iraient porter dans les fonctions de l'État, dans les carrières libérales, augrand avantage du pays, cette science que le prêtre est le seul aujourd'hui à connaître et dont, en dehors de lui, nul n'a plus l'idée. Une vingtaine, une trentaine d'hommes supérieurs, fortement nourris de la science du droit, appuyée des principes dont l'Église est demeurée seule dépositaire, auraient une influence énorme soit dans une assemblée nationale, soit dans la gestion des diverses charges publiques»[41].

Notons bien l'ampleur et la profondeur de ce programme d'études : un bon cours de philosophie selon saint Thomas[42], un cours de droit naturel, un cours de droit social chrétien et de droit ecclésiastique.

Ce programme est véritablement génial par son adaptation très parfaite à l'élite sociale contemporaine. Nos chefs politiques, par exemple, c'est la remarque de Mgr Pie lui-même, ne manquent pas de talents, de noblesse, de générosité et de grandeur[43]. Mais chez eux, le mal est dans l'intelligence, faussée par une philosophie subjective ou agnostique. Cette mauvaise philosophie a engendré la mauvaise politique[44], car, affirme-t-il, «la mauvaise politique n'est pas autre chose que, la mauvaise philosophie érigeant ses principes en maximes de droit public.»[45] Ce mal intellectuel a tellement infecté l'élite qu'un penseur éminent a pu écrire : «Ce qui combat ma foi dans l'avenir de la France, c'est que l'erreur a envahi presque complètement les classes dirigeantes.»[46]

Pourtant, à ce mal qui semble incurable, le Cardinal Pie oppose le seul remède efficace et infaillible : le retour à la philosophie de saint Thomas, c'est-à-dire à une philosophie qui, scolastique par ses principes et par ses méthodes, prouve la puissance et les limites de la raison et le caractère absolu de la vérité[47].

A cette philosophie doit s'ajouter une connaissance assez étendue de la théologie et tout spécialement du droit social chrétien et du droit ecclésiastique. «Le salut n'est que là» dit-il.[48]

Tel est le premier devoir des chefs : pour faire régner Jésus-Christ sur la société, s'adonner aux études supérieures et demander à la véritable philosophie et à la théologie elle-même les solutions dont le pays a besoin.[49] Mgr Pie ne se lasse pas de leur répéter les paroles des adversaires eux-mêmes[50] : «la théologie est au fond de toutes les questions contem- poraines... La question religieuse résume et domine toutes les autres, les questions politiques y sont nécessairement subordonnées.»[51]

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Il exige ensuite que tous les chefs de peuple prennent part officiellement au culte public de l'Église. Nous avons vu, au sujet du devoir des fidèles, quelle importance il attachait au culte public, expression partielle de la Royauté sociale. Il aimait à redire que «l'avenir de la France dépend beaucoup plus qu'on ne pense d'une question de liturgie», et il ajoutait pour justifier son assertion : «La question sociale ne sera dénouée que par la question religieuse et la question religieuse tient surtout à une question de culte.»[52]

Mais ce grand retour du peuple chrétien à la liturgie, condition nécessaire de la restauration du droit chrétien, ne pourra se réaliser que si l'élite et les chefs en donnent l'exemple. Cet exemple «sera le moyen infaillible de la génération de tout un peuple». Mgr Pie entre ici dans les détails pratiques : «Que tous les hommes influents observent religieusement et fassent observer de tous ceux qui leur obéissent le jour consacré à Dieu ; qu'ils assistent avec foi et piété au sacrifice des autels ; qu'ils entendent avec docilité et respect la parole évangélique... qu'ils viennent humblement avouer leurs fautes et puiser dans les sacrements catholiques[53] la lumière et la force dont, pour leur part, ils ont assurément besoin et bientôt leur exemple sera suivi et c'est à peine si les prêtres de Jésus-Christ suffiront à remplir le ministère des âmes»[54] ; et, parlant toujours à l'élite et aux chefs, il conclut par ce grave avertissement : «Sachez-le donc bien, hommes d'ordre et de conservation, si le désordre finit par triompher en France, s'il vient un jour de complète ruine pour tous les intérêts à la fois, vous serez responsables au tribunal de l'histoire d'avoir opté pour tous ces malheurs plutôt que de revenir à la pratique d'une religion qu'avaient pratiquée vos pères depuis plus de quatorze siècles. Le salut était possible, vous n'aurez pas voulu l'acheter à ce prix.»[55]

Pratiquer publiquement la religion catholique voilà le deuxième devoir des chefs et de l'élite intellectuelle.

Un dernier devoir leur est imposé pour qu'ils fassent régner Jésus-Christ sur la société : l'élite intellectuelle, ou le savoir, doit donner un enseignement nettement catholique, et les chefs, ou le pouvoir, doivent réaliser en politique, le programme chrétien.


II - DEVOIR SPÉCIAL DE L'ÉLITE INTELLECTUELLE : FAIRE RÉGNER J.-C. DANS L'ENSEIGNEMENT

Obligation rigoureuse de donner un enseignement chrétien. - La neutralité scolaire, injurieuse à Dieu et irréalisable. - L'enseignement de la loi et de la religion naturelles insuffisant et chimérique. - Réponse aux objections.


Étudions d'abord le devoir spécial de l'élite intellectuelle. Par élite intellectuelle, nous désignons les philosophes, les historiens, les littérateurs, etc... et en général tous ceux qui écrivent mais spécialement les professeurs qui ont la délicate mission de présider à la formation intellectuelle et morale de l'enfance et de la jeunesse.

Dans sa deuxième synodale sur les erreurs contemporaines, le Cardinal Pie constate, avec douleur, que l'élite intellectuelle a collaboré puissamment au renversement de la Royauté sociale de Jésus-Christ. «Ne dirait-on pas, écrit-il, que les philosophes de ces derniers temps, profitant de leurs accointances avec les politiques, ont inventé le secret de faire le vide autour de Jésus-Christ ? On ne l'attaquera pas, on ne contestera pas son droit de commander mais toutes les forces vives de la nature humaine seront tenues tellement à l'écart et en dehors de lui, qu'il sera sur la terre un roi sans ministres ou plutôt sans sujets.»[56]

Ayant reproché à toute l'élite intellectuelle d'avoir fait par son silence le vide autour de Jésus-Christ, il s'adresse à tous ceux qui enseignent et les conjure de sortir de ce silence, pour être fidèles à la rigoureuse obligation d'être chrétiens dans leur enseignement.

Citons cet énergique réquisitoire contre l'enseignement neutre : «Comment un catholique, qui accepte de donner l'enseignement oral ou écrit à d'autres catholiques, pourra-t-il jamais concilier les maximes séparatistes de la prétendue philosophie officielle avec les exigences intimes de sa foi et de la foi de ses auditeurs ? Qu'on se rappelle les principes de saint Thomas[57] qui déterminent les occasions dans lesquelles tout homme baptisé est tenu de professer sa croyance. Qu'on dise si l'honneur de Dieu, la cause de la foi, l'utilité du prochain peuvent s'accommoder du système de réticences et du faisceau de principes erronés dont se compose la philosophie naturaliste ? «Celui qui m'aura avoué et confessé devant les hommes, dit N.-S. Jésus-Christ, je l'avouerai et confesserai devant mon Père céleste. Or, le chrétien dont il s'agit, aura passé sa vie à traiter de la science qui a les points de contact les plus multipliés et les plus inévitables avec la religion, avec son dogme, avec sa morale, avec son culte, avec son histoire. Il avait pour auditeurs, pour lecteurs des hommes baptisés comme lui, vivant dans un milieu trop souvent indifférent ou sceptique, des jeunes hommes dont le jugement déjà plus mûr, les passions plus ardentes, réclamaient une doctrine forte et solide qui les aidât à retenir et peut-être à recouvrer la foi baptismale. Mille occasions naturelles se présentaient à lui de se déclarer chrétien et de laisser apercevoir, sous son manteau de philosophe, la robe de son baptême. Eh bien ! non ; il a parlé de tout, de Dieu, de l'âme, du corps, de l'origine de l'homme, de ses facultés, de sa destinée, de la vie présente, de la vie future et pas une fois, il n'a prononcé, avec l'accent d'un croyant, le nom de Dieu fait homme ; pas une fois il n'a présenté à son disciple les caractères raisonnables et rationnels de la foi chrétienne ; il a disserté toute sa vie en païen, en infidèle ; et tandis que la religion demande à régler et à sanctifier tous les états, il a rempli le plus noble, le plus auguste, le plus divin de tous les états humains, sans jamais y faire acte positif de religion ; ou plutôt, il a tenu toujours la vérité captive, il l'a opprimée dans son injuste silence ; toute sa philosophie, loin de conduire à Jésus-Christ, n'a semblé tendre et n'a réussi qu'à supprimer Jésus-Christ, à le rendre inutile ; toute sa sagesse humaine a eu pour résultat d'anéantir, et comme parle saint Paul d'évacuer la croix du Sauveur, en faisant les hommes justes par la seule foi de leur nature, son enseignement les a détachés de Jésus-Christ et fait déchoir de sa grâce. Ah ! si tous ceux qui auront dit : "Seigneur, Seigneur, ne seront pas admis pour cela dans le royaume des cieux", combien ceux-là sont assurés d'entendre la terrible parole . Nescio vos : "Je ne vous connais pas" qui n'auront pas même voulu prononcer le nom du Seigneur Jésus ! "Celui qui ne M'aura pas confessé devant les hommes, dit Jésus-Christ, Moi aussi Je ne le reconnaîtrai pas devant Mon Père céleste. Celui qui M'aura renié devant les hommes,Je le renierai devant les anges et les élus". Sur la terre cet homme apostat, quoiqu'il n'y fût bon à rien qu'à corrompre l'esprit public et à perdre les âmes, a pu être supporté, il a pu être admiré, il a pu être encouragé dans sa profession funeste, il a pu être richement payé sur le budget de la nation à laquelle ses doctrines préparaient tous les dix ou quinze ans de nouveaux renversements, mais ce triomphe aura un terme. "Un jugement très dur, nous dit l'Écriture, est réservé à ceux qui président aux autres". Quel sera donc le jugement réservé à ceux qui n'auront usurpé la direction intellectuelle des âmes que pour creuser un abîme infranchissable entre la raison et la foi, c'est-à-dire entre les hommes et le salut éternel !»[58]

Les professeurs doivent donc faire régner Jésus-Christ dans leur enseignement, mais une objection se présente : les élèves qui affluent aux écoles de l'État ne sont pas tous catholiques. Il y a parmi eux des juifs, des protestants, et même les musulmans sont en grand nombre, surtout dans nos colonies.[59]

Il faut donc, dira-t-on, que l'enseignement officiel n'offense aucune de ces croyances et la neutralité s'impose.

Nullement, et voici la pensée du Cardinal Pie. Les protestants, les juifs, les musulmans pourront avoir des écoles à eux, écoles réservées à leurs coreligionnaires et tolérées par l'État.[60] Mais, si les parents des enfants non catholiques, les envoient librement aux écoles de maîtres catholiques, la neutralité dans ces écoles serait une injure à Dieu et une cruelle injustice envers ces élèves, car pourquoi ne pas éclairer ces hérétiques ou ces infidèles ? pourquoi les laisser dans la nuit de l'hérésie ou de l'infidélité «laquelle, au témoignage du Docteur angélique, est le comble de la perversité morale»[61].

Mgr Pie, du reste, montre que cette neutralité, injurieuse à Dieu, est absolument irréalisable. Il faut lire attentivement les pages de la deuxième synodale, où il prouve qu'il est impossible à un professeur de ne pas offenser soit le catholique, soit le protestant, soit le musulman sur des points très importants de doctrine, de morale et d'histoire qu'il devra nécessairement aborder. Voici ces lignes : «Car enfin, c'est bien vite dit : "les principes de morale et de religion communs à tous les peuples", la pratique est un peu plus difficile qu'on ne pense. Voici une école de philosophie fréquentée par des élèves de toutes les nations, de toutes les religions, de toutes les sectes. Le programme consiste à n'offenser personne dans ses convictions, à ne détourner personne de son culte. Mais, en matière de religion naturelle, que direz-vous de l'idolâtrie ? En matière de morale naturelle, que direz-vous de la polygamie ? Qu'enseignerez-vous sur l'unité de Dieu, sur la sainteté du lien conjugal ? Les idolâtres, les infidèles, les musulmans sont rares parmi nous, me dites-vous : il n'y a lieu d'en tenir compte. Toujours est-il que voici des centaines de millions d'individus, parmi lesquels la conquête de l'Algérie nous fait compter un assez grand nombre de citoyens français exclus de votre enseignement ou forcément blessés par votre enseignement, qui affichent cependant la prétention de s'accommoder à toutes les religions. Toutefois, consentons à ne parler que des chrétiens. Qu'enseignerez-vous sur le fatalisme, si clairement professé par Luther et Calvin ? Sur le libre arbitre audacieusement nié par ceux-ci, sur l'inutilité de bonnes œuvres professée par ceux-là, sur les châtiments éternels de l'autre vie rejetés par le plus grand nombre ? Ou vous allez offenser des croyances, ou vous allez laisser vivre des erreurs aussi contraires à la raison naturelle à la tradition historique du genre humain qu'opposées à la révélation. Mais que parlé-je de révélation ? Les chrétiens sincères de toutes les communions diverses et les juifs eux-mêmes sont d'accord sur ce point : ils croient, non seulement à l'existence, mais à l'obligation d'une doctrine et d'une morale révélées ; pas un d'eux ne suppose qu'on puisse refuser à Dieu le pouvoir de se mettre en rapport direct avec sa créature, de lui enseigner des vérités inaccessibles à la raison, de lui intimer des préceptes surajoutés aux préceptes intérieurs de la conscience, de lui assigner une fin supérieure à sa fin propre et naturelle, de lui communiquer des grâces surnaturelles et proportionnées à cette fin, de lui envoyer un réparateur après sa chute, d'instituer une société divine sur la terre. Toucher à cela, c'est toucher à toute la substance de la religion juive ou chrétienne. Or, le principe même de la philosophie séparée renverse l'existence, ou à tout le moins l'obligation de tout l'ordre révélé ; dans ses plus grandes condescendances, il laisse tout au plus subsister comme un complément facultatif, réel ou imaginaire, ce que la foi présente comme la condition positive et le fondement rigoureux du salut. La philosophie souveraine et indépendante ne peut donc s'affirmer elle-même qu'en blessant la première et la plus élémentaire croyance de tout disciple de la révélation : et, dès qu'elle se montre à lui, tout en lui parlant de conciliation universelle, elle laisse clairement apercevoir une incompatibilité radicale entre elle et lui. Cette incompatibilité est surtout flagrante s'il s'agit de la religion catholique : la philosophie séparée n'est acceptable ni pour la conscience du maître ni pour celle du disciple.»[62]

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Les professeurs insistent : nous n'offensons personne si nous arrivons à enseigner la loi, la religion, la morale naturelle, et rien de plus ; car, après tout, nos élèves sont tous des hommes ; ils se rencontrent dans l'unité de la nature humaine.

Mgr Pie, qui vient de démontrer qu'en fait on offensera toujours les élèves en taisant la religion, puisque tous en ont une, aborde ailleurs franchement cet autre problème : la religion et la loi naturelles suffisent-elles et se suffisent-elles à elles-mêmes ?

Nullement, répond-il, car Dieu nous impose inséparablement la religion naturelle et la religion surnaturelle. Indépendamment de sa portée plus haute, seule, la religion surnaturelle nous donne de connaître et pratiquer la religion naturelle.


Transcrivons les pages lumineuses qui dissiperont les ténèbres de la fausse philosophie sur cette importante question. C'est à propos du livre de J.Simon, La religion naturelle, que l'Évêque de Poitiers les a écrites.

«Les écrivains rationalistes, qui se sont faits depuis quelque temps les chevaliers de la religion naturelle, s'appliquent soigneusement à dissimuler une chose aussi essentielle qu'elle est incontestable : c'est que la religion naturelle existe tout entière dans le christianisme et n'existe spéculativement et pratiquement tout entière que là. A les en croire, le sectateur de la simple religion naturelle trouverait en elle le fond de toutes choses, le fond de toute vérité, de toute morale, et la religion surnaturelle ne surviendrait que pour offrir à ses disciples des formes de cultes et des pratiques de vertu plus ou moins surérogatoires, plus ou moins respectables, mais, dans tous les cas, nullement indispensables pour l'accomplissement des préceptes de la religion naturelle. Malheureusement, ici encore, la philosophie moderne affirme et ne prouve pas, ou plutôt, son affirmation est la contrevérité morale et historique la plus flagrante. Qu'on nous la montre quelque part dans l'histoire, qu'on nous la montre dans l'humanité, à une époque et sous un ciel quelconque, cette religion naturelle vivant pleinement de sa propre vie, se réalisant et se formulant dans une société gouvernée par ses seules maximes, fournissant un code suffisamment complet de vérités et de préceptes, et surtout procurant le respect et le maintien de ces vérités dans les esprits, l'accomplissement et la pratique de ces préceptes dans les mœurs. Soixante siècles sont là pour le dire : ce phénomène n'existe pas ; c'est une hypothèse, ce n'est pas un fait. Le fait, c'est que notre nature est si faible de son propre fonds, et qu'elle a été en outre tellement affaiblie par le péché, qu'elle est impuissante par elle seule à connaître, à retenir toutes les vérités de la religion naturelle et plus impuissante encore à observer par ses propres forces tous les préceptes religieux et moraux de cette même loi naturelle. Le fait enfin, c'est que le christianisme, indépendamment de sa portée plus haute, réalise seul ici-bas toute la religion naturelle... Le christianisme complète donc, il augmente, il perfectionne, mais il n'exclut pas, il contient essentiellement, éminemment toute la religion naturelle, tous les devoirs et toutes les vertus de l'ordre naturel. Jésus-Christ n'a pas créé un nouveau décalogue, il a maintenu le décalogue antique qui n'est lui-même que le code révélé de la morale naturelle... En dernière analyse, un homme qui est chaste, qui est juste, qui honore Dieu n'est qu'un honnête homme ; or, je le répète avec saint Paul et avec l'Église, Jésus-Christ est venu apporter Sa lumière et Sa grâce afin que nous soyons cela, et que nous le soyons avec une valeur et un mérite qui nous élèvent au-dessus de l'honnête homme et qui nous rendent les fils adoptifs de Dieu...

«Il est donc essentiel de ne pas laisser les philosophes naturalistes donner le change plus longtemps aux esprits sur cette matière. Eux-mêmes avouent que la religion naturelle n'a pas et n'est pas susceptible d'avoir ses représentants à part, son corps sacerdotal à part ; et cette religion ne paraît si commode à ses prôneurs que parce qu'ils entendent bien ne relever que du sacerdoce assez complaisant de leur propre arbitre et n'avoir à rendre compte de rien à personne...

«C'est pourquoi, à tout philosophe, épris d'amour et de zèle pour la religion naturelle, je dirai : Mon frère, prosternez-vous à deux genoux devant le christianisme ; car lui seul est le conservateur, le restaurateur, le promoteur de la religion naturelle ; lui seul en maintien toute l'intégrité doctrinale au moyen de ses enseignements précis et inflexibles; lui seul en obtient toute l'observation pratique au moyen des secours et des grâces qu'il procure... Philosophe qui faites un livre dont tout le résultat est de séparer la religion naturelle de son auxiliaire pratiquement indispensable, vous avez péché non seulement contre la loi de grâce, mais contre la loi de nature elle-même ; abandonnez une thèse si mal posée ; sinon, défenseur apparent de la religion naturelle, vous en seriez dans la réalité l'ennemi le plus perfide et le plus acharné démolisseur.»[63]

Reste une difficulté que Mgr Pie n'a pas connue comme nous : la loi de l'enseignement neutre.

L'évêque de Poitiers s'adressant, en 1857, aux maîtres enseignant en France, pouvait leur dire, en stigmatisant ceux qui alors donnaient un enseignement neutre : «Toutes leurs excuses seront trouvées vaines, car nous l'avons prouvé, ni aucun des exemples qu'ils invoquent ne les justifie, ni aucune loi ni aucune institution du pays ne leur fait une nécessité de dissimuler et d'abdiquer leur croyance.»[64]

Ces paroles n'ont plus leur application aujourd'hui, elles nous montrent du moins que Mgr Pie ne serait pas sans excuse pour les maîtres de l'enseignement public qui dissimulent leur foi. Pour beaucoup d'entre eux, c'est une dure nécessité.

Que faire ? Que dirait aujourd'hui à ces maîtres l'évêque de Poitiers ? Sans nul doute, il leur ferait comprendre combien est odieux le dur esclavage auquel la loi impie les réduit ; il les encouragerait à se grouper en associations de professeurs chrétiens. Il les pousserait à demander l'abolition de cette loi criminelle et stupide et, rencontrant des âmes plus fortes dans leur foi et plus généreuses, peut-être, ne craindrait-il pas de leur conseiller la résistance ouverte, leur rappelant la parole de saint Pierre : «Il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes.»


SECTION Il : LE PROGRAMME DE RESTAURATION CHRÉTIENNE

Il nous reste à parler maintenant du suprême devoir qui s'impose, non plus à l'élite intellectuelle, mais aux chefs de la nation. Ils doivent, avons-nous dit, réaliser le programme de gouvernement chrétien. D'après Mgr Pie, ce programme demande aux pouvoirs civils qu'ils se tiennent unis à l'Église et légifèrent selon les principes chrétiens.


CHAPITRE I : LE PROGRAMME CHRETIEN

Sa première condition : L'union de l'Église et de l'État. - Doctrine de l’Eglise et du Cardinal Pie sur cette importante question. – Ses bases théologiques. - Réfutation des doctrines libérales sur les rapports de l'Église et de l'État.


L'union de l'Église et de l'État, c'est la condition primordiale d'un gouvernement chrétien.

«L'accord parfait du sacerdoce et de l'empire est le droit commun et l'état normal des sociétés chrétiennes»[65] enseigne Mgr Pie avec toute la tradition catholique, et il repousse énergiquement toute idée de séparation.[66] Sur ce sujet des rapports de l'Église et de l'État, il faudrait lire I'œuvre entière de l'Évêque de Poitiers, mais particulièrement les trois instructions synodales sur les erreurs du temps présent. Sa doctrine, qui est très exactement celle de l'Église, se résume ainsi : La société civile et la société religieuse sont deux sociétés réellement distinctes et indépendantes dans leur sphère propre. Pourtant, la société civile, bien que distincte de l'Église, société religieuse, doit lui être unie et subordonnée. La raison de cette union et de cette subordination est la volonté expresse de Jésus-Christ qui impose l'ordre surnaturel non seulement aux individus et aux familles, mais aux sociétés elles-mêmes, ainsi qu'il a été prouvé plus haut.[67]

Mgr Pie, cherchant la cause de cette volonté, la trouve en Jésus-Christ lui-même, Dieu et homme. Jésus-Christ, type et modèle de l'union de l'Église et de l'État ! Bien peu d'écrivains, même ecclésiastiques, élèvent leur théologie à cette hauteur. Mgr Pie s'y complaît, y trouvant la preuve capitale et la base de toute la doctrine qui fixe les relations de l'Église et de l'État. Il nous montre que Jésus-Christ a uni en Lui indissolublement l'ordre naturel et l'ordre surnaturel et qu'Il astreint la société chrétienne à une semblable union. De même qu'en Jésus-Christ, la nature divine et la nature humaine sont distinctes, sans se confondre, conservant chacune, sans altération, leurs qualités et leurs opérations, unies indissolublement sans jamais se séparer en la personne du Fils de Dieu, ainsi la société chrétienne, est constituée par deux éléments : l'Église et l'État qui doivent être dis- tincts, non confondus, unis, non séparés.[68]

Ajoutons que les deux natures du Christ étant inégales et par conséquent subordonnées, l'humaine à la divine, les deux éléments de la société chrétienne doivent être de même subordonnées, l'État à l'Église.

Citons quelques textes : « Si le Christ est le Dieu fait homme, l'humanité tout entière fait partie du système dont Il est le centre : elle est tenue de se laisser emporter dans sa loi, dans son mouvement et de graviter vers Lui.»[69]

Aussi, pour Mgr Pie, séparer l'Église et l'État, c'est porter atteinte au Christ, s'attaquer directement à Lui, commettre «cet attentat qui consiste à dissoudre Jésus-Christ ; solvere Jesum (I Jean IV, 3), à briser ce nœud de l'Incarnation, ce nœud du Verbe fait chair, ce nœud vivant et éternel où s'unissent indissolublement, sans jamais se confondre, la nature divine et la nature humaine, le Dieu parfait et l'Homme parfait.»[70]

Et quant au point spécial de la subordination de l'État à l'Église, Mgr Pie, dans une lettre fameuse,[71] la déclare au Ministre de l'instruction publique et des cultes, en ces termes : «Vouloir que l'Église de Jésus-Christ, dit-il, se démette du droit et du devoir de juger en dernier ressort de la moralité des actes d'un agent moral quelconque particulier ou collectif, père, maître, magistrat, législateur, même roi ou empereur, c'est vouloir qu'elle se nie elle-même, qu'elle abdique son essence, qu'elle déchire son acte d'origine et les titres de son histoire, enfin qu'elle outrage et qu'elle mutile Celui dont elle tient la place sur la terre».[72]

Même doctrine dans une instruction pastorale célèbre, où il appelle hardiment antéchrists tous ceux qui voulant de Jésus-Christ pour l'individu et la famille, l'excluent de l'État, sécularisant la société. «Ni dans sa personne, dit-il, ni dans l'exercice de Ses droits, Jésus-Christ ne peut être divisé, dissous, fractionné ; en Lui la distinction des natures et des opérations ne peut jamais être la séparation, l'opposition ; le divin ne peut être antipathique à l'humain, ni l'humain au divin. Au contraire, Il est la paix, le rapprochement, la réconciliation ; Il est le trait d'union qui a fait les deux choses une : Ipse est pax nostra qui fecit utraque unum. C'est pourquoi saint Jean nous dit : «Tout esprit qui dissout Jésus-Christ, n'est pas de Dieu et c'est proprement lui qui est cet antéchrist dont vous avez entendu dire qu'il vient et qu'il est déjà dans le monde.» Lors donc que j'entends certains bruits qui montent, certains aphorismes[73] qui prévalent de jour en jour, et qui introduisent au cœur des sociétés, le dissolvant sous l'action duquel doit périr le monde, je jette ce cri d'alarme : Prenez garde à l'antéchrist : Unum moneo, cavete antichristum[74]

Ainsi l'évêque de Poitiers a toujours combattu la séparation de l'Église et de l'État. Au reste, il a combattu toute séparation, celles de la raison et de la foi, de la nature et de la grâce, de la religion naturelle et de la religion révélée, la séparation du philosophe et du chrétien, de l'homme privé et de l'homme public.[75] Il voyait en elles une résurrection du dualisme manichéen[76] et il les a toutes combattues avec, pour argument suprême, la loi constitutive du Christ. Aussi, c'est en toute vérité, qu'écrivant au comte de Persigny, il pouvait se rendre ce témoignage : «Nous n'avons rien de commun avec les théoriciens et les praticiens de la désunion et de l'opposition des deux ordres, temporel et spirituel, naturel et surnaturel. Nous luttons, au contraire, de toutes nos forces contre ces doctrines de séparation qui aboutissent à la négation même de la religion et de la religion révélée[77]

A cette doctrine de l'Église, que Mgr Pie rappelait aux chefs des nations, les libéraux opposaient des faits en faveur de la séparation.

Certains pays : la Belgique et l'Amérique par exemple, n'avaient-ils pas proclamé la séparation de l'Église et de l'État, et l'Église dans ces pays ne jouissait-elle pas de la plus complète liberté ?

Il répond hardiment : «Le système américain et belge, ce système d'indifférence philosophico-politique, est éternellement un système bâtard.»[78] ; et s'adressant à une délégation de l'Université de Louvain, il ne craint pas de dire aux Belges eux-mêmes : «Sans doute, je ne garantirais pas le lendemain de la nation (Belge), car malheureusement son organisation politique et sociale, n'est point calquée sur les principes de l'Université de Louvain, et les États ne subsistent qu'à la condition de mettre la vérité à la base du gouvernement. Mais moyennant l'action continue et féconde de ce grand établissement catholique, je me plais à espérer pour le peuple belge, à défaut du lendemain dont je ne réponds pas un surlendemain d'ordre durable et sérieux parce qu'il sera assis sur des institutions chrétiennes.»[79]

La parole du grand évêque est franche ; elle est nette. Elle s'adresse à tous les chefs de peuples et se résume ainsi L'état normal et le salut pour les gouvernements n'est que dans l'union avec l'Église.


CHAPITRE Il : LE PROGRAMME CHRÉTIEN (Suite)

Ses lignes générales : il doit renier les principes de la Révolution. - Il doit affirmer les droits de Dieu, de J.-C. et de l'Église.


Pleinement réalisée, l'union de l'Église et de l'État impliquerait de soi une législation chrétienne, car l'État recevrait alors la direction morale de l'Église et s'efforcerait de l'appliquer. Mais, il y a une union imparfaite de l'Église et de l'État : c'est l'union concordataire. Elle existait précisément, du vivant de Mgr Pie, entre la France et le Saint-Siège ; union imparfaite, car le Concordat, au grand regret du Souverain Pontife, laissait subsister une constitution nationale antichrétienne, basée tout entière, sur les droits de l'homme, «en concurrence et en opposition avec les droits de Dieu.»[80]

Dans un mémoire resté inédit, Mgr Pie indiquait avec précision cette situation étrange de la France moderne : «Les gouvernements des sociétés contemporaines, écrit-il, sont à l'égard de l'Église en trois situations : 1° ennemis et voilà l'Église sous le glaive de Néron ou de Robespierre ; 2° alliés, et la voilà appuyée sur le sceptre de Théodose et de Charlemagne ; 3° étrangers, et la voilà en face de la Constitution belge ou américaine. Or ce qui est la source de tant de confusion, c'est que notre société française, mélange de tous ces éléments, est vis-à-vis de l'Église: ennemie par l'esprit révolutionnaire qui anime ses lois ; alliée par ses antécédents et par le fait des concordats ; étrangère par sa constitution politique et sa plus récente charte constitutionnelle.»[81]

S'adressant aux pouvoirs publics français pour leur rappeler les devoirs que leur impose la royauté sociale de Jésus-Christ, Mgr Pie leur demandait, avec le maintien du Concordat de faire cesser cette confusion, de n'être plus ennemis de l'Église par l'esprit révolutionnaire qui anime les lois, et de transformer la constitution étrangère à l'Église en constitution chrétienne. Il voulait que la loi française fût désormais en harmonie avec la loi divine. Pour bien saisir, sur ce point d'une extrême importance, la pensée précise du grand évêque, reprenons les principaux passages de son entretien avec Napoléon Ill. En la personne de l'empereur, il s'adresse à tous les gouvernements de la France. Il leur sait gré d'avoir reconnu et protégé les libertés de l'Église ; cela pourtant ne suffit pas. Ils n'ont réalisé que la moitié de leur devoir.

«Notre constitution, leur dit-il, n'est pas, loin de là, celle d'un état chrétien et catholique et vous l'avez laissé subsister... Vous n'avez pas fait encore pour Jésus-Christ ce qu'il fallait faire, parce que vous n'avez pas relevé son trône, parce que vous n'avez pas renié les principes de la Révolution[82] dont vous combattez cependant les conséquences pratiques ; parce que l'Évangile social dont s'inspire l'État est encore la déclaration des droits de l'homme, laquelle n'est autre chose que la négation formelle des droits de Dieu...

«Or c'est le droit de Dieu de commander aux États comme aux individus. Ce n'est pas pour autre chose que Jésus- Christ est venu sur la terre. Il doit y régner en inspirant les lois, en sanctifiant les moeurs, en éclairant l'enseignement, en dirigeant les conseils, en réglant les actions des gouvernements comme des gouvernés. Partout où Jésus-Christ n'exerce pas ce règne, il y a désordre et décadence.»[83]

Dans ces paroles, nous trouvons l'ébauche du programme chrétien : proclamation officielle des droits de Dieu, de Jésus-Christ et de l'Église, abandon complet des principes de la Révolution, législation conforme à la morale chrétienne, enseignement placé sous la haute direction doctrinale de l'Église.


CHAPITRE III : LE PROGRAMME CHRÉTIEN (Suite)

Essai d'un plan plus complet de gouvernement chrétien d'après le Cardinal Pie. - La formule de ce programme: La liberté de l'Eglise et la liberté du pays sous la garantie loyale du droit chrétien.


Toujours guidés par l'évêque de Poitiers, pouvons-nous préciser davantage les lignes générales de ce programme et déterminer ses moindres détails ? Disons de suite que Mgr Pie n'a pas tracé un programme complet[84] et au point, comme il s'impose aujourd'hui. De son temps, le naturalisme politique n'avait pas produit tous ses fruits de mort ; il était alors impossible de donner des précisions que les faits ne réclamaient pas encore. Pourtant, en recherchant, dans I'œuvre du grand Évêque, ce qu'il exigeait, au nom de la doctrine catholique, pour faire refleurir en France le droit chrétien, nous pouvons fixer un programme plus complet et plus précis, tel qu'il s'impose de nos jours à un gouvernement qui doit être chrétien.

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Mgr Pie voulait avant tout, nous l'avons déjà dit, que la constitution élaborée par les chefs de l'État fît mention expresse de Dieu, de Jésus-Christ et de l'Église. Il a rédigé lui-même la formule qui proclamerait la foi des chefs et du pays. La voici : «La religion catholique, qui est pour les Français la religion de quatorze siècles dans le passé et de trente-cinq millions de citoyens sur trente-six dans le présent, est la religion du pays et de ses institutions. Les citoyens qui professent les autres cultes jouiront de toutes les garanties accordées par la loi.»[85]

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Il demandait une alliance plus intime du Pouvoir civil avec l'Église, un concordat plus parfait que celui de 1801. - Il donnait volontiers comme modèle de concordat avec Rome celui que l'Autriche avait signé en 1858. Il appelait ce concordat «un traité régénérateur dont l'application et l'extension serait le coup de mort pour la Révolution.»[86]

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Ennemi de la politique de «l'amnistie du mal et des partisans du mal»[87], Mgr Pie voulait que le Pouvoir civil affirmât énergiquement «l’emploi de la force au service de l'ordre et de la justice.»[88] Par cet ordre et cette justice, l’Évêque de Poitiers entend l'ordre chrétien, la justice et la morale chrétiennes. De là, pour le pouvoir, le devoir rigoureux de reconnaître et favoriser les lois chrétiennes, par exemple, la sanctification du dimanche[89], de réprimer les publications obscènes, les spectacles immoraux, les blasphèmes de la presse[90], de proscrire les sociétés secrètes[91].

Il ajouterait aujourd'hui, l'obligation formelle d'abolir les lois impies du divorce, du service militaire des clercs, de la neutralité scolaire, de la proscription des congrégations religieuses et de la spoliation de biens d’Eglise. Ces lois[92] Mgr Pie ne les a pas connues, mais en exigeant que le christianisme soit la base de la Constitution, il les a maudites d'avance, et d'avance il en a demandé la suppression[93].

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Mgr Pie exigeait encore pour l'Église la pleine et entière liberté d'enseigner, de fonder des écoles, de choisir ses maîtres et ses programmes[94]; et, si le monopole universitaire ou enseignement de l'État n'était pas supprimé, il voulait au moins que cet enseignement public fût filialement soumis à la maternelle et haute direction doctrinale de l'Église.[95]

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Il insistait pour que notre politique extérieure assurât dans le monde l'expansion, le prestige et la liberté de l'Église catholique. [96]

Tel a été, en effet, disait-il, le rôle de la France pendant une longue suite de siècles. «Ses succès étaient un gain pour la foi ; aussi souvent qu'elle livrait le combat, le christianisme comptait une nouvelle victoire. Elle y gagnait elle-même d'être devenue la reine du monde, et parce que le nom Français était réputé synonyme du nom catholique, notre nation était la nation universelle, et sa langue était la langue officielle des peuples civilisés.»[97]

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Enfin, et c'était pour lui un point capital, il conjurait le pouvoir public de se faire le défenseur de la liberté et de l'indépendance temporelles du Pape, garantie suprême du Droit chrétien dans le monde[98]. Et c'est à ce rôle parfaitement rempli qu'il attribuait la grandeur de la France.[99]

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Constitution chrétienne, union très parfaite de l'Église et de l'État, appui donné par le pouvoir aux lois de l'Église, législation civile strictement conforme aux règles morales de l'Évangile - enseignement chrétien à tous les degrés- politique extérieure ayant pour but l'indépendance territoriale du Saint Siège, l'expansion et le rayonnement du christianisme dans le monde : nous avons ainsi un programme social complet réalisant pleinement la prière du Christ : «Que votre règne arrive sur la terre comme au ciel !»

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A la fin de sa troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent, résumant tous ces enseignements sur le naturalisme politique, et cherchant la formule «d'un accord sincère entre le droit public chrétien et les nécessités du fait social moderne». Mgr Pie écarte l'axiome énigmatique : «l'Église libre dans l'État libre», et nous livrant la formule «de la conciliation tant désirée», il dit : « Plus je considère l'état des sociétés, en particulier depuis 1789 jusqu'au régime actuel, plus je me persuade qu'il n'y a, pour la liberté et pour la dignité de la race humaine, comme pour la solution des grandes questions religieuses posées devant nous, d'autre issue favorable que celle-ci : «La liberté de l’Église et la liberté du pays placées sous la garantie loyale du Droit chrétien».


SECTION III : LES DIFFICULTÉS; DÉFENSE DE LA ROYAUTÉ SOCIALE CONTRE LES OBJECTIONS ET LES PRÉJUGÉS DES POLITIQUES

La loyale application du Droit chrétien, proposée par Mgr Pie, soulève bien des objections. Ces objections, il les a connues et n'a pas craint, avant d'y répondre, de les formuler dans toute leur force, sans atténuation aucune. Avec la même loyauté, donnons ici les principales objections et la réponse de l'Évêque. Remarquons que ces objections lui étaient faites par des hommes du pouvoir, le plus souvent par les hauts fonctionnaires du gouvernement impérial[100] et que de nos jours, elles persistent dans l'esprit de presque tous nos politiques.

Les réfuter apportera la lumière qui mettra en évidence la nécessité, la possibilité et les inappréciables bienfaits du Droit chrétien.

Nous répartissons ces objections en trois groupes : les objections historiques qui regardent le passé ; les objections permanentes ou préjugés tirés des prétendus dangers qu'une constitution chrétienne fait courir aux États ; enfin les objections actuelles qui déclarent le Droit social chrétien spécialement incompatible avec la société contemporaine.


CHAPITRE I : OBJECTIONS HISTORIQUES

Le droit chrétien et les malheurs des siècles passés. - Les luttes du Sacerdoce et de l'Empire, les Conflits du parlement et du clergé. - Le droit chrétien et la tradition doctrinale du clergé de France. - La tradition politique française et le droit chrétien.


La principale objection historique, de portée générale, contre le Droit chrétien, était formulée ainsi à la Chambre française, lors de la discussion de la loi sur l'enseignement supérieur[101] :

«Il importe à l'Église, si elle croit avoir un droit social, de ne pas en user, et elle n'en a eu l'usage que pour son malheur. Lorsqu'on lit l'histoire, on voit que depuis le jour fatal où Constantin, pontife romain, est devenu l'évêque extérieur de l'Église, de ce jour ont commencé les hérésies, les guerres civiles, les guerres religieuses et qu'un long cortège de malheurs a été la dot de l'adultère[102]».

Tout en reconnaissant le mal qu'ont fait certains princes par leur immixtion dans les affaires intimes de l'Église[103], Mgr Pie répond hardiment :

«C'est une proposition explicitement condamnée par l'Église que celle qui affirme que la christianisation de la puissance et des institutions politiques par Constantin et ses successeurs a été en elle-même une chose fatale. Cela n'est jamais fatal en soi qui est dans la nécessité de l'ordre et dans les exigences de la vérité. La transformation chrétienne du régime social devait logiquement suivre celle des membres individuels de la société, et l'épanouissement de l'Évangile devait, avec le temps, amener la conversion des Césars, comme Césars, et non seulement comme particuliers ».[104]

Quant à l'affirmation de la naissance des hérésies, des guerres civiles et religieuses à l'époque constantinienne, c'est un impudent mensonge historique réfuté ainsi par Mgr Pie : «Les dissidences religieuses, les hérésies sont nées de là : il n'y en avait point auparavant !» répond-il avec ironie. Quel étrange mépris de la vérité ! «Les épîtres de saint Paul et surtout de saint Jean, les cinq livres d'Irénée, évêque de Lyon, adversus hæreses, les écrits de Tertullien, d'Origène etc... sont non avenus quant à l'existence d'hérésies antérieures au pouvoir constantinien de l'Église...

«Pareillement, puisque les guerres civiles et toutes les calamités sociales sont provenues de l'avènement de l'Église au pouvoir, elles ont cessé, n'est-ce-pas, avec ce pouvoir : de telle sorte que depuis le règne des grands principes de 89, depuis la proclamation des droits de l'homme et de l'État, à l'exclusion de tous droits sociaux de la grande institution surnaturelle de Jésus-Christ, il n'y a plus eu de guerres civiles ni de catastrophes sociales ? »[105]

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Forcés d'admettre que les hérésies et les catastrophes sociales ne sont pas nées avec l'application du Droit chrétien et qu'elles n'ont pas cessé avec sa disparition, les adversaires de la Royauté sociale du Christ allèguent les dissensions qui remplissent l'histoire de nos quatorze siècles chrétiens, toutes les luttes du sacerdoce et de l'empire, tous les conflits des parlements et du clergé[106].

Mgr Pie ne nie pas ces luttes et ne dissimule pas ces conflits, mais il soutient que cette résistance de l'Église était absolument nécessaire pour sauvegarder les droits intangibles de Jésus-Christ. Il fait observer que cette résistance s'inspirait uniquement du véritable intérêt des princes eux-mêmes et de la société tout entière, et il constate avec peine que les hommes d'Église engagés dans ces luttes ont été étrangement calomniés par les hommes du Pouvoir.

Tout historien impartial approuvera ces conclusions et fera sienne la réflexion profonde du Cardinal Pie : «Les rois de la terre, depuis quinze siècles, ont eu beaucoup plus à souffrir des complaisances que des résistances de l'Épiscopat[107]».

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Les plus hautes autorités administratives du pays opposaient encore à l'enseignement de l'Évêque de Poitiers, la tradition doctrinale du clergé de France, qui, par le premier article de 1682, semble soustraire le pouvoir civil à la direction morale de l'Église[108].

Mgr Pie donne d'abord une interprétation orthodoxe de ce fameux premier article. Il signifierait tout simplement la distinction des deux pouvoirs, et indiquerait pour chacun d'eux «la liberté de se mouvoir dans sa sphère propre et particulière [109]». Cette interprétation s'appuie sur les doctrines de Bossuet lui-même qui n'a jamais prétendu affirmer la sécularisation de l'État, mais qui, au contraire, nous a laissé ces belles paroles :

«Le Christ ne règne pas, si son Église n’est pas la maîtresse, si les peuples cessent de rendre à Jésus-Christ, à sa doctrine, à sa loi, un hommage national».[110]

Cette interprétation bénigne s'appuie encore sur la tradition entière de l'épiscopat français, l'ancien épiscopat et l'épiscopat d'aujourd'hui. Mgr Pie écrit à ce sujet au ministre de l'instruction publique et des cultes : « J'ai été élevé à l'école d'un vieil évêque qui n'appartenait point à l'opinion dite ultramontaine et qu'on a pu regarder jusqu'à la fin comme l'un des plus fidèles tenants de l'opinion dite gallicane. Quel eût été son étonnement s'il s'était entendu dire que Jésus-Christ n'a donné à Ses apôtres qu'un pouvoir spirituel sur la foi et la charité, et s'il eût entendu inférer de là que les institutions humaines sont sans aucune subordination à la doctrine révélée, à la loi évangélique et à l'autorité de l'Église divinement constituée dépositaire et interprète de cette doctrine et de cette loi ? Une pareille interprétation du premier des quatre articles de 1682 lui semblait hérétique et il avait raison. Il croyait que la religion, ayant mission d'éclairer toutes les consciences, d'enseigner les devoirs de tous les états ne pouvait être sans autorité directrice par rapport à l'Etat qui domine tous les autres, comme parle Bossuet». [111]

Mais, si les hommes du Pouvoir s'obstinent à entendre cet article dans un sens hérétique, Mgr Pie ne craint pas de faire remarquer que «la déclaration de 1682 n'est point un acte émané de l'Église, ni ratifié par elle, et que si la doctrine contenue dans le premier article de cette déclaration est interprétée par les hommes de loi et les hommes d'État en un sens absolument inadmissible et qu'on pourrait qualifier idolâtrique, il ne nous en coûtera point de dire de cet article interprété ce que Bossuet a dit de cette déclaration elle-même : Abeat quo libuerit !» [112]

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Et, comme les adversaires du Droit chrétien pour compléter leur objection tirée de la tradition doctrinale française, la corroborent par des faits, en rappelant que «les princes de l'ancienne France ont plus d'une fois eux-mêmes nié, discuté, repoussé le droit de l'Église» [113], Mgr Pie répond : «Il est vrai : l'histoire prouve surabondamment qu'il en a été ainsi. Même parmi les monarques chrétiens, il y a une tradition longue et presque ininterrompue de princes révoltés, se retranchant derrière le rempart d'une légalité arbitraire, et au besoin, derrière le rempart de la force et de la tyrannie. Mais la même histoire est là pour nous apprendre ce qu'ils y ont gagné d'honneur, d'influence sur leurs peuples, de tranquillité pour leur vie, de sécurité dans leur mort, de solidité pour leur dynastie. Un de nos illustres évêques des Gaules, qu'on a toujours cité pour son dévouement à la monarchie française, bien que le devoir épiscopal l'ait mis plus d'une fois aux prises avec son souverain, Yves de Chartres, dont la conduite et les écrits offrent un admirable mélange de force et de prudence, de soumission et de résistance, écrivait à un puissant roi : Quantum valet corpus, nisi regatur ab anima, tantum valet terrena potestas nisi informetur ab ecclesiastica disciplina[114]. Les dernières pages de notre histoire sont un terrible commentaire de cette parole. L'ancienne monarchie, unie à l'Église par les plus étroits liens, avait duré quatorze siècles : pendant ce long espace de temps, deux changements de race seulement étaient survenus, et ç'avait été sans révolution violente, sans altération de la constitution du pays. La royauté s'est fatiguée d'une alliance salutaire ; elle a considéré comme une atteinte à sa souveraine indépendance cette subordination religieuse qui avait été pour elle la source de tant de biens: elle a voulu désormais ne rien devoir à l'Église. Les rois donc ont fini par ériger en maxime qu'ils ne relevaient que de Dieu et de leur épée. Or, depuis soixante-dix ans, le monde s'est demandé : Où donc est le Dieu des rois ? Ubi est Deus eorum ? Et a pu se demander aussi : Où est leur épée ? Épée de l'ancienne monarchie en 1793 ; épée du plus grand guerrier du monde en 1814 et 1815 ; épée de la branche aînée en 1830 ; épée de la branche cadette en 1848 ; épée même de la république en 1851; pas un glaive n'a été assez fort pour résister à la justice du Dieu jaloux qui a incarné Ses droits dans les droits de Son Église...

«Nous savons qu'on ne se découragera point de tenter l'expérience. Sans souci du passé, les légistes, les politiques, tous les mauvais génies du pouvoir raviront imperturbablement les mêmes formules et ils diront : L'État est complètement indépendant de l'Église, le premier ne relève que de Dieu et de Son épée : «Dieu et l'épée continueront de faire leurs éloquentes réponses, et l'Église continuera d'assister aux mêmes spectacles. On ne lassera ni sa patience ni son courage. Elle est aussi résignée à voir jusqu'à la fin les tristes scandales des révoltes populaires, sociales, légales, impériales, qu'elle est assurée de traverser les vaines menaces qu'on lui oppose, et d'assister tôt ou tard au châtiment des rebelles qui les auront élevées» [115].

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C'est avec cette force et cette clarté que Mgr Pie met en poudre les objections historiques contre le règne social du Christ.[116]


CHAPITRE Il : PRÉJUGÉS CONTRE LE DROIT CHRÉTIEN

Droit chrétien et théocratie. - Pouvoir absolu et droit chrétien. - Les différentes formes de gouvernement et le droit chrétien. - Le droit chrétien et l'indépendance de l'État dans sa propre sphère. - Patriotisme et droit chrétien. - Le droit chrétien et les intérêts supérieurs de civilisation et de progrès.


Le lumineux génie que nous suivons a dissipé également les préjugés qui obscurcissent, dans les esprits, la véritable notion du gouvernement chrétien. Ce serait la théocratie ! disaient les politiques. [117]

Écoutons Mgr Pie : « La réponse est facile et je la formule ainsi. Non, Jésus-Christ n'est pas venu fonder la théocratie sur la terre, puisqu'il est venu au contraire mettre fin au régime plus ou moins théocratique qui faisait toujours le fond du mosaïsme, encore que ce régime ait été notablement modifié par la substitution des rois aux anciens juges d'Israël. Mais pour que cette réponse soit comprise de nos contradicteurs, il faut avant tout, que le mot même dont il s'agit soit défini. La polémique exploite trop souvent avec succès, auprès des hommes de notre temps, des locutions dont le sens est indéterminé. Qu'est-ce donc que la théocratie ? La théocratie c'est le gouvernement temporel d'une société humaine par une loi politique divinement révélée et par une autorité politique surnaturellement constituée. Or, cela étant, comme Jésus-Christ n'a point imposé de code politique aux nations chrétiennes, et comme il ne s'est pas chargé de désigner lui-même les juges et les rois des peuples de la nouvelle alliance, il en résulte que le Christianisme n'offre pas de théocratie. L'Église, il est vrai, a des bénédictions puissantes, des consécrations solennelles pour les princes chrétiens, pour les dynasties chrétiennes qui veulent gouverner chrétiennement les peuples. Mais, nonobstant cette consécration des pouvoirs humains par l'Église, je répète, il n'y a plus, depuis Jésus-Christ, de théocratie légitime sur la terre. Lors même que l'autorité temporelle est exercée par un ministre de la religion, cette autorité n'a rien de théocratique, puisqu'elle ne s'exerce pas en vertu du caractère sacré, ni conformément à un code inspiré. Trêve donc, par égard pour la langue française et pour les notions les plus élémentaires du droit, trêve à cette accusation de théocratie qui se retournerait en accusation d'ignorance ou de mauvaise foi contre ceux qui persisteraient à la répéter».[118]

Le Droit chrétien ramènerait le pouvoir absolu [119], ajoutent-ils. «Rien de plus gratuit, répond l'Évêque de Poitiers. Le régime chrétien étant déjà par lui-même une pondération très puissante, un tempérament très efficace apporté à l'exercice du pouvoir, il ne condamne aucune autre pondération, aucun autre tempérament légitime. «Sans doute, il nous est permis, comme à d'autres, de discuter la valeur de certaines formes politiques, soit en elles- mêmes, soit dans la façon dont elles se produisent chez les divers peuples, soit dans les convenances qu'elles ont avec les besoins, les mœurs, le caractère de telle ou telle nation, soit enfin dans les fruits et les résultats qu'elles ont donnés ici ou là depuis l'origine. Mais, comme tous les modes de gouvernement, avec des avantages et des inconvénients relatifs, sont cependant acceptables en eux-mêmes, nous ne leur demandons le sacrifice de rien autre chose, sinon de leur indifférence à la foi ou de leur opposition à la loi divine».[120]


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Précisant et développant l'objection précédente, les politiques font observer que le Droit chrétien favorise les menées et les intrigues des hommes d'Église, en faveur du pouvoir monarchique, au détriment des autres formes de gouvernement, de l'Empire, par exemple, et surtout de la République.[121]

Nullement, répond Mgr Pie. «Les hommes du monde, écrit-il, étrangers à l'enseignement des saints livres et aux prescriptions de la liturgie chrétienne, supposent trop aisément leurs propres passions et leurs propres excès chez les hommes du sanctuaire. Accoutumés qu'ils sont à faire opposition aux pouvoirs qui les gênent ou qui ne satisfont pas leurs goûts, ils se persuadent volontiers que le prêtre en agit de même. Ils sont dans une erreur profonde. Familiarisés avec les doctrines révélées et avec les oraisons de la sainte Église, nous demandons chaque jour par une prière sincère le salut des princes et la paix des nations, sachant que la vie tranquille est utile à l'épanouissement de la piété, et reconnaissant que chaque grand ébranlement social apporte toujours à la religion d'immenses périls et dépose au sein des masses quelque nouveau ferment de mal. Il est vrai que la prière des chrétiens est ordonnée de telle sorte qu'elle n'entend rien disputer à Dieu de Son suprême domaine sur les peuples et sur les empires, et quand, par des vues de justice ou de miséricorde, le Tout Puissant, dirigeant à son gré les causes secondes, et faisant servir à ses desseins les passions humaines, accomplit ou permet quelqu'un de ces grands changements que nous pouvons appeler avec le roi prophète «les tours de main du Très-Haut, hæc mutatio dexteræ Excelsi» nous savons nous incliner devant ces faits qui s'imposent à nous et nous tâchons d'en pénétrer le sens, à la lumière des enseignements de la foi et des enseignements de l'histoire. Mais, dans ces cas même, l'Église, en apportant son obéissance et son concours au pouvoir du lendemain, peut toujours se rendre à elle-même le témoignage que, non seulement elle n'a pas travaillé au renversement du pouvoir de la veille, mais qu'elle a tâché de prémunir ce pouvoir contre les fautes qui ont contribué à sa ruine».[122]

« Sans perdre de vue et sans sacrifier aucun droit, ni aucun principe, l'Église sait quels sont ses devoirs envers les pouvoirs établis. Ce n'est pas assez pour le sacerdoce de prêcher et de pratiquer la soumission ; il est dans ses traditions d'y ajouter la bienveillance et le concours» [123]. Telle est l'attitude de l'Église en face des pouvoirs humains, quelle que soit leur forme. Mgr Pie la définit en trois mots : Soumission, bienveillance, concours.

Les hommes d’État n'ont donc rien à redouter.

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Sous le régime du Droit chrétien, l'Église absorberait la puissance de l'État.[124]

«Non, l'Église n'absorbera point la puissance de l'État, elle ne violera point l'indépendance dont il jouit dans l'ordre civil et temporel ; elle n'interviendra au contraire que pour faire triompher plus efficacement son autorité et ses droits légitimes. A-t-on jamais dit que l'Église, parce qu'il lui appartient d'éclairer les consciences sur l'étendue, la portée, les applications du quatrième précepte du décalogue, accapare l'autorité divine et naturelle des parents sur les enfants ? Non, encore bien que les ministres de la religion aient mission d'expliquer le droit paternel et le devoir filial, la puissance paternelle n'en subsiste pas moins tout entière dans son ordre ; les commandements du père à son fils ne tirent en aucune façon leur autorité du sacerdoce, mais du droit propre de la paternité. Ainsi en est-il des attributions de l'Église par rapport aux obligations des citoyens et aux devoirs de la vie publique. L'Église ne prétend aucunement se substituer aux puissances de la terre qu'elle-même regarde comme ordonnées de Dieu et nécessaires au monde. A l'encontre des doctrines anarchiques et des passions révolutionnaires, elle sauvegarde partout et toujours le principe d'autorité : principe essentiel au repos du monde et au maintien de l'ordre ; elle enseigne que la présomption d'abus ne doit pas être facilement admise, et qu'en règle générale, l'obéissance est le premier et le plus indispensable devoir. Pour son compte, elle ne s'ingère pas à la légère et à tout propos dans l'examen des questions intérieures du gouvernement public, non plus que dans celles du gouvernement paternel et domestique. Son rôle n'a rien d'indiscret ni d'odieux ; il n'est jamais intempestif, ni tracassier. Les matières les plus graves de la législation, du commerce, des finances, de l'administration, de la diplomatie se traitent et se résolvent presque toujours sous ses yeux, sans qu'elle articule la moindre observation».[125]

Une usurpation quelconque des droits de l'autorité civile vient-elle à se produire du fait des ministres de l'Église ; rien à craindre encore, car «l'Église elle-même a contre eux des tribunaux, des lois et des moyens de répression, quand on lui permet de s'en servir». [126]

Que les hommes d'État ne craignent donc pas ! l'Église affermira leur autorité.[127] Elle assainira tout le corps social. Elle formera de bons chefs, vivant pour ceux qu'ils gouvernent et mourant pour eux au besoin. Elle rendra les sujets, purs dans leurs mœurs, probes dans leurs emplois, fidèles à leurs paroles, justes dans les contrats, actifs au travail, vaillants à la guerre, patients à supporter et les erreurs et les faiblesses inévitables de ceux qui les régissent et les mécomptes sociaux et toutes les épreuves et douleurs de la vie.[128]

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Mais le Droit chrétien n'étouffera-t-il pas le patriotisme ?

Non. - L'Église catholique n'est pas opposée au patriotisme. Au rebours de l'internationalisme athée qui absorbe les nationalités, l'Église, sachant que la variété des nations forme sa couronne et sa richesse, ne cherche jamais à les diminuer. «L'Église, nous dit Mgr Pie, en offrant aux nations les moyens de salut et de délivrance, ne se montre pas offensante ni agressive. Il y a chez elle une délicatesse de patriotisme qu'on chercherait vainement ailleurs. L'apôtre de Jésus-Christ, à l'heure même où il s'apprête à venger la vérité, s'applique comme saint Paul à ne point paraître accuser sa nation : non quasi gentem meam, haens aliquid accusare»[129].

Au reste une agression quelconque contre le nationalisme, que serait-elle autre chose qu'un de ces empiétements que Mgr Pie a démontré être si opposés à l'esprit de l'Église ? Dans son panégyrique de saint Émilien, s'adressant spécialement aux Français, si justement susceptibles sur le point du patriotisme, il leur disait :

«Vous serez davantage de votre pays, à mesure que vous serez plus chrétiens. Est-ce que la France n'est pas liée au christianisme par toutes ses fibres ? N'avez-vous pas lu, en tête de la première charte française, ces mots tant de fois répétés par l'héroïne d'Orléans : «Vive le Christ qui est Roi des Francs !» N'avez-vous pas lu le testament de saint Remy, le père de notre monarchie et de toutes ses races régnantes ? N'avez-vous pas lu les testaments de Charlemagne et de saint Louis et ne vous souvenez-vous pas comment ils s'expriment concernant la sainte Église romaine et le vicaire de Jésus-Christ ? le programme national de la France est là ; on est Français, quand à travers les vicissitudes des âges, on demeure fidèle à cet esprit. Les Pharisiens, tristes citoyens, n'osèrent-ils pas un jour dénier à Jésus-Christ le sentiment patriotique ? Mais, c'étaient eux, reprend saint Ambroise, qui abdiquaient l'amour de la patrie en se faisant les envieux de Jésus. Je renvoie hardiment cette réplique à tous les détracteurs de notre civisme : les apostats de la France ce sont les ennemis de Jésus-Christ. Quoi qu'on fasse, il n'y aura jamais de national en France que ce qui est chrétien». [130]

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Le Droit chrétien respectera sans doute l'indépendance de l'État et les nobles aspirations du patriotisme, mais ne portera-t-il pas atteinte aux intérêts supérieurs de ce qu'on appelle la civilisation et le progrès ?

Nous touchons ici à la difficulté la plus redoutable et la plus spécieuse.

Mgr Pie a bien connu cette objection. Nous allons la réfuter avec lui.

Pour répondre avec plus de clarté, définissons la civilisation : l'ensemble des faits qui ont changé en mieux la condition de l'homme, dans ses rapports avec ses semblables et dans l'entretien et l'agrément de sa vie.

Les rapports de l'homme avec ses semblables constituent la politique ; l'entretien de la vie humaine, par l'utilisation des forces de la nature, donne naissance aux sciences, à l'industrie et au commerce. L'agrément de la vie humaine, par l'expression du beau, est le résultat des belles lettres et des arts.[131]

Ces distinctions faites entre la civilisation politique, la civilisation scientifique, industrielle, commerciale, et la civilisation artistique, il nous sera facile de montrer, par des textes précis du Cardinal Pie, que le Droit Chrétien, loin d'être l'ennemi de la civilisation et du progrès, en est au contraire le promoteur le plus puissant.

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C'est le droit Chrétien qui a fait la civilisation politique de l'Europe et l'a conservée et défendue pendant plusieurs siècles.

Il faudrait citer les belles pages d'histoire où l'Évêque de Poitiers rappelle tout ce que la famille européenne doit à l'Église. «Au moment, dit-il, où la barbarie semblait triomphante, quand la civilisation paraissait s'exiler, tout-à-coup, un agent nouveau intervint dans I'œuvre créatrice d'un autre monde. Qu'on étudie les conciles de cette première période et l'on reconnaîtra que le travail majestueux qui devait aboutir à l'unité européenne, leur appartient. Voyez au sein de ces assemblées des hommes tels que Charlemagne qui écoutent, qui obéissent en tant que chrétiens, qui interrogent, qui opinent en tant que princes : admirable concert d'où résultent des institutions qui n'avaient jamais eu, qui n'auront jamais leurs semblables sous le soleil[132]».

Cette unité européenne créée par lui, le Droit chrétien l'a défendue contre les ennemis du dehors, en suscitant les Croisades.

«Qu'on ne s'y méprenne pas, continue le grand Évêque, refouler vers sa source le sensualisme ottoman dont les flots impurs commençaient à déborder sur le sol de la chrétienté, si c'était une œuvre de foi, c'était en même temps une œuvre de conservation. L'impulsion des Conciles fit échapper l'Europe aux rigueurs du sabre, aux ignominies du sérail, en même temps qu'elle rendit l’Évangile victorieux du Coran. Le parti des Croisades n'était que le grand parti de l'ordre dirigé par des vues surnaturelles et enrôlé par l'Église pour la triple défense de la religion, de la famille et de la société». [133] La famille européenne est-elle menacée par les ennemis du dedans, «les audacieux perturbateurs du Moyen-Age qui furent moins des hérétiques que des brigands ?» (I, 208) C'est le Droit chrétien encore qui la délivrera de cet immense danger, en suscitant la Croisade contre les hérésies du Midi. Écoutons l'Évêque de Poitiers nous exposer les hautes raisons sociales de la guerre contre les Albigeois.

«Oui, dit-il, la Croisade contre les hérésies du Midi, prêchée par les Conciles, les préservatifs institués par eux contre le travail secret de l'iniquité mystérieuse, ce ne fut rien autre chose que la ligne offensive et défensive de tous ceux qui voulaient l'ordre, la conservation contre les ennemis de la foi, de l'autorité, de la famille et de la propriété. Et qui oserait reprocher à ces moyens de défense d'avoir été trop énergiques, quand on pense à l'immensité du péril qu'il fallait conjurer et à l'étendue des intérêts qu'il était question de sauver ? Et qui pourrait songer à soutenir que l'Église est sortie de ses attributions ?... Je crois voir un infortuné, tout à l'heure englouti dans les flots, et qui, au moment où il saisit un bras sauveur, discute et conteste la compétence de son bienfaiteur à lui rendre le service auquel il doit le salut et la vie» (I, 209).

Voilà I'œuvre civilisatrice du Droit chrétien : œuvre de vie, d'unité et de prospérité sociale.

Mais dès que les princes n'ont plus voulu de ce Droit chrétien et se sont soustraits à l'influence moralisatrice de l'Église[134], à partir principalement du XVIè siècle, et surtout depuis la Révolution française, c'est pour les nations de l'Europe, la décadence politique et sociale qui commence, qui s'accentue progressivement sous nos yeux et qui se poursuivra fatalement jusqu'au Communisme le plus abject, si le Droit Chrétien ne vient l'arrêter. Écoutons :

«La société s'était émancipée, l'autorité aspirait à une complète sécularisation ; on marchait vers cet axiome : L’État est laïque et il ne doit être que laïque, et l'on s'apprêtait à proclamer comme un dogme national que l'autorité laïque ne dépend que de Dieu et n'a point de leçon à recevoir de l'Église. L'Église se tut en effet, elle resta chez elle, elle s'appliqua à sauver les âmes, et elle en sauva beaucoup. Mais la société temporelle qui avait voulu se suffire, qui avait repoussé la main que lui tendait l'Église, déclina sensiblement, elle descendait tous les jours de quelque degré vers l'abîme. Le mystère de l'impiété opérant sourdement, emporta l'un après l'autre, tous les appuis de l'ordre social. On put dans cette œuvre de destruction observer l'ancienne gradation des complots retardés par nos pères[135] La spoliation de l'Église fut le prélude de la spoliation des grands et celle-ci, un acheminement rapide vers la spoliation de tous, vers la négation de toute autorité, de toute propriété quelconque. Et ce que l'on dit tout haut et partout aujourd'hui, c'est qu'en dehors de l'Église, il ne reste plus d'autorité, plus de société, et que le seul bien qui rattache encore les hommes entre eux, c'est le lien secret des âmes ; à tel point que si l'Église ne refait pas une autorité, une société parmi nous, nous avons devant nos yeux les horreurs de la dissolution et les transes prochaines de l'agonie». (I, 212- 213).

La déduction est irréfutable. Loin de détruire la civilisation politique, c'est l'Église seule qui, par le Droit chrétien, peut la donner et la conserver au monde, et cette sublime prérogative, elle la tient de son divin Fondateur.

«Jésus-Christ, dit Mgr Pie, donnant aux apôtres leur mission, ne leur dit pas seulement : Allez et enseignez les hommes, mais allez et enseignez les nations. Or, pour enseigner les nations, il faut qu'il y ait des nations. Aussi l'Évangile partout où il est annoncé, introduit-il aussitôt l'esprit de société. Et quand les sociétés tombent en dissolution, quand les peuples s'en vont, à la suite des rois qu'il ont bannis, c'est à l'Église de refaire les sociétés et les peuples[136]».

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La civilisation scientifique, industrielle et commerciale n'est pas moins redevable à l'Église que la civilisation politique.

«Y a-t-il parti-pris, chez les gouvernements orthodoxes, demande l'Évêque de Poitiers, de se tenir en dehors du progrès et du perfectionnement de la civilisation moderne ?[137]» Et il répond hardiment : non, justifiant ainsi sa réponse «Les peuples régis par le droit chrétien, observe-t-il, sont des peuples conservateurs qui vivent essentiellement de traditions. Les arts primitifs ou d'invention déjà ancienne, y sont maintenus avec plus de soin, pratiqués avec plus de constance que nulle part ailleurs. Ainsi, la pâture, la culture, la confection d'étoffes solides dont se font les vêtements ordinaires, mais surtout le culte extérieur de Dieu, les arts qui s'y rapportent, enfin les grandes institutions de l'hospitalité et de la charité chrétienne : voilà les titres de prééminence de la plupart des gouvernements catholiques. Néanmoins, fidèles au passé, ils ne disent point anathème au présent et ne prennent point ombrage de l'avenir. L'Église a combattu à outrance l'ancienne théorie manichéenne qui établissait l'antagonisme radical de la matière avec l'esprit : elle ne réprouverait pas moins ce dualisme pratique qui tendrait à décréter le divorce entre l'esprit de l'Évangile et le développement régulier des forces intellectuelles ou matérielles de l'humanité. Également opposée à tous les extrêmes, elle n'est ni immobile dans les choses qui comportent le mouvement, ni prompte à se jeter loin des sentiers battus et à se lancer dans les expériences et les aventures. Amie de tout ce qui est éprouvé par le temps, si elle n'a pas le mérite d'un grand nombre d'initiatives dans l'ordre temporel, elle a l'avantage d'en éviter les périls. Du reste, tandis qu'elle modère par son calme la surexcitation excessive de quelques peuples, elle obéit de bonne grâce au stimulant qui lui vient d'eux, et elle s'intéresse à leurs essais» (II, 524-525).

Cette dernière remarque de Mgr Pie est profonde. Il constate et il affirme sans crainte que dans la civilisation moderne il peut y avoir des excès, une surexcitation funeste à la société tout entière. Comment cela ? Dans l'allocution prononcée à la bénédiction du chemin de fer de Chartres, il expose ainsi sa pensée : «L'homme est posé ici-bas entre le temps et l'éternité, les pieds sur la terre et les yeux vers le ciel, soupirant après les joies permanentes de la patrie et désirant aussi toute la mesure de félicité compatible avec la condition présente. La terre est le domaine actuel de l'homme ; l'homme a raison de travailler la terre, c'est son droit et c'est même son devoir. Cela est écrit en tête de la Genèse. Mais le ciel aussi est le domaine de l'homme, son domaine promis, et il lui est commandé de vivre déjà par la foi dans ce monde meilleur et de s'en assurer la propriété» (I, 91).

Une double obligation s'impose ainsi à l'homme, celle de travailler à sa félicité temporelle compatible avec la condition présente, et celle de mériter la félicité éternelle du ciel. Mais, puisque de toute évidence, le provisoire doit préparer le définitif, et le temps l'éternité, il faut donc absolument que l'obligation de promouvoir la félicité d'ici-bas, soit subordonnée au rigoureux devoir de préparer l'éternité bienheureuse. Dans le rude labeur de conquête de la félicité terrestre, l'homme est puissamment aidé par le progrès scientifique. Ce progrès est bon en lui-même.

«La religion sait que le Dieu qu'elle annonce est le Dieu des sciences et que c'est Lui qui inspire et qui prépare les pensées et les découvertes des hommes, elle est toujours prête à bénir les conquêtes de l'humanité» (II, 93; VII, 249).

Ce progrès pourtant, bon en lui-même, doit être subordonné[138] à la loi divine de Jésus-Christ, manifestée par l’Eglise. Il ne doit pas servir «les intérêts contre les principes» (I, 94). Il ne doit pas surtout «servir contre Dieu» (I, 93) en égarant les âmes, hors des voies du salut. Si le progrès se dérobe à la subordination en face de la loi divine, il devient pour l'humanité, principe de «commotions et de ruines sans exemple» (I, 93)

«A quoi servirait-il, poursuit Mgr Pie, d'embellir un monde que les passions rendraient inhabitable, à quoi bon cette grande rapidité de transport, si c'était pour précipiter la ruine des peuples, en communiquant aux doctrines de désordre et de subversion cette facile rotation autour du globe et ce prompt circuit que l'Écriture attribue au prince de l'enfer». (I, 94) Ainsi, s'il se sépare de Dieu, le progrès scientifique se détruira lui-même, en donnant la mort à l'humanité[139].

Répondant au blasphème de ceux qui affirment que le progrès tuera l'Église, Mgr Pie, à la fin de l'allocution que nous citons, fit comprendre, par un rapprochement saisissant, que l'Église seule peut préserver le progrès de la ruine. A Chartres, la cathédrale et ses clochers s'élèvent au-dessus du débarcadère du chemin de fer. Désignant d'une main les magnifiques locomotives sous pression, de l'autre la splendide et rayonnante cathédrale, il s'écria : «Ceci n'a de chances de durer qu'à l'ombre de cela »[140].

C'était dire, qu'à l'ombre seule de l'Église et sous le régime du Droit chrétien, le progrès scientifique pouvait s'épanouir en inventions bienfaisantes pour l'humanité.

Le progrès littéraire et artistique doit encore davantage à l'influence de l'Église[141]. Pour ne parler que de notre patrie, toutes nos richesses artistiques françaises sont d'inspiration religieuse. L'Évêque de Poitiers le faisait remarquer, dans un remarquable discours, prononcé à la séance publique de la société des Antiquaires de l'Ouest. « Cela est incontestable, disait-il, Jésus-Christ, depuis dix-huit siècles, a si bien pris possession de la terre et surtout de la France qui est Son royaume, Son empire, que les moindres débris qui s'y rencontrent parlent toujours de Lui, sont frappés à Son empreinte, à Son effigie. Çà et là, sans doute, l'antiquaire exhume encore quelques souvenirs des temps païens ; et généralement ils offrent un contraste qui les fait tourner eux-mêmes à la gloire du christianisme. Mais, presque toujours, les monuments qui attirent votre attention sont les œuvres de la foi catholique ; l'archéologie, Messieurs, c'est de la théologie encore, et les richesses de vos musées sont à peu près exclusivement des médailles du millésime chrétien». (I, 136)

Quoi d'étonnant ! L'Église catholique, avec Rome sa capitale, est par excellence «la mère-patrie des arts, la gardienne la plus fidèle et la plus intelligente des chefs-d'œuvre de l'antiquité, l'école la plus féconde et la plus riche des temps modernes » (II, 511) et, lorsque cette Église, par le Droit chrétien, exerce sans entraves son influence sur les peuples, elle suscite parmi eux les plus remarquables chefs-d'œuvre. L'époque de saint Louis en est la preuve la plus éclatante. «Voyez, nous dit Mgr Pie, comme le règne de saint Louis se distingue par tous les prodiges de civilisation qui caractérisent une nation libre : voyez le développement de tous les arts qu'on appelle libéraux. Qui dira les chefs-d'œuvre d'architecture, de sculpture, de peinture qui immortalisent le siècle de saint Louis ?[142] Ces créations grandioses sont sous nos yeux, et elles nous atterrent par leur contraste avec notre impuissance et notre infériorité. Là, que de vie, de sentiment, d'invention, d'enthousiasme, d'originalité, de magnificence ! Les sciences se développent avec les arts. Les universités enferment tout un peuple d'étudiants dont l'émulation est excitée par la rivalité des écoles libres. Le mérite parvient à toutes les charges dans l'État comme dans l'Église, il va s'asseoir à la table et vit dans la familiarité du souverain. Loin que l'intelligence soit captive, on s'étonne de la grande latitude laissée par saint Louis à l'expression de la pensée... Convaincu que la foi doit s'entourer de lumière, il rassemble auprès de la maison de Dieu les monuments de la science, et consacre cette mémorable sentence «qu'une Église sans bibliothèque est une citadelle sans munitions». Tel fut le siècle de saint Louis (I, 62-63). Dans le Droit chrétien qui a produit de telles merveilles dans l'ordre politique, scientifique et artistique, le grand Évêque de Poitiers se refuse absolument à voir l'ennemi du progrès et de la civilisation.

Le véritable ennemi du progrès, il nous l'indique dans sa troisième synodale. Ce n’est pas Jésus-Christ, Vérité et Vie. L’adversaire du progrès, c’est Satan et l'odieuse impiété sociale, inspirée par lui. «Il faut donc, nous dit-il, remonter jusqu'à Satan pour la découvrir dans son origine et pour la saisir dans son fond cette odieuse impiété du naturalisme qui, à l'aide d'axiomes et de programmes plus ou moins habiles ou savants, glisse ses ombres détestables jusque dans l'esprit des chrétiens de nos jours, décorant aussi faussement que fastueusement du nom d'esprit moderne ce qui est le plus vieux des esprits, l'esprit de l'ancien serpent, l'esprit du vieil homme, l'esprit qui fait vieillir toutes choses, qui les précipite vers la décadence et la mort et qui prépare insensiblement les effroyables catastrophes de la dissolution dernière»[143].


CHAPITRE III : OBJECTIONS CONTRE L'APPLICATION DU DROIT CHRÉTIEN A NOTRE ÉPOQUE

Le programme chrétien n'est ni chimérique ni intempestif.- Les difficultés d'adaptation seront aplanies par la sagesse du Souverain Pontife. - La question de la tolérance des autres cultes. - Dans l'acceptation loyale du Droit chrétien, les chefs seront suivis par le peuple.

Le Droit chrétien a contre lui des préjugés d'ordre général : nous les avons dissipés sans peine. Toute opposition cependant n'est pas vaincue, et des hommes que nous appellerions[144] volontiers anti-opportunistes, tout en reconnaissant ce Droit bon en lui-même, le déclarent, à notre époque, chimérique et intempestif. Répondons-leur brièvement.

Le programme social chrétien n'est pas chimérique, puisqu'il a été réalisé déjà dans le passé, pour la plus grande prospérité et le plus grand bonheur des peuples. Il n'est pas intempestif, puisqu'il répond à un besoin profond des générations actuelles, qui ont faim et soif de la vérité[145].

S'adressant aux pessimistes, Mgr Pie leur dit : «Je pense mieux de mon siècle, et sans vouloir jamais me ranger parmi ses flatteurs, je déclare qu'on le méconnaît. Notre siècle est fatigué d'expédients, fatigué de transactions et de compromis[146]. On a essayé de tout ! l'heure ne serait-elle pas venue d'essayer de la vérité ?...[147] Et encore : «La vérité est moins dénuée de ressources qu'on ne le suppose pour se faire accepter à la longue, même par les plus hostiles...[148] » Et enfin : «La grande et suprême habileté, c'est la vérité[149]».

Depuis 1870, époque à laquelle le Cardinal Pie écrivait ces lignes, que d’événements lui ont donné raison ! Notre siècle est plus que jamais fatigué d'expédients. Ne serait-il pas temps enfin de revenir au Droit chrétien ? Attendre encore, c'est s'enfoncer davantage dans la corruption, le sang, la ruine.

«Réserver l'action pour l'avenir serait une faute ; réserver la vérité, en serait une plus grande encore. Car, si l'on croit devoir surseoir aux principes, écarter les doctrines, les actes seront une fois de plus ce qu'ils ont été et ce que nous les avons vus, depuis que nous avons âge d'homme, de mauvais expédients du quart-d'heure, des évolutions dans la révolution, phases nouvelles du désordre religieux et moral que quelque courte durée d'ordre matériel fait envisager, à leurs commencements, comme une ère de restauration sociale. Cela peut satisfaire les hommes qui ont encore devant eux quelques années d'existence, durant lesquelles ils veulent être ou redevenir quelque chose ; cela ne satisfait ni les droits de Dieu, ni les intérêts des peuples[150]».

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Les adversaires insistent ; les difficultés d'adaptation du Droit chrétien avec la société moderne sont telles, qu'en fait, elles le rendent irréalisable. Il ne faut pas se heurter à des impossibilités.

Oui, les difficultés d'adaptation sont grandes, mais le Droit chrétien a un interprète infaillible : Le Pape.


«La grande institution du christianisme s'incarne, se personnifie principalement dans un homme que Jésus-Christ s'est donné pour représentant terrestre, pour successeur permanent ici-bas : «C'est Pierre, c'est le Pontife romain[151]». La mission du Pontife Romain est d'interpréter le Droit chrétien et d’en déterminer l'application. Il l'a fait dans les siècles passés et pour le plus grand bonheur de l'humanité. Autrefois, on disait et c'était un axiome reçu de tous, des adversaires comme des amis, des dissidents comme des fidèles (Leibnitz parlait à cet égard comme Fénelon, Voltaire comme de Maistre) on disait donc : si vous voulez interroger, interrogez Rome. Et Rome répondait par une décision sensée, équitable, impartiale, désintéressée ; elle tenait la balance égale entre tous les droits, entre ceux des forts et ceux des faibles, entre ceux des princes et ceux des peuples, et par son conseil, les affaires se terminaient pacifiquement selon l'ordre et la justice. Cette mission conciliatrice, Rome est toujours également apte à la remplir ; elle défie qu'on lui cite une occasion dans laquelle elle ne s'est pas montrée prête à répondre la vérité à tous[152]».

Que les chefs de peuples s'adressent à Rome, qu'ils consultent le Souverain Pontife. Sa sagesse résoudra toutes les difficultés :

«L'Église qui a la lumière sur le front et la charité dans le cœur, a en outre l'intelligence dans les mains : et in intellectibus manuum suarum deduxit illos. Précisément parce qu'elle a l'œil très éclairé, elle a une sûreté de mouvement, une précision de manœuvre qui lui permet de diriger l'humanité à travers tous les écueils, tenant compte à la fois des principes qui ne varient pas et des conjonctures qui en font varier les applications, et donnant satisfaction à l'esprit des temps sans froisser les exigences divines. Qu'on en tente l'expérience et l'on verra» (V, 192).

«Le jour où les souverains, après tant de conflits avec le ciel, plus encore qu'avec la terre, iraient redemander au vicaire de Jésus-Christ de réconcilier enfin leur pouvoir avec l'orthodoxie et leur trône avec celui de Dieu, le monde s'apercevrait que, nonobstant une longue abstention, Rome possède toujours le génie des grandes affaires et qu'elle n'a pas cessé d'être douée du sens pratique le plus sûr et le plus exercé[153]».

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Que deviendront les autres cultes sous le régime du Droit chrétien ? se demandent avec angoisse les hommes d'État, soucieux de maintenir la paix intérieure.

Ne sera-ce pas de nouveau la proscription dissimulée, ou même ouverte et sanglante ? «Les autres cultes jouiront de toutes les garanties assurées par la foi[154]» répond Mgr Pie. Consultée sur ce point précis, l'Église tenant compte de toutes les difficultés que les temps ont créées, trouverait dans sa haute et profonde sagesse, des formules qui seraient l'acte de foi solennel de la nation et du souverain, sans que cette profession authentique de la véritable croyance gênât en aucune façon une tolérance devenue nécessaire envers des dissidences invétérées ; elle rappellerait les bénédictions divines sur la tête des princes, sans appeler les sévérités de ceux-ci sur la tête de personne» (V, 193).

La tolérance civile sera donc accordée aux cultes dissidents et les pouvoirs publics, en agissant ainsi, resteront néanmoins en conformité parfaite avec le Droit chrétien[155]. Cette déclaration n'est pas donnée à la légère, car Mgr Pie a étudié longuement et à fond ce délicat et difficile problème de la tolérance et voici sa solution doctrinale, qui est la solution même de l'Église[156].

La tolérance peut être ou civile ou théologique ; la première n'est pas de notre ressort, je ne me permets qu'un mot à cet égard. Si la loi veut dire qu'elle permet toutes les religions, parce que, à ses yeux, elles sont toutes également bonnes, ou même encore parce que la puissance publique est incompétente à prendre un parti sur cette matière, la loi est impie et athée ; elle professe non plus la tolérance civile, telle que nous allons la définir, mais la tolérance dogma- tique et, par une neutralité criminelle, elle justifie dans les individus l'indifférence religieuse la plus absolue. Au contraire, si reconnaissant qu'une seule religion est bonne, elle supporte et permet seulement le tranquille exercice des autres, la loi, en cela, peut être sage et nécessaire selon les circonstances. S'il est des temps où il faut dire avec le fameux connétable : Une foi, une loi ; il en est d'autres où il faut dire comme Fénelon au fils de Jacques Il : «Accordez à tous la tolérance civile, non en approuvant tout comme indifférent, mais en souffrant avec patience ce que Dieu souffre[157]».

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Mais si les chefs acceptent le Droit chrétien franchement et loyalement, la nation les suivra-t-elle ? Ne vont-ils pas à l'impopularité, présage de renversement et de ruine ?

Avec sa profonde connaissance du cœur humain et de la psychologie des foules, Mgr Pie répond :

«Les peuples ont cet instinct et ce bons sens de ne pas accorder longtemps leur faveur à ceux qui ont reçu la mission de les guider et qui ne visent qu'à les suivre. Quand la tête se fait queue, elle n'y gagne point en considération. Ah ! c'est qu'en définitive, il n'y a d'estimable et d'estimé ici-bas, il n'y a d'aimable et d'aimé que le courage au service de la vérité, de l'ordre et de la justice. Celui qui s'expose, celui qui se sacrifie pour le maintien de la justice, pour le triomphe de l'ordre, pour la défense de la vérité ; celui qui s'oublie, celui qui s'immole pour l'accomplissement du devoir, principalement du devoir doctrinal, c'est vers lui que se portent tous les yeux et que volent tous les cœurs, y compris le cœur de Dieu[158]».

Ailleurs, le Cardinal Pie cite aux chefs l'exemple de Clovis le jour de son baptême. «Le roi hésitait encore, dit-il, par la crainte de n'être pas suivi de son peuple, et le peuple, déjà éclairé de la lumière et touché de la grâce d'en haut, n'attendait que l'exemple du roi pour demander le baptême à saint Remy», et le grand évêque conclut : «Il en sera toujours ainsi. O vous tous, qui que vous soyez, dans quelque mesure, et sous quelque forme que vous présidiez aux destinées de la France, osez, osez, donc et ne craignez rien de l'opinion du vrai peuple de France ; la religion du Christ est depuis quatorze siècles, et elle restera la religion nationale. Égarée par les sophistes, la France a eu, elle peut avoir ses jours de délire : elle ne sera jamais un peuple d'apostats, car elle est la race élue, la nation sainte et prédestinée[159]».

Il ne reste rien, nous semble-t-il, des objections contre le Droit chrétien. La lumière est faite dans l'intelligence des chefs. Enflammons maintenant leur courage en leur présentant les exemples de princes qui ont fait régner socialement Jésus-Christ. Ce sont des Modèles.

SECTION IV : LES MODÈLES DES CHEFS CHRÉTIENS

CHAPITRE UNIQUE : LES MODÈLES DANS LE PASSÉ ET DANS LE PRÉSENT

Dans le passé : Charlemagne, les saints rois et particulièrement saint Louis.

Dans le présent : Garcia Moreno.

Les modèles ! Ce sont ceux qui ont imité le Roi Jésus. «Il n'est pas une nation de l'Europe qui n'ait vu siéger à sa tête, à telle période de son existence, un prince en qui se reflétait l'image de ce Roi plein de douceur[160]». Pour le passé, Mgr Pie nomme Constantin, Théodose, Charlemagne, «le type le plus vaste et le plus magnifique du César Chrétien» (I, 77), saint Étienne de Hongrie, saint Henri d'Allemagne, saint Wenceslas de Bohême, saint Édouard d'Angleterre, saint Ferdinand de Castille, mais surtout saint Louis de France. «Saint Louis, nous dit-il, « peut être offert à tous les siècles comme la plus parfaite expression de la véritable royauté chrétienne, de la royauté selon l'Évangile[161]».

«Louis prit au sérieux, il accepta sans réserve l'Évangile de Jésus-Christ tout entier, assuré que la vérité, venue du ciel et enseignée par la bouche d'un Dieu, devait servir de règle à l'homme public aussi bien, qu'à l'homme privé et que la sagesse, même politique, ne pouvait mieux se rencontrer nulle part que dans le livre de la divine Sagesse, à laquelle elle ne pourrait jamais être opposée. Aussi Louis n'est point chrétien dans son oratoire et déiste sur le trône. Il gouverne en chrétien. Il fait régner Jésus-Christ dans la paix par la justice, par la charité, par la vraie liberté, par la religion. Il fait régner Jésus-Christ dans la guerre, par la défense et la protection des chrétiens, par la victoire de l'esprit sur la chair, et il mérite ainsi de devenir pour tous les princes un exemple toujours pratique, un modèle toujours sûr.

«Saint Louis, conclut Mgr Pie, est le roi de tous les pays et de tous les siècles, parce qu'il n'a pas été roi selon les principes variables d'une contrée, d'une époque et d'une circonstance, mais selon les principes éternels et toujours vivants de l'Évangile».

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Et si l'on oppose l'antiquité de ces modèles, l'Évêque de Poitiers en trouvera un admirable dans le présent.

«Il y avait, nous dit-il, dans les régions méridionales de l'Amérique, sous les feux de l'Équateur, un petit peuple connaissant son Dieu, un peuple qui s'était donné un chef chrétien et qui, par lui, avait réalisé au sein du régime moderne les avantages toujours croissants de la civilisation matérielle comme de la civilisation morale. La parole de Jésus-Christ : "Cherchez d'abord le royaume de Dieu et Sa justice et les autres choses vous seront ajoutées par surcroît", recevait là, de jour en jour, son accomplissement. Il allait être acquis à l'histoire que les bénéfices de la doctrine et de la morale de l'Évangile sont indépendants de la forme des états chrétiennement constitués, et que la prospérité des anciennes républiques aristocratiques de Venise et de Gènes, peut devenir celle des républiques démocratiques. Cette démonstration grandissait à vue d'œil. Mais la Révolution qui la voyait grandir, tenait en ses mains le poignard. Salut, ô Garcia Moreno, salut aux rayons multiples de l'auréole des martyrs qui ceint votre front ; car si c'est l'auréole des martyrs, c'est aussi celle de la doctrine la plus méconnue de cet âge, la doctrine de la politique chrétienne. Et parce que vous avez été docte dans cette science, et parce qu'il n'a pas tenu à vous de l'enseigner à plusieurs, votre mémoire resplendira dans le firmament jusqu'à la fin des âges et votre front brillera parmi les astres des cieux pendant toutes les éternités[162]».

Encouragés par de si magnifiques exemples et marchant sur les traces de si nobles prédécesseurs, à I'oeuvre donc, princes de la terre pour la restauration du Droit chrétien[163] !

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Quant à nous, prêtres ou simples fidèles, préparons-la, par l'accomplissement très parfait des devoirs que Mgr Pie nous a indiqués, surtout par la foi la plus complète en la Royauté sociale de Jésus-Christ et l'affirmation intégrale et constante de cette foi, car «tôt ou tard les croyances finissent par entrer dans les lois, et la chose publique se laisse imprégner des principes qui prévalent dans les esprits[164]».

Notes

  1. I, 100. Lettre pastorale à l'occasion de la prise de possession du diocèse et VII, 543. «Le tort est à tous, parce qu'il est dans une situation dont la responsabilité remonte à tous».
  2. Œuvres sacerdotales, I, 137.
  3. Ibid., I 98-189.
  4. Ibid., I, 133-134.
  5. VIII, 62-63. Homélie sur l'étendue universelle de la Royauté de Jésus-Christ (18 janvier 1874).
  6. C'est dans le but de préserver cette foi intégrale que Mgr Pie mettait ses fidèles en garde contre la lecture des mauvais journaux ou périodiques. Il leur inspirait aussi une aversion profonde pour la presse indifférente aux droits de Jésus-Christ et de l'Église. II, 344-345 ; III, 238, 454 ; V, 394 et suiv.
  7. La famille est la première société. Mgr Pie, le Docteur du culte social, devait premièrement parler du culte domestique, prélude indispensable du culte public, au sens strict. Il l'a fait en 1854, dans la lettre synodale des Pères du concile de la Rochelle, insérée dans ses œuvres. T. Il, 148 à 150. Citons-en les principaux passages. C'est un tableau magnifique de la famille chrétienne : «Dans le langage de saint Paul, chaque maison est un sanctuaire. Qu'on y trouve donc la Croix de Jésus-Christ qui est le signe de toute maison chrétienne et que l'image de Marie, la Mère de Dieu et notre Mère, soit inséparable du Crucifix ! Que l'eau sainte et le rameau bénit protègent la demeure contre les embûches de l'ennemi ; que le cierge de la Chandeleur y soit conservé pour être allumé dans les instants de danger, à l'heure de l'agonie et de la mort. Ah ! nos pères possédaient le secret de cette vie toute chrétienne où la religion avait sa place marquée en toutes choses. Le repas était sanctifié par la bénédiction que récitait le chef de la famille. Trois fois par jour, quand l'airain sacré retentissait au sommet du clocher paroissial, chacun suspendait sa tâche et invoquait avec amour la Vierge qui a donné au monde le Verbe fait chair. A la limite du domaine était plantée une croix, que le travailleur saluait pieusement au détour de chaque sillon. On trouvait encore dans la journée des instants pour réciter son rosaire, pour lire quelques pages d'un livre héréditaire qui contenait les principaux faits des deux Testaments et les plus beaux traits de la vie des saints. La mère de famille ne croyait avoir satisfait à tous ses devoirs religieux que quand elle avait pu expliquer à ses enfants et à ses serviteurs quelqu'article de la doctrine chrétienne. S'il arrivait que le glas funèbre annonçât un trépas, tous les frères et toutes les sœurs en J.-C. du défunt s'empressaient de lui accorder le bienfait de leurs suffrages ; et le culte des morts si négligé aujourd'hui se produisait par divers témoignages et par des pratiques qu'on ne saurait trop rappeler. Enfin, quand le dernier rayon du jour ramenait autour du foyer la famille éparse, qu'il était touchant de voir les vieillards et les enfants, les maîtres et les serviteurs agenouillés devant les saintes images, confondre dans une même prière leur voix et leur amour ! Ces pieux usages attiraient sur la terre les bénédictions du ciel ; ils ennoblissaient la maison en même temps qu'ils la sanctifiaient et ils reflétaient sur la société quelque chose de grave, de digne qui maintenait avec l'unité des dogmes de la foi, l'innocence des mœurs et l'union des volontés. «Puissions-nous voir revivre ces touchantes habitudes des âges chrétiens». Il, 149-150. Voyez encore V, 21, 29. Allocution prononcée à la suite de la consécration de l'autel d'une chapelle particulière, 4 août 1863. Rien n'est oublié dans ce programme de vie familiale chrétienne. Mais Mgr Pie savait qu'un rôle important et délicat est réservé dans la famille à la femme chrétienne: c'est elle qui doit veiller à la garde de la foi. Il l'exhorte à remplir avec perfection ce rôle sublime et, pour l’encourager, il lui montre qu'elle travaille ainsi, à sa manière, à la restauration sociale chrétienne. Écoutons : «Durant la première moitié de ce siècle, l'Église n'a rencontré sous sa main qu'un élément vraiment conservateur, qu'une puissance sérieusement conservatrice : la femme française... Ce sont les femmes françaises qui ont empêché le culte et le nom de Dieu de périr sur la terre et qui, malgré les sarcasmes et les dédains, ont conservé dans leur cœurs et dans leurs habitudes la religion de Jésus-Christ». Mais pour que les femmes chrétiennes d'aujourd'hui soient dignes de celles qui les ont précédées, il les conjure «de conserver en elles la vie de la foi et de la grâce, l'esprit de renoncement et d’immolation». Il les exhorte à s'opposer énergiquement «à ces habitudes nouvelles, à ces allures étrangères aux traditions de notre éducation nationale et chrétienne, qui menacent de se substituer à cette modestie suave, à cette aisance noble et réservée, à cette grâce enjouée et bénigne, en un mot à toutes ces qualités inexprimables qui ont rendu les femmes françaises l'admiration du monde entier». II, 1-14. Éloge de sainte Theudosie. Pour entretenir et développer la vie chrétienne au foyer domestique, Mgr Pie consacrait les familles de son diocèse au Sacré-Coeur. VI, 614.
  8. Ibid, I, 506-519.
  9. Ibid., I, 562-564
  10. Ibid.,III, 564-597
  11. III, 594. Au sujet de la sanctification du dimanche, Mgr Pie a écrit : «L'institution du dimanche, avec les salutaires observances qu'elle réclame, suffirait à elle seule pour faire fleurir la plus parfaite morale sur la terre. Œuvres sacerdotales I, 329.
  12. Œuvres sacerdotales Il, 1-38 Nous savons par Mgr Gay (corresp. I, 240) que l'évêque de Poitiers comptait faire suivre sa seconde synodale sur les principales erreurs du temps présent, d'une troisième sur le saint sacrifice de la Messe.
  13. Sur les temples catholiques. Œuvres sacerd. I, 519-535. - Sur le caractère dramatique du culte catholique. It., 535-562. - Sur les offices de l'église. Œuvres sacerd. Il 38-52. - Sur le cycle ecclésiastique. Ibid. Il, 52-67. - Sur la journée sanctifiée par l'Église. Ibid. Il, 76-92. - Résumé des instructions sur le culte. Ibid. Il, 92-102.
  14. VI, 40-60. Dom Guéranger (L'année liturgique. Le Carême) a bien fait ressortir le caractère profondément social du Carême : « La société chrétienne empruntait à l'année liturgique ses saisons et ses fêtes, particulièrement le temps du Carême, pour y asseoir les plus précieuses institutions, par exemple la trêve de Dieu... Il ne faut pas réfléchir longtemps pour comprendre la supériorité d'un peuple qui s'impose, durant quarante jours chaque année, une série de privations dans le but de réparer les violations qu'il a commises dans l'ordre moral, sur un peuple qu'aucune époque de l'année ne ramène aux idées de réparation et d'amendement». L. c. ch. 2 et 3.
  15. Voyez par ex. VII, 584-587.
  16. VIII, 81-82-83. Instruction pastorale sur l'obligation de confesser publiquement la foi chrétienne. (Carême 1874).
  17. Pour aider à la perfection de la vie publique du chrétien, Mgr Pie encourageait vivement les associations chrétiennes qui sont une force imposante dans la cité et dans l'Église. Il affectionnait particulièrement les associations qui développent la vie paroissiale. IV, 277. - IV, 189 et sv. Rappelons aussi qu'il s'est intéressé spécialement aux Cercles catholiques d'ouvriers, fondés par le Comte de Mun. il voyait dans cette œuvre un effort persévérant pour arracher la classe populaire aux étreintes de l'antichristianisme incarné dans la Révolution et la rejeter dans les bras de N.-S. J.-C. toujours enseignant et agissant par Son Église. IX, 633; VII, 410-411 ; IX, 631 et sv. Voyez également : Discours du Comte Albert de Mun, accompagnés de notices par GEOFFROY DE GRANDMAISON, I, Questions sociales, p. 32 et p. 133-134. Notons enfin qu'il n'eût pas manqué de recommander instamment, dans le même but de restauration sociale, le Tiers-Ordre de saint François d’Assise, lui qui s’était fait recevoir tertiaire de Saint-François le 30 mars 1879, trois ans avant la fameuse encyclique «Auspicato» de LÉON XIII. Histoire du Cardinal Pie, Il. l. IX. p. 672. Quant aux obligations électorales des fidèles en vue du Règne social, voir plus bas : Devoirs des prêtres : Note finale. Il est dit que les fidèles ne peuvent, sans péché grave, voter pour un sectaire notoire, ou pour un candidat affilié aux sociétés secrètes. Si déplorable que soit le système électoral moderne, les fidèles ne doivent pas, en règle générale, s'abstenir de voter. Mgr Gay nous donne sur ce point la pensée du Cardinal Pie. «La Révolution nous a condamnés à tirer du suffrage populaire et nos législateurs et jusqu'à nos gouvernements. C'est risquer de faire monter du sein de la mer ces bêtes néfastes dont parle l'Apocalypse. Mais enfin, tel est notre sort, et, s'il nous fait courir d'effroyables dangers, il nous impose de graves devoirs. Peut-être que notre principale, sinon même notre unique ressource est de les bien connaître et de les remplir fidèlement». Mgr Gay à Mgr Freppel 11 juin 1881. Dans Mgr Gay. Sa vie, ses œuvres par Dom Bernard de BOIS ROUVRAY, II, 383. Documents et pièces justificatives.
  18. Histoire du Cardinal Pie, T. Il L. IV, ch. Il, p. 435. A la prière, le fidèle doit joindre la souffrance, la pénitence, la réparation, Mgr Pie cherchait à éveiller dans ses fidèles l'idée de la réparation nationale. Au sujet d'un jeûne prescrit, il écrivait en 1873. «Ce jeûne devra être offert en esprit de réparation nationale » VII, 584.
  19. Pour obtenir de Dieu que la Royauté du Christ soit reconnue dans le monde entier, PIE XI a recommandé la prière suivante, accordant aux fidèles qui la récitent une indulgence plénière, qu'ils peuvent gagner chaque jour aux conditions ordinaires (Rescrit du 25 février 1923) : «Ô Christ Jésus, je Vous reconnais pour Roi Universel. Tout ce qui a été fait, a été créé pour Vous. Exercez sur moi tous Vos droits. Je renouvelle mes promesses du baptême, en renonçant à satan, à ses pompes et à ses œuvres, et je promets de vivre en bon chrétien. Et tout particulièrement je m’engage à faire triompher selon mes moyens les droits de Dieu et de Votre Eglise. Divin Cœur de Jésus, je Vous offre mes pauvres actions pour obtenir que tous les cœurs reconnaissent Votre Royauté sacrée et qu’ainsi le Règne de votre paix s’établisse dans l'univers entier. Ainsi soit-il».
  20. Histoire du Cardinal Pie, I, L. I, ch. VII, 219.
  21. II, 999. Homélie pour l'ouverture du second synode. Cette homélie ne se trouve pas dans la 1ère édition.
  22. Œuvres sacerd., I, 356-357. Sermon sur l'intolérance doctrinale (1841 et 1847).
  23. Les documents patristiques et pontificaux les plus importants sur le Droit social chrétien ont été reccueillis par Mgr Speiser, professeur de Droit canon à l'université de Fribourg dans un opuscule de 80 pages : Conspectus prælectionum de jure Canonico quem in usum privatum auditorum additis textibus selectis edidit FRIDERICUS SPEISER. Friburgi Helvetiorum. Typis consociationis sancti Pauli 1903. Cette étude des documents sera heureusement complétée par la lecture des œuvres de JOSEPH DE MAISTRE. Signalons surtout : Du Pape, De l’Église Gallicane, Considération sur la France. Les œuvres de Louis VEUILLOT, tout particulièrement : L'illusion libérale, Le Parfum de Rome. Les ouvrages D'AUGUSTE NICOLAS, spécialement : L'État sans Dieu, La Révolution et l’ordre chrétien seront médités avec profit. Parmi les auteurs ecclésiastiques qui ont tout spécialement étudié notre question nous citerons surtout : BALMES : Le protestantisme comparé au catholicisme dans ses rapports avec la civilisation européenne ; Le P. LIBERATORE : L’Église et l'État dans leurs rapports mutuels , FR. CHESNEL: Les droits de Dieu et les idées modernes, 2 vol. ; Mgr FREPPEL : La Révolution française ; Mgr GAUME : La Révolution ; DOM BENOIT : La cité antichrétienne au XIXè siècle. (Les deux volumes sur les idées modernes) ; P. UBALD DE CHANDAY : Les trois Frances (La France satanique, la France chimérique ou le libéralisme et la France catholique). On trouvera aussi des aperçus très judicieux dans L’Église et les libertés de Dom BESSE, et dans Le Christianisme et les temps présents par Mgr BOUGAUD (Tome IV : l'Église, 3è partie : L'Église et la société moderne). Il faut consulter encore Mgr de SEGUR : La Révolution ; Mgr DELASSUS : La Conjuration antichrétienne ; Le P. VENTURA Le pouvoir politique chrétien. Pour une bibliographie plus détaillée Cf. : articles : Église et État. Libéralisme, Laïcisme dans le Dictionnaire de Théologie de VACANT et dans le Dictionnaire d’Apologétique de la foi catholique d’Alès.
  24. V, 436. Entretien avec le clergé (Juillet 1865) et VII, 567-572 : trois brefs pontificaux relatifs au libéralisme catholique.
  25. V, 437
  26. V, 443. Entretien avec le clergé (juillet 1865). Un des meilleurs commentaires du Syllabus à l'usage des prêtres est assurément celui du chanoine JULES MOREL, consulteur de la Sacrée Congrégation de l'index. Ce commentaire se trouve dans le tome ler (p.1 à 158) de la Somme contre le catholicisme libéral du même auteur. Paris : 1877 (Vict. Plamé). Voyez aussi le Syllabus pontifical ou réfutation des erreurs qui y sont condamnées, par l'abbé LEONARD FALCONI, Traduction Materne.
  27. III, 260. Seconde instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent. C'est dans cette synodale que Mgr Pie explique, à la suite du Pape saint Gélase, ce qu’il faut entendre par funeste condescendance. La condescendance fatale est l'abandon de la doctrine, par amour de la paix, par égard pour la faiblesse de ceux qui ne possèdent pas la vérité. C'est descendre, c'est s'avilir avec eux. L'évêque de Poitiers ne veut pas d'une telle condescendance qui conduirait à une ruine plus grande encore. Voici comment il cherche à en détourner les fidèles et les prêtres. «L'abaissement de toutes choses parmi nous depuis que nous avons quitté les hauteurs où le christianisme nous avait placés, l'abaissement des esprits, l'abaissement des cœurs, l'abaissement des caractères, l'abaissement de la famille, l'abaissement du pouvoir, l'abaissement des sociétés, en deux mots, l'abaissement des hommes et l’abaissement des institutions : c'est ce que tout le monde voit et reconnaît, c'est ce que personne ne nie. Or, comment le terme à tant d'abaissements pourrait-il être dans l'abaissement de la vérité, c'est-à-dire du principe qui peut seul imprimer aux hommes et aux institutions un mouvement de réascension ? Ah ! conjurons bien plutôt à mains jointes, s'il en était besoin, les oracles de la doctrine, de n'avoir jamais la faiblesse de se prêter à aucune complaisance, à aucune résistance, conjurons-les de nous dire à l'avenir «toute la vérité», la vérité qui sauve les individus et la vérité qui sauve les nations. La condescendance serait désormais la consommation de notre ruine. Loin donc de demander à l'Église de Jésus-Christ de descendre avec nous "ad ima de summis" demandons-lui de rester où elle est, et de nous tendre la main, afin que nous remontions avec elle "ad summa de imis", et la région basse et agitée où nous sommes descendus et où nous sommes en voie de descendre encore davantage, à la région haute et sereine où elle fait habiter les âmes et les peuples qui lui sont fidèles». III, 262. - Voyez VII, 382-383 un passage semblable sur « les fatales condescendances qui seraient des trahisons envers le ciel et envers la terre».
  28. Il, 312. Homélie au second synode diocésain (Juillet 1855).
  29. VIII, 83-84. Instruction pastorale sur l'obligation de confesser publiquement la foi chrétienne.
  30. Il, 32. Entretien avec le clergé diocésain sur les qualités du zèle sacerdotal (1853).
  31. VIII, 89
  32. IV, 232, et 423. Lettre à M. le ministre de l'instruction publique et des cultes (16 Juin 1861) et Réponse à M. Billault, ministre commissaire du gouvernement impérial (4 Avril 1862).
  33. C'est ainsi que Mgr Pie l'a toujours envisagée : doctrinale et même uniquement doctrinale. Il a refusé d'être député, et voici dans quel esprit : «Je ne vous ai point dit, écrivait-il à l'évêque de Metz, que j'ai refusé une candidature dont le succès était certain... Il faudrait des volumes pour exposer toutes les raisons de mon refus. Je m'applaudis infiniment du parti que ma conscience m'a dicté, contrairement à l'avis presqu'unanime de mon entourage. Si plus tard la France veut du prêtre non seulement comme homme d'ordre et de conservation matérielle, mais comme homme de foi et de convictions, si elle lui donne un mandat direct, afin qu'il représente les intérêts religieux et qu'il défende la doctrine de Jésus-Christ devant l'assemblée, je serai prêt à l'accepter de ma part. Aujourd'hui je ne vois rien à faire de bon et d'utile». Lettre à Mgr Dupont des Loges, Histoire du Cardinal Pie I L 1, ch. 6, p. 192. Dans les entretiens intimes avec son clergé, il a toujours mis ses prêtres en garde contre toute action politique. «L'expérience prouve qu'au bout d'un certain nombre d'années le curé le mieux posé dans sa paroisse est celui qui ne se lie point aux partis, et que le prêtre le plus influent est celui qui n'a jamais cherché l'influence». Il, 32. De même les conseils de modération et de prudence donnés à ses prêtres au XVIè synode diocésain (1871) ne sauraient trop être médités : VIl, 265-268. Dans un autre Synode (1873) Mgr Pie leur disait : «Vous savez tous, qu'ayant coutume de suivre avec attention les affaires du temps, je m'en désintéresse volontiers au point de vue simplement politique. Les questions étant posées comme elles le sont le plus ordinairement, la règle à suivre pour nous est très souvent celle que le divin Maître a tracée dans ces paroles : Dimitte mortuos sepelire mortuos suos : laissez les morts ensevelir leurs morts; et quant à vous, occupez-vous d'annoncer le règne de Dieu.» Tu autem vade et annuntia regnum Dei. VII, 575. Voyez encore Entr. avec le clergé au 22è syn. dioc., 1877, IX, 501-502. Cependant la Révolution nous condamnant à tirer du suffrage populaire et nos législateurs et nos gouvernements, le devoir doctrinal du prêtre ne s'étend-il pas à éclairer le suffrage ? Mgr Pie n'a pas traité la question, mais nous pouvons connaître sa pensée par la lettre suivante de Mgr Gay à Mgr Freppel, évêque d'Angers. «Certes, il ne s'agit pas d'entrer directement comme évêque dans la question purement politique, j'entends la préférence à tel ou tel candidat, eu égard à son opinion sur la forme même du pouvoir ; si importante que soit cette question, nous ne saurions ni la traiter ni même y exercer une influence publique à titre de ministres de Dieu et de pasteurs des peuples. Mais n'est-il pas possible et licite et urgent de faire, épiscopalement, en vue de l'acte qui s'impose aux fidèles, une exposition pratique des principes où ils doivent s'appuyer, de leur montrer en particulier, qu'abstraction faite de tout parti, ils ne peuvent, sans péché grave, donner à un sectaire notoire une voix qui est un concours direct et efficace à l'institution des législateurs de la France et à la Constitution même du pouvoir qui doit nous régir? N'est-ce pas le moment de déclarer à nouveau, en se fondant sur tant de bulles pontificales, publiées depuis un siècle et demi, que tous les membres connus des sociétés secrètes, nommément les francs-maçons, doivent être absolument exclus du suffrage de quiconque veut ne pas compromettre son salut en cessant d'être docile à Dieu et à l'Église, que partant, avant même de s'informer de l'opinion politique des candidats, tout catholique doit s'enquérir s'ils appartiennent ou non à cette secte abominable ?» Lettre de Mgr Gay, 11/6/1881, citée par Dom B. DU BOISROUVRAY. Mgr Gay, sa vie, ses œuvres, Il, 383-384. Documents et pièces justificatives.
  34. III, 247-248. Homélie pour les fêtes de la béatification du Bienheureux Charles Spinola et de ses compagnons martyrs (8 nov embre 1868).
  35. Mgr Pie a traité aussi, mais sommairement, des obligations des chefs militaires. Il leur montra dans saint Maurice un patron dont l'exemple est une leçon perpétuelle de courage à professer la foi et à pratiquer la loi de Jésus-Christ. IV, 10-15. Homélie prononcée en la solennité de saint Maurice, patron de la garnison militaire.
  36. III, 135. Seconde instruction synodale, sur les principales erreurs du temps présent.
  37. III, 136-137
  38. VIII, 83. Instruction pastorale sur l'obligation de confesser publiquement la foi chrétienne.
  39. De même le titre de philosophes que se donnent certains écrivains et maîtres de l'enseignement ne les dispense pas d'embrasser la foi chrétienne. Mgr Pie leur montre que la philosophie séparée de la foi est antirationnelle, impossible, et purement imaginaire, impie. Il leur expose ensuite que la philosophie qui accepte l'autorité de la Révélation, s'agrandit et se rehausse. III, 148-187.
  40. Œuvres sacerd. : I, 162. Instruction sur la nécessité d'entendre la parole de Dieu (Chartres 1840).
  41. IX, 216-217
  42. Mgr Pie est ici un précurseur des directions doctrinales thomistes données par LÉON XIII et ses successeurs. L'Encyclique «Æterni Patris» recommandant la philosophie de saint Thomas est de 1879.
  43. «Nous croyons que ce qui a manqué à notre pays, ce n'a été ni la science des compromis, ni le talent et l'honnêteté dans les hommes du pouvoir, non plus que la modération relative dans les chefs de l'opposition» V, 198 Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.
  44. La philosophie sans foi et sans loi a passé désormais des spéculations dans l'ordre pratique... et elle a donné le jour à la politique sans Dieu. V, 516 Panégyrique de saint Émilien.
  45. Il, 437. Observation à propos d'une lettre de M. le ministre des cultes (décembre 1855). Le P. GRATRY, cité plusieurs fois avec éloge dans les Synodales de l'évêque de Poitiers, écrivait en 1853 : «la raison humaine est en péril et ce péril trop peu connu et trop peu signalé est l'une des plus redoutables menaces du temps présent... Qu'est-ce que la vérité ? La vérité peut-elle être connue ? La science est-elle possible ? Le raisonnement prouve-t-il quelque chose ? Et la parole a-t-elle un sens ? Les mots répondent-ils aux objets, ou ne sont-ils que de vains signes ? On l'ignore et on ne tient pas à le savoir». De la connaissance de Dieu, p. 1 et 5 (éd. 1854). Depuis 1853, la crise de la raison n'a pas cessé et elle est aujourd'hui dans une période aiguë.
  46. Le Play, Lettre 1871
  47. Mgr Pie, dans sa première Instruction Synodale, fait remarquer que la saine philosophie ne se trouve que dans l’Église et qu'il faut la demander aux séminaires et aux Universités catholiques. «J'aurais la franchise de dire ce que je pense... ce qui est certain pour tout homme qui étudie et observe les choses : il n'existe plus guère de philosophie au XIXè siècle, si ce n'est chez les corporations religieuses, dans les séminaires et dans les Universités catholiques et si vous voulez trouver encore des hommes qui aient véritablement conservé foi dans la raison humaine, cherchez dans les rangs de ceux qui ont gardé la foi chrétienne en leur coeur» Il, 412. On voit par ce texte et par celui que nous venons de développer le rôle capital réservé aux Universités catholiques pour la restauration de la Royauté sociale de Jésus-Christ.
  48. IX, 218. Paroles prononcées à la séance de clôture du congrès cath. de Poitiers (1875).
  49. VIII, 88. Instruction pastorale sur l'obligation de confesser publiquement la foi chrétienne.
  50. Proudhon, P. Leroux et Mazzini.
  51. VIII, 88 et : «Le monde périt parce que la connaissance de Dieu a disparu et la connaissance de Dieu, c'est proprement la théologie. Elle éclaire tout, elle protège, elle défend toutes les autres vérités : celles qui se rapportent à Dieu, aux hommes vivant en société, à tous les devoirs moraux de la vie. Avec ses annexes nécessaires : l'Écriture sainte, le droit ecclésiastique, l'histoire, la philosophie qui est son préambule, elle plonge ses racines dans toutes les parties de l’esprit humain». X, 452. Voyez aussi IX, 282 : «Par elle-même et surtout par quelques-unes de ses annexes, la faculté de théologie vient combler un vide qui est devenu l'abîme des sociétés modernes. Après que le dix-huitième siècle eut proclamé les Droits de l'homme» et gardé le silence sur les droits de Dieu, n'est-il pas évident que ce legs, plus ou moins explicitement accepté par le dix-neuvième siècle, a été pour lui un testament de mort ? Arrivé aux trois quarts de sa course, ce siècle qui n'a marché que de chutes en chutes, de renversements, de déceptions en déceptions, ne va-t-il pas commencer à comprendre ce que c'est que Dieu du moins dans la chose sociale ?»
  52. Œuvres sacerd. I, 518.
  53. SURTOUT DANS LA SAINTE EUCHARISTIE, car «L’Eucharistie est le centre où tout le christianisme se termine, c’est le résumé vivant et substantiel de la loi nouvelle... Tout est inachevé dans la vie du chrétien, tant qu'il n'en vient pas à la Communion». X, 140. On voit par ce passage et par celui que nous avons donné dans le texte, au sujet de la liturgie, dont l'Eucharistie est le centre, le rôle transcendant de l'Eucharistie pour la rénovation sociale chrétienne. Ils ne se trompent pas ceux qui voient dans le mouvement qui porte les âmes à la communion quotidienne, et dans le succès grandissant des Congrès eucharistiques, le signe le plus sûr et le gage assuré du Règne de N.-S. L'apostasie des nations a commencé par l'apostasie eucharistique et surtout des chefs. «Qu'on le sache bien, écrivait le Vénérable Père EYMARD, un siècle grandit ou décroît en raison de son culte pour la divine Eucharistie».
  54. Œuvres sacerd. I, 193-194.
  55. Œuvres sacerd. I. 194 et deuxième Instruction à l'occasion du jubilé semi-séculaire. I, 329-330.
  56. III, 167. Seconde Instruction Synodale sur les principales erreurs du temps présent.
  57. Saint Thomas : II II q.3 art 2 et le commentaire par Mgr Pie : II, 146-147-148. Donnons-en les passages principaux : Le précepte de professer extérieurement et ouvertement la foi chrétienne. Ce précepte, comme tout précepte affirmatif, disent les théologiens, doit être envisagé à deux points de vue. En tant qu'il implique une prohibition, son obligation est de tous les jours, de tous les instants et de toutes les situations de la vie : Il n'est jamais permis au chrétien de rien faire, ni de rien dire ni de rien écrire qui soit une négation de sa croyance. Au contraire, en tant qu’il commande un acte positif, le précepte, quoique permanent et continu, n'oblige pas à toute heure et à tout moment. Il n'est pas de nécessité de salut, dit saint Thomas, de professer sa foi partout et toujours ; mais ce qui est de nécessité de salut, c'est de professer à son heure et en son lieu, à savoir quand, par l'omission de cette déclaration de sa croyance, on préjudicierait à l'honneur dû à Dieu ou à l'utilité religieuse et morale du prochain. Par exemple, si quelqu'un, étant interrogé sur sa foi, se taisait et qu'on pût en conclure qu'il n'a pas la foi, ou que la foi n'est pas vraie, ou qu'il pût résulter de ce silence que le prochain fût détourné d'embrasser la foi ou exposé à la perdre : alors, l'honneur de Dieu et l'utilité du prochain demandent que l'homme ne se contente pas de l'adhésion intérieure de son âme à la vérité divine, mais il doit la confesser extérieurement». Seconde Instruction synodale.
  58. III, 212, 213, 214. Seconde instruction synodale.
  59. La conquête de l'Algérie a soulevé le difficile problème de l'école pour les nombreux musulmans de nos colonies africaines. Dans quel sens ce problème doit être résolu, nous l'indiquons avec Mgr Pie. Ce problème scolaire n'est du reste qu'un des aspects de cette grande question : la politique coloniale chrétienne. Sur ce point précis, voir plus loin Sect. Il.
  60. Voir plus loin : passage sur la tolérance.
  61. III, 180 et 218.
  62. III, 210, 211, 212.
  63. III, 221-222 à 257. Même doctrine, sous une forme plus brève, dans la première Synodale. Mgr Pie s'adresse à ceux qui rêvent «d'une morale sociale, suréminemment catholique, qui se place au-dessus de toutes les religions». «Non, jamais leur dit-il, on ne sauvera les nations, jamais on ne rétablira l'ordre moral et social au moyen de l'impiété. Or, depuis que Jésus-Christ est venu sur la terre, quiconque néglige ou refuse de Le connaître et de Lui obéir est un impie. Il est en révolte non seulement contre le Fils, mais contre le Père qui L'a envoyé, il pêche nous l'avons dit, non seulement contre la révélation, mais contre la raison qui ne permet point de mépriser la parole révélée de Dieu. On ne le répétera donc jamais assez la morale qui pouvait suffire aux nations païennes, est insuffisante depuis les temps chrétiens. Si Je n'étais pas venu et que Je ne leur eusse pas parlé, dit le Sauveur, ils seraient excusables. Mais maintenant, ils ne sauraient être excusés de leur péché... Si Je n'avais pas fait au milieu d'eux des œuvres que nul autre n'a faites, leur faute serait pardonnable ; mais maintenant, ils ont vu Mes œuvres, et ils Me haïssent, ils haïssent Mon Père». «Ainsi la morale qui s'en tient, de propos délibéré et de parti pris aux lois de la simple nature, ne saurait procurer désormais le salut, même temporel des individus ni des sociétés. Car cette morale est insuffisante et incomplète ; et de plus, elle ne peut être observée dans tout son ensemble que par un secours surnaturel de la grâce.. Dieu ne versera point ses bénédictions sur les contempteurs de son Fils. Philosophes qui proclamez la déchéance de Jésus-Christ, vous ne prendrez point Sa place, et s'il était vrai qu'il n'existât plus sur la terre de société chrétienne, vous ne réussiriez pas davantage à y refaire une société d'honnêtes païens». Il, 402-403. Ajoutons pour confirmer cet enseignement la fine réflexion de Mgr Pie à ses prêtres, au sujet du livre de Jules Simon, intitulé : De la religion naturelle : «Chaque fois qu'on vous présentera, Messieurs, un livre quelconque annonçant comme un cours complet de philosophie d'après les seules lumières naturelles, soyez assurés de constater bientôt deux choses : premièrement, d'immenses lacunes dans ce cours complet, et deuxièmement, des traces manifestes de religion révélée dans ce livre de pure raison. Pour ma part, j'ai lu avec la plus grande patience un livre intitulé : De la religion naturelle. Ma conscience m'oblige de dire que je n'y ai pas trouvé une religion et que dans le peu de religion qu'il contient, j'ai trouvé beaucoup de surnaturel». III, 162-163. Seconde instruction synodale.
  64. III, 214
  65. Il, 32 Entretien avec le clergé diocésain (1853).
  66. Commentant un passage du prophète Zacharie, le Cardinal Pie affirme que cette doctrine de l'union de l’Église et de l’Etat est une doctrine révélée : «Les commentateurs de tous les temps ont été unanimes à déduire du chapitre quatrième et du chapitre sixième de Zacharie, la doctrine divinement révélée de l'union et de l'accord nécessaire du sacerdoce et de l'empire. Tout l'état du monde, dit Bossuet, roule sur ces deux puissances. lX, 29. Il faut lire sur ce sujet ROHRBACHER : Histoire universelle de l’Église catholique t. 1, L. IX : Des rapports entre les deux puissances d'après la tradition universelle.
  67. Dans un discours prononcé en 1848, Mgr Pie compare l'union qui doit exister entre l'Église et l'État à l'union de l'âme et du corps. Si les différentes formes du gouvernement ont péri en France, c'est qu'elles n'étaient pas unies à l'Église, comme le corps doit être uni à l'âme. «Or si heureusement qu'il soit pourvu d'articulations, de ressorts et de muscles, un corps sans une âme, c'est un cadavre, et le propre d'un cadavre est de tomber bientôt en dissolution. L'âme de toute société humaine, c'est la croyance, c'est la doctrine, c'est la religion, c'est Dieu» I, 85. Cette comparaison de l'Église et de l'État avec l'union du corps et de l'âme est classique. C'est la doctrine rappelée par Léon XIII dans l'encyclique «Immortale Dei» sur la constitution chrétienne des États. Lettres apost. de Léon XIII T. II, p. 27-28 (Edit. Bonne Presse).
  68. IV, 247-248. Lettre à M. le ministre de l'instruction publique et des cultes (16 Juin 1861).
  69. Pie IX, dans l'allocution consistoriale du 9 juin 1862 avait résumé en quelques mots tout le système des coryphées actuels de la secte antichrétienne : «Ces hommes, dit-il, détruisent absolument la cohésion nécessaire qui par la volonté de Dieu unit l'ordre naturel et surnaturel». Ayant cité ces mots, Mgr Pie continue : «LA, en effet, EST LE CŒUR DE LA QUESTION, là est le champ clos de toutes les luttes de l'heure présente. Nous disons nous, et l'Église catholique enseigne que Dieu, par un acte libre de Son amour, a établi un lien supérieur et transcendant entre notre nature et la sienne ; nous disons qu'un pareil lien n'était pas nécessaire en soi, qu'il n'était commandé ni même formellement réclamé par aucune exigence de notre être, qu'il est dû à la charité immense, à la libéralité gratuite et excessive de Dieu envers Sa créature ; nous proclamons que ce lien par suite de la volonté divine est devenu obligatoire, indéclinable, nécessaire ; qu'il subsiste éminemment et qu'il subsistera éternellement en Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, nature divine et nature humaine toujours distinctes, mais irrévocablement unies par le nœud hypostatique ; nous ajoutons que ce lien doit s'étendre, selon des proportions et par des moyens divinement institués, à toute la race dont le Verbe incarné est le Chef et qu'aucun être moral, soit individuel et particulier, soit public et social ne peut le rejeter ou le rompre, en tout ou en partie, sans manquer à sa fin, et par conséquent sans se nuire mortellement à lui-même et sans encourir la vindicte du maître souverain de nos destinées. Telle est non pas seulement la doctrine, mais la substance même du christianisme. V, 39-40. Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent. «N'oublions pas et ne laissons pas oublier, écrit Mgr Pie dans la même synodale, ce que nous enseigne le grand apôtre, que Jésus-Christ, après être descendu des cieux, y est remonté afin de remplir toutes choses, ut impleret omnia. Il ne s'agit pas de sa présence comme Dieu, puisque cette présence a toujours été, mais de sa présence comme Dieu et homme tout à la fois. - Au fait, Jésus-Christ est désormais présent à tout, sur la terre aussi bien qu'au ciel ; Il remplit le monde de Son nom, de Sa loi, de Sa lumière, de Sa grâce. Rien n'est placé hors de Sa sphère d'attraction ou de répulsion ; aucune chose ni aucune personne ne Lui peuvent demeurer totalement étrangères et indifférentes ; on est pour Lui ou contre Lui; Il a été posé comme la pierre angulaire : pierre d'édification pour les uns, pierre d'achoppement et de scandale pour les autres, pierre de touche pour tous. L'histoire de l'humanité, l'histoire des nations, l'histoire de la paix et de la guerre, l'histoire de l'Église surtout n'est que l'histoire et la vie de Jésus remplissant toutes choses : ut impleret omnia» V, 166. Nous avons fait ces longues citations pour bien montrer que pour Mgr Pie l'exposé du mystère du Christ est la réfutation décisive et la plus profonde du naturalisme et du libéralisme. Sur ce point, voyez Mgr Gay, sa vie, ses œuvres par Dom BERNARD DE BOISROUVRAY. T. 1, p.207.
  70. III, 167-168. Seconde instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.
  71. 16 juin 1862. IV, 228-256.
  72. IV, 249
  73. Séparation de l’Église et de l’Etat en est un. L'axiome énigmatique l’Église libre dans l’Etat libre en est un autre. V, 358.
  74. IV, 588-589. Instruction pastorale sur cette parole de saint Jean : Et il y a déjà beaucoup d'Antéchrists (Carême 1863).
  75. Première et deuxième synodale sur les erreurs du temps présent.
  76. Il, 524. IX, 168. Au sujet de ce dualisme manichéen. Mgr Berteaud, évêque de Tulle donne peut-être écho de ses conversations avec l'évêque de Poitiers, quand il dit : «Le devoir de tout législateur est de tourner ses regards vers Jésus-Christ, vers ce grand exemplaire descendu vers nous par amour, et de Le prendre comme l'âme et la forme de son oeuvre. A cet idéal divin, opposer un autre idéal selon lequel se gouverneraient les peuples, c'est tomber dans un manichéisme ridicule. Il y a donc deux dieux, l'un qui enseigne le dogme, l'autre qui fait la loi ? Au premier, l'empire sur les intelligences, qui le voudront accepter, Dieu de chances et de fortunes diverses, adopté et conspué, comme chacun l'entendra. L'autre, maître absolu des volontés humaines qu'on ploiera au besoin par le fer ; le premier créant la beauté intérieure dans les âmes, mais impuissant à répandre sur les choses extérieures, sur les institutions de l'ordre civil, l'éclat de la vie ; l'autre, vrai père de la civilisation et de la grandeur des peuples. Au premier les autels et les temples resserrés ; au second, les vastes espaces, les champs, les empires, toutes choses étalées au soleil ; une ville avec une frange de fleurs suffit au premier, le reste est l'héritage inaliénable du second. Ce partage est absurde ; il n'y a qu'un Dieu qui doit régner dans les temples et dans les cités, dans le secret des âmes et dans le grand jour de la "vie publique». G. BRETON. Un évêque d'autrefois, Mgr Berteaud, évêque de Tulle, p. 386-387.
  77. IV, 528. Deux lettres à M. le comte de Persigny, ministre de l'intérieur. 18 et 27 décembre 1862.
  78. Lettre à M de l'Estoile. Histoire du Cardinal Pie, I L. 1, ch. 5, p. 173.
  79. IX, 213. Les adversaires de l'union de l'Église et de l'État sont allés jusqu'à prétendre qu'à Rome, on regarda la Constitution belge de 1830 comme un modèle. C'est une erreur. Rome a regardé la constitution comme un modèle à proposer aux peuples qui ne pourraient pas faire mieux, oui, comme un modèle en soi, non. Certainement, la nouvelle position des Belges après leur séparation d'avec la Hollande, était préférable à l'ancienne. Il y avait donc lieu de se féliciter du changement auquel on devait une si grande amélioration. Mais, Rome n'a pas cessé pour autant de regarder cette amélioration comme précaire, et la meilleure preuve à en donner est la condamnation des doctrines séparatistes, fulminée par l'Encyclique «Mirari vos» qui éclata le 15 août 1832. Au sujet de l'Amérique, qu'on se souvienne des graves réserves formulées par le pape Léon XIII dans son Encyclique «Longinqua» 6 janvier 1895 : «Error tollendus est ne quis hinc sequi existimet petendi ab America exemplum optimi Ecclesiæ status». Bonne Presse : Encyclique de Léon XIII, T. IV, p. 163, 164, 166. On ne relira pas sans profit la lettre doctrinale que Mgr Pie adressait, en 1860, à M. Foisset sur cette délicate question des rapports de l'Église et de l'État. M. Foisset alléguait, en faveur de la thèse libérale, les progrès que le catholicisme devait au régime indifférentiste de 1830. C'était ériger en principe ce qui n'était qu'un fait accidentel de transition et de transaction. Mgr Pie répondit : La Providence a tiré bon parti pour le réveil religieux, de la période d'indifférentisme de la loi : c'est vrai ; Elle en avait tiré un plus grand encore de la période de la persécution. Mais ni la persécution, ni l'indifférentisme politique du pouvoir ne sont dans l'ordre régulier. On ne sera jamais assez reconnaissant, selon moi, envers les hommes qui, soit au sortir de la grande tribulation révolutionnaire, soit depuis trente ans, ont employé leurs talents, leur dévouement, leur foi, leur amour de l’Eglise, à dégager de la situation existante tout ce qui pouvait en sortir de bon, et qui ont rendu ainsi d'incomparables services à la religion et à la société. Mais cela ne m'empêcherait pas de considérer désormais leur action comme doublement funeste et à la religion et au pouvoir que l'avenir tient en réserve, s'ils persistaient dans la thèse absolue que quelques-uns ne se lassent pas de reproduire». Hist. du Card. Pie, II, L. III, ch. 2, p. 65.
  80. VII, 109. Instruction pastorale sur les malheurs actuels de la France (1871).
  81. Histoire du Card. Pie. I L. 1, ch. 6, p. 186-187.
  82. Mgr Pie a toujours combattu les principes de la révolution française. Cette politique, qui est l'application de la philosophie sécularisée, a un nom dans l'Évangile : la puissance du mal et de la bête. Elle a reçu aussi un nom dans les temps modernes, un nom formidable qui depuis 70 ans a retenti d'un pôle à l'autre : elle s'appelle la Révolution. Avec une rapidité de conquête qui ne fut jamais donnée à l’Islamisme, cette puissance, émancipée de Dieu et de son Christ, a subjugué presque tout à son empire, les hommes et les choses, les trônes et les lois, les princes et les peuples». III, 516. «Ainsi pour lui, la Révolution c'est la puissance du mal et de la Bête». Ailleurs, il écrit : «La génération issue des maximes de la Révolution pourra se définir elle-même avec vérité par cette parole de l'Iduméen : J'ai dit à la pourriture : «Vous êtes ma mère» et à la lèpre : «C'est vous qui m'avez donné le jour». Œuvr. sacerd. I, 348. Parlant de la devise révolutionnaire : Liberté, Égalité, Fraternité, il dira encore . « Il ne suffit pas d'avoir inventé un nouveau trisagion et de redire éternellement trois fois rien. Dites plutôt une fois : Dieu ; et la face de la société sera renouvelée». Œuvres sacerd. Il, 629. Cette sévérité ne doit pas nous étonner ; elle est très juste, car au fond, la Révolution détrône Jésus-Christ. Cf. VII, 100. Deux passages de Louis Veuillot font exactement écho à ce jugement doctrinal de Mgr Pie. «Il existe, dit Louis Veuillot, un principe de 89 qui est le principe révolutionnaire par excellence et, à lui seul, toute la Révolution et tous ses principes. On n'est révolutionnaire qu'au moment où on l'admet, on ne cesse d'être révolutionnaire qu'au moment où on l'abjure ; dans un sens comme dans l'autre, il emporte tout ; il élève entre les révolutionnaires et les catholiques un mur de séparation à travers lequel les Pyrames catholiques libéraux et les Thisbés révolutionnaires ne feront jamais passer que leurs stériles soupirs. Cet unique principe de 89, c'est ce que la politesse révolutionnaire des conservateurs de 1830 appelle la sécularisation de la société, c'est ce que la franchise révolutionnaire du siècle, des Solidaires et de M. Quinet appelle brutalement, l'expulsion du principe théocratique. C'est la rupture avec l'Église, avec Jésus-Christ, avec Dieu, avec toute reconnaissance, avec toute ingérence et toute apparence de l'idée de Dieu dans la société humaine». L'illusion libérale, 135-136. Le même auteur, écrivant au général Trochu, lui disait : «Encore que vous soyez le plus honnête homme du monde et bon et ferme chrétien pour vous-même, prêt, je n'en doute pas, à mourir plutôt que d'abjurer la foi du Christ, vous n'avez pas, selon moi, la qualité et la quotité de foi sociale que nous devons tous à l'Évangile. Vous en avez ce que tolère le monde, vous n'avez pas ce qu'il faut à la société. Je ne vois rien du tout dans vos actes publics qui me déclare que l'Évangile soit pour vous la loi du salut politique autant que celle du salut particulier. Vous croyez qu'il n'est permis et même urgent de n'être chrétien que dans la vie privée. C'est l'essence du poison révolutionnaire ; c'est par là que la Révolution trompe les intelligences et dissout les consciences à qui ses autres maximes et pratiques font horreur. C'est ce poison surtout qui tue la société. Il paralyse les bras et les cœurs qui pourraient le sauver. Il ôte aux hommes de bien le sens vigoureux du juste et de l'injuste, il affaiblit en eux la majesté généreuse de la foi, il leur interdit la grandeur, il les ravale aux incertitudes et aux compromis, à toutes les fausses habiletés de la pauvre raison humaine si mesquine et si profondément déraisonnable lorsqu'elle éteint le flambeau que Dieu lui a donné». Paris pendant les deux sièges. I, 280. Voyez aussi, dans Mgr Pie, la célèbre homélie sur l'action simultanée du bien et du mal (8 décembre 1870) VII, 58-71.
  83. Histoire du Cardinal Pie T. I, L. II, ch. 11, 697-699.
  84. Les notes rédigées sur ce sujet et destinées au COMTE DE CHAMBORD ne nous sont parvenues qu'à l'état fragmentaire et incomplet. Voyez Histoire du Card. Pie, Il 1. IV, in extenso.
  85. Histoire du Cardinal Pie, Il L. IV, 517.
  86. Histoire du Cardinal Pie. Il, L. III, ch. 1 p. 8. Signalons ici que l'Autriche n'observa pas ce concordat qui l'aurait préservée de la révolution et de la ruine.
  87. V, 35-36
  88. Histoire du Cardinal Pie, Il, L. IV, ch. IV, 519.
  89. III, 573-574
  90. VII, 65
  91. IV, 323 ; V, 586-587 ; VIII, 40, cf. Histoire I L. 1, ch. 2 p. 42. Le Cardinal Pie appelle ces sociétés détestables et abominables. «Nous leur imputons la majeure partie des maux qui désolent aujourd'hui le monde et nous sommes convaincus que devant Dieu elles en sont responsables». VII, 52.
  92. Pour une étude détaillée des lois antichrétiennes qui n'existaient pas encore du vivant du Cardinal Pie, cf. la précieuse étude du P. EMONET sur le laïcisme dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique.
  93. Nous disons la suppression, l'annulation, l'abolition complète. La «non application» ne suffirait pas. Le maintien dans la législation ne serait-ce qu'à titre de lettre morte de ces lois criminelles, serait une injure à Dieu, à Jésus-Christ, à l'Église ; ce serait de plus un danger, c'est ici que trouve place une judicieuse remarque de Dom Guéranger : «Souvent dans l'histoire, et nous l'avons vu encore de nos jours, Dieu a frappé des princes dont les vues personnelles étaient favorables à Son Église, mais qui oublieux de l'avenir et de la justice, ne songèrent pas à briser les chaînes que d'autres avaient forgées pour cette fille du ciel. Ces princes avaient cru faire assez de les soulever durant les courtes années qu'ils eurent la puissance ; aveugles qui ne sentaient pas qu'après eux, ces chaînes retomberaient plus lourdes encore sur cette Église qu'ils ne devaient pas seulement aimer et vénérer comme chrétiens, mais comme rois, servir et délivrer». Dom GUERANGER : Sainte Cécile et la société romaine, 2è édition 153-154 cfr. aussi édition de 1878, p. 141.
  94. Mgr Pie voulait qu'on réclamât la liberté d'enseignement en se basant sur le droit supérieur de l'Église. Il approuva fort la franche et nette déclaration de M. Chesnelong à la Chambre française, le 12 juin 1875 «Les comités catholiques réclament la liberté d'enseignement au nom de la foi catholique, et parce que, selon eux, l'Église tient de sa mission le droit d'enseigner. Vous appelez cela une nouveauté, mais c'est la foi de dix-huit siècles. Il faut que vous en preniez votre parti: La France catholique n'y renoncera pas». IX, 171. Et quand on revendiquait pour l'Église ce droit d'enseigner en se basant uniquement sur le droit commun, l'Évêque de Poitiers faisait ces graves réserves : «Nous sommes forcés de faire observer que l'exactitude dogmatique et l'enseignement des encycliques pontificales et du Syllabus demandent désormais une atténuation notable de ce langage trop facilement tenu autrefois, non par tous, mais par un grand nombre, à l'origine de la controverse sur la liberté d'enseignement». IX, 170.
  95. Sur cette question capitale de l'enseignement voyez : Histoire du Cardinal Pie : T, I.L. II, ch. 2, p. 289-300 et T. II, L. IV, ch. 6, p. 589-692. Au sujet du monopole universitaire, Mgr Pie disait à ses prêtres (Entretien adressé au clergé, 27 août 1850 et 25 août 1851) : «Aucun catholique ne pouvait hésiter à réclamer et à appeler de tous ses voeux la suppression du monopole universitaire» I, 362. Dans ce même entretien, l'évêque de Poitiers formulait ainsi sa pensée au sujet de la loi Falloux sur la liberté de l'enseignement secondaire : Nous avons cru pour notre part que si le clergé ne devait pas repousser une telle loi, soit à cause du commencement de justice qu'elle lui accordait, soit à cause du dévouement auquel elle le conviait, elle ne pouvait cependant pas être votée et consentie par lui, et nous avouons qu'aujourd'hui encore, dans l'intérêt des principes et dans l'intérêt de l'avenir, nous bénissons le Seigneur de ce qu'aucun de nos frères n'a été compté parmi les législateurs. I, 364 Même réserve au sujet de la loi sur la liberté de l'enseignement supérieur. il l'accepte «à titre de minimum et faute de mieux» mais il constate qu'elle ne fait pas la part légitime de chacun et de chaque chose, «soit qu'on considère les droits des pères de famille ou les droits de l'Église». IX, 171 (Entretien avec le clergé, juillet 1875). Enfin, nous voulons signaler dans l'entretien de 1851, la noble et chrétienne attitude que l'Évêque conseillait à ses prêtres à l'égard des instituteurs laïques. Les conseils qu'il donnait alors sont encore de nos jours d'une actualité frappante. L'évêque reconnaît le tort de certains instituteurs et le mal immense qu'ils ont fait au pays, mais, dit-il, «ils ont cédé à des instigations parties d'en haut». Il faut les éclairer charitablement et, s'ils reviennent à leur devoir, «nous ne leur devons qu'indulgence et compassion. Il faut que, sur tous les points de ce grand diocèse, les instituteurs sachent que leurs amis et leurs protecteurs d'aujourd'hui sont ces mêmes prêtres contre lesquels on les a mis en défiance dans le passé». I, p. 367-368. Pour une plus complète explication des principes catholiques sur cette question de l'enseignement Cf. PAUL VIGUE : Le droit naturel et le droit chrétien dans l'éducation et la question scolaire et les principes théologiques, par A. MICHEL.
  96. Histoire, II. L. III, ch. 3 p. 86. Œuv. IV, L. 2, 6, 7, 8 ; VI, 211-212 ; VII, 26 à 31, 494-495. C'est dans ces possessions coloniales que le gouvernement français doit tout d'abord favoriser l'expansion du catholicisme. Mais pour cela, il faut que nos hommes d'État soient profondément pénétrés des principes surnaturels rappelés par l'Évêque de Poitiers, lorsqu'il eut l'occasion de parler de nos colonies. «A supposer, écrivait-il, qu'on ne puisse espérer la conversion en masse d'un peuple musulman, encore ne faudrait-il pas oublier que la conquête spirituelle d'une seule âme a plus de prix et plus de portée aux yeux de la religion que la conquête matérielle d'un royaume». VII, 95. Ailleurs, il expose que la plus précieuse liberté que nous puissions donner aux peuples que la conquête a fait nôtres, c'est la liberté chrétienne. La condition servile qui soumettait la créature humaine à son semblable, dit-il, finissait du moins avec la vie, mais l'assujettissement au péché forge des chaînes que la mort ne brise pas». Il, 152. Si nos chefs s'élevaient à cette sublime doctrine, alors, au lieu de proclamer la France une grande puissance musulmane, ils feraient de la France l'aide de l'Église dans son apostolat. Mais comment l'État pourra-t-il pratiquement contribuer à la diffusion de la vie catholique et favoriser la conversion des infidèles et tout spécialement des musulmans de nos colonies africaines ? Sur ce point, sauf la recommandation de multiplier les oeuvres charitables en terre infidèle (VI, 194), nous n'avons rien trouvé dans I'œuvre de Mgr Pie. Nous nous permettons cependant de donner les citations suivantes empruntées à deux écrivains catholiques qui ont étudié à fond cette question. Les textes que nous apportons sont en harmonie parfaite avec la doctrine de l'Évêque de Poitiers, et les solutions pratiques qu'ils suggèrent cadrent merveilleusement avec les procédés charitables du grand évêque. «Faut-il chercher à convertir les Musulmans et à faire d'eux des chrétiens ? La formule serait ambiguë, elle ne préciserait point de quelle manière lente, douce et fraternelle une telle conversion, si Dieu le permet, doit s'accomplir. Mieux vaut dire ceci : il faut que la France, chargée d'une nombreuse famille coloniale, prenne enfin conscience de toute sa mission maternelle et que les musulmans, comme les païens sujets d'une grande nation catholique par son histoire, par son génie, par toute son âme et par ses épreuves mêmes, puissent connaître le catholicisme et y venir s'ils le veulent». René BAZIN, Vie de Charles de Foucault (p. 262-256 à 264). «Quand la conquête déterminée par une raison humaine est opérée, le meilleur moyen de la justifier, de la rendre plus douce et de la consolider est de diriger la force de telle sorte qu'elle aide aux conquêtes de la religion. Sans dire au vaincu : Crois ou meurs, ni même, ce qui est moins dur et plus excusable : Crois ou va t'en ; sans lui demander en aucune façon l'abandon de son culte, la simple politique du bon sens conseille de lui faciliter tous les moyens d'y renoncer, et quand la religion du vainqueur est la religion chrétienne, c'est-à-dire la vérité divine ; quand la religion du vaincu est l'Islamisme, c'est-à-dire un amas de dogmes abrutissants et sauvages, ces efforts que le bon sens conseille, l'humanité ne les exige-t-elle pas ? N'est-ce pas le premier des devoirs de mettre la religion à même de travailler, par les moyens qui lui sont propres, par la prédication et les bonnes oeuvres, à la conversion des vaincus ? Serait-ce un préjudice d'ajouter à son action les mesures d'administration qu'elle pourrait indiquer, d'ouvrir des écoles religieuses, d'accorder quelques faveurs aux néophytes, de combattre dans les moeurs et dans les coutumes ce qui s’opposerait le plus à un changement désirable sous tant de rapports ? Voilà tout ce que j'entends par la force». L. VEUILLOT, Les Français en Algérie, p.176. Telle est la doctrine de l’Église sur le but suprême de la colonisation. Ces grands catholiques l'ont toujours entendue ainsi. Notre illustre Champlain disait : «La prise des forteresses, ni le gain des batailles, ni la conquête des pays ne sont rien en comparaison du salut des âmes et de la gloire de Dieu ; et la conversion d'un infidèle vaut mieux que la conquête d'un royaume». Histoire de la Colonie Française du Canada, par FAILLON, t. I p. 4.
  97. IX, 403 Homélie prononcée dans l'église de Saint-Remy de Reims (1er octobre 1876).
  98. Tous ceux qui voudront étudier à fond cette question toujours vivante et plus que jamais inéluctable du Pouvoir temporel du Pape, trouveront la pleine lumière dans les remarquables articles du P. DUBLANCHY SM. Sur l'indépendance temporelle du Pape, d'après la théologie, publiée dans la Revue thomiste de 1918 et 1919, articles hautement loués par le Cardinal GASPARI.
  99. «Fille aînée de l'Église romaine, la nation française fut employée de Dieu à ce grand ouvrage (Indépendance territoriale du Saint Siège). Les Français, a dit un homme de génie, eurent l'honneur unique et dont ils n'ont pas été à beaucoup près, assez orgueilleux, celui d'avoir constitué humainement l'Église catholique en donnant ou en faisant reconnaître à son chef le rang indispensablement dû à ses fonctions divines. A partir de là, et comme récompense de ce service, la France occupa sans contestation la première place dans cet aréopage des nations européennes qui s'appela la chrétienté : c'est dire qu'elle fut universellement considérée comme la plus grande nation du monde. Et malgré des fautes partielles, suivies de châtiments temporaires, on la vit toujours monter et grandir tant qu'elle n'a pas répudié sa première mission». VII, 319-320-321 et Histoire du Card. Pie, II, ch. 1-2-3 in extenso et L. IV ch. 2, 430-436.
  100. Plusieurs de ces objections, en effet, se trouvent dans le rapport présenté au Conseil d'État par M. SUIN dans l'affaire du Mandement du 22 février 1861 et dans la lettre du Comte DE PERSIGNY, Ministre de l'intérieur, au Cardinal archevêque de Bordeaux, publiée par l'Indépendance belge le 11 Novembre 1862. Histoire du Cardinal Pie, Il L. III et IV en entier.
  101. Par le rapporteur de la loi, M. Édouard LABOULAYE.
  102. IX, 166167. Entretiens avec le clergé (juillet 1875).
  103. Cette immixtion est contraire aux principes du Droit chrétien. Mgr Pie l'a réprouvée énergiquement en faisant siennes ces paroles du bienheureux Canisius : «Vouloir dicter la loi à Rome, imposer des réformes au pape et aux cardinaux, demander des conférences particulières et des diètes nationales pour discuter les questions théologiques, qu'est-ce autre chose que conspirer avec les ennemis de la foi ?» V, 429. Le bienheureux Canisius adressait ces reproches à Charles-Quint. Ils visent pareillement les prétendus théologiques des empereurs de Byzance et des parlements français du XVIllè siècle. Voyez encore VI, 58 1 sv. et Histoire du Cardinal Pie, Il, L. IV, p.388 et sv. Sur les empiétements du pouvoir civil, lire une histoire détaillée de l'Église, par exemple celle de [ROHRBACHER] ou de MOURET.
  104. (IX, 168)
  105. (IV, 167-168)
  106. V, 186. Troisième instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent.
  107. IV, 423. Réponse à son Excellence M. Billault, ministre et commissaire du gouvernement impérial. Au reste cette réponse est à méditer tout entière. Sur ce que l'histoire impartiale donne raison, dans ces conflits, à l'Église contre les princes, écoutons le positiviste Auguste Comte . «Quand on examine aujourd'hui, avec une impartialité vraiment philosophique, les deux puissances, on ne tarde pas à reconnaître qu'elles furent presque toujours essentiellement défensives de la part du pouvoir spirituel, qui, lors même qu'il recourait à ses armes les plus redoutables, ne faisait le plus souvent que lutter noblement pour le maintien de la juste indépendance qu'exigeait en lui l'accomplissement de sa principale mission et sans pouvoir, en la plupart des cas, y parvenir enfin suffisamment... «Dans ces combats, si mal jugés, le clergé n'avait alors d'autre but que de garantir de toute usurpation temporelle le libre choix normal de ses propres fonctionnaires ; ce qui certes devrait sembler maintenant la prétention la plus légitime et même la plus modeste. «La puissance catholique, bien loin de devoir être le plus souvent accusée d'usurpations graves sur les autorités temporelles, n'a pu, au contraire, ordinairement obtenir d'elles, à beaucoup près, toute la plénitude du libre exercice qu’eût exigé le suffisant développement journalier de son noble office, au temps même de sa plus grande splendeur politique, depuis le milieu du onzième siècle jusque vers la fin du treizième... «Aussi, je crois pouvoir assurer que de nos jours les philosophes catholiques, à leur insu trop affectés eux-mêmes de nos préjugés révolutionnaires, qui disposent à justifier d'avance toutes les mesures quelconques du pouvoir temporel contre le pouvoir spirituel, ont été, en général beaucoup trop timides, dans leurs justes défenses historiques d'une telle institution». AUGUSTE COMTE, Cours de philosophie positive, T. V, p.234 et sv. (Édition Littré). Qu'on lise p. ex., l'Histoire de saint Grégoire VIl par DAVIN, ou Grégoire VII par FLICHE pour se convaincre de la justice de la cause de l'Église.
  108. IV, 245 : Le premier article de 1682 peut se résumer ainsi : «Les rois et les princes dans les choses temporelles ne sont soumis soit directement soit indirectement à aucune autorité ecclésiastique».
  109. IV, 248. Lettre à M. le ministre de l'instruction publique et des cultes (16 juin 1861).
  110. X 259. Homélie sur le Psaume II.
  111. IV, 185-186
  112. IV, 246
  113. IV, 250
  114. Autant ce que vaut le corps s’il n’est pas régi par l’âme, autant vaut le pouvoir temporel s’il n’est guidé par la discipline ecclésiastique.
  115. IV, 250-251
  116. NDLR Site @ : Que penser de 1870, 1914-18, 1939-40 1944, 1946-62, 1968: économique cette fois ? Mgr Pie pouvait-il imaginer la force de destrution du Modernisme qualifié par son grand admirateur le Pape saint PIE X, de collecteur de toutes les erreurs, qui aboutit au concile Vatican II? L'Église semble se détruire elle aussi. Signe de fin des temps certainement puisqu'il nous est assuré que les portes de l'Enfer ne prévaudraient pas contre Elle.
  117. V, 187 et III, 514
  118. V, 187. Troisième Instruction Synodale sur les principales erreurs du temps présent. Observons cependant que si par théocratie on entend simplement une constitution politique où Dieu est ce qu'Il est, le premier Souverain, on peut dire que le Droit chrétien est la théocratie. Voyez ROHRBACHER, Histoire universelle de l’Église, t. I, L. IX.
  119. V, 297
  120. V, 197-198-199. Voyez aussi X, 108 à 116.
  121. Le Comte de Persigny, ministre de l'intérieur, dans une lettre adressée au Cardinal archevêque de Bordeaux, avait dirigé, de véhémentes attaques contre ces évêques qui sont les «instruments d'un parti ennemi de l'Etat». Mgr Pie était visé des premiers. Il répondit au ministre, par deux lettres, l'une du 18 et l'autre du 27 décembre 1862. Nous citons, dans le texte, un extrait de la deuxième lettre (IV, 521-529). Répondant à l’objection de ceux qui lui reprochaient de travailler contre l'Empire, sa réponse vaut également pour ceux qui l'accusaient plus tard d'être opposé à la République. Ces quelques lignes nous exposent le programme politique de l'Église, qui fut toujours celui du Cardinal Pie, sous les différents régimes où il eut à exercer son ministère pastoral. « Certes, écrit Mgr Gay, par ses préférences personnelles, appuyées sur de longues études, une science profonde et de très graves raisons, notre cher Cardinal était légitime ; ce qui ne l'empêcha pas dans la lumière plus haute et l'indépendances de son caractère épiscopal de vivre toute sa vie, audessus des partis. Sa constance en ceci lui a valu bien des reproches et des ennuis fort douloureux ; mais toute sa vie aussi, il a employé son talent et ses forces à combattre le Libéralisme qu'il appelait avec raison le «Naturalisme politique» jugeant à bon droit que ce naturalisme odieux et mortel est le fruit, la somme, et tout ensemble, le père, le protecteur et le nourricier de tous les autres, lesquels constituent visiblement l'antichristianisme absolu. On peut, à Poitiers, comme ailleurs, exercer son jugement et se faire une opinion sur cette question très grave et incontestablement très libre de la forme du gouvernement qui convient le mieux à la France... Tous savent que l'Église, essentiellement compatible avec les diverses formes du Pouvoir humain, tâche toujours, pour sauvegarder l'intérêt sacré des âmes et poursuivre I'œuvre dont Dieu l'a chargée, de vivre au moins en paix avec tous les pouvoirs de fait qui se succèdent. Est ce que cela a jamais fait de doute pour personne ? Mais l'impiété et l'injustice ne sont nulle part ni jamais une forme de pouvoir, et si en Poitou, comme dans la France entière, la République est si fort contestée, ce n'est pas tant parce qu'elle est la République, que du fait de ceux qui l'ont fondée et la régissent encore, elle semble vouloir s'identifier et par ses actes et par ses principes avec la haine de la religion et spécialement de la seule vraie, qui est la catholique. « ...La République n'est nullement en cause, mais la Révolution dont les républicains maintenant au pouvoir, s'inspirent en tout et font les affaires». Mgr Gay. Lettre à Mgr Bellot des Minières, évêque de Poitiers, 12 mars 1881. Dans correspondance de Mgr Gay. T. II, 332-333, 336-337-338. Un mot lumineux du Cardinal Pie lui-même, nous livre l'intime de sa pensée sur les différentes formes du gouvernement : «Quand ce n'est pas Dieu qui gouverne les hommes, les formes de gouvernement sont également mauvaises ou également impuissantes ; et, les pires de toutes, sont celles qui, en mettant la souveraineté dans le nombre, touchent de plus près à l'anarchie». VII, 290.
  122. IV 521-522. Deux lettres à M. de Persigny, ministre de l'intérieur (18 et 27 décembre 1862).
  123. IV, 521
  124. IV, 247. Lettre à M. le ministre de l'instruction publique (16 juin 1861).
  125. IV, 247-248. Voyez encore VII, 371-374, les belles pages où Mgr Pie prouve avec évidence que ni le clergé inférieur, ni le clergé supérieur n'aspirent à dominer l'État.
  126. IV, 250
  127. Voyez, Homélie sur le caractère de l'autorité dans le Christianisme VIII, 44-55.
  128. D'après SAINT Augustin : «De moribus Ecclesiæ» Mgr Pie a bien mis en évidence cette œuvre moralisatrice inébranlable de l'Église lorsqu'il a établi que seule, par son dogme précis, elle donnait un fondement à la morale sociale et en procurait l'accomplissement très parfait par la grâce de ses sacrements (Œuvres sacerd. I, 309 à 334 sur l'union de la morale avec la foi et les pratiques chrétiennes Cf. encore V, 383) Si de nos jours la société est en décomposition, c'est uniquement parce qu'elle a chassé de ses institutions : Dieu, Jésus-Christ, l'Église.
  129. V 195 Troisième synodale. Le Cardinal Pie fait observer ailleurs que la religion seule peut empêcher la dissolution de ces liens précieux de famille, de municipe et de patrie, en dehors desquels il ne reste plus que l'humeur nomade et vagabonde et l'indifférence complète des peuples barbares. I, 34.
  130. III, 522
  131. D'après SALTET. Histoire de l’Église. Définitions XIII. Nous plaçant au point de vue des adversaires, nous parlons surtout, dans cette objection, de la civilisation extérieure et sociale. Nous ne parlons pas de la civilisation païenne «cette civilisation tant vantée, mélange hideux d'obscénité et de barbarie». V, 329 Instruction pastorale sur la paix.
  132. I, 207 Instruction pastorale sur l'importance religieuse et sociale des Conciles et VII, 540 : «Voyez-Le (J.-C.) à I'oeuvre, soit qu'il s'agisse des anciennes sociétés civilisées ou des races barbares. Les ayant reçues charnelles, lascives, violentes, brutales, Il emploie son industrie et sa patience à les refaire, à les repétrir, et l'on verra enfin ces vases honteux changés en vases d'honneur, en vases spirituels et célestes, capables de recevoir et de répandre les infusions divines de la vérité et de la grâce».
  133. (I, 207-208)
  134. Pas d'étude historique spéciale dans Mgr Pie sur les origines et les phases diverses de la sécularisation de la société : Il signale pourtant le règne de Philippe le Bel, comme point de départ du laïcisme français. IX. 3.
  135. Mgr Pie a fait observer plus haut au sujet des Albigeois : « Qu'on entende les Cathares, c'est-à-dire ceux qui s'intitulaient les "Purs" et que l'on suive la marche de leurs raisonnements. A leurs yeux, les prêtres, s'ils ne sont pas saints, ont perdu le caractère sacré du sacerdoce, et comme ils n'ont plus le pouvoir d'administrer les choses saintes, ils n'ont plus droit à posséder les biens ecclésiastiques. Le pillage commencera donc par l'Église. Mais la logique des Purs ne leur permet pas de s'arrêter là ; et de conséquences en conséquences, voici où ils arrivent. Tout chrétien, à quelque condition qu'il appartienne, roi, noble, bourgeois ou artisan, est dépouillé de son baptême par le péché, il devient infidèle et, à ce titre, il n'a plus de droit ni à son trône, ni à sa magistrature, ni à sa femme, ni à sa maison, ni à ses propriétés, ni au fruit de son travail : toutes choses qui entrent dans le domaine commun. C'est faire acte de religion, c'est obéir à Dieu que de leur mettre la main dessus. Le pillage commencé contre l'Église se continuera donc contre les grands, puis contre tous ceux qui possèdent, à moins qu'ils ne soient Purs ; mais qui pourra demeurer tel aux yeux du brigandage qui s'est fait juge ? Nous venons de lever un coin du voile qui cache les maux et les dangers de cette époque. Les deux dates les plus terribles contre l'Église et la société, contre la hiérarchie et la propriété, les deux ères qu'ont inaugurées le dix-huitième siècle expirant et le milieu du dix-neuvième pouvaient être anticipées de six ou sept cents ans. L'Eglise se mit intrépidement à I'œuvre et elle les retarda de plusieurs siècles. Gardons-nous de nous en plaindre». I, 208-209. «Nos pères étaient plus prévoyants que nous ; ils se croisaient contre les erreurs et, par là, ils s'épargnaient la croisade contre tous les excès qui naissent des erreurs. Nous, au contraire, nous nous croisons d'abord pour répandre toutes les fausses doctrines, sauf à nous croiser ensuite pour réprimer les résultats matériels de ces doctrines». Œuvres sacerd. Il, 687.
  136. I, 206. Mgr Pie ne s'est pas laissé éblouir par la civilisation des nations protestantes et schismatiques. Voici comment il explique leur prospérité et résout l'objection qu'on voudrait en tirer contre le Droit chrétien. 1. La prospérité de ces nations séparées de l'Église, a sa cause première dans la sève catholique qui les a vivifiées pendant de longs siècles. «Ne m'objectez pas qu'on retrouve encore des qualités solides et brillantes chez des individus ou des peuples qui ont dévié de la foi. N'avez-vous pas vu parfois une branche détachée de l'arbre, qui l'a remplie de sa sève, pousser encore quelque temps des feuilles verdoyantes. Or toute société hérétique ou incrédule est une branche détachée de l'arbre chrétien, elle emporte avec elle un peu de sève chrétienne, elle conserve pour un temps de précieux restes de cette substance divine, elle poussera donc encore quelques feuilles». Œuvres sacerdotales T. 1. p. 324-325. 2. Cette prospérité s'explique encore, parce que ces nations ont retenu et protégé officiellement des institutions d'origine catholique Cf. V, 185-186 et 198-199. 3. La prospérité des nations séparées de l’Église est plus apparente que réelle, elle cache de profondes misères et ne durera pas. «Nous pourrions contester l'étendue, la solidité, la durée de cette apparente félicité des peuples qui ont déserté l'étendard sacré de la Vérité. Nous pourrions soulever le voile qui cache, au sein de leurs cités florissantes et de leurs colonies lointaines, des misères affreuses dans le présent, les progrès toujours croissants du paupérisme et, pour un avenir prochain, la menace d'effroyables calamités et le présage de violentes réactions». Seconde Instruction pastorale à l'occasion du Jubilé semi-séculaire. I, 313. 4. Enfin, s'élevant plus haut, à des hauteurs familières au génie de saint Augustin, l'Évêque de Poitiers continue : «Il nous serait facile encore, en cherchant les raisons de cette paix spécieuse dans un autre ordre d'idées, de vous en signaler la cause dans les combinaisons infernales de l'esprit d'erreur et de mort que l'Écriture nous montre comme paissant lui-même les générations soumises à son empire, gardant avec soin son domaine séculaire, et n'usant de sa puissance que pour retarder les révolutions qui pourraient tirer ces peuples de leur sommeil et le troubler lui-même dans la tranquille possession de sa conquête. C'est l'homme fort et armé dont parle l'Évangile : il veille, et la paix règne dans sa maison ; car ce qui lui importe à lui, ce n'est pas d'enlever à ses esclaves une somme plus ou moins grande de jouissances matérielles et passagères, non, tout moyen est bon à ce tyran, même le succès et le bonheur présent de ses victimes, quand par cette voie il arrive plus sûrement à les plonger dans l'abîme des éternelles douleurs». Il conclut par ces paroles, consolantes pour la France : «Sans scruter davantage le secret des conseils d'en haut dans la conduite des autres empires, il doit nous suffire de connaître les desseins de Dieu sur notre propre pays. Or, s'il est donné à certaines nations, de prospérer au sein du mensonge, nous savons que la Providence n'a pas cru devoir infliger à la France le privilège d'une si calamiteuse prospérité. Ni les vues du Seigneur sur notre patrie, ni le trait le plus saillant de notre esprit national ne souffrent pas que nous participions jamais à cette scandaleuse félicité». I, 313-314.
  137. II Instruction synodale sur Rome considérée comme siège de la Papauté. 522.
  138. Mgr Pie appelle cette subordination le retour des intérêts vers les croyances, la soumission de la matière à l'esprit, de l'industrie à la foi, la réconciliation de la science et de l'art avec Dieu. I 195.
  139. C'est ce qui est arrivé à l'époque du déluge. Cette terrible catastrophe a été le châtiment du progrès séparé de Dieu. Écoutons l'Évêque de Poitiers : «Il y eût avant nous des peuples riches et puissants ; il y eut surtout dans les temps anciens et primitifs un peuple dont l'Écriture nous a gardé l'histoire et qui porta jusqu'aux dernières limites le développement des arts et le raffinement des vices. Ces Enfants des Hommes, ainsi que les appelle le texte sacré, appliquant exclusivement à la matière cette noble intelligence qu'ils avaient reçue du Créateur, et qui malgré le ravage du péché se ressentait encore de sa vertu première et de sa force native, produisaient chaque jour de nouvelles conceptions, bâtissaient les villes, travaillaient les métaux, perfectionnaient les arts agréables, et chaque jour aussi, ils attiraient parmi eux les Enfants de Dieu, tentés par de riches alliances avec leurs filles, en qui brillaient tous les dons les plus séduisants de la nature et de la fortune. Or, ce premier de tous les peuples, dont la civilisation et aussi la corruption ne sera jamais égalée peut-être par la civilisation, ni heureusement par la corruption des siècles modernes, ce peuple que l'Esprit-Saint a nommé un peuple de géants, savez-vous pourquoi il a disparu de la terre ? L'Écriture va vous le dire «Les anciens géants n'ont pas prié, et ces hommes qui se fiaient à leurs forces ont été détruits.» I, 35-36. Discours prononcé à la bénédiction de la première pierre du viaduc de la Voise, 21 août 1845.
  140. I, 94. On reconnaît ici l'allusion au trop célèbre chapitre de Victor Hugo intitulé : Comment ceci tuera cela. Au sujet de la civilisation commerciale, lire la remarquable allocution de Mgr Pie prononcée à la bénédiction d'un nouveau marché : III, 279-381 «Nous avons la joie de savoir et de pouvoir proclamer que notre ville n'est pas de celles où le progrès matériel efface et absorbe un progrès meilleur… La suprématie d'une nation, d'une province, d'une cité n'est pas dans le perfectionnement de la vie matérielle. Ce genre de prééminence s'achète trop cher, quand c'est au prix de la déchéance du goût, de l'abandon des lettres et surtout quand c'est par l'affaiblissement du sens moral et de l'esprit chrétien. Nous trouvons aussi indiqués dans I'oeuvre du Cardinal Pie les remèdes qui préserveront la civilisation industrielle d'une ruine imminente et irréparable. La civilisation industrielle est menacée de nos jours par le prodigieux développement donné aux industries d'objets de luxe. C'est là un danger terrible, car les moeurs sont corrompues par la rivalité du luxe entre les nations. Un autre danger plus redoutable (il est en effet la cause de celui que nous venons de signaler) c'est, dans la direction de la grande industrie, l'influence prépondérante des grandes banques, des trusts internationaux, détenteurs des réserves financières du monde. Ces grandes banques ont tué la petite industrie et par le fait même, se sont assuré l'empire des masses ouvrières pour les détourner de l'Église et les faire servir à leurs fins ambitieuses. Le remède ne se trouvera que dans la législation de l'Église catholique au sujet du luxe et de la spéculation financière. C'est pour cela que Mgr Pie, dans une lettre adressée en 1855 au Cardinal Préfet de la Sacrée Congrégation du concile, manifestait son désir de mettre au programme du concile du Vatican des «décrets relatifs à la spéculation financière et au luxe». Histoire du Cardinal Pie, Il L. III ch. X. p. 291.
  141. Sur la civilisation artistique, voir la lettre de l'Évêque de Poitiers à M. le Comte DE GRIMOUARD DE SAINT-LAURENT au sujet de son livre : Le guide de l'Art chrétien, 14 juillet 1875. IX, 194-197.
  142. Ces chefs-d'œuvre sont surtout les cathédrales. Sur les beautés artistiques et le profond symbolisme des cathédrales, voyez I, 91-96 et surtout Il, 266-295 sur la cathédrale de Chartres consacrée en présence de saint Louis IV, 70-89.
  143. V, 44. Louis Veuillot, après avoir lu les Synodales de l'Évêque de Poitiers, le remerciait en ces termes : «J'avais tout cela en moi, mais vous en donnez la prononciation, Monseigneur. Pour moi, je suis bien sûr maintenant que je tiens le serpent et je saurai où trouver la queue, où trouver la tête, par conséquent où placer le pied». Histoire du Cardinal Pie, II, L. III, ch. 7, p. 227. Louis Veuillot a merveilleusement décrit le caractère et les égarements de l'esprit moderne, de cet esprit qui «vieillit toutes choses, en prétendant être, en dehors de Jésus-Christ, la civilisation et le progrès. «Tel est le fond aride et violent de l'esprit moderne. Il regorge d'emphases sur les droits de l'intelligence, sur les droits de la liberté, sur les droits de l'humanité. Il sait se mentir ! Dans la réalité, il est ignorant, destructeur et servile. Son ignorance détruit le champ pour agrandir la ville, détruit le laboureur pour créer l'artisan, détruit l'artisan pour créer le mercenaire, détruit le mercenaire pour créer la machine, détruit la corporation pour créer l'individu, détruit l'individu pour créer l'armée, détruit l'église pour créer la caserne. Jaloux d'atteindre le complément logique de ces destructions et de ces créations, il s'efforce d'abattre la papauté dont la chute détruirait l'autorité et créerait la tyrannie». L'inspirateur de cet esprit, c'est le Démon, le Menteur. «Il promet la liberté, ce sera l'esclavage ; les jouissances, ce sera le travail servile ; l'abondance, vous aurez faim ; la concorde, comptez sur les guerres fratricides. Il est le Dédale, le Mensonge et la Mort par opposition à la Voie, à la Vérité et à la Vie». Parfum de Rome, L. V, § III, p. 232-233 et L. VII, § III, p. 28. Quel magnifique écho des enseignements de Mgr Pie !
  144. C'était l'objection de Napoléon Ill. cf. plus haut.
  145. Nous avons ainsi résumé les beaux développements de Mgr Pie répondant à cette objection. Les lire in extenso dans la 2è partie du panégyrique de saint Émilien et dans la 3è instruction synodale. V, 185 à 197.
  146. Fatigué aussi de «paroles vagues et creuses, de banalités sonores, dont on a charmé et endormi dans leur berceau ou sur leur lit de mort tous les régimes disparus» VII, 111.
  147. Histoire du Cardinal Pie, II, L. IV, ch. 1, p. 375.
  148. V, 192. Troisième synodale sur les principales erreurs du temps présent.
  149. VI, 269. Éloge funèbre du général Auguste de la Rochejaquelein.
  150. VII, 110-111. Instruction pastorale sur les malheurs actuels de la France.
  151. V, 556. Exhortation aux zouaves pontificaux (17 juin 1866).
  152. V, 306 Homélie (8 décembre 1863).
  153. V,193 Beaucoup de chrétiens «en reconnaissant à l'Église son autorité infaillible d'enseignement n'ont pas une juste et suffisante idée de l'assistance journalière qu'elle reçoit pour sa conduite pratique. Et cependant le dogme de l'inhabitation continuelle du Saint- Esprit dans l'Église, le dogme de la présence quotidienne de Jésus-Christ en elle, doit être pour nous une croyance très arrêtée. L'Église ne possède pas seulement la science abstraite des vérités et des doctrines : elle possède au même degré la science des applications et des opportunités» V, 204.
  154. Histoire du Cardinal Pie : Il, L. IV, 517.
  155. Il, 446 «Qu'un gouvernement sage et même chrétien puisse et doive dans certaines circonstances déterminées, maintenir le principe de la tolérance civile, ceci n'est nullement contesté».
  156. Voyez sur ce point en particulier : LÉON XIII, Encyclique Libertas præstantissimum, 20 juin 1888. Édition Bonne presse. Il, p.172 et sv. - Saint THOMAS Il II q. 10, art. Il. - P. NEYRON S.J. Le gouvernement de l'église. Les Catholiques et la tolérance 324-346.
  157. Œuvres sacerdotales I. Sur l'intolérance doctrinale 358 et sv. Mgr Pie croyait cette tolérance parfaitement réalisable. En 1861, il écrivait à M. Rendu : «Croyez-moi, bien cher ami, que sans revoir Innocent III et son siècle, une dose très tempérée d'orthodoxie politique assaisonnée de la tolérance la plus large et des franchises et libertés les plus vraies peut encore faire vivre vos enfants et vos petits enfants dans une France et une Europe très habitables.» Histoire du Cardinal Pie, Il, L. III, ch. 4, p. 125.
  158. VI, 397. Homélie (13 avril 1869).
  159. IX, 392. Non, les chefs n'ont rien à craindre pour eux, en acceptant loyalement le Droit chrétien. Ils ont tout à gagner, même la popularité durable, même la gloire. Écoutons Joseph de MAISTRE : «Les rois, disait Bacon, sont véritablement inexcusables de ne point procurer, à la faveur de leurs armes et de leurs richesses, la propagation de la religion chrétienne». Sans doute, ils le sont, et ils le sont d'autant plus (je parle seulement des souverains catholiques), qu'aveuglés sur leurs plus chers intérêts par les préjugés modernes, ils ne savent pas que tout prince qui emploie ses forces à la propagation du christianisme légitime, en sera infailliblement récompensé par de grands succès, par un long règne, par une immense réputation, ou par tous ces avantages réunis. Il n'y a pas, il n'y aura jamais, il ne peut y avoir d'exception sur ce point. Constantin, Théodose, Alfred, Charlemagne, saint Louis, Emmanuel de Portugal, etc..., tous les grands protecteurs et ropagateurs du christianisme légitime, marquent dans l'histoire par tous les caractères que je viens d'indiquer. Dès qu'un prince s'allie à l'oeuvre divine et l'avance de toutes ses forces, il pourra sans doute payer son tribut d'imperfections et de malheurs à la triste humanité, mais il n'importe, son front sera marqué d'un certain signe que tous les siècles révéreront. «Par la raison contraire, tout prince qui né dans la lumière, la méprisera ou s'efforcera de l'éteindre et qui surtout osera porter les mains sur le Souverain Pontife, ou l'affligera sans mesure, peut compter sur un châtiment temporel et visible : règne court, désastres humiliants, mort violente ou honteuse, mauvais renom pendant sa vie et mémoire flétrie après sa mort, c'est le sort qui l'attend en plus ou moins. De Julien à Philippe le Bel, les exemples anciens sont écrits partout, et quant aux exemples récents l'homme sage, avant de les exposer, fera bien d'attendre que le temps les ait un peu enfoncés dans l'histoire». Joseph de MAISTRE. Du Pape, I, III ch.
  160. VIII, 50. Homélie sur le caractère de l'autorité dans le Christianisme.
  161. Voyez tout le panégyrique de saint Louis I, 49-89. Dans ce magnifique panégyrique, Mgr Pie réfute ainsi les insinuations perfides du moine anglais Mathieu PARIS, au sujet de l'obéissance et de l'amour de saint Louis envers le Pape et les ministres de l'Église : «Louis est plein de respect pour l'autorité divine à laquelle doivent obéir tous les chrétiens, quelque rang qu'ils occupent dans la société temporelle. Et loin qu'on en doive croire le moine atrabilaire, stipendié par une nation déjà penchée vers le schisme et qui prête au saint roi, en cette matière, des sentiments et des actes tout à fait britanniques, l'humble monarque, au contraire, érige en maxime d'État la conduite de son aïeul Philippe-Auguste, qui voulait sciemment excéder en déférence envers les ministres de la religion ; et il laisse pour dernière recommandation à son fils, le dévouement à l'Église de Rome, l'obéissance et l'amour envers le Pape qui est le père spirituel des rois». 166. Sur la valeur du témoignage de Mathieu PARIS, consulter les Bollandistes. T. VI Augusti ad diem 25, 282-283, 398, 496. (Note de Mgr Pie). Voici le passage du testament de saint Louis, auquel fait allusion l'évêque de Poitiers. Le roi recommande à son fils : «Sois bien attentif à faire protéger toutes gens dans ton royaume et principalement les personnes de sainte Église et défends-les, en sorte que injure ni violence ne soit faite en leurs personnes ni en leurs choses. Et ici, je veux te rappeler une parole du roi (Philippe-Auguste) mon aïeul. On lui disait une fois : «Les clercs vous font beaucoup d'injures (dommages), et on s'étonne que vous puissiez les supporter». A quoi le roi Philippe répondit : «Je crois bien qu'ils me font assez de dommages. Mais quand je pense aux honneurs et biens que Notre-Seigneur m'a faits, j'aime mieux souffrir un dommage que faire ce qui pourrait amener discorde entre moi et sainte Église». Et je te rappelle cela, cher fils, pour que tu ne croies légèrement personne contre les membres de l'Église, et pour que tu leur rendes honneur et les protèges, afin qu'ils puissent servir Notre-Seigneur en paix. Cher fils, je t'enseigne que tu sois toujours dévoué à l'Église de Rome et au souverain Pontife notre Père ou Pape et que tu lui portes respect et honneur, comme tu dois faire à ton Père spirituel». Traduction SALTET, dans Histoire de l’Eglise. 166-167. Ces paroles de st Louis sont un écho de celles de Charlemagne; En mémoire du prince des Apôtres, disait le grand empereur dans un de ses capitulaires, honorons la Sainte Église Romaine et le siège apostolique afin que celle qui est la mère de la dignité sacerdotale soit aussi notre maîtresse dans les choses ecclésiastiques. Il faut pour cela conserver à son égard l'humilité et la douceur pour supporter avec des sentiments de piété le joug que ce Siège nous imposerait, fût-il en quelque sorte intolérable. Inter capit. Baluze I, 357. BOSSUET. Sermon sur l'Unité de l’Église (T. XI, p. 613, édit Lachat) met lui aussi en relief l'amour et la vénération de Charlemagne pour l'Église romaine. «Il eut tant d'amour pour elle que le principal article de son testament fut de recommander à ses successeurs la défense de l'Église de saint Pierre comme le précieux héritage de sa maison, qu'il avait reçu de son père et de son aïeul et qu'il voulait laisser à ses enfants. Ce même amour lui fit dire ce qui fut répété depuis par tout un concile, sous l'un de ses descendants, que «quand cette Église imposerait un joug à peine supportable, il le faudrait souffrir plutôt que de rompre la communion avec elle».
  162. IX, 299. Homélie pour la solennité de saint Hilaire (16 Janvier 1875). Mgr Pie ne craint pas de comparer dans cette homélie l'action de Garcia Moreno au XIXè siècle à celle de saint Hilaire au IVè. Le Président de la République de l'Équateur est en effet une figure transcendante devant laquelle il faut nous arrêter quelques instants dans une étude sur la Royauté sociale du Christ. Garcia Moreno a montré au monde entier que le Droit chrétien était réalisable même à notre époque. «L'histoire de Garcia Moreno, dit Mgr Gay, fait évanouir ces impossibilités prétendues d'appliquer le Droit chrétien aux sociétés modernes et d'établir le règne social du Christ sur les ruines de la Révolution». Lettre du P. Berthe, dans lettres-préface de Garcia Moreno p. 15. Il est possible, ajoute Dom Couturier, de remonter le courant révolutionnaire, possible de se débarrasser de l'hypothèse et de prendre le Syllabus pour règle des États et des sociétés, possible enfin d'attaquer dans sa source les principes de la révolution. Garcia Moreno l'a fait au milieu de difficultés inouïes : l'ennemi au dehors, au dedans une armée désorganisée, une magistrature sans traditions et sans principes ; un clergé dans la révolte, ne connaissant plus les lois de la hiérarchie, des ordres religieux sans autre règle que la licence, tous les caractères amoindris par le catholicisme libéral, et enfin, pour profiter de ces éléments de désordre, les francs-maçons partout. La tâche était impossible, Garcia Moreno n'a pas reculé, et son éternelle gloire est d'avoir réussi. Par le côté humain et vulgaire de l'histoire, Garcia Moreno devrait avoir sa place sans conteste parmi les plus grands noms. Son courage invincible dans les dangers, son énergie en face des obstacles où tous ont échoué, la sagesse de ses vues pour organiser et réconforter, sa force indomptable de caractère pour dominer les hommes, son habileté et sa prudence pour les conduire et les entraîner, sa gloire enfin dans les combats, où il égale et souvent surpasse ce que la valeur guerrière a de plus étonnant, aucun genre de grandeur n'a manqué à ce héros… Mais ce n'est pas là son vrai titre à l'admiration du monde. Ses talents prodigieux, ses succès inouïs n'ont été pour lui que des moyens. Il avait une pensée plus haute qui a fait l'unité de sa vie et l'inspiration de sa noble nature. Il était catholique et aimait l'Église, la gardienne infaillible de la vérité. Or, il savait par la parole du Divin Maître que la vérité seule délivrera le monde, les sociétés aussi bien que les individus. C'est pourquoi il voulait faire de la vérité catholique la règle invariable et absolue de sa conduite dans la vie politique comme dans la vie privée. C'est là le trait caractéristique de Garcia Moreno. Aussi cette vie a-t-elle été la démonstration très complète, par le fait, que l'État chrétien n'est pas une utopie, que nous pouvons encore demander un gouvernement où le Christ soit vraiment Roi et l'Église reconnue comme Reine. La mort de Garcia Moreno n'a pas détruit cette conclusion ; mais elle laisse aux chefs des gouvernements, princes ou présidents de République, une grande leçon, en leur apprenant que le pouvoir n'est pas seulement un droit à des honneurs, mais un devoir imposé par Dieu qu'il faut savoir embrasser et accomplir malgré les contradictions et les menaces, dût-on y laisser la vie. Une société est heureuse quand Dieu lui donne des hommes de cette trempe» Dom CHARLES COUTURIER, abbé de Solesmes. Lettre au P. Berthe au sujet de son magnifique ouvrage Garcia Moreno, président de l'Équateur, vengeur et martyr du droit chrétien. Lettres-Préface 18-19. Dans cette belle histoire de Garcia Moreno il faut lire surtout et méditer la seconde et la troisième partie : La Croisade contrerévolutionnaire et l'État chrétien.
  163. Tous ceux qui exercent une autorité dans la société, trouveront un très grand profit à la lecture attentive de la vie détaillée de ces grands Modèles. Nous signalerons, parmi les ouvrages qu'on peut trouver facilement Saint Louis, par Marius SEPET, ou WALLON, OU LECOY DE LA MARCHE. Saint Étienne, roi de Hongrie, par E. HORN. Saint Henri, par l'abbé LESETRE. Saint Ferdinand III, par E. LAURENTIE. Des détails précieux pour des hommes d'État se trouvent encore dans L'Histoire de saint Léger par le Cardinal PITRA, dans Clovis et Sainte Clotilde, par G. KURTH : dans Sainte Mathilde, par E HALLBERC,. Enfin : GARCIA MORENO, président de l'Équateur, vengeur et martyr du Droit chrétien par le R. P. BERTHE.
  164. IX, 213. Paroles prononcées à la séance de clôture du Congrès catholique de Poitiers (21 août 1875).