B. - ÉTUDE CRITIQUE SUR LA COLLABORATION
D'ANNE-CATHERINE EMMERICH ET DE CLÉMENT BRENTANO
Nous abordons dans ce dernier point la partie la plus délicate de notre travail, mais notre tâche nous est singulièrement facilitée par le fait que nous connaissons maintenant la vie, l'âme et le caractère des deux collaborateurs et que nous les avons vus à l'uvre. Grâce à l'étude préliminaire que nous venons de faire, il nous est maintenant beaucoup plus aisé de détruire certaines légendes forgées par leurs ennemis et de réfuter certaines critiques qui leur ont été adressées par des juges prévenus et passionnés. D'autre part, nous pouvons maintenant montrer également comment malgré leur bonne volonté, Clément Brentano et même Anne-Catherine Emmerich ont pu se tromper. « Irren ist menschlich (1) » et dans leur uvre l'humain se mélange forcément au divin.
1°Les visions d'Anne-Catherine Emmerich sont-elles d'ordre surnaturel ?
Rieks éclaterait de rire s'il nous entendait parler de divin dans l'uvre d'Anne-Catherine et de Brentano. Le temps des miracles est passé, nous dirait-il. Rieks, pasteur protestant, accepte les visions des prophètes de l'Ancien Testament ; dans le Nouveau Testament, il autorise encore les apôtres à avoir des visions, mais ensuite il ne veut plus en entendre parler. (Voir le début du chapitre VII de son livre sur Anne-Catherine et Clément Brentano.) On pense bien alors qu'il ne peut croire aux visions d'une petite nonne malade ! visions survenues au XIXe siècle ! après l'Aufklærung ! Ce sont des hallucinations, affirme-t-il, ce sont des fables : « Quand Catherine Emmerich raconte à Brentano qu'elle peut se souvenir de faits qui se sont passés le jour où elle est née ou bien quand elle prétend voir des personnes qui ont vécu cent ans avant elle, ne peut-on attribuer ces contes bleus aux hallucinations d'une personne hystérique ? »
On sent combien il est facile de répondre à Rieks Quand les prophètes de l'Ancien Testament décrivaient le drame du Calvaire, non pas cent ans, mais mille ans à l'avance, n'aurait-on pas pu avec plus de raison encore les traiter d'hallucinés ? Nous comprendrions mieux Rieks s'il nous disait : Il n'y a pas, il n'y a jamais eu, il n'y aura jamais de visions ni de visionnaires. Cette opinion serait tranchante, certes, et bien présomptueuse dans la bouche d'un homme, c'est-à-dire d'une créature dont la raison est bornée, mais elle serait plus facile à défendre que celle qui consiste à dire : Il y a eu des visionnaires autrefois, il ne peut plus en exister de nos jours.
Beaucoup de personnes du reste, vont plus loin que Rieks. Nombreux sont ceux qui ne croient pas du tout aux visions on du moins qui prétendent n'y point croire. Nous n'avons pas ici à chercher à les convaincre. Nous pouvons simplement, en passant, leur demander comment ils expliquent les phénomènes observés chez Anne-Catherine et les connaissances extraordinaires et mystérieuses de la pauvre paysanne presque illettrée. Ils pourront nous répondre : Nous ne pouvons tout expliquer parce que la Science n'a pas dit son dernier mot. Il est des lois de la Nature avec une N majuscule que nous ne connaissons pas, qu'on découvrira peut-être plus tard et qui rendront compte alors des phénomènes observés dans l'âme et dans le corps de la nonne de Dülmen. Nous ne pouvons nous empêcher de penser en entendant des arguments semblables qu'on abuse facilement du mot Nature, de nos jours, pour ne pas parler du Créateur. Ce mot de Nature sert à désigner dans notre siècle une puissance formidable et obscure qui gouvernerait le monde d'une manière automatique selon des lois immuables imparfaitement connues des hommes. Cette conception ne repose du reste sur rien autre chose que sur le désir de s'affranchir de l'idée, troublante pour beaucoup qu'il existe un Créateur, Dieu tout-puissant, infiniment bon, mais infiniment juste qui traitera ,chaque âme selon ses mérites.
Nous croyons à ce Dieu Créateur Souverain ; nous croyons qu'il est la Toute-Puissance infinie et l'Intelligence suprême, et non une Force obscure et inconsciente. Nous croyons que la Nature n'est que Son uvre et nous refusons de confondre l'Effet avec la Cause. C'est Dieu qui a donné à la Nature ses bornes et ses lois. Mais ces lois que Dieu a établies Lui-même, il est bien certain qu'Il peut en suspendre les effets à Sa Volonté, Et Il le fait plus souvent qu'on ne le croit généralement, nous dit la Religion ; Il le fait selon Ses vues miséricordieuses, en faveur de Ses privilégiés, les petits et les humbles, et pour le bien supérieur de Son Église.
Anne-Catherine, la pauvre paysanne illettrée, la stigmatisée, l'extatique de Dülmen, ne serait-elle pas de ces privilégiés pour lesquels Dieu suspend le cours des lois ordinaires de la Nature ? Poser la question, c'est la résoudre.
En pensant aux révélations prodigieuses de cette pauvre bergère, de cette humble fille des champs, la parole de Notre-Seigneur ne nous revient-elle pas à l'esprit : « Je vous bénis, Père, Seigneur du Ciel et de la Terre, de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux petits. »(Saint Matthieu, XI, 25)
Est-ce pour elle seule, au surplus, qu'Anne-Catherine a reçu ses visions ? Dans quel but lui ont-elles été données ? Qu'en dit-elle elle-même ? Au début de 1821, elle a encore prié Dieu de lui retirer ses visions pour être délivrée de l'obligation de les raconter et de la responsabilité qui s'attache à cette obligation. Elle n'a pas été exaucée. « Ce n'est pas pour toi que Je te donne ces visions, lui a dit Notre-Seigneur, tu dois les faire recueillir... Je donne des visions et J'ai toujours agi de même pour prouver que Je veux être avec mon Église jusqu'à la fin des siècles. »
N'avons-nous pas ici la raison d'être des charismes d'Anne-Catherine ? Ne peut-on pas admettre dès lors qu'elle était vraiment inspirée ? que ses visions venaient de Dieu ? - Cette explication paraît tout de même plus raisonnable que celle qui cherche à rendre compte des dons merveilleux d'Anne-Catherine au moyen de lois naturelles inconnues.
Au surplus, on peut accepter en théorie la possibilité de la vision et nier qu'Anne-Catherine ait eu des visions. On peut, le nier même en restant parfaitement catholique. Anne-Catherine a dit elle-même : « Mes stigmates et mes visions ne sont pas articles de foi. » Le Père Riegler, prieur du cloître de Lana dans le Tyrol ne croyait peut-être pas plus aux visions d'Anne-Catherine que n'y croyait le pasteur luthérien Rieks. Nombreux sont encore les catholiques allemands et autres, instruits et orgueilleux, qui préféreraient, ne pas parler de toutes « ces histoires de visions » pour n'avoir pas d'opinion à donner et qui condamnent Anne-Catherine surtout en raison des questions indiscrètes qu'on peut leur poser à son sujet. Ajoutons que l'Église n'a pas encore porté de jugement définitif sur l'authenticité des visions d'Anne-Catherine et que probablement elle ne portera jamais de jugement définitif à ce sujet. Les catholiques dès lors, ont parfaitement le droit de penser ce qu'ils veulent de ces visions. Disons cependant que nous croyons à l'authenticité des visions d'Anne-Catherine. Et nous y croyons pour des motifs qui relèvent surtout de la raison, du simple bon sens.
Nous avons vu avec quelle sévérité procédèrent Droste-Vischering et Overberg dans l'enquête ecclésiastique menée sur la stigmatisation d'Anne-Catherine. Nous avons vu que l'enquête laïque, pas plus que l'enquête ecclésiastique, n'a pu convaincre Anne-Catherine d'imposture. Nous avons entendu les dépositions d'une foule de témoins oculaires qui ont vu saigner les cinq plaies d'Anne-Catherine le vendredi de chaque semaine. C'est là pour nous, une raison sérieuse de croire à l'authenticité des visions de la pieuse nonne.
Et il y a bien d'autres raisons sérieuses de croire à l'authenticité de ces mêmes visions.
Rappelons seulement les dons merveilleux qu'Anne-Catherine a reçus et dont elle a fait un constant usage dans la distinction des objets bénits et des reliques.
Rappelons sa clairvoyance surnaturelle qui lui permettait de lire dans les âmes de ses contemporains présents ou éloignés, comme dans les âmes des personnes mortes depuis longtemps, clairvoyance grâce à laquelle elle pouvait également suivre en esprit les événements présents, passés et futurs.
Rappelons ses extases et les prodigieux comptes rendus qui en étaient la conséquence et qui étaient tout remplis des révélations dont Dieu l'honorait.
Remarquons qu'il est impossible d'expliquer d'une façon naturelle les connaissances scientifiques, historiques et théologiques de cette pauvre paysanne.
Souvenons-nous enfin de l'orthodoxie parfaite de ses croyances, de sa soumission à l'Église et de 1a sainteté éminente de sa vie qui plongeait tout le monde dans l'étonnement et dans l'admiration, et disons que cette sainteté éminente et ces dons mystérieux qui lui étaient départis nous autorisent parfaitement, jusqu'à décision contraire de l'autorité ecclésiastique à voir en elle, selon l'expression des Saintes Écritures, un vase d'élection tout rempli du Saint-Esprit.
(1) « Se tromper est bien humain. » « L'erreur est le partage de l'homme. »