III
NOTICE
SUR SAILER, EVEQUE DE RATISBONNE. (1)
1751 - 1832.
Ne pouvant faire connaître d'une façon suffisante dans une notice nécessairement rapide celui qu'un journal protestant de Leipzig a appelé avec raison " la grande lumière de l'Eglise d'Allemagne en ce siècle, " nous nous bornerons à indiquer sommair ement les principales époques de son existence.
Né à Présing, en Bavière, le 17 novembre 1751, Michel Sailer fut élève des :Jésuites jusqu'à l'époque de leur suppression. Ses goûts et une aptitude tout à fait exceptionnelle, le portaient vers l'enseignement des sciences religieuses. D'abord professeur de philosophie et de théologie à l'université d'Ingolstadt, il s'était retiré à Augsbourg à l'époque où le dernier électeur de Bavière avait confié aux abbayes bavaroises la direction de cette université et de tous les autres grands établissements d'instruction. Il y vivait de sa petite pension, sans remplir aucune charge, partageant son temps entre les devoirs de sa vocation et la composition de ses premiers ouvrages, lorsque la confiance de l'évêque d'Augsbourg le nomma aux chaires de philosophie morale et de théologie pastorale de l'université de Dillingen, qu'il venait de créer. « Sailer fut accueilli avec transport par les professeurs et par les élèves. Les étudiants comparèrent son arrivée au soleil du printemps qui réchauffe et vivifie tout de ses premiers rayons. Ce fut une chose étonnante de voir le nouveau professeur gagner si promptement et si solidement le respect, l'amour et la confiance de la jeunesse des é coles. Il était admirablement doux, et de cette douceur qui sort du coeur le plus aimant : la sérénité qui brillait en ses yeux indiquait une âme à l'abri de toutes les passions de la terre et ne communiquant qu'avec le ciel. Tout, dans son visage, annonçait la paix d'une bonne conscience. Il n'y a qu'une bonne conscience et la confiance en Dieu qui puissent rendre si parfaitement heureux, si parfaitement gai (Mémoires du chanoine Schmid, p. 222.).»
La renommée de Sailer attira bientôt à Dillingen un nombre considérable d'étudiants des pays voisins, de la Souabe, de la Franconie, de la Bavière, de la Prusse, du Rhin et de la Westphalie. Ces jeunes gens sortaient, en général, de familles notables de leur pays, et beaucoup d'entre eux, ayant déjà fait leur théologie en d'autres universités, voulaient encore suivre, durant une année, les coûrs de Sailer. On y envoyait aussi de jeunes religieux. Un grand nombre de ces élèves de Sailer devinrent dans la suite des hommes distingués, et rendirent des services considérables à l'Église et à la société. Nous nous bornerons à mentionner ici le chanoine Schmid, si connu par ses charmants ouvrages et qui, dans ses Mémoires, a consacré de nombreuses pages à son ancien maître.
Injustement destitué malgré son mérite et l'éclat de son enseignement, Sailer passa plusieurs années dans une paisible retraite, qu'il sut féconder par l'étude et la méditation. Il fut ensuite nommé professeur à l'université de Landshut (Bavière), où il enseigna avec plus de notoriété encore que par le passé ses sciences chéries, la théologie pastorale, l'homilétique et la catéchétique. Ce fut dans cette période de sa vie que le vénérable comte de Stolberg le mit en rapport avec la soeur Emmerich. Il la visita pour la première fois le 22 octobre 1818. " Ses rapports avec la pauvre malade furent, touchants de simplicité et d'abandon; ces deux coeurs embrasés de l'amour du Sauveur, bien que conduits par la Providence dans des voies différentes, s'étaient rencontrés au pied de la croix. Il passa seul avec elle presque toute la journée du 23 ; il vit le sang couler de son front, de ses mains et de ses pieds, et elle reçut de lui de grandes consolations touchant ses peines intérieures. Il se convainquit avec bonheur de la réalité de son état extatique, de son obéissance envers son directeur, enfin, de l'action qu'exerçaient sur elle la bénédiction des prêtres, les objets bénits et les reliques. Il la confessa, la communia et la revit encore à son retour de chez Stolberg. Il resta jusqu'à sa mort son ami dévoué; il priait pour elle et se recommandait à ses prières dans toutes les occasions difficiles (Douloureuse Passion, p. LXXI, - LXXII.). " Plus tard, il encouragea Brentano à entreprendre la publication des notes qu'il avait recueillies à Dulmen.
" Sur ces entrefaites, Louis, prince héréditaire de Bavière, étant venu continuer ses études à l'université de Landshut, se sentit, dès son arrivée, pénétré de respect et d'affection pour Sailer. Il reçut de lui des leçons particulières de religion, et s'attacha intimement à lui. La dignité grave et douce du professeur, la noblesse de ses pensées, la. droiture de ses jugements sur tout ce qui pouvait intéresser un futur souverain, la vivacité et les grèves de son esprit le lui attachèrent pour toujours.
Le roi de Prusse avait offert à Sailer le siège archiépiscopal de Cologne, mais Sailer refusa par amour pour sa patrie. Le prince de Bavière fut plus heureux; pensant honorer son pays en élevant Sailer à l'épiscopat, il agit avec tant d'instances auprès du roi son père que l'éminent professeur fut nommé chanoine, puis prévôt du chapitre et coadjuteur de l'évêque de Ratis bonne, avec future succession. Les ennemis de Sailer s'employèrent alors de toutes leurs forces à empêcher que ce choix ne fût confirmé à Rome et qu'il ne devînt évêque de Ratisbonne. Mais leurs efforts furent inutiles. L'élection fut confirmée, et Sailer fut préconisé sous le titré d'évêque de Germanopolis (Mémoires du chanoine Schmid, p. 364 et suivantes.). " Quelques années plus tard, à la mort de M. Wolf, il devint évêque titulaire, à l'âge de près de quatre-vingts ans. Il termina doucement, le 20 mai 1832, son admirable et sainte vie, dans les bras de Diépenbrork, son élève et son secrétaire, et de Witmann qui devait lui succéder. Le roi Louis fit élever plus tard sur la tombe de son ancien maître un magnifique mausolée de marbre par les mains du célèbre sculpteur Conrad Eberhard.
" Sailer, dit le cardinal de Diepenbrock, s'était fait dans toutes les belles et nobles intelligences de l'Allemagne la réputation bien méritée à la gloire de professeur distingué, de prédicateur éloquent, de théologien profond et érudit, d'écrivain fécond, de directeur éclairé, de prêtre pieux et d'évêque apostolique, en un mot d'homme vraiment grand, Sailer fut, tout cela à un très-haut degré; et pourtant il m'a paru, dans nos relations intimes de chaque jour, plus grand encore et comme homme et comme chrétien. "
" Sailer, ajoute un recueil allemand justement estimé, se posa carrément au seuil même de l'orthodoxie, antagoniste inébranlable ou conciliateur sympathique, suivant qu'il voyait l'erreur prête à passer outre ou à s'incliner devant lui. Telle fut la vr aie tâche, la prédestination de Sailer : on sait comment il la remplit. Il y mit tant de vigueur et d'éloquence, tant de dialectique et de savoir, tant de persévérance et de génie, il se revêtit si complètement de cette armure de controversiste dont, pendant plus de quarante années, ses épaules supportèrent le poids sans fléchir; il lança de tels éclairs à travers la nuit volontaire des douteurs du rationalisme ; il se fit un tel Sinaï de chacune de ses pages où il les écrasait de lumière et de vérité que, pour beaucoup de ses contemporains, cette gloire militante éclipsa presque celle de l'orateur et de l'écrivain. Son éloquence, sa langue merveilleuse, les étonnantes beautés de son style, ce don naturel d'entrer dans l'idée tout d'une pièce et de l'agrandir en l'exprimant, ces trésors de sentiment et de tristess e cachée, ces splendides bouquets d'images qui jaillissaient tout à coup du discours, comme ces îles flottantes de fleurs et de verdure que portent à leur surface les grands fleuves de l'Amérique, tous ces inépuisables sujets de notre admiration et de notre étude n'ont été pleinement compris et appréciés qu'en ces derniers temps (2). "
(2) Catholique de Mayence, septembre 1842, cité par monsieur l'abbé Dodille, Etude sur le clergé allemand au 19° siècle, p. 70-71.