XI. MARIE DANS LA MAISON DE CAIPHE

La sainte Vierge était constamment en rapport spirituel avec Jésus, elle savait tout ce qui lui arrivait et souffrait avec lui. Elle était comme lui en prière continuelle pour ses bourreaux. Mais son coeur maternel criait aussi vers Dieu pour qu'il ne laissât pas ce crime s'achever, pour qu'il voulût détourner ces douleurs de son très saint Fils, et elle avait un désir irrésistible de se rapprocher de Jésus. Lorsque Jean, après avoir entendu l'horrible cri : “  Il est digne de mort ”, fut venu la trouver dans la maison de Lazare, située près de la porte de l'Angle, et lui eut raconté l'horrible spectacle auquel il avait assisté, elle demanda ainsi que Madeleine et quelques-unes des saintes femmes, a être menée prés du lieu où Jésus souffrait. Jean, qui n'avait quitté son divin maître que pour consoler celle qui était le plus près de son coeur après lui, conduisit les saintes femmes à travers les rues éclairées par la lune, et où l'on voyait beaucoup de gens qui retournaient chez eux. Elles marchaient voilées, mais leurs sanglots qu'elles ne pouvaient étouffer attirèrent sur elles l'attention de plusieurs groupes, et elles eurent à entendre bien des paroles injurieuses contre le Sauveur. La mère de Jésus contemplait intérieurement le supplice de son Fils et conservait cela dans son coeur comme tout le reste, elle souffrait en silence comme lui, et plus d'une fois elle tomba évanouie. Comme elle était ainsi sans connaissance dans les bras des saintes femmes, sous une des portes de la ville intérieure, quelques gens bien intentionnés qui revenaient de chez Caiphe la reconnurent, et s'arrêtant un instant avec une compassion sincère, la saluèrent de ces paroles : “  O malheureuse Mère, ô déplorable Mère, ô Mère riche en douleurs du Saint d'Israël ” ! Marie revint à elle et les remercia cordialement ; puis elle continua son triste chemin.

Comme elles approchaient de la maison de Caïphe, elles passèrent du côté opposé à l'entrée où il n'y a qu'un seul mur, tandis que du côté de l'entrée, on traverse deux cours et elles rencontrèrent là une nouvelle douleur, car il leur fallut passer par un endroit où l'on travaillait à la croix du Christ sous une tente éclairée par des torches. Les ennemis de Jésus avaient ordonné de préparer une croix pour lui dés qu'on se serait emparé de sa personne, afin d'exécuter le jugement aussitôt qu'il aurait été rendu par Pilate ; car ils voulaient mener le Sauveur devant celui-ci de très bonne heure, et ne prévoyaient pas que cela dût durer si longtemps. Les Romains avaient déjà préparé les croix des deux larrons. Les ouvriers maudissaient Jésus pour qui il leur fallait travailler la nuit ; et leurs paroles allèrent percer le coeur de sa mère déjà perce de mille douleurs. Elle pria toutefois pour ces aveugles qui préparaient avec des malédictions l'instrument de leur rédemption et du supplice de son Fils.

Arrivée dans la cour extérieure, après avoir fait le tour de la maison, .)Marie, accompagnée des saintes femmes et de Jean, traversa cette cour et s'arrêta à l'entrée de la cour suivante : mais son âme, livrée à des douleurs indicibles était auprès de Jésus. Elle désirait vivement que la porté lui fût ouverte, car elle sentait que cette porte seule la séparait de son Fils, lequel, au second chant du coq, avait été conduit dans le cachot placé sous la maison. La porte s'ouvrit, et Pierre, précédant plusieurs autres personnes qui sortaient, se précipita au dehors les mains étendues en avant, la tête voilée, et pleurant amèrement. Il reconnut Jean et la sainte Vierge à la lueur des torches et de la lune : ce fut comme si sa conscience réveillée par le regard du fils se présentait maintenant à lui dans la personne de la mère. Marie lui dit : “  Simon, que devient Jésus mon fils ” ? Et ces paroles retentirent jusqu'au fond de son âme. Il ne put supporter son regard et se détourna en tordant ses mains : mais Marie alla à lui et lui dit avec une profonde tristesse : “  Simon, fils de Jean, tu ne me réponds pas ” ? Alors Pierre s'écria en gémissant : “ O mère, ne me parlez pas ; ils l'ont condamné à mort, et je l'ai honteusement renié trois fois ”. Jean s'approcha pour lui parler ; mais Pierre, comme hors de lui-même, s'enfuit de la cour, et gagna cette caverne du mont des Oliviers ou les mains de Jésus priant s'étaient imprimées dans la pierre. Je crois que c'est dans cette même caverne qu'alla pleurer notre père Adam, lorsqu'il vint sur la terre chargée de la malédiction divine.

La sainte Vierge, le coeur déchiré de cette nouvelle douleur de son fils renié par le disciple même qui l'avait reconnu le premier comme fils du Dieu vivant, tomba prés de la porte sur la pierre où elle se tenait, et les traces de sa main ou de son pied s'y imprimèrent. Cette pierre existe encore, mais je ne me rappelle plus où. Je l'ai vue quelque part. Or les portes des cours restaient ouvertes à cause de la foule qui se retirait après l'emprisonnement de Jésus, et quand la sainte Vierge fut revenue à elle, elle désira se rapprocher de son fils bien-aimé. Jean la conduisit ainsi que les saintes femmes devant le lieu ou le Seigneur était renfermé. Elle était en esprit avec Jésus, et Jésus était avec elle ; mais cette tendre mère voulait entendre de ses oreilles les soupirs de son fils : elle les entendit et aussi les injures de ceux qui l'entouraient. Les saintes femmes ne pouvaient s'arrêter longtemps là sans être remarquée : Madeleine montrait un désespoir trop extérieur et trop violent, et quoique la sainte Vierge au plus fort de la douleur conservât une dignité et une décence merveilleuses, elle eut pourtant à entendre ces cruelles paroles : “ N'est-ce pas la mère du Galiléen ? son fils sera certainement crucifié  mais pas avant la fête, à moins que ce ne soit le plus “ grand des scélérats ”. Elle s'éloigna alors et, poussée par une inspiration intérieure, alla jusqu'au foyer, dans le vestibule où se trouvait encore un reste de populace. Les saintes femmes la suivaient dans un même silence. A l'endroit où Jésus avait dit qu'il était le Fils de Dieu et où les fils de Satan avaient crié : “  Il est digne de mort ”, elle perdit encore connaissance, et Jean et les saintes femmes l'emportèrent plus semblable à une morte qu'à une vivante. La populace ne dit rien et resta dans le silence et l'étonnement : c'était comme si un esprit céleste eût traversé l'enfer.

On repassa à l'endroit où se préparait la croix. Les ouvriers ne pouvaient pas plus la terminer que les juges ne pouvaient s'accorder sur la sentence. Il leur fallait sans cosse apporter d'autre bois, parce que telle ou telle pièce n'allait pas ou se fendait, jusqu'à ce que les différentes espèces de bois fussent combinées de la manière que Dieu voulait. J'eus diverses visions à ce sujet. Je vis que les anges les forçaient à recommencer jusqu'à ce que la chose fût faite selon ce qui était marqué ; mais je n'ai pas un souvenir très distinct de cette vision.