XLVII. JOSEPH D'ARIMATHIE DEMANDE A PILATE
LE CORPS DE JESUS
A peine s'était-il rétabli un peu de tranquillité dans Jérusalem, que Pilate fut assailli de tous les côtés par des rapports sur ce qui venait de se passer, et que le grand conseil des Juifs, conformément à la résolution qu'il avait prise dès le matin, envoya vers lui pour le prier de faire rompre les jambes aux crucifiés et de les faire achever afin qu'ils ne restassent pas en croix le jour du Sabbat. Pilate envoya des archers à cet effet. Je vis aussitôt après Joseph d'Arimathie venir trouver Pilate. Il avait appris la mort de Jésus, et avait formé avec Nicodème le projet de l'ensevelir dans un sépulcre neuf qu'il avait creusé dans son jardin à peu de distance du Calvaire. Il me semble l'avoir déjà vu devant la porte de la ville, où il observait tout ce qui se passait : du moins il y avait déjà dans son jardin des gens à lui qui nettoyaient et achevaient quelques arrangements dans l'intérieur du sépulcre. Nicodème, de son côté, alla en divers endroits acheter des linges et des aromates pour la sépulture ; après quoi il attendit Joseph. Celui-ci trouva Pilate très inquiet et très troublé : il lui demanda nettement et sans hésitation la permission de faire détacher de la croix le corps de Jésus, le roi des Juifs, qu'il voulait enterrer dans son sépulcre. Pilate fut encore plus troublé en voyant un homme aussi considérable demander si instamment la permission de rendre les derniers honneurs à celui qu'il avait fait crucifier si ignominieusement. Sa conviction de l'innocence de Jésus s'en accrut ainsi que ses remords : mais il dissimula et dit : est-il donc déjà mort ? car il n'y avait que quelques minutes qu'il avait envoyé les archers pour achever les crucifiés en leur rompant les jambes. Il fit appeler le centurion Abénadar, qui était revenu après s'être entretenu avec les disciples cachés dans les cavernes et lui demanda si le roi des Juifs était déjà mort. Abénadar lui raconta la mort du Sauveur, ses dernières paroles et son dernier cri, le tremblement de terre et la secousse qui avait fendu le rocher. Pilate sembla s'étonner seulement de ce que Jésus était mort si tôt, parce qu'ordinairement les crucifiés vivaient plus longtemps ; mais intérieurement il était plein d'angoisse et de terreur, à cause de la coïncidence de ces signes avec la mort de Jésus. Il voulut peut-être faire pardonner à quelques égards sa cruauté en accordant à Joseph d'Arimathie un ordre pour se faire délivrer le corps du Sauveur. Il fut bien aise aussi de se jouer ainsi des Princes des Prêtres, qui auraient vu avec plaisir Jésus enterré sans honneur entre les deux larrons. Il envoya quelqu'un au Calvaire pour faire exécuter ses ordres. Je pense que ce fut Abénadar, car je le vis assister à la descente de croix.
Joseph d'Arimathie, en quittant Pilate, alla trouver Nicodème qui l'attendait chez une femme bien intentionnée, dont la maison était située sur une large rue, près de cette ruelle où Notre Seigneur avait été si cruellement outragé au commencement du chemin de la croix. Cette femme vendait des herbes aromatiques, et Nicodème avait acheté chez elle et fait acheter ailleurs par elle tout ce qui était nécessaire pour embaumer le corps de Jésus. Elle fit de tout cela un paquet qu'on pût porter commodément. Joseph alla de son côté acheter un beau linceul de coton très fin, long de six aunes et plus large encore que long. Leurs serviteurs prirent dans un hangar, près de la maison de Nicodème, des échelles, des marteaux, des chevilles, des outres pleines d'eau, des vases et des éponges, et placèrent les plus petits de ces objets sur une civière semblable à celle où les disciples de Jean-Baptiste placèrent son corps lorsqu'ils l'enlevèrent de la forteresse de Machérunte (1)
(1) Elle décrivit la civière dont il est question ici comme un long coffre de cuir qu'on transformait en une espèce de cercueil fermé en y passant trois bâtons larges comme la main, faits d'un bois solide quoique léger. Ce coffre se portait ensuite sur les épaules au moyen des bouts de ces mêmes bâtons qui dépassaient de chaque côté. Elle raconta l'enlèvement du corps de Jean-Baptiste, comme ayant eu lieu dans la nuit du mardi au mercredi, 4-5 du mois de Sebat (21-22 Janvier) de la deuxième année de la vie publique du Sauveur, environ quinze Jours après la décollation du saint précurseur. Parmi ceux qui y prirent part, elle mentionna les trois disciples de Jean. Jacob, Eliacim et Sadoch, fils de Cléophas et de Marie d'Héli et frères de Marie de Cléophas en outre Saturnin, Jude Barsabas, Aram et Théméni, neveux de Joseph d'Arimathie, un fils de Jeanne Chusa, un fils de Véronique, un fils de Siméon et un cousin de Jean, qui était d'Hébron. Le corps du précurseur, sans sa tête que l'on ne put avoir que plus tard, fut porté à Juta dans le tombeau de sa famille.