XLI - Marie et Joseph en voyage pour visiter Elisabeth.
Quelques jours après l'Annonciation de l'ange à Marie, saint Joseph revint à Nazareth et il fit certains arrangements dans la maison pour pouvoir exercer son métier, car il n'avait pas encore été à demeure à Nazareth, où il avait passé à peine deux jours. Il ne savait rien de l'incarnation de Dieu dans Marie ; elle était la mère du Seigneur, mais elle était aussi la servante du Seigneur et gardait humblement son secret. La sainte Vierge, lorsqu'elle sentit que le Verbe s'était fait chair en elle, éprouva un grand désir d'aller tout de suite à Juttah, près d'Hébron, visiter sa cousine Élisabeth, que l'ange lui avait dit être enceinte depuis six mois. Comme on approchait du temps où Joseph devait se rendre à Jérusalem pour la fête de Pâques, elle désira l'accompagner pour aller assister Elisabeth pendant sa grossesse. Joseph se mit donc en route pour Juttah avec la sainte Vierge.
La soeur Emmerich raconta les détails suivants du voyage de Joseph et de Marie ; mais il y a dans ses récits beaucoup de lacunes, causées par son état de maladie et par des dérangements continuels. Elle ne raconta pas le départ, mais pendant quelques jours consécutifs différentes scènes de voyage que nous communiquons ici.
Leur route se dirigeait vers le midi ; ils avaient avec eux un Ane sur lequel Marie montait de temps en temps. Il portait quelques effets, entre autres un sac appartenant à Joseph, où se trouvait une longue robe brune de la sainte Vierge avec une espèce de capuchon. On l'attacha sur le cou de l'âne. Marie mettait cet habit quand elle allait au. temple ou à la synagogue. En voyage elle portait une tunique de laine brune, une robe grise avec une ceinture par-dessus, et une coiffe tirant sur le jaune.
Ils voyageaient assez vite. Je les vis, après avoir traversé la plaine d'Esdrelon, dans la direction du midi, gravir une hauteur et entrer dans la ville de Dothan, chez un ami du père de Joseph. C'était un homme assez riche,. Originaire de Bethléhem. Le père de Joseph l'appelait son frère, quoiqu'il ne le fût pas : mais il descendait de David par un homme qui était aussi roi, à ce que je crois, et qui s'appelait Éla, ou Eldoa, ou Eldad, je ne sais plus bien lequel '. Cet endroit était très commerçant.
Je les vis une fois passer la nuit sous un hangar ; puis, comme ils étaient encore à douze lieues de la demeure de Zacharie, je les vis un soir dans un bois sous une cabane de branchages, toute recouverte de feuillage vert avec de belles fleurs blanches. On trouve souvent dans ce pays, au bord des routes, de ces cabanes de verdure ou même des bâtiments plus solides dans lesquels les voyageurs peuvent passer la nuit ou se rafraîchir et apprêter les aliments qu'ils ont avec eux. Une famille du voisinage a la surveillance de plusieurs abris de ce genre et fournit plusieurs choses nécessaires moyennant une modique rétribution.
La soeur Emmerich vit Jésus, le 2 novembre (12 Marcheswan) de sa trente et unième année, dans cette même maison de Dothan où il guérit de l'hydropisie un homme de cinquante ans, nommé Issachar, mari de Salomé, la fille des maîtres de cette maison. A cette occasion Issachar parla du séjour qui7 avaient fait Marie et Joseph. Le rejeton de David que la soeur nomme Eldoa ou Eldad, et par lequel le père de cette Salomé était parent de saint Joseph, pourrait bien être Elioda ou Eliada, fils de David cité dans le second livre des rois, V, 16, et dans le premier livre des Paralipomènes, III, 8. Quoiqu'on doive admettre naturellement des confusions fréquentes dans les noms prononcés par la soeur, on ne doit pourtant pas admettre que cette confusion ait toujours lieu. Les noms propres en hébreu ont en général une signification précise ; mais comme un seul et même sens peut s'exprimer de différentes manières dans la langue hébraïque, les mêmes personnes portent souvent différents noms. Ainsi nous trouvons un fils de David appelé tantôt Elischna " Dieu aide ", tantôt Elischama " Dieu entend ". Ainsi Eldea ou Eldoa peut aussi bien signifier " Dieu vient " qu'Eliada. La mention peu précise que ce rejeton de David aurait été roi, ne doit point étonner, car il est indubitable que des fils ou petits-fils de David eurent le gouvernement de certains pays dépendant du royaume d'Israel.
Ici il semble y avoir une lacune dans le récit. Vraisemblablement la sainte Vierge alla avec Joseph à Jérusalem pour la fête de Pâques, et ce n'est que de là qu'elle se rendit chez Elisabeth, car il est dit plus haut que Joseph allait à la fête, et plus loin que Zacharie était revenu chez lui après les fêtes de Pâques la veille de la visitation de Marie.
De Jérusalem ils n'allèrent pas tout droit à Juttah, mais ils firent un détour vers le levant pour voyager plus solitairement. Ils contournèrent une petite ville à deux lieues d'Emmaus, et prirent alors des chemins que Jésus suivit souvent pendant ses années de prédication. Ils eurent ensuite deux montagnes à franchir. Entre ces deux montagnes je les vis une fois se reposer, manger du pain et mêler dans leur eau des gouttes de baume qu'ils avaient recueillies pendant le voyage. Le pays ici était très montagneux. Ils passèrent devant des rochers qui étaient plus larges d'en haut que d'en bas ; on voyait aussi là de grandes cavernes dans lesquelles étaient toutes sortes de pierres singulières. Les vallées étaient très fertiles.
Leur chemin les conduisit encore à travers des bois, des landes, des prés et des champs. Dans un endroit assez rapproché du terme du voyage, je remarquai particulièrement une plante qui avait de jolies petites feuilles vertes et des grappes de fleurs, formées de neuf clochettes roses fermées. Il y avait là quelque chose dont j'avais à m'occuper, mais j'ai oublié de quoi il s'agissait '.
Cette fleur' avec neuf clochettes, avait peut-être pour la soeur un rapport mystique aux neuf mois que le Seigneur passa dans le sein de sa mère ; peut-être aussi y vit-elle le symbole de quelque dévotes ou exercice de piété se rattachant a la fête de la Visitation. Du reste, un ami versé dans la connaissance de l'Écriture sainte, communiqua à l'écrivain l'observation suivante : " La fleur indiquée ici est probablement la petite grappe de cypre (Lawsonia spinosa inerrnis, Linn.), dont il est dit dans le Cantique des Cantiques (I, 13) : "Mon bien-aimé est pour moi une grappe de cypre (botrus cypri) cueillie dans les vignes d'Engaddi. "Mariti, dans son voyage en Syrie et en Palestine, a vu cet arbrisseau et sa fleur dans la contrée où la soeur fait voyager la sainte Vierge. Les feuilles sont, d'après lui, plus petites et plus élégantes que celles du myrte ; les fleurs, couleur de rose, disposées par bouquets en forme de grappe, ce qui, d'ailleurs, correspond à la description sommaire de la soeur, quand elle dit qu'elle a à s'occuper de quelque chose qu'elle a oublié touchant ces fleurs campaniformes ; il s'agit peut-être d'une méditation sur le Cantique des Cantiques (I, 13). Comme en os moment le bien-aimé était encore sous le coeur virginal de sa mère, elle célébrait peut-être, en contemplant les capsules de cet arbrisseau, le degré de développement du Verbe fait chair, et cette méditation pouvait être d'autant plus féconde, que la grappe odorante des fleurs de cypre s'appelle en hébreu grappe de kopher, c'est-à-dire grappe de la réconciliation, et c'est pourquoi quelques commentateurs trouvent dans les paroles : "Mon bien-aimé est pour moi une grappe de cypre, "le sens suivant : " Mon bien-aimé a donné pour moi la grappe sanglante de la réconciliation ". De même que les Orientaux estiment beaucoup ces bouquets de fleurs odorantes et les regardent comme un présent très agréable, la soeur, en voyant passer la sainte Vierge près de ces grappes de fleurs, pouvait fêter les progrès de la maturité de la grappe du sang de la réconciliation dans le fruit béni de ses entrailles Elle considérait peut-être, dans le texte du Cantique des Cantiques le sens suivant lequel on pouvait dire : La vraie grappe du kopher mûrit pour nous sous le coeur de Marie, de même que dans le texte : " Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe qui repose entre mes mamelles ; "elle peut avoir considéré que Marie, plus tard, porta Jésus enfant sur son sein, et dans la suite, après la descente de croix, reçut le Sauveur dans ses bras lorsqu'on l'embauma avec de la myrrhe, quoique lui-même fut la véritable myrrhe qui préserve de ta corruption.
XLII - Arrivée de Marie et de Joseph chez Elisabeth et Zacharie.
Une partie des visions qui suivent furent communiquées lors de la fête de la Visitation. en juillet 1820 : d'autres se présentèrent à elle dans une contemplation où elle entendit Eliud, un vieil Essénien de Nazareth, qui accompagnait Jésus allant se faire baptiser par saint Jean au mois de septembre de la première année de la prédication, raconter plusieurs choses relatives aux parents et à la première jeunesse du Sauveur, car il était en relations intimes avec la sainte Famille.
La maison de Zacharie était sur une colline isolée. Il y avait alentour des groupes de maisons. Un ruisseau assez fort descendait de la montagne.
Il me sembla que c'était le moment où Zacharie revenait chez lui de Jérusalem après les fêtes de Pâques. Je vis Elisabeth, poussée par un désir inquiet, aller assez loin de sa maison sur la route de Jérusalem, et Zacharie qui revenait, tout effrayé de la rencontrer à une si grande distance de chez elle dans la situation où elle se trouvait. Elle lui dit qu'elle avait le coeur très agité, et qu'elle était poursuivie par la pensée que sa cousine ..Marie de Nazareth venait la voir. Zacharie chercha à lui faire perdre cette idée ; il lui fit entendre par signes et en écrivant sur une tablette combien il était peu vraisemblable qu'une nouvelle mariée entreprit en ce moment un si grand voyage. Ils revinrent ensemble à la maison.
Elisabeth ne pouvait renoncer à son espérance, car elle avait appris en songe qu'une femme de son sang était devenue la mère du Messie promis. Elle avait pensé alors à Marie, avait conçu un ardent désir de la voir et l'avait vue en esprit venant vers elle. Elle avait préparé dans sa maison, à droite de l'entrée, une petite chambre avec des sièges. C'était là qu'elle était assise le lendemain, toujours dans l'attente, et regardant si Marie arrivait Bientôt elle se leva et s'en alla sur la route au-devant d'elle.
Élisabeth était une femme âgée, de grande taille : elle avait je visage petit et de jolis traits ; sa tête était enveloppée. Elle ne connaissait la sainte Vierge que de réputation. Marie, la voyant de loin, connut que c'était elle, et s'en alla en toute hâte à sa rencontre, précédant saint Joseph, qui discrètement resta en arrière. Marie fut bientôt parmi les maisons voisines dont les habitants, frappés de sa merveilleuse beauté et émus d'une certaine dignité surnaturelle qui était dans toute sa personne, se retirèrent respectueusement quand elle rencontra Élisabeth. Elles se saluèrent amicalement en se tendant la main. En ce moment, je vis un point lumineux dans la sainte Vierge, et comme un rayon de lumière qui partait de là vers Élisabeth, et dont celle-ci reçut une impression merveilleuse. Elles ne s'arrêtèrent pas en présence des hommes ; mais, se tenant par le bras, elles gagnèrent la maison par la cour placée en avant : à la porte de la maison, Élisabeth souhaita encore la bienvenue à Marie, et elles entrèrent.
Joseph, qui conduisait l'âne, arriva dans la cour, remit l'animal à un serviteur et alla chercher Zacharie dans une salle ouverte sur le côté de la maison. Il salua avec beaucoup d'humilité le vieux prêtre ; celui-ci l'embrassa cordialement et s'entretint avec lui au moyen de la tablette sur laquelle il écrivait, car il était muet depuis que l'ange lui avait apparu dans le temple.
Marie et Élisabeth, entrées par la porte de la maison, se trouvèrent dans une salle qui me parut servir de cuisine. Ici elles se prirent par les bras. Marie salua Élisabeth très amicalement, et elles appuyèrent leurs joues l'une contre l'autre. Je vis alors quelque chose de lumineux rayonner de Marie jusque dans l'intérieur d'Élisabeth ; celle-ci en fut tout illuminée ; son coeur fut agité d'une sainte allégresse et profondément ému. Elle se retira un peu en arrière en élevant la main, et pleine d'humilité, de joie et d'enthousiasme, elle s'écria : " Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. D'où me vient ceci que la mère de mol Seigneur vienne à moi ? Voici qu'aussitôt que la voix de votre salutation est venue à mes oreilles, l'enfant que je porte a tressailli de joie dans mon sein. vous êtes heureuse d'avoir cru : ce qui vous a été dit par le Seigneur s'accomplira ".
Après ces dernières paroles, elle conduisit Marie dans la petite chambre préparée pour elle, afin qu'elle pût s'asseoir et se reposer des fatigues de son voyage. Il n'y avait que deux pas à faire jusque-là. Mais Marie quitta le bras d'Élisabeth qu'elle avait pris, croisa ses mains sur sa poitrine et commença le cantique inspiré : " Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi de joie en Dieu mon sauveur, parce qu'il a regardé la bassesse de sa servante ; car voilà que tous les siècles m'appelleront bienheureuse, parce que Celui qui seul est puissant a fait en moi de grandes choses, et son nom est saint, et sa miséricorde s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent. Il a déployé la puissance de son bras ; il a dissipé ceux qui étaient enflés d'orgueil dans les pensées de leur coeur.` il a renversé les puissants de leur trône, et il a élevé les humbles. Il a rassasié les affamés, et il a renvoyé les riches avec les mains vides. Il a pris en sa protection Israel, son serviteur, s'étant souvenu de sa miséricorde, selon la promesse qu'il avait faite à nos pères, à Abraham et à sa postérité, pour toute la suite des siècles'.
Lorsque le vieil Eliud, dans la circonstance indiquée plus haut, .,entretint de cet événement avec Jésus, je l'entendis expliquer d'une manière admirable tout ce cantique de Marie ; mais je ne me sens pas en état de répéter cette explication.
Je vis qu'Élisabeth répétait tout bas le Magnificat avec un semblable mouvement d'inspiration ; ensuite elles s'assirent sur des sièges très bas : il y avait sur une petite table, peu élevée aussi, un petit verre placé devant elles. Combien j'étais heureuse ! j'ai répété avec elles toutes leurs prières, et je me suis assise à peu de distance. Oh ! combien j'étais heureuse !
La soeur Emmerich raconta ce qui était arrivé le jour précédent. Après midi, elle dit dans son sommeil : Joseph et Zacharie sont ensemble ; ils s'entretiennent de la venue prochaine du Messie et de l'accomplissement des prophéties. Zacharie est un grand et beau vieillard, habillé en prêtre ; il répond toujours par signes ou en écrivant sur une tablette. Ils sont assis sur le côté de la maison dans une salle ouverte qui a vue sur le jardin. Maria et Élisabeth sont assises dans le jardin, sur un tapis, sous un grand arbre, derrière lequel est une fontaine d'où l'eau sort quand on retire une bonde. Je vois tout autour du gazon et des fleurs, et des arbres avec de petites prunes jaunes. Elles mangent ensemble des fruits et des petits pains tirés de la besace de Joseph. Quelle simplicité et quelle frugalité touchantes ! il y a dans la maison deux servantes et deux serviteurs ; je les vois aller et venir. Ils apprêtent sous un arbre une table avec des aliments. Zacharie et Joseph viennent et mangent quelque chose. Joseph voudrait revenir tout de suite à Nazareth : mais il restera huit jours. Il ne sait rien de l'état de grossesse de la sainte Vierge. Marie et Élisabeth se taisaient là-dessus. Il y avait dans leur intérieur comme une entente secrète et profonde de l'une à l'autre.
Plusieurs fois le jour, spécialement avant les repas, quand tous étaient ensemble, les saintes femmes disaient des espèces de litanies' : Joseph priait avec elles, et je vis ensuite apparaître une croix entre elles. Il n'y avait pourtant pas encore de croix : c'était comme si deux croix se fussent visitées'.
Ce nom d'une forme connue de la prière chrétienne ne doit pas nous surprendre dans un récit qui est encore de l'Ancien Testament La forme des litanies existait longtemps avant la naissance de Jésus-Christ ; ainsi le psaume 135 (dans l'hébreu, 136) est une véritable litanie. Il en est de même d'une partie du psaume 117 (118 dans l'hébreu) et de plusieurs autres.
Nous ne pouvons pas expliquer avec précision ce que la soeur voulait dire par ces paroles : " C'était comme si deux croix se fussent visitées ". Suivant la pieuse coutume de sa patrie, pays aux vieilles moeurs catholiques, quand différentes paroisses se réunissent en procession pour quelque dévotions à faire en commun, elles portent avec elles leurs croix et lents images de la sainte Vierge, et l'on dit alors que les croix ou que les images de Marie se rendent visite. Peut-être a-t-elle voulu dire, à l'occasion de cette apparition d'une croix entre la sainte Vierge et Elisabeth réunies pour prier, que c'était comme sa Jésus, le crucifié futur reposant encore dans le sein de sa Mère, et sa crois, instrument de notre rédemption, reposant aussi dans le sein de l'avenir, se rendaient visite.
Le 3 juillet, elle raconta ce qui suit : Hier soir, ils ont mangé tous ensemble ; ils restèrent assis jusque vers minuit, près d'une lampe, sous l'arbre du jardin. Je vis ensuite Joseph et Zacharie seuls dans un oratoire. Je vis Marie et Élisabeth dans leur petite chambre ; elles se tenaient debout, vis-à-vis l'une de l'autre, comme ravies en extase, et disaient ensemble le Magnificat.
Outre le vêtement décrit plus haut, la sainte Vierge avait comme un voile noir transparent qu'elle baissait quand elle parlait à des hommes. Aujourd'hui, Zacharie a conduit saint Joseph dans un autre jardin séparé de la maison. Zacharie est en toutes choses plein d'ordre et de ponctualité. Ce jardin est abondant en beaux arbres et produit des fruits de toute espèce ; il est très bien tenu ; il est traversé par une allée en berceau, sous laquelle on est à l'ombre ; à l'extrémité du jardin, se trouve cachée une petite maison de plaisance dont la porte est sur le côté. Dans le haut de cette maison, sont des ouvertures fermées avec des châssis ; il y a un lit de repos en nattes, recouvert de mousses ou d'autres herbes : je vis aussi là deux figures blanches de la grandeur d'un enfant ; je ne sais pas comment elles étaient là, ni ce qu'elles représentaient ; mais je trouvais qu'elles ressemblaient à Zacharie et à Élisabeth, seulement beaucoup plus jeunes.
J'ai vu aujourd'hui, dans l'après-midi, Marie et Élisabeth occupées ensemble dans la maison. La sainte Vierge prenait part à tous les soins du ménage ; elle préparait toute sorte d'effets pour l'enfant qu'on attendait. Je les vis travailler ensemble ; elles tricotaient une grande couverture pour le lit d'Élisabeth lorsqu'elle serait accouchée. Les femmes juives se servaient de couvertures de ce genre : il y avait au milieu une espèce de poche, disposée de façon que l'accouchée put s'envelopper tout entière avec son enfant ; elle s'emmaillotait là dedans, soutenue par des coussins, et pouvait à volonté se mettre sur son séant ou rester couchée. Sur le bord de cette couverture étaient des fleurs et des sentences brodées à l'aiguille. Marie et Elisabeth préparaient aussi toutes sortes d'objets qui devaient être donnés aux pauvres à la naissance de l'enfant. Je vis sainte Anne, pendant l'absence de la sainte Famille, envoyer souvent sa servante dans la maison de Nazareth pour voir si tout y était en ordre ; je l'ai vue aussi y aller une fois elle-même.
Le 4 juillet, elle raconta ce qui suit : Zacharie est allé avec Joseph se promener dans les champs. La maison est isolée sur une colline ; c'est la plus belle maison qu'il y ait dans la contrée ; d'autres sont dispersées tout autour. Marie est un peu fatiguée ; elle est seule avec Elisabeth à la maison.
Le 5 juillet, elle dit : J'ai vu Zacharie et Joseph passer la nuit d'aujourd'hui dans le jardin, situé à quelque distance de la maison. Je les vis tantôt dormir dans la petite maison qui est là, tantôt prier en plein air ; ils revinrent au point du jour. Je vis Élisabeth et la sainte Vierge à la maison ; tous les matins et tous les soirs, elles répétaient ensemble le cantique Magnificat, dicté par le Saint Esprit à Marie après la salutation d'Élisabeth.
La salutation de l'ange fut pour Marie comme une consécration qui faisait d'elle l'Église de Dieu. Lorsqu'elle prononça ces mots : " Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole ", le Verbe divin, salué par l'Église, salué par sa servante, entra en elle ; dès lors, Dieu fut dans son temple, Marie fut le temple et l'Arche d'alliance du Nouveau Testament. La salutation d'Elisabeth, le tressaillement de Jean dans le sein de sa mère, furent le premier culte rendu devant ce sanctuaire. Lorsque la sainte Vierge entonna le Magnificat, l'Église de la nouvelle alliance, du nouveau mariage, célébra, pour la première fois, l'accomplissement des promesses divines de l'ancienne alliance, de l'ancien mariage, récitant en actions de grâces un Te Deum laudamus. Qui pourrait dignement exprimer combien était touchant à voir l'hommage rendu par l'Église à son Sauveur dés avant sa naissance I
Cette nuit, pendant que je voyais prier les saintes femmes, j'ai eu plusieurs intuitions et explications relatives au Magnificat et à l'approche du Saint Sacrement dans la situation présente de la sainte Vierge. Mon état de souffrance et de nombreux dérangements sont cause que j'ai oublié presque tout ce que j'ai vu. Au passage du Magnificat : " il a fait éclater la puissance de sas bras, "j'ai vu différents tableaux figuratifs du Saint-Sacrement de l'autel dans l'Ancien Testament. Il y avait entre autres un tableau d'Abraham sacrifiant Isaac, et d'Isaie annonçant à un méchant roi quelque chose dont celui-ci se moquait ; je l'ai oublié. J'ai vu bien des choses depuis Abraham jusqu'à Isaie, et depuis celui-ci jusqu'à la sainte vierge Marie, et j'y ai toujours vu le Saint Sacrement s'approchant de l'Eglise de Jésus-Christ, qui, lui-même, reposait encore dans le sein de sa mère'.
Quand la soeur Emmerich eut dit ceci, elle récita les litanies du Saint Esprit et l'hymne Veni, sancte Spiritu., et s'endormit en souriant. Au bout de quelque temps, elle dit d'un ton très anime : Je ne dois plus rien faire aujourd'hui, ni laisser entrer personne chez moi, car je dois revoir tout ce que j'avais oublié. Si je puis être tout à fait tranquille, je pourrai connaître et raconter le mystère de l'Arche d'alliance, le Saint sacrement de l'ancienne alliance. J'ai vu cette époque du repos, c'est une belle époque. J'ai vu près de moi l'écrivain, je dois donc apprendre beaucoup de choses ". Pendant qu'elle parlait ainsi, son visage s'animait et rougissait dans son sommeil comme je visage d'un enfant ; elle retira de dessous la couverture ses mains marquées des stigmates et dit : "il fait bien chaud là où est Marie, dans la terre promise. Ils vont tous dans le jardin où est la maisonnette, d'abord Zacharie et Joseph, puis Élisabeth et Marie ; on a tendu une toile sous l'arbre comme pour faire une tente : il y a, d'un côté, des sièges très bas avec des dossiers.
La mission d'Isaie, oubliée par elle, est sans aucun doute sa prophétie au roi Achaz (l'IIJ 3, 251 : Voici que la Verbe concevra, etc.
XLIII - Détails personnels à la narratrice.
Elle continua ainsi : Je dois prendre du repos et revoir ce que j'avais oublié : la douce prière à l'Esprit Saint m'est venue en aide. Ah ! c'est si doux et si agréable ! à cinq heures du soir, elle gémit et dit : Je n'ai pas observé, par suite de mes négligences, l'ordre de ne laisser personne venir près de moi. Une femme de ma connaissance a parlé devant moi de choses odieuses ; je me suis fâchée et me suis endormie là-dessus. Le bon Dieu a mieux tenu sa parole que moi la mienne ; il m'a montré de nouveau tout ce que j'avais oublié : cependant, pour ma punition, j'en ai laissé échapper la plus grande partie. Elle dit alors ce qui suit, et nous le communiquons, quoiqu'il y ait répétition de choses déjà dites, parce que nous ne pouvons pas exprimer ce qu'elle a voulu dire autrement qu'elle ne l'a fait elle-même. Voici donc ce qu'elle dit : Je vis comme d'habitude les deux saintes femmes dire le Magnificat en se tenant vis-à-vis l'une de l'autre. Au milieu de leur prière, le sacrifice d'Abraham me fut montré. Vint ensuite une série de tableaux figuratifs se rapportant à l'approche du Saint Sacrement. Il me semblait n'avoir jamais aperçu aussi clairement les mystères sacrés de l'ancienne alliance.
Le jour suivant, elle dit : Ainsi que cela m'avait été promis, j'avais vu de nouveau tout ce que j'avais oublié. J'étais toute joyeuse de pouvoir raconter tant de choses merveilleuses sur les patriarches et l'Arche d'alliance ; mai' il y a eu sans doute dans cette joie quelque chose contre l'humilité, car Dieu ne permet pas que je puisse raconter avec ordre et expliquer clairement tout cela.
Le nouveau dérangement dont elle parlait fut amené par un incident particulier, à la suite duquel se produisirent les souffrances commémoratives de la Passion du Sauveur qui se manifestaient souvent chez elle : elle en fut d'autant plus incapable de mettre de l'ordre dans ses communications. Comme pourtant, depuis ses visions sur le Magnificat répété à plusieurs reprises par les saintes femmes, elle raconta par fragments et sans suite plusieurs choses relatives à la bénédiction mystérieuse de l'Ancien Testament et à l'Arche d'alliance, on s'est efforce de faire de tout cela, autant que possible, un certain ensemble qui sera ajouté comme appendice, ou réservé pour me place plus appropriée, afin de ne pas interrompre la vie de la sainte Vierge.
Voici ce qu'elle dit le vendredi 6 juillet : Je vis hier soir Élisabeth et la sainte Vierge se rendre au jardin éloigné de la maison de Zacharie. Elles avaient des fruits et des petits pains dans des corbeilles, et voulaient passer la nuit dans cet endroit. Quand Joseph et Zacharie y vinrent plus tard, je vis la sainte Vierge aller à leur rencontre. Zacharie avait sa petite tablette Mais il faisait trop sombre pour qu'il pût écrire, et je vis Marie, poussée intérieurement par le Saint Esprit, lui dire qu'il parlerait cette nuit, et qu'il pouvait laisser là sa tablette, parce qu'il serait bientôt en état de s'entretenir avec Joseph et de prier avec lui. Très surprise de cela, je secouais la tête et je refusais d'admettre qu'il en fût ainsi ; mais mon ange gardien ou le guide spirituel qui est toujours près de moi, me dit, en me faisant signe de regarder d'un autre côté : " Tu ne veux pas croire cela, regarde donc ce qui se passe par ici ". Je vis alors du côté qu'il m'indiquait un tout autre tableau, d'une époque très postérieure.
Sa fête tombait le 6 juillet, jour où la soeur Emmerich communiquait ceci, et l'écrivain ne le savait pas. Quand il l'apprit en jetant par hasard les yeux sur le calendrier, il trouva là une nouvelle confirmation de cette relation entre toutes ses visions et les fêtes correspondants de l'Eglise qui avait si souvent surpris et singulièrement touché. Le prêtre saint Goar, originaire d'Aquitaine, établit au sixième siècle prés de l'embouchure du Mochenbach dans le Rhin (près de la petite ville actuelle de Saint Goar). Il y vécut en anachorète et convertit à la foi chrétienne beaucoup de paiens auxquelles il avait eu l'occasion de donner l'hospitalité. Il fut mandé devant l'évêque Rusticus de Trèves sur une fausse accusation de mauvaises moeurs, et ce fut alors qu'eut lieu le miracle montré à la soeur Emmerich pour lui prouver la puissance de la loi simple Rusticus accusa saint Goar de sorcellerie, mais un autre miracle qu'il lui demanda comme preuve de son innocence excita chez le prélat une telle confusion, qu'il se jeta aux pieds du saint, avouant sa faute et lui demandant pardon. Saint Goar, de retour dans son ermitage et pressé à plusieurs reprises par Sigebert, roi d'Austrasie, d'accepter le siège épiscopal de Trèves, pria Dieu de le retirer du monde. Il fut exaucé vers la fin du sixième siècle.
Je vis le saint ermite Goar' dans un endroit où on avait coupé du blé. Il parlait à des messagers d'un évêque mal disposé à son égard, et ces hommes aussi ne lui voulaient pas de bien. Quand il les eut accompagnés jusque chez l'évêque, je le vis chercher un crochet pour y suspendre son manteau. Comme il vit alors un rayon de soleil qui pénétrait par une ouverture du mur, dans la simplicité de sa foi, il attacha son manteau à ce rayon, et le manteau resta ainsi suspendu en l'air. Je fus émerveillé de ce miracle produit par la simplicité de la foi, et ne m'étonnai plus d'entendre parler Zacharie, puisque cette grâce lui arrivait par le moyen de la sainte Vierge, dans laquelle Dieu lui-même habitait. Mon guide me parla alors de ce qu'on appelle miracle ; je me souviens qu'il me dit, entre autres choses : " une confiance entière en Dieu, avec la simplicité d'un enfant, donne à tout l'être et la substance ". (Voir Hébr.IX,1) Ces paroles me donnèrent de grandes lumières intérieures sur tous les miracles, mais je ne puis m'expliquer bien clairement sur cela.
Je vis alors les quatre saints personnages passer la nuit dans le Jardin : ils s'assirent et mangèrent un peu, puis je les vis marcher deux à deux, s'entretenir eu priant, et entrer alternativement dans la petite maison pour y prendre du repos. J'appris aussi qu'après le sabbat Joseph retournerait à Nazareth, et que Zacharie l'accompagne. rait à quelque distance ; il faisait clair de lune et le ciel était très pur.
Je vis ensuite, pendant la prière des deux sainte. femmes, une partie du mystère concernant le Magnificat ; je dois tout revoir samedi, veille de l'octave de la Fête, et je pourrai alors en dire quelque chose. Je ne puis maintenant communiquer que ce qui suit : le Magnificat est un cantique d'actions de grâces pour l'accomplissement de la bénédiction mystérieuse de l'ancienne alliance.
Pendant la prière de Marie, je vis successivement tous ses ancêtres. Il y avait, dans la suite des siècles, trois fois quatorze couples d'époux qui se succédaient et dans lesquels le père était toujours le rejeton du mariage précédent ; de chacun de ces couples, je vis sortir un rayon de lumière qui se dirigeait sur Marie pendant qu'elle était en prières. Tout ce tableau grandit devant mes yeux comme un arbre avec des branches de lumière qui allaient toujours s'embellissant, et Je vis enfin à une place marquée de cet arbre lumineux la chair et le sang purs et sans tache de Marie, desquels Dieu devait former son humanité, se montrer dans une lumière de plus en plus vive. Je priai alors, pleine de joie et d'espérance, comme un enfant qui verrait croître devant lui l'arbre de Noël. Tout cela était une image de l'approche de Jésus Christ selon la chair et de son très saint sacrement ; c'était comme si j'avais vu mûrir le froment pour former le pain de vie dont je suis affamée. Cela ne peut s'exprimer. Je ne puis pas trouver de paroles pour dire comment s'est formée la chair dans laquelle le Verbe s'est fait chair ; comment pourrait s'y prendre pour cela une pauvre créature humaine qui est encore dans cette chair dont le Fils de Dieu et de Marie a dit que la chair ne sert de rien et que l'esprit seul vivifie ; lui qui a dit encore que ceux-là seuls qui se nourrissent de sa chair et de son sang auront la vie éternelle, et seront ressuscités par lui au dernier jour. Sa chair et son sang sont seuls la traie nourriture, ceux. là seuls qui prennent cette nourriture demeurent en lui et lui en eux.
Je ne puis exprimer comment j'ai vu, depuis le commencement, l'approche successive de l'incarnation de Dieu, et, avec elle, l'approche du Saint Sacrement de l'autel se manifestant de génération en génération, puis une nouvelle série de patriarches, représentants du Dieu vivant qui réside parmi les hommes comme victime et comme nourriture, jusqu'à son second avènement au dernier jour, dans l'institution du sacerdoce, que l'Homme-Dieu, le nouvel Adam, chargé d'expier la faute du premier, a transmis à ses apôtres, et ceux-ci par l'imposition des mains aux prêtres qui leur ont succédé pour former une semblable succession non interrompue de génération de prêtres en génération de prêtres. Tout cela m'a fait connaître que la récitation de la généalogie de Notre Seigneur devant le Saint Sacrement, à la Fête-Dieu, renferme un grand et profond mystère ; j'ai aussi connu, par là, que de même que, parmi les ancêtres de Jésus-Christ, selon la chair, plusieurs ne furent pas des saints et furent même des pécheurs sans cesser d'être des degrés de l'échelle de Jacob, par lesquels Dieu descendit jusqu'à l'humanité, de même aussi les évêques indignes restent capables de consacrer le Saint Sacrement et de conférer la prêtrise avec tous les pouvoirs qui y sont attachés. Quand on voit ces choses, on comprend bien pourquoi l'Ancien Testament est appelé dans de vieux livres allemands l'ancienne alliance ou l'ancien mariage, de même que le Nouveau Testament y est appelé la nouvelle alliance ou le nouveau mariage. La fleur suprême de l'ancien mariage fut la Vierge des vierges, la Fiancée du Saint Esprit, la très chaste Mère du Sauveur, le Vase spirituel, le Vase honorable, le Vase insigne de dévotion ', dans lequel le Verbe s'est fait chair. Avec ce mystère, commence le nouveau mariage, la nouvelle alliance. Cette alliance est virginale dans le sacerdoce et dans tous ceux qui suivent l'Agneau, et le mariage est en elle un grand sacrement, savoir, en Jésus-Christ et en sa fiancée, qui est l'Eglise. (Voir Eph.,V,32.)
Ces dénominations sont tirées en partie des litanies dans lesquelles la sainte vierge est aussi honorée sous le nom d'Arche d'Alliance.
Mais pour faire connaître, en tant que cela m'est possible, comment me fut expliquée l'approche de l'incarnation du Verbe et en même temps l'approche du Saint Sacrement de l'autel, je ne puis que répéter encore de quelle manière tout m'a été mis devant les yeux dans une série de tableaux symboliques, sans qu'il me soit possible, à cause de l'état où je me trouve, de rendre compte des détails d'une façon intelligible : je ne puis parler qu'en général. Je vis d'abord la bénédiction de la promesse que Dieu donna à nos premiers parents dans le paradis, et un rayon allant de cette bénédiction à la sainte Vierge, qui récitait le Magnificat avec sainte Elisabeth ; je vis ensuite Abraham, qui avait reçu de Dieu cette bénédiction, et un rayon allant de lui à la sainte Vierge ; puis les autres patriarches, qui avaient porté et possédé cette chose sainte, et encore le rayon allant de chacun d'eux à Marie ; la transmission de cette bénédiction jusqu'à Joachim, qui, gratifié de la plus haute bénédiction venant du Saint des saints du temple, put devenir par là le père de la très sainte vierge Marie, conçue sans péché ; enfin, c'est en celle ci que, par l'opération du Saint Esprit, le Verbe s'est fait chair ; c'est en elle, comme dans l'Arche d'alliance du Nouveau Testament, que, caché à tous les yeux, il a habité neuf mois parmi nous, jusqu'à ce qu'étant né de la vierge Marie dans la plénitude des temps, nous avons vu sa gloire, comme la gloire du Fils unique du Père plein de grâce et de vérité.
Voici ce qu'elle raconta, le 7 juillet : J'ai vu, cette nuit, la sainte Vierge dormir dans sa petite chambre, étendue sur le côté et la tête appuyée sur le bras ; elle était enveloppée dans une bande d'étoffe blanche, depuis la tête jusqu'aux pieds Je vis, sous son coeur, briller une gloire lumineuse en forme de poire qu'entourait une petite flamme d'un éclat indescriptible. Je vis briller dans Élisabeth une gloire moins éclatante, mais plus grande et d'une forme circulaire ; la lumière qu'elle répandait était moins vive.
Le samedi 8 juillet, elle dit ce qui suit : Dans la soirée d'hier vendredi, lorsque le sabbat commença, je vis, dans une chambre de la maison de Zacharie que je ne connaissais pas encore, allumer une lampe et célébrer le sabbat : Zacharie, Joseph et six autres hommes, qui étaient probablement des gens de l'endroit, priaient debout sous la lampe autour d'un coffre sur lequel étaient des rouleaux écrits. Ils avaient des linges qui pendaient par-dessus la tête, mais ne faisaient pas, en priant, toutes les contorsions que font les Juifs actuels, quoique souvent ils baissassent la tête et levassent les bras en l'air. Marie, Élisabeth et deux autres femmes se tenaient à part derrière une cloison grillée, d'où elles voyaient dans l'oratoire ; elles étaient toutes enveloppées jusque par-dessus la tête dans des manteaux de prière.
Après le souper du sabbat, je vis la sainte Vierge dans sa petite chambre, avec Elisabeth, récitant le Magnificat ; les mains jointes sur la poitrine et leurs voiles noirs baissés sur la figure, elles se tenaient debout contre la muraille, vis-à-vis l'une de l'autre, priant tour à tour comme des religieuses au choeur. Je récitais le Magnificat avec elles, et, pendant la seconde partie du cantique, je vis, les uns dans l'éloignement, les autres plus près, quelques-uns des ancêtres de Marie, desquels partaient comme des lignes lumineuses se dirigeant sur elle ; je voyais ces lignes ou ces rayons de lumière sortir de la bouche des ancêtres masculins et de dessous le coeur des ancêtres de l'autre sexe, et aboutir à la gloire qui était dans Marie.
Je crois qu'Abraham, lorsqu'il reçut la bénédiction qui préparait l'avènement de la sainte Vierge, habitait prés de l'endroit où elle récita le Magnificat, car je vis le rayon qui partait de lui venir à elle d'un point très voisin, pendant que ceux qui partaient de personnages beaucoup plus rapprochés, quant au temps, paraissaient venir de points bien plus éloignés.
Lorsqu'elles eurent fini le Magnificat, qu'elles disaient tous les jours, matin et soir, depuis la Visitation, Elisabeth se retira, et je vis la sainte Vierge se livrer au repos.
Le dimanche soir, le sabbat étant fini, je les vis manger de nouveau. Ils prirent leur repas ensemble dans le jardin près de la maison. Ils mangèrent des feuilles vertes qu'ils trempaient dans une sauce ; il y avait aussi sur la table des assiettes avec de petits fruits, et d'autres plats, où était, je crois, du miel, qu'ils prenaient avec des espèces de spatules en corne.
Plus tard, au clair de la lune, par une belle nuit étoilée, Joseph se mit en voyage, accompagné de Zacharie. Joseph avait avec lui un petit paquet où étaient des pains et une petite cruche, et un bâton recourbé par en haut. Ils avaient tous deux des manteaux de voyage qui recouvraient la tête. Les deux femmes les accompagnèrent à une petite distance, et s'en revinrent seules par une nuit d'une beauté remarquable.
Marie et Élisabeth rentrèrent à la maison dans la chambre de Marie. Il y avait là une lampe allumée, comme c'était toujours le cas lorsqu'elle priait et allait se coucher. Les deux femmes se tinrent vis-à-vis l'une de l'autre, et récitèrent le Magnificat.
Le mardi il juillet, elle dit ce qui suit : J'ai vu cette nuit Marie et Élisabeth. La seule chose dont je me souvienne est qu'elles passèrent toute la nuit à prier, mais je n'en sais plus la raison. Le jour, je vis Marie s'occuper de différents travaux, par exemple, tresser des couvertures. Je vis Joseph et Zacharie encore en route ; ils passèrent la nuit dans un hangar. Ils avaient fait de grands détours et visité, si je ne me trompe, différentes personnes. Je crois qu'il leur fallait trois jours pour leur voyage. J'ai oublié la plupart des détails.
Le jeudi 13 juillet, elle raconta ce qui suit : Je vis hier Joseph de retour dans sa maison de Nazareth. Il ne me paraît pas avoir été à Jérusalem, mais directement chez lui. La servante d'Anne prend soin de son ménage, et va et vient d'une maison à l'autre ; à cela près, Joseph était seul. Je vis aussi Zacharie de retour dans sa maison. Je vis Marie et Élisabeth, comme toujours, réciter le Magnificat et s'occuper de différents travaux. Vers le soir, elles se promenèrent dans le jardin, où il y avait une fontaine, ce qui n'est pas commun dans le pays. Elles allaient souvent aussi, dans la soirée, quand la chaleur était passée, se promener dans les environs, car la maison de Zacharie était isolée et entourée de champs. Ordinairement elles se couchaient vers neuf heures, et se levaient toujours avant le soleil.
C'est là tout ce que la soeur Emmerich communiqua de ses visions sur la visite de la sainte Vierge à Élisabeth. Il est à remarquer qu'elle raconta cet événement à l'occasion de la fête de la Visitation, au commencement de juillet, tandis que la visite de Marie eut probablement heu en mars, puisque l'incarnation du Christ fut annoncée à la sainte Vierge le 25 février. C'est peu de temps après que la soeur la vit partir pour se rendre chez Elisabeth, en même temps que Joseph allait à la fête de Pâques, qui tombait le il nisan, mois qui correspond à notre mois de mars.
XLIV - Naissance de Jean. Marie revient à Nazareth. Joseph rassuré par un ange.
Le 9 juin 1821, la soeur Emmerich) à l'occasion d'une relique de saint Parménas qui se trouvait près d'elle, raconta différentes choses touchant ce saint, et entre autres ce qui suit : J'ai vu la sainte Vierge, après son retour de Juttah à Nazareth, passer quelques Jours chez les parents du disciple Parménas, qui, à cette époque, n'était pas encore né. Je crois avoir vu cela au moment de l'année où cela s'est passé. J'eus le sentiment qu'il en était ainsi.
D'après cela, la naissance de Jean-Baptiste aurait eu lieu à la fin de mai ou au commencement de juin. Marie resta trois mois chez Élisabeth, jusqu'à la naissance de Jean ; mais elle n'y était plus lors de la circoncision de l'enfant.
La soeur Emmerich ayant été empêchée de raconter la naissance de Jean et sa circoncision, nous donnons ici les paroles de l'Évangile.
" Le temps d'Élisabeth étant accompli, elle mit au monde un fils. Ses voisins et ses parents apprirent que Dieu avait fait éclater sa miséricorde envers elle, et ils accoururent pour s'en réjouir avec elle. Le huitième jour, on vint circoncire l'enfant, et ils lui donnèrent le nom de son père Zacharie ; mais sa mère répondit : Il n'en sera pas ainsi ; son nom sera Jean. On lui représenta que personne n'avait ce nom dans sa parenté, et en même temps on demanda par signe à son père quel nom il voulait lui donner. Et il écrivit sur des tablettes que Jean était son nom ; et tous furent dans l'admiration. Or sa bouche fut ouverte aussitôt et sa langue déliée ; et il parlait, bénissant le Seigneur. Et une grande crainte se répandit parmi tous ceux qui habitaient dans le voisinage, et toutes ces choses se racontaient dans toutes les montagnes de la Judée. Et tous ceux qui en entendirent le récit le mirent dans leur coeur, se disant : Que croyez-vous que doive être cet enfant car la main de Dieu est avec lui. Et son père Zacharie fut rempli de l'Esprit Saint et prophétisa en ces termes : Béni soit le Seigneur Dieu d'Israël, parce qu'il a visité son peuple, et a opéré sa rédemption, et qu'il nous a élevé un puissant Sauveur dans la maison de David, son serviteur, ainsi qu'il avait promis, dès les anciens temps, par la bouche de ses saints prophètes, qu'il nous délivrerait de nos ennemis et de ceux qui nous haïssent, pour exercer sa miséricorde envers nos pères et se souvenir de son alliance sainte, selon qu'il avait juré avec serment à Abraham notre père, afin que, délivrés de la main de nos ennemis, nous le servions sans crainte, dans la sainteté et la justice devant lui, tous les jours de notre vie. Et toi, enfant, tu seras appelé le prophète du Très-Haut ; car tu marcheras devant la face du Seigneur pour lui préparer les voies, afin de donner à son peuple la science du salut pour la rémission de leurs péchés ; par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, par laquelle l'Orient nous a visités d'en haut, pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, pour diriger nos pas dans la voie de la paix. Or, l'enfant croissait et son esprit se fortifiait, et il était dans le désert jusqu'au jour de sa manifestation dans Israel.
La sainte Vierge partit pour Nazareth après la naissance de Jean, et avant sa circoncision. Joseph vint à sa rencontre jusqu'à moitié chemin.
La soeur Emmerich ne dit pas par qui la sainte Vierge fut accompagnée jusque-là ; elle ne désigna pas non plus le lieu où elle se réunit à saint Joseph ; peut-être que ce fut à Dothan, où, en allant chez Élisabeth, ils s'étaient arrêtés chez un ami du père de Joseph. Vraisemblablement, elle fut accompagnée jusque-là par des parents de Zacharie ou par des amis de Nazareth, qui se trouvaient avoir le même voyage à faire. Cette dernière conjecture pourrait se justifier, jusqu'à un certain point, par le récit suivant :
Quand Joseph revint à Nazareth avec la sainte Vierge, il vit, à sa taille, qu'elle était enceinte ; il fut alors assailli par toutes sortes d'inquiétudes et de doutes, car il ne connaissait pas l'ambassade de l'ange près de Marie. Aussitôt après son mariage, il était allé à Bethléhem pour quelques affaires de famille ; Marie, pendant ce temps, s'était rendue à Nazareth avec ses parents et quelques compagnes. La salutation angélique avait eu lieu avant le retour de Joseph de Nazareth. Marie, dans sa timide humilité, avait gardé pour elle le secret de Dieu.
Joseph, plein de trouble et d'inquiétude, n'en faisait rien connaître au dehors, mais luttait en silence contre ses doutes. La sainte Vierge, qui avait prévu cela d'avance, était grave et pensive, ce qui augmentait encore l'anxiété de Joseph.
Quand ils furent arrivés à Nazareth, je vis que la sainte Vierge n'alla pas tout de suite dans sa maison avec saint Joseph, elle demeura deux jours dans une famille alliée à la sienne. C'étaient les parents du disciple Parmenas, qui alors n'était pas né, et qui fut plus tard l'un des sept diacres dans la première communauté des chrétiens à Jérusalem.
Ces gens étaient alliés à la sainte Famille : la mère était soeur du troisième époux de Marie de Cléophas, qui fut le père de Siméon, évêque de Jérusalem. Ils avaient une maison et un jardin à Nazareth. Ils étaient aussi alliés à la sainte Famille du côté d'Elisabeth. Je vis la sainte Vierge rester quelque temps chez eux avant de revenir dans la maison de Joseph ; mais l'inquiétude de celui-ci augmentait à tel point que, lorsque Marie voulut revenir auprès de lui, il forma le projet de la quitter et de s'enfuir secrètement. Pendant qu'il roulait Ce dessein dans son esprit, un ange lui apparut en songe et le consola.
XLV - Préparatifs pour la naissance de Jésus-Christ. Départ de la sainte Famille pour Bethléhem.
(Dimanche, 11 novembre 1821.) Depuis plusieurs jours, je vois la sainte Vierge près de sa mère, sainte Anne, dont la maison est à peu près à une lieue de Nazareth, dans la vallée de Zabulon ; sa servante est restée dans la maison de Nazareth, elle sert saint Joseph quand Marie est chez sa mère. Du reste, tant qu'Anne vécut, ils n'eurent pas de ménage entièrement séparé, mais ils recevaient toujours de celle-ci ce dont ils avaient besoin.
Je vois, depuis quinze jours, la sainte Vierge occupée de préparatifs pour la naissance de Jésus-Christ : elle apprête des couvertures, des bandages et des langes. Son père Joachim ne vit plus. Il y a dans la maison une petite fille d'environ sept ans qui est souvent près de la sainte Vierge, et à laquelle celle-ci donne des leçons : je crois que c'est la fille de Marie de Cléophas ; elle s'appelle aussi Marie. Joseph n'est pas à Nazareth, mais il doit bientôt arriver. Il revient de Jérusalem, où il a conduit des victimes pour le sacrifice.
Je vis la sainte Vierge dans la maison. Elle était dans un état de grossesse fort avancée, et travaillait assise dans une chambre avec plusieurs autres femmes. Elles préparaient des effets et des couvertures pour les couches de Marie. Anne avait des propriétés assez considérables en troupeaux et en pâturages. Elle fournissait abondamment la sainte Vierge de tout ce qui lui était nécessaire suivant son état. Comme elle croyait que Marie ferait ses couches chez elle, et que tous ses parents la visiteraient à cette occasion, elle faisait toute espèce de préparatifs pour la naissance de l'enfant de la promesse. On apprêtait pour cela de belles couvertures ou de beaux tapis.
J'ai vu une couverture de ce genre, lors de la naissance de Jean, dans la maison d'Élisabeth. Il y avait des figures symboliques et des sentences tracées à l'aiguille. Au milieu était une espèce d'enveloppe dans laquelle l'accouchée se plaçait ; puis, quand les diverses parties de la couverture étaient assujetties autour d'elle avec des lacets et des boutons, elle était là comme un petit enfant dans son maillot, et pouvait facilement se mettre sur son séant, entre des coussins, pour recevoir les visites de ses amies, qui s'asseyaient auprès d'elle sur le bord du tapis.
On préparait aussi dans la maison d'Anne des objets de ce genre, outre des bandages et des langes pour l'enfant. Je vis même des fils d'or et d'argent qu'on y faufilait Ça et là. Tous ces effets et ces couvertures n'étaient pas uniquement pour l'usage de l'accouchée ; il y avait beaucoup de chose destinées aux pauvres, auxquels on pensait toujours en de semblables circonstances. Je vis la sainte Vierge et d'autres femmes, assises par terre autour d'un grand coffre, travailler à une grande couverture qui était Dltece sur ce coffre au milieu d'elles. Elles se servaient de petits bâtons où étaient attachés des fils de diverses couleurs. Sainte Anne était très affairée ; elle allait ça et là pour prendre de la laine, la partager et donner leur tâche à ses servantes.
(Lundi, 12 novembre.) Joseph doit revenir aujourd'hui à Nazareth. Il était à Jérusalem, où il avait conduit des animaux pour le sacrifice. Il les avait laissés dans une petite auberge située à un quart de lieue en avant de Jérusalem, du côté de Bethléhem, et tenue par un vieux ménage sans enfants. C'étaient des gens pieux chez lesquels on pouvait loger en toute confiance. Joseph alla de là à Bethléhem, mais il ne visita pas les parents qu'il y avait. Il voulait seulement prendre des informations relativement à un dénombrement ou à une levée d'impôts qui exigeaient que chacun vint dans son lieu de naissance. Il ne se fit pourtant pas encore inscrire, car il avait l'intention, lorsque le temps de la purification de Marie serait accompli, d'aller avec elle de Nazareth au temple de Jérusalem, et de là à Bethléhem, où il voulait s'établir. Je ne sais pas bien quel avantage il y trouvait, mais le séjour de Nazareth ne lui plaisait pas. C'est pour cela qu'il profita de cette occasion pour aller à Bethléhem : il y prit des informations relativement à des pierres et à des bois de charpente, car il avait le projet d'y bâtir une maison. Il revint ensuite à l'auberge voisine de Jérusalem, conduisit les victimes au temple et revint chez lui.
Comme aujourd'hui, vers minuit, il traversait la plaine de Khimki, à six lieues de Nazareth, un ange lui apparut et lui enjoignit de partir avec Marie pour Bethléhem, car c'était là qu'elle devait mettre son enfant au monde. L'ange lui prescrivit aussi ce qu'il devait prendre avec lui ; il devait emporter peu d'effets, et notamment pas de couvertures brodées. Il devait aussi, outre l'âne sur lequel Marie monterait, emmener avec lui une ânesse d'un an qui n'avait pas encore eu de petits. Il devait la laisser courir en liberté et suivre toujours le chemin qu'elle prendrait.
Ce soir, Anne se rend à Nazareth avec la sainte Vierge ; elles savaient que Joseph arriverait. Elles ne paraissaient pourtant pas savoir que Marie irait à Bethléhem ; elles croyaient que Marie mettrait son enfant au monde dans sa maison de Nazareth, car je vis qu'on leur y porta plusieurs des objets qu'on avait préparés, empaquetés dans des nattes. Joseph arriva le soir à Nazareth.
(Mardi, 13 novembre). Je vis aujourd'hui la sainte Vierge avec sa mère dans la maison de Nazareth, où Joseph leur fit connaître ce qui lui avait été dit la nuit précédente. Elles revinrent ensemble dans la maison d'Anne, et je les vis faire des préparatifs pour un prompt départ. Anne en était tout attristée. La sainte Vierge savait d'avance qu'elle devait enfanter son fils à Bethléhem, mais elle n'en avait rien dit par humilité.
Elle le savait par les prophéties sur la naissance du Messie qu'elle conservait à Nazareth. Elle avait reçu ces écrits de ses maîtresses du temple, et ces saintes femmes les lui avaient expliqués ; elle les lisait souvent et priait pour leur accomplissement ; ses ardents désirs invoquaient toujours la venue du Messie ; elle appelait bienheureuse celle qui devait mettre au monde le saint enfant, et désirait seulement pouvoir être la dernière de ses servantes ; elle ne pensait pas, dans son humilité, que cet honneur pût lui être destiné. Comme elle savait par les testes des prophéties que le Sauveur devait naître à Bethléhem, elle se conforma avec d'autant plus de joie a la volonté divine, et se prépara à un voyage très pénible pour elle dans cette saison, car il faisait souvent un froid très vif dans les vallées, entre les chaînes de montagnes.
Je vis ce soir Joseph et la sainte Vierge, accompagnés d'Anne, de Marie de Cléophas, et de quelques serviteurs, partir de la maison d'Anne. Marie était assise sur le bât d'un âne qui portait aussi son bagage. Joseph conduisait l'âne. Il y avait un second âne Sur lequel sainte Anne devait revenir.
XLVI - Voyage de la sainte Famille.
Ce matin, je vis les saints voyageurs arriver à six lieues de Nazareth, dans une plaine appelée Ghinim, où l'ange était apparu à Joseph l'avant-veille. Anne possédait un pâturage en cet endroit, et les serviteurs devaient y prendre l'ânesse d'un an que Joseph voulait emmener avec lui. Elle courait tantôt en avant des voyageurs, tantôt près d'eux. Anne et Marie de Cléophas prirent ici congé des saints voyageurs et s'en retournèrent avec les serviteurs.
Je vis la sainte Famille s'avancer plus loin par un chemin qui montait vers les montagnes de Gelboë. Ils ne passaient pas dans les villes et suivaient la jeune ânesse qui prenait toujours des chemins de traverse. C'est ainsi que je les vis dans une propriété de Lazare, à peu de distance de la ville de Ghinim', du côté de Samarie. L'intendant les reçut amicalement.
Elle dit que cette plaine de Ghinim a plusieurs lieues de long et qu'elle est de forme ovale. Une autre plaine appelée Ghimmi se trouva plus prés de Nazareth, prés d'un endroit placé sur une hauteur où demeuraient des bergers, et où Jésus, avant son baptême, enseigna du 7 au 9 septembre chez des bergers qui avaient des lépreux cachés parmi eux. Il guérit aussi là son hôtesse qui était hydropique et il fut injurié par les pharisiens. De l'autre côté de ce heu, à une plus grande distance, se trouve, au sud-ouest de Nazareth, au delà du torrent de Cison, un séjour de lépreux. Ce sont des cabanes dispersées autour d'un étang formé par un écoulement du Cison. Jésus y opéra des guérisons avant son baptême, le 30 septembre. La plaine de Ghinim, où nous voyons arriver la sainte Famille, est séparée de cette autre plaine de Ghimmi par un torrent. Les noms sont si semblables que je puis les avoir facilement confondus.
Il semble qu'il y a encore un souvenir de ce nom de Ghimea, qui est dans la même position et que les voyageurs appellent Ghinin, ghinin, Ghilin, Ghenin, Jenin, Chenan, Khilin ou Djenin. Ce lieu est au pied des monts de Gelboé, à quatre milles allemande (environ huit lieues) au nord-est de Samarie, suivant d'autres à une demi journée de Sichem, et d'après Boshard, à quatorze lieues du Jourdain.
Il les avait connus lors d'un autre voyage. Leur famille avait des relations avec celle de Lazare. Il y a là de beaux vergers et des allées. La position est si élevée, qu'on a du toit une vue très étendue. Lazare a hérité ce bien de son père. Notre Seigneur Jésus-Christ s'arrêta souvent en cet endroit pendant sa prédication, et enseigna dans les environs. L'intendant et sa femme s'entretinrent très amicalement avec la sainte Vierge, et se montrèrent étonnés qu'elle eût entrepris ce grand voyage dans la position où elle se trouvait, lorsqu'elle eût pu rester commodément établie dans la maison de sa mère.
(Nuit du jeudi l5 au vendredi 16 novembre). Je vis la sainte Famille, à quelques lieues au delà de l'endroit précédemment indiqué, se diriger dans la nuit vers une montagne le long d'une vallée très froide. Il semblait qu'il y eût de la gelée blanche. La sainte Vierge souffrait beaucoup du froid, et elle dit à Joseph : " il faut nous arrêter ; je ne puis pas aller plus loin ". A peine avait-elle dit ces paroles, que la jeune ânesse s'arrêta sous un grand térébinthe très vieux qui se trouvait près de là, et dans le voisinage duquel était une fontaine. Ils firent une balte sous cet arbre. Joseph arrangea avec des couvertures un siège pour la sainte Vierge, qu'il aida à descendre de sa monture et qui s'assit contre l'arbre ; Joseph suspendit à une branche d'arbre une lanterne qu'il portait avec lui. J'ai souvent vu les gens qui voyagent de nuit dans ce pays en faire autant.
La sainte Vierge invoqua Dieu, lui demandant de ne pas permettre que le froid lui fût nuisible. Alors, elle sentit tout à coup une si grande chaleur, qu'elle tendit les mains à saint Joseph pour qu'il y réchauffât les siennes. Ils se réconfortèrent un peu avec des petits pains et des fruits qu'ils avaient avec eux, et burent de l'eau de la fontaine voisine dans laquelle ils mirent du baume que Joseph portait dans un cruchon. Joseph consola et encouragea la sainte Vierge ; il était si bon ! il souffrait tant de ce que ce voyage était si pénible ! il lui parla du bon logis qu'il espérait lui procurer à Bethléhem. Il connaissait une maison appartenant à de très braves gens, où ils seraient commodément à très bon compte. Il lui vanta Bethléhem en général, et lui dit tout ce qui pouvait la consoler. Cela m'inquiétait, car je savais bien que les choses se passeraient tout autrement.
A ce point de leur voyage, ils avaient passé deux petits cours d'eau ; ils avaient traversé l'un d'eux sur un pont élevé, et les deux ânes avaient passé à gué. La jeune ânesse, qui courait en liberté, avait des allures singulières. Quand la route était bien tracée, entre deux montagnes, par exemple, et qu'on pouvait se tromper, tantôt elle courait derrière les voyageurs, tantôt elle allait bien loin en avant. Quand le chemin se partageait, elle reparaissait toujours et prenait la bonne direction ; lorsqu'ils devaient s'arrêter, elle s'arrêtait elle-même, comme lors de leur halte sous le térébinthe. Je ne sais pas s'ils passèrent la nuit sous cet arbre, ou s'ils atteignirent un autre gîte.
Ce térébinthe était un vieil arbre sacré qui avait fait partie du bois de Moreh, près de Sichem. Abraham, venant de la terre de Chanaan, y avait vu apparaître le Seigneur, qui lui avait promis cette terre pour sa postérité. Il avait élevé un autel sous le térébinthe. Jacob, avant d'aller à Béthel pour y offrir un sacrifice au Seigneur, avait enfoui sous ce térébinthe les idoles de Laban et les bijoux que sa famille avait avec elle. Josué y avait érigé le tabernacle où était l'Arche d'alliance, et y ayant rassemblé le peuple, l'avait fait renoncer aux idoles. C'était aussi en ce lieu qu'Abimélech, fils de Gédéon, avait été proclamé roi par les Sichémites.
(Vendredi, 16 novembre.) Aujourd'hui, je vis la sainte Famille arriver à une grande ferme, à deux lieues plus au midi que le térébinthe. La maîtresse de la maison était absente, et le maître refusa de recevoir saint Joseph, lui disant qu'il pouvait bien aller plus loin. Quand ils eurent fait un peu de chemin au delà, ils trouvèrent la jeune ânesse dans une cabane de berger, où ils entrèrent aussi. Quelques bergers, qui étaient occupés à la vider, les accueillirent avec beaucoup de bienveillance. Ils leur donnèrent de la paille et de petits paquets de jonc et de ramée pour faire du feu. Ces bergers allèrent à la maison d'où ils avaient été repoussés, et, quand ils racontèrent à la maîtresse de cette maison combien Joseph paraissait bon et pieux, combien sa femme était belle et avait l'air sainte, elle fit des reproches à son mari pour avoir repoussé de si excellentes gens. Je vis aussi cette femme se rendre aussitôt près de la cabane où s'était arrêtée la sainte Vierge ; mais elle n'osa pas entrer par timidité, et retourna chez elle pour y prendre quelques aliments.
Le lieu où ils se trouvaient était sur le flanc septentrional d'une montagne, à peu près entre Samarie et Thébez. A l'orient de ce lieu, au delà du Jourdain, se trouve Succoth ; Ainon est un peu plus au midi, toujours au delà du fleuve ; Salem est en deçà. Il pouvait y avoir douze lieues de là à Nazareth.
Au bout de quelque temps la femme vint avec deux enfants trouver la sainte Famille, apportant avec elle quelques provisions. Elle s'excusa poliment et se montra touchée de leur position. Quand les voyageurs eurent mangé et pris quelque repos, le mari vint aussi et demanda pardon à saint Joseph de l'avoir repoussé. Il lui conseilla de monter encore une lieue vers le sommet de la montagne, lui disant qu'il pouvait arriver à un bon gîte avant le commencement du sabbat et y rester pendant le jour du repos. Ils se mirent alors en route.
Quand ils eurent fait à peu près une lieue en montant toujours, ils arrivèrent à une hôtellerie d'assez bonne apparence, composée de plusieurs bâtiments entourés de jardins et d'arbres. 1 ; y avait aussi là des arbrisseaux qui donnent le baume, rangés en espaliers. Cependant l'hôtellerie était encore sur le côté septentrional de la montagne.
La sainte Vierge avait mis pied à terre. Joseph conduisait l'âne. Ils s'approchèrent de la maison, et Joseph pria l'hôte de les loger ; mais celui-ci s'excusa, parce que son auberge était pleine. Sa femme vint alors, et comme la sainte Vierge s'adressa à elle et lui demanda avec la plus touchante humilité de leur procurer un logement, cette femme ressentit une profonde émotion, et l'hôte aussi ne put plus résister. Il leur arrangea un abri commode dans une cabane voisine, et mit leur âne à l'écurie. L'ânesse n'était pas là ; elle courait en liberté dans les environs. Elle était toujours loin d'eux quand elle n'avait pas à monter le chemin.
Joseph apprêta sa lampe, sous laquelle il se mit en prières avec la sainte Vierge, observant le sabbat avec une piété touchante. Ils mangèrent quelque chose et se reposèrent sur des nattes étendues par terre.
(Samedi, 17 novembre.) J'ai vu aujourd'hui la sainte Famille rester en ce lieu toute la journée. Marie et Joseph priaient ensemble. Je vis la femme de l'hôte près de la sainte Vierge avec ses trois enfants ; la femme qui les avait accueillis la veille vint aussi la visiter avec ses deux enfants. Elles s'assirent auprès d'elle d'un air très amical, et furent très touchées de la modestie et de la sagesse de Marie. La sainte Vierge s'entretint avec les enfants et leur donna des instructions.
Les enfants avaient de petits rouleaux de parchemin ; Marie les fit lire et leur parla d'une façon si aimable qu'ils ne la quittaient plus des yeux. C'était touchant à voir et encore plus touchant à entendre.
Je vis saint Joseph dans l'après-midi se promener avec l'hôte dans les environs, examiner les jardins et les champs et tenir des discours édifiants. C'est ce que je vois toujours faire aux gens pieux du pays le jour du sabbat. Les saints voyageurs restèrent encore en ce lieu la nuit suivante.
(Le dimanche, 18 novembre.) Les bons hôteliers d'ici avaient pris la sainte Vierge en affection à un degré incroyable, et ils lui témoignèrent une tendre compassion pour son état. Ils la prièrent amicalement de rester chez eux, et d'y attendre le moment de sa délivrance. Ils lui montrèrent une chambre commode qu'ils voulaient lui donner . La femme lui offrit du fond du coeur tous ses soins et toute son amitié.
Mais ils reprirent leur voyage de grand matin, et descendirent par le côté sud-est de la montagne dans une vallée. Ils s'éloignèrent alors davantage de Samarie, où semblait les conduire la direction qu'ils avaient prise jusque-là. Pendant qu'ils descendaient, ils pouvaient voir le temple qui est sur le mont Garizim. On l'aperçoit de très loin. Il y a sur le toit plusieurs figures de lions ou d'autres animaux qui brillent au soleil.
Je les vis faire aujourd'hui environ six lieues ; vers le soir, étant dans une plaine à une lieue au sud-est de Sichem, ils entrèrent dans une assez grande maison de bergers où ils furent bien accueillis. Le maître de la maison était chargé de surveiller des vergers et des champs qui dépendaient d'une ville voisine. La maison n'était pas tout à fait dans la plaine, mais sur une pente. Ici, tout était plus fertile et en meilleure condition que dans le pays parcouru précédemment ; car ici, on était tourné vers le soleil, ce qui, dans la terre promise, fait une différence considérable à ce moment de l'année D'ici jusqu'à Bethléhem il y avait beaucoup de semblables habitations de bergers, dispersées dans les vallées.
Les gens d'ici étaient de ces bergers dont plusieurs serviteurs des trois rois mages, restés en Palestine, épousèrent plus tard les filles. D'une de ces unions provenait un jeune garçon que Notre Seigneur guérit, dans cette même maison, à la prière de la sainte Vierge, le 31 juillet (7 du mois d'Ab), de sa seconde année de prédication, après son colloque avec la Samaritaine. Jésus le prit ainsi que deux autres jeunes gens pour l'accompagner dans le voyage qu'il fit en Arabie, après la mort de Lazare, et il devint plus tard disciple du Sauveur. Jésus s'arrêta souvent ici, et y enseigna Il y avait des enfants dans cette maison. Joseph les bénit avant son départ.
XLVII - Continuation du voyage jusqu'à Bethléhem.
(Le lundi, 19 novembre.) Aujourd'hui je les vis suivre un chemin plus uni. La sainte Vierge allait de temps en temps à pied. Ils trouvaient plus souvent des haltes commodes où ils se réconfortaient. Ils avaient avec eux des petits pains et une boisson à la fois rafraîchissante et fortifiante, dans de petites cruches très élégantes qui avaient deux anses et brillaient comme du bronze. C'était du baume qu'on mêlait avec l'eau. Ils cueillaient aussi des baies et des fruits qui pendaient encore aux arbres et aux buissons dans certains endroits exposés au soleil. Le siège de Marie sur l'âne avait à droite et à gauche des espèces de rebords sur lesquels les pieds s'appuyaient, de sorte qu'ils ne pendaient pas comme chez les gens de la campagne qui vont à cheval dans notre pays. Ses mouvements étaient singulièrement posés et décents. Elle s'asseyait alternativement à droite et à gauche. La première chose que faisait Joseph quand on faisait une halte ou qu'on entrait quelque part était de chercher une place où la sainte Vierge pût s'asseoir et se reposer commodément. Il se lavait souvent les pieds ainsi que Marie ; en général, ils se lavaient souvent.
Il faisait déjà nuit lorsqu'ils arrivèrent à une maison isolée ; Joseph frappa et demanda l'hospitalité. Mais le maître du logis ne voulut pas ouvrir ; et quand Joseph lui représenta la situation de Marie, qui n'était pas en état d'aller plus loin, ajoutant qu'il ne demandait pas à être logé gratuitement, cet homme dur et grossier répondit que sa maison n'était pas une auberge, qu'il voulait qu'on le laissât tranquille et qu'on cessât de frapper, et autres choses semblables. Cet homme intraitable n'ouvrit même pas, mais fit sa grossière réponse à travers la porte fermée. Ils continuèrent donc leur chemin, et au bout de quelque temps ils entrèrent dans un hangar prés duquel ils trouvèrent l'ânesse arrêtée. Joseph se procura de la lumière et prépara une couche pour la sainte Vierge, qui l'y aida. Il fit aussi entrer l'âne, pour lequel il trouva de la litière et du fourrage. Ils prièrent, mangèrent un peu et dormirent quelques heures.
De la dernière auberge jusqu'ici il pouvait y avoir six lieues de chemin. Ils étaient maintenant à environ vingt-six lieues de Nazareth et à dix de Jérusalem. Jusqu'alors ils n'avaient pas suivi la grand-route, mais avaient traversé plusieurs chemins de communication qui allaient du Jourdain à Samarie, et aboutissaient aux grandes routes qui conduisaient de Syrie en Egypte. Les chemins de traverse qu'ils suivaient étaient très étroits ; dans la montagne, ils étaient souvent si resserrés, qu'il fallait beaucoup de précautions pour y avancer sans broncher. Mais les ânes y marchaient d'un pas très assuré. Leur gîte actuel était sur un terrain uni.
(Le mardi, 20 novembre) Ils quittèrent cet endroit avant le jour. Le chemin redevint un peu montant. Je crois qu'ils touchèrent à la route qui conduisait de Gabara à Jérusalem, et qui formait en cet endroit la limite entre la Samarie et la Judée. Ils furent encore une fois grossièrement repoussés d'une maison. Comme ils étaient à plusieurs lieues au nord-est de Béthanie, il arriva que Marie étant très fatiguée éprouva le besoin de prendre quelque chose et de se reposer. Alors Joseph se détourna du chemin pour aller à une demi lieue de là dans un endroit où se trouvait un beau figuier, qui était ordinairement chargé de fruits. Cet arbre était entouré de bancs où l'on pouvait se reposer, et Joseph le connaissait depuis un de ses précédents voyages. Mais, quand ils y arrivèrent, ils n'y trouvèrent pas un seul fruit, ce qui les attrista. Je me souviens confusément que plus tard Jésus rencontra cet arbre, qui était couvert de feuilles vertes, mais qui ne portait plus de fruits. Je crois que le Seigneur le maudit dans un voyage qu'il fit après s'être enfui de Jérusalem, et qu'il se dessécha entièrement '.
La soeur était tellement malade lorsqu'elle raconta ceci, qu'elle ne put pas indiquer bien précisément dans quel lieu était ce figuier, qui n'est pas du reste le figuier maudit de l'Evangile.
Ils s'approchèrent ensuite d'une maison dont le maître commença par traiter grossièrement Joseph, qui lui demandait humblement l'hospitalité. Il regarda la sainte Vierge à la lueur de sa lanterne, et railla Joseph de ce qu'il menait avec lui une femme aussi jeune. Mais la maîtresse de la maison s'approcha ; elle eut pitié de la sainte Vierge, leur offrit amicalement une chambre dans un bâtiment attenant à la maison, et leur porta même quelques petits pains. Le mari se repentit aussi de sa grossièreté, et se montra très serviable envers les saints voyageurs.
Ils allèrent plus tard dans une troisième maison, habitée par un jeune ménage. On les y accueillit, mais sans beaucoup de courtoisie : on ne s'occupa guère d'eux. Ces gens n'étaient pas des bergers aux moeurs simples, mais, comme les riches paysans de ce pays, assez occupés d'affaires, de négoce, etc.
Jésus visita une de ces maisons, après son baptême, le 20 octobre (16 du mois de Tisri). On avait fait un oratoire de la chambre où ses parents avaient passé la nuit. Je ne sais pas bien si ce n'était pas la maison dont le maître avait d'abord raillé saint Joseph. Je me souviens confusément qu'on avait fait cet arrangement après les miracles qui signalèrent la naissance du Sauveur.
Joseph fit des haltes fréquentes à la fin du voyage ; car la sainte Vierge en était de plus en plus fatiguée. Ils suivirent le chemin que leur indiquait la jeune ânesse, et firent un détour d'une journée et demie à l'est de Jérusalem. Le père de Joseph avait possédé des pâturages dans cette contrée, et il la connaissait très bien. s'ils avaient traversé directement le désert qui est au midi derrière Béthanie, ils auraient atteint Bethléhem en six heures ; mais ce chemin était montueux et très incommode dans cette saison. Ils suivirent donc l'ânesse le long des vallées et se rapprochèrent un peu du Jourdain.
(Le mercredi, 21 novembre.) Je vis aujourd'hui les saints voyageurs entrer en plein jour dans une grande maison de bergers, qui pouvait être à trois lieues de l'en. droit où Jean baptisait dans le Jourdain, et à environ sept lieues de Bethléhem. C'est la maison où, trente ans après, Jésus passa la nuit, le il octobre, la veille du jour où, pour la première fois après son baptême, il passa devant Jean-Baptiste. Près de cette maison, se trouvait une grange séparée où étaient déposés les instruments de labourage et ceux dont se servaient les bergers. Il y avait dans la cour une fontaine entourée de bains, qui recevaient par des conduits l'eau de cette fontaine. Le maître de la maison devait avoir des propriétés étendues ; il y avait là une exploitation considérable. Je vis aller et venir plusieurs valets qui prirent là leur repas.
Le maître de la maison accueillit les voyageurs très amicalement et se montra fort serviable. On les conduisit dans une chambre commode, et on prit soin de leur âne. Un domestique lava les pieds de Joseph à la fontaine et lui donna d'autres habits, pendant qu'on nettoyait les siens qui étaient couverts de poussière ; une servante rendit les mêmes offices à la sainte Vierge. Ils prirent leur repas dans cette maison et y dormirent.
La maîtresse de la maison était d'un caractère assez bizarre, et elle resta renfermée dans sa chambre. Elle avait regardé les voyageurs à la dérobée ; et comme elle était jeune et vaine, la beauté de la sainte Vierge lui avait déplu ; elle craignait, en outre, que Marie ne s'adressât à elle, ne voulut rester dans sa maison et y faire ses couches ; aussi eut-elle l'impolitesse de ne pas se montrer et prit-elle ses mesures pour que les voyageurs partissent le jour suivant. C'est la femme que Jésus, trente ans après, le il octobre, trouva dans cette maison, aveugle et courbée en deux, et qu'il guérit, après lui avoir donné quelques avis sur son inhospitalité et sa vanité. Il y avait aussi des enfants dans la maison. La sainte Famille y passa la nuit.
(Le jeudi, 22 novembre.) Aujourd'hui, vers midi, je vis la sainte Famille quitter le lieu où elle avait logé la veille.
Quelques habitants de la maison l'accompagnèrent jusqu'à une certaine distance. Après un court voyage d'environ deux lieues, elle arriva sur le soir à un lieu que traversait une grande route, bordée de chaque coté d'une longue rangée de maisons avec des cours et jardins. Joseph avait des parents qui demeuraient là. Il me semble que c'étaient les enfants du second mariage d'un beau-père ou d'une belle-mère. Leur maison avait beaucoup d'apparence. Ils traversèrent pourtant cet endroit d'un bout à l'autre ; puis, à une demi lieue de là, ils tournèrent à droite dans la direction de Jérusalem, et arrivèrent à une grande auberge, dans la cour de laquelle se trouvait une fontaine avec plusieurs conduits. Il y avait là beaucoup de gens rassemblés : on y faisait des funérailles.
L'intérieur de la maison, au centre de laquelle se trouvait le foyer avec un conduit pour la fumée, avait été transformé en une grande pièce par la suppression de cloisons mobiles qui formaient ordinairement plusieurs chambres séparées ; derrière le foyer étaient suspendues des tentures noires, et en face se trouvait quelque chose qui ressemblait à une bière recouverte en noir. Il y avait là plusieurs hommes qui priaient ; ils portaient de longues robes noires, et par-dessus des robes blanches plus courtes ; quelques-uns avaient une espèce de manipule noir à franges suspendu au bras. Dans une autre chambre se trouvaient les femmes, entièrement enveloppées dans leurs vêtements ; elles étaient assises sur des coffres très bas et pleuraient. Les maîtres de la maison, tout occupés de la cérémonie funèbre, se contentèrent de faire signe aux voyageurs d'entrer ; mais les domestiques les accueillirent très bien et prirent soin d'eux. On leur prépara un logement à part formé avec des nattes suspendues, ce qui le faisait ressembler à une tente. Je vis plus tard les hôtes visiter la sainte Famille et s'entretenir amicalement avec elle. Ils n'avaient plus leurs vêtements blancs de dessus. Joseph et Marie, après avoir pris un peu de nourriture, prièrent ensemble et se reposèrent.
(Le vendredi, 23 novembre.) Aujourd'hui, vers midi, Joseph et Marie se mirent en route pour Bethléhem, dont ils étaient encore éloignés d'environ trois lieues. La maîtresse de la maison les engagea à rester, parce qu'il lui semblait que Marie pouvait accoucher d'un moment à l'autre. Marie répondit, après avoir baissé son voile, qu'elle avait encore trente-six heures à attendre. Je ne sais pas bien si elle ne dit pas trente-huit. Cette femme les aurait gardés volontiers, non pas pourtant dans sa maison, mais dans un autre bâtiment. Je vis, au moment du départ, Joseph parler de ses ânes avec l'hôte ; il fit l'éloge de ces animaux, et dit qu'il avait pris l'ânesse avec lui pour la mettre en gage en cas de nécessité. Comme les hôtes parlaient de la difficulté de trouver un logement à Bethléhem, Joseph dit qu'il y avait des amis et qu'il y serait certainement bien accueilli. J'étais toujours peinée de l'entendre parler avec tant d'assurance du bon accueil qu'il attendait. Il en parla encore à Marie pendant la route. On voit par là que même d'aussi sainte personnages peuvent se tromper.
XLVIII - Bethléhem.-Arrivée de le sainte Famille.
(Le vendredi, 23 novembre.) Le chemin, depuis le dernier gîte jusqu'à Bethléhem, pouvait être d'à peu près trois lieues. Ils firent un détour au nord de Bethléhem, et s'approchèrent de la ville par le côté du couchant. Ils firent une halte sous un arbre, en dehors de la route. Marie descendit de l'âne et mit ses vêtements en ordre Alors Joseph se dirigea avec elle vers un grand édifice ; entouré d'autres bâtiments plus petits et de cours ; il était à quelques minutes en avant de Bethléhem ; il y avait aussi là des arbres, et beaucoup de gens avaient dressé des tentes alentour. C'était l'ancienne maison de la famille de David, qu'avait possédée le père de Joseph. De parents ou des connaissances de Joseph y habitaient encore, mais ils le traitèrent en étranger et ne voulurent pas le reconnaître. C'était maintenant la maison où l'on recevait les impôts pour le gouvernement romain.
Joseph, accompagné de la sainte Vierge et tenant l'âne par la bride, se rendit à cette maison ; car tous ceux qui arrivaient devaient s'y faire connaître et y recevaient un billet sans lequel or. ne laissait pas entrer à Bethléhem.
La soeur dit ensuite, mettant quelques intervalles entre ses paroles : La jeune ânesse n'est pas avec eux ; elle court autour de la ville, vers le midi ; il y a là un petit vallon. Joseph est entré dans le grand bâtiment ; Marie est dans une petite maison sur la cour, avec des femmes. Elles sont assez bienveillantes pour elle et lui donnent à manger... Ces femmes font la cuisine pour les soldats... Ce sont des soldats romains ; ils ont des courroies qui pendent autour des reins... Il fait ici un temps agréable et pas du tout froid ; le soleil se montre au-dessus de la montagne qui est entre Jérusalem et Béthanie. On a d'ici une très belle vue... Joseph est dans une grande pièce qui n'est pas au rez-de-chaussée ; on lui demande qui il est, et on consulte de grands rouleaux, dont plusieurs sont suspendus aux murs ; on les déploie, et on lit sa généalogie et aussi celle de Marie. Il ne paraissait pas savoir qu'elle aussi, par Joachim, descend en droite ligne de David... L'homme lui demande où est sa femme.
Il y a sept ans qu'on n'a taxé régulièrement les gens de ce pays ; il y a eu du désordre et de la confusion. Cet impôt est en vigueur depuis deux mois ; ou le payait de temps en temps pendant les sept années précédentes, mais pas régulièrement. Il faut maintenant payer deux fois. Joseph est arrivé un peu tard pour payer l'impôt ; mais on l'a traité très poliment. Il n'a pas encore payé. On lui a demandé quels étaient ses moyens d'existence, et il a répondu qu'il n'avait pas de biens-fonds, qu'il vivait de son métier et qu'il était en outre aidé par sa belle mère.
Il y a une grande quantité d'écrivains et d'employés importants dans la maison. Dans le haut sont des Romains et plusieurs soldats ; il y a des pharisiens, des saducéens, des prêtres, des anciens, un certain nombre de scribes et de fonctionnaires, tant Juifs que Romains. II n'y a pas de comité de ce genre à Jérusalem, mais il s'en trouve en plusieurs autres endroits du pays : par exemple, à Magdalum, près du lac de Génésareth, où des gens de la Galilée viennent payer, ainsi que des gens de Sidon, à cause de certaines affaires de commerce, à ce que je suppose : il n'y a que ceux qui n'ont pas de biens-fonds d'après lesquels on puisse les taxer, qui soient obligés de se rendre au heu de leur naissance.
Le produit de l'impôt, d'ici à trois mois, sera divisé en trois parties dont chacune aura une destination différente. La première est au profit de l'empereur Auguste, d'Hérode et d'un autre prince qui habite dans le voisinage de l'Egypte. Il a pris part à une guerre et il possède des droits sur une portion du pays, ce qui fait qu'on doit lui payer quelque chose. La seconde part est pour la construction du temple : il semble qu'elle doive servir à éteindre une dette. La troisième part doit être pour les veuves et les pauvres qui n'ont rien reçu depuis longtemps ; mais, comme il arrive souvent de nos jours, cet argent ne va guère à qui de droit. On donne de beaux prétextes pour lever ces impôts et presque tout reste dans les mains des gens puissants.
Quand ce qui concernait Joseph fut réglé, on fit venir aussi la sainte Vierge devant les scribes, mais ils ne lui lurent pas leurs papiers. Ils dirent à Joseph qu'il n'aurait pas été nécessaire qu'il amenât sa femme avec lui, et ils eurent l'air de le plaisanter à cause de la jeunesse de Marie, ce qui le rendit un peu confus.
XLIX - Joseph cherche inutilement un logement. Ils vont à la grotte de la crèche.
Ils entrèrent alors à Bethléem dont les maisons étaient séparées les unes des autres par d'assez longs intervalles. On entrait à travers des décombres et comme par une porte détruite. Marie se tint tranquillement près de l'âne au commencement de la rue, et Joseph chercha vainement un logement dans les premières maisons, car il y avait beaucoup d'étrangers à Bethléhem, et on voyait beaucoup de gens courant ça et là. Il revint vers Marie, et lui dit qu'on ne pouvait pas trouver à se loger là, et au il fallait aller plus avant dans la ville. Il conduisit l'âne par la bride, pendant que la sainte Vierge marchait à côté de lui. Quand ils furent à l'entrée d'une autre rue, Marie resta de nouveau près de l'âne, pendant que Joseph allait de maison en maison sans pouvoir en trouver une où l'on voulût le recevoir. Il revint bientôt tout attristé. Cela se répéta plusieurs fois, et souvent la sainte Vierge eut bien longtemps à attendre. Partout la place était prise, partout on le rebuta, et il finit par dire à Marie qu'il fallait aller dans une autre partie de Bethléhem, où ils trouveraient sans doute ce qu'ils cherchaient. Ils revinrent alors sur leurs pas, dans la direction contraire à celle qu'ils avaient prise en venant, puis ils tournèrent au midi. Ils suivirent une rue qui ressemblait plutôt à un chemin dans la campagne, car les maisons étaient isolées et placées sur de petites élévations. La aussi. toutes les tentatives furent vaines.
Arrivés de l'autre côté de Bethléhem, où les maisons étaient encore plus dispersées, ils y trouvèrent un grand espace vide situé dans un fond : c'était comme un champ désert dans la ville. Il y avait là une espèce de hangar, à peu de distance un grand arbre assez semblable à un tilleul, dont le tronc était lisse, et dont les branches s'étendaient au loin et formaient comme un toit autour de lui. Joseph conduisit la sainte Vierge à cet arbre ; il lui arrangea avec des paquets un siège commode au pied du tronc ; afin qu'elle pût se reposer pendant qu'il chercher : il fit encore un logement dans les maisons d'alentour. l'âne resta la tête tournée vers l'arbre. Marie se tint d'abord debout, appuyée contre le tronc. Sa robe de laine blanche n'avait pas de ceinture et tombait en plis autour d'elle, sa tête était couverte d'un voile blanc. Plu sieurs personnes passèrent et la regardèrent, ne sachant pas que leur Sauveur fût si près d'elles. Combien elle était patiente, humble et résignée ! Il lui fallut attendre bien longtemps, et elle s'assit enfin sur les couvertures, les mains jointes sur la poitrine et la tête baissée. Joseph revint tout triste vers elle ; il n'avait pas pu trouver de logement. Les amis dont il avait parlé à la sainte Vierge voulaient à peine le reconnaître. Il pleurait et Marie le consolait. Il alla encore de maison en maison, mais comme. pour faire mieux accueillir ses prières, il parlait de la prochaine délivrance de sa femme, il s'attirait par là des refus plus formels.
Le lieu était solitaire ; mais à la fin quelques passants s'étaient arrêtés et regardaient de loin avec curiosité, comme on fait ordinairement quand on voit quelqu'un rester longtemps à la même place à la chute du jour. Je crois que quelques-uns adressèrent la parole à Marie et lui demandèrent qui elle était. Enfin Joseph revint : il était tellement troublé qu'il osait à peine s'approcher d'elle. Il lui dit que tout était inutile, mais qu'il connaissait en avant de la ville un endroit où les bergers s'établissaient souvent quand ils venaient à Bethléhem avec leurs troupeaux, et qu'ils trouveraient là au moins un abri. Il connaissait ce lieu depuis sa jeunesse : quant ses frères le tourmentaient, il s'y retirait souvent pour y prier à l'abri de leurs persécutions. Il disait que si les bergers y venaient, il s'arrangerait aisément avec eux, et que du reste ils s'y tenaient rarement à cette époque de l'année. Quand elle y serait tranquillement établie, ajoutait-il, il ferait de nouvelles recherches
Ils sortirent alors par le côté oriental de Bethléhem, suivant un sentier désert qui tournait à gauche. C'était un chemin semblable à celui que l'on suivrait en marchant le long des- murs écroulés, des fossés et des fortifications en ruine d'une petite ville. Le chemin montait d'abord un peu, puis il descendait la pente d'un monticule, et il les conduisit, à quelques minutes à l'est de Bethléhem, devant le lieu qu'ils cherchaient, près d'une colline ou d'un vieux rempart en avant duquel se trouvaient quelques arbres. C'étaient des arbres verts (des térébinthes ou des cèdres), et d'autres arbres qui avaient des petites feuilles comme celles du buis.
Nous voulons maintenant, autant que possible, décrire les alentours de la colline et la disposition intérieure de la grotte de la Crèche, d'après les indications données à plusieurs reprises par la soeur Emmerich, afin de n'avoir pas à interrompre plus tard la narration.
L. - Description de la grotte de la Crèche et de ses alentours.
A l'extrémité méridionale de la colline autour de laquelle tournait le chemin qui conduisait dans la vallée des bergers, se trouvait, indépendamment de plusieurs autres grottes ou caves creusées dans le roc, la grotte où Joseph chercha un abri pour la sainte Vierge. L'entrée, tournée au couchant, conduisait par un passage étroit à une espèce de chambre, arrondie d'un côté, triangulaire de l'autre, située dans la partie orientale de la colline. La grotte était creusée dans le roc par la nature ; seulement du côté du midi où passait le chemin qui conduisait à la vallée des bergers, on avait fait quelques réparations au moyen d'une maçonnerie grossière.
De ce côte ; qui regardait le midi, il y avait une autre entrée. Mais elle était ordinairement bouchée, et Joseph la rouvrit pour son usage. En sortant par là, on trouvait à main gauche une ouverture plus large qui conduisait à un caveau étroit, incommode, placé à une plus grande profondeur et allant jusque sous la grotte de la Crèche. L'entrée ordinaire de la grotte de la Crèche regardait le couchant. On pouvait voir de là les toits de quelques maisons de Bethléhem. Si en sortant par là on tournait à droite, on arrivait à l'entrée d'une grotte plus profonde et plus obscure, dans laquelle la sainte Vierge se cacha une fois.
Il y avait devant l'entrée du couchant un toit de jonc, appuyé sur des pieux, qui se prolongeait aussi au midi jusqu'au-dessus de l'entrée qui était de ce côté, en sorte qu'on pouvait être à l'ombre devant la grotte. A sa partie méridionale, la grotte avait dans le haut trois jours grillés par où venaient l'air et la lumière ; une ouverture semblable se trouvait dans la voûte du rocher. Elle était recouverte de gazon et formait l'extrémité de la hauteur sur laquelle Bethléhem était située.
L'intérieur de la grotte, suivant les descriptions données par la soeur à plusieurs reprises, était à peu près disposé comme il suit : du côté du couchant, on entrait par une porte de branches entrelacées dans un corridor de moyenne largeur, aboutissant à une chambre de forme irrégulière, moitié ronde, moitié triangulaire, laquelle s'étendait surtout du côté du midi, en sorte que le plan de la grotte entière pouvait être comparé à une tête reposant sur son cou.
Quand on passait, du corridor qui était moins élevé, dans là grotte creusée par la nature, on descendait sur un sol plus bas ; cependant le sol se relevait tout autour de la grotte, qui était entourée comme d'un banc de pierre de largeur variable. Les parois de la grotte, sans être tout à fait polies, étaient cependant assez unies et assez propres et avaient pour moi quelque chose d'agréable à voir. Au nord du corridor se trouvait l'entrée d'une grotte latérale plus petite. En passant devant cette entrée on arrivait à l'endroit où Joseph allumait le feu ; puis la paroi tournait au nord-est dans l'autre grotte plus spacieuse et plus élevée. Ce fut là que plus tard fut mis l'âne de Joseph. Derrière cette place était un recoin assez grand pour recevoir l'âne et où il y avait du fourrage.
C'était dans la partie orientale de cette grotte, en face de l'entrée, que se trouvait la sainte Vierge lorsque la lumière du monde sortit d'elle. Dans la partie qui s'étendait au midi se trouvait la crèche où l'on adora l'Enfant Jésus. La crèche n'était autre chose qu'une auge creusée dans la pierre qui servait pour faire boire les bestiaux. Au-dessus était une mangeoire évasée, formée d'un treillis en bois et élevée sur quatre pieds, de façon que les animaux pouvaient prendre commodément l'herbe ou le foin qu'on y avait placés, et n'avaient qu'à baisser la tête pour boire dans l'auge de pierre qui était au-dessous.
C'était en face de la crèche, au levant de cette partie de la grotte, qu'était assise 'a sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus quand les trois rois mages offrirent leurs présents Si en partant de la crèche on tournait à l'ouest dans le corridor qui précédait la grotte, on passait devant l'entrée méridionale déjà mentionnée, et on arrivait à un endroit dont saint Joseph fit plus tard sa chambre en le séparant du reste avec des cloisons en clayonnage. Il y avait de ce côté un enfoncement où il déposait toute sorte de choses.
En dehors de la partie méridionale de la grotte passait le chemin qui menait à la vallée des bergers. Il y avait ça et là sur des collines de petites maisons, et dans la plaine quelques hangars avec des toits de roseaux portés sur des pieux. Au-devant de la grotte, la colline s'abaissait dans une vallée sans issue, fermée au nord et large d'environ un demi quart de lieue.
Il y avait la des buissons, des arbres et des jardins En traversant une belle prairie où coulait une source, et en passant sous des arbres rangs régulièrement, on arrivait au côté oriental de cette vallée, ou se trouvait, dans une colline faisant saillie, la grotte du tombeau de Maraha, nourrice d'Abraham. Cette grotte est appelée aussi grotte au Lait ; la sainte Vierge y séjourna avec l'Enfant-Jésus en diverses occasions. Au-dessous était un grand arbre dans lequel on avait pratiqué des sièges. On voyait mieux Bethléhem de cet endroit que de l'entrée de la grotte de la Crèche.
J'ai appris beaucoup de choses qui se sont passées anciennement dans la grotte de la Crèche. Je me souviens seulement que Seth, l'enfant de la promesse, y fut conçu et mis au monde par Eve, après une pénitence de sept ans.
C'est là qu'un ange lui dit que Dieu lui avait donné ce rejeton à la place d'Abel. Seth fut caché et nourri dans cette grotte et dans cette de Maraha, car ses frères en voulaient à sa vie, comme les enfants de Jacob à celle de Joseph. A une époque très reculée où les hommes habitaient dans des grottes, je les ai vus souvent faire des excavations dans la pierre pour qu'eux et leurs enfants pussent y dormir commodément sur des peaux de bêtes ou sur des lits de gazon. L'excavation pratiquée dans le rocher, sous la crèche, peut donc avoir servi de couche à Seth ou à des habitants postérieurs de la grotte. Je n'en ai pourtant pas la certitude.
Je me souviens aussi d'avoir vu, dans mes contemplations sur les années de la prédication de Jésus, que, le 6 octobre, le Seigneur, après son baptême, célébra le sabbat dans la grotte de la Crèche, dont les bergers avaient fait un oratoire.
LI - La grotte du tombeau de Maraha, nourrice d'Abraham.
Abraham avait une nourrice, appelée Maraha, qu'il honorait particulièrement et qui atteignit un âge très avancé ; elle le suivait partout dans ses voyages, montée sur un chameau. Elle vécut longtemps près de lui à Succoth. Plus tard dans ses derniers jours, elle le suivit aussi dans la vallée des bergers, où il avait dressé ses tentes dans les environs de cette grotte. Ayant dépassé sa centième année. et voyant sa dernière heure approcher, elle demanda à Abraham d'être enterrée dans cette grotte, sur laquelle elle fit des prédictions et à laquelle elle donna le nom de grotte du Lait ou grotte de la Nourrice.
Il arriva là quelque chose de miraculeux que j'ai oublié, et une source sortit de terre. La grotte était alors un corridor étroit et élevé, creusé dans une matière blanche qui n'était pas très dure. D'un côté était une couche de cette matière qui ne montait pas jusqu'à la voûte.En montant par dessus cette couche, on pouvait arriver à l'entrée d'autres grottes placées plus haut.
La grotte fut agrandie plus tard, parce qu'Abraham y pratiqua dans la partie latérale une excavation pour le tombeau de Maraha. Sur un gros bloc de pierre reposait comme une auge également en pierre supportée par des pieux courts et épais. Je fus étonnée de ne plus rien y voir au temps de Jésus.
Cette grotte du tombeau de la nourrice avait un rapport prophétique avec la mère du Sauveur nourrissant son fils pendant la persécution : car, dans l'histoire de la jeunesse d'Abraham, il se trouva aussi une persécution figurative, et sa nourrice lui sauva la vie en le cachant dans une grotte.
Il est à remarquer que Pline, I. v, c. 18, dit que Schytopolis (non qu'on donne aussi à Succoth) s'appelait anciennement Nysa, parce que Bacchus y avait enterré sa nourrice nommée Nysa.
Je me souviens en gros de ce qui suit : Le roi qui régnait dans la patrie d'Abraham eut un songe où on lui fit une prédiction sur un enfant qui allait naître et qui devait être dangereux pour lui. Il prit des mesures en conséquence. La grossesse de la mère d'Abraham fut tenue secrète, et elle se cacha dans une grotte pour le mettre au monde. Maraha, sa nourrice, l'allaita en secret. Elle vécut comme une pauvre esclave, travaillant dans me solitude près d'une grotte dans laquelle elle nourrissait l'enfant. Ses parents le reprirent plus tard près d'eux ; et, comme il était beaucoup plus grand que son âge ne le comportait, on le fit passer pour un enfant né antérieurement à la prédiction faite au roi. Étant encore enfant, il courut pourtant des dangers à cause de certaines manifestations merveilleuses, et la nourrice le cacha de nouveau. Je la vis l'emporter secrètement sous son large manteau. On fit mourir alors plusieurs enfants de sa taille.
Cette grotte, depuis l'époque d'Abraham, était un lieu de dévotion, surtout pour les mères et les nourrices, et il y avait là quelque chose de prophétique ; car on vénérait dans la nourrice d'Abraham la figure de la sainte Vierge, de même qu'Elie l'avait vue dans la nuée qui apportait la pluie, et lui avait érigé un oratoire sur le Carmel. Maraha avait coopéré, en quelque sorte, à l'avènement du Messie, puisqu'elle avait nourri de son lait l'aïeul de la sainte Vierge. Je ne puis pas bien m'exprimer, mais c'était comme un puits profond allant jusqu'à la source de la vie universelle, et on y puisa toujours jusqu'à ce que Marie y montât comme une eau limpide. Ainsi s'exprima la soeur dans un sommeil extatique.
L'arbre qui était au-dessus de cette grotte étendait au loin son ombre comme un immense tilleul ; il était large par en bas et se terminait en pointe. C'était un térébinthe. Abraham se trouva avec Melchisédech sous cet arbre ; je ne sais pas bien à quelle occasion. Ce vieil arbre avait quelque chose de sacré pour les bergers et les gens d'alentour. On aimait à se reposer sous son ombre et à y prier. Je ne sais plus bien l'histoire de cet arbre, peut-être que c'était Abraham qui l'avait planté. Il y avait à côté une fontaine où les bergers allaient prendre de l'eau à certains moments ; ils lui attribuaient des vertus particulières. Des deux côtés de l'arbre se trouvaient des cabanes ouvertes où l'on pouvait dormir. Tout cela était entouré d'une haie. Sainte Hélène bâtit là une église ; on y a aussi dit la messe.
LII - La sainte Famille entre dans la Grotte de la Crèche.
(Le vendredi, 23 novembre.) il était déjà tard quand ils arrivèrent devant l'entrée de la grotte. La jeune ânesse. qui, depuis qu'ils étaient entrés dans la maison paternelle de Joseph, avait couru de côté et d'autre autour de la ville, vint alors à leur rencontre et se mit à sauter joyeusement auprès d'eux. Alors la sainte Vierge dit à Joseph : " voyez, c'est certainement la volonté de Dieu que nous entrions ici ". Joseph mit l'âne sous l'espèce de toit qui était en avant de l'entrée de la grotte ; il prépara un siège pour la sainte Vierge, et elle s'y assit pendant qu'il se procurait de la lumière et entrait dans la grotte. L'entrée était un peu obstruée par des bottes de paille et des nattes posées contre les parois. Il y avait aussi dans la grotte même divers objets qui l'encombraient, Joseph la débarrassa de manière à préparer à la sainte Vierge une place commode du côté oriental de la grotte. Il attacha une lampe allumée à la paroi, et fit entrer Marie, qui se plaça sur le lit de repos qu'il lui avait préparé avec des couvertures et quelques paquets. Il s'excusa humblement de n'avoir pu lui procurer qu'un si mauvais gîte ; mais Marie, intérieurement, était contente et joyeuse.
Quand elle se fut installée, Joseph sortit avec une outre de cuir qu'il portait avec lui, et alla derrière la colline, dans la prairie où coulait un petit ruisseau ; il remplit l'outre d'eau et la rapporta dans la grotte. Il alla ensuite dans la ville, où il se procura de petits plats et du charbon. Le sabbat était proche, et, à cause des nombreux étrangers auxquels manquaient les choses les plus indispensables, on avait dressé au coin des rues des tables sur lesquelles étaient les aliments dont ils pouvaient avoir besoin. Je crois qu'il y avait là des gens qui n'étaient pas Juifs.
Joseph revint, portant des charbons allumés dans une espèce de botte grillée, il les plaça à l'entrée de la grotte, et alluma du feu avec un petit fagot de morceaux de bois sec ; il apprêta ensuite un repas, qui se composait de petits pains et de quelques fruits cuits. Quand ils eurent mangé et prié, Joseph prépara une couche pour la sainte Vierge. Il étendit sur une litière de jonc une couverture semblable à celles que j'avais vues dans la maison de sainte Anne, et plaça une autre couverture roulée pour appuyer la tête. Après avoir fait entrer l'âne et l'avoir attaché dans un endroit où il ne pouvait pas gêner, il boucha les ouvertures de la voûte par où l'air venait, et disposa la place où lui-même devait reposer dans l'entrée de la grotte.
Quand le sabbat commença, il se tint avec la sainte Vierge sous la lampe, et récita avec elle les prières dur sabbat ; il quitta ensuite la grotte et s'en alla à la ville. Marie s'enveloppa pour se livrer au repos. Pendant l'absence de Joseph, je vis la sainte Vierge prier à genoux. Elle s'agenouilla sur sa couche ; puis elle s'étendit sur la couverture, couchée sur le côté. Sa tête reposait sur son bras, qui était posé sur l'oreiller. Joseph revint tard. Il pria encore, et se plaça humblement sur sa couche à l'entrée de la grotte.
(Le samedi, 24 novembre.) Ce jour-là la soeur était très malade et ne put dire que peu de choses ; elle communiqua pourtant ce qui suit :
La sainte Vierge passa le sabbat dans la grotte de la Crèche, priant et méditant avec une grande ferveur. Joseph sortit plusieurs fois ; il alla probablement à la synagogue de Bethléhem. Je les vis manger des aliments prépares les jours précédents et prier ensemble. Dans l'après-midi, temps où les Juifs font ordinairement leur promenade le jour du sabbat, Joseph conduisit la sainte Vierge à la grotte du tombeau de Maraha, nourrice d'Abraham. Elle resta quelque temps dans cette grotte, qui était plus spacieuse que celle de la crèche, et où Joseph lui arrangea un siège ; elle se tint aussi sous l'arbre qui était auprès, toujours priant et méditant jusqu'après la clôture du sabbat. Joseph alors la ramena. Marie avait dit à son époux que la naissance de l'enfant aurait lieu ce jour même, à minuit ; car c'était à cette heure que se terminaient les neuf mois écoulés depuis que l'ange du Seigneur l'avait saluée. Elle l'avait prié de faire en sorte qu'ils pussent honorer de leur mieux, à son entrée dans le monde, l'enfant promis par Dieu et conçu surnaturellement. Elle lui demanda aussi de prier avec elle pour les gens au coeur dur qui n'avaient pas voulu lui donner l'hospitalité. Joseph offrit à la sainte Vierge de faire venir pour l'assister deux pieuses femmes de Bethléhem qu'il connaissait. Elle ne le voulut pas, et lui dit qu'elle n'avait besoin du secours de personne.
Joseph alla à Bethléhem avant la fin du` sabbat, et aussitôt que le soleil fut couché, il acheta quelques objets nécessaires, une écuelle, une petite table basse, des fruits et des raisins secs, qu'il rapporta à la grotte de la Crèche ; il alla de là à la grotte de Maraha, et ramena la sainte Vierge à celle de la crèche, où elle s'assit sur la couverture. Joseph prépara encore des aliments. Ils mangèrent et prièrent ensemble. Il établit alors une séparation entre la place qu'il avait choisie pour y dormir et le reste de la grotte, à l'aide de quelques perches auxquelles il suspendit des nattes qu'il avait trouvées là ; il donna à manger à l'âne qui était à gauche de l'entrée, attaché à la paroi de la grotte ; il remplit ensuite la mangeoire de la crèche de roseaux et d'herbe ou de mousse, et il étendit par-dessus une couverture.
Comme alors la sainte Vierge lui dit que son terme approchait et l'engagea à se mettre en prières dans sa chambre, il suspendit à la voûte plusieurs lampes allumées, et sortit de la grotte parce qu'il avait entendu du bruit devant l'entrée. Il trouva là la jeune ânesse qui, jusqu'alors, avait erré en liberté dans la vallée des bergers ; elle paraissait toute joyeuse, et jouait et bondissait autour de lui Il l'attacha sous l'auvent qui était devant la grotte et lui donna du fourrage.
Quand il revint dans la grotte, et qu'avant d'entrer dans son réduit, il jeta les yeux sur la sainte Vierge, il la vit qui priait à genoux sur sa couche ; elle lui tournait le des et regardait du côté de l'orient. Elle lui parut comme entourée de flammes, et toute la grotte semblait éclairée d'une lumière surnaturelle. Il regarda comme Moise lorsqu'il vit le buisson ardent ; puis, saisi d'un saint effroi, il entra dans sa cellule et s'y prosterna la face contre terre.
LIII - Naissance du Christ.
Je vis la lumière qui environnait la sainte Vierge devenir de plus en plus éclatante ; la lueur de la lampe allumée par Joseph n'était plus visible. Marie, sa large robe sans ceinture étalée autour d'elle, était à genoux sur sa couche, le visage tourné vers l'orient.
Quand vint l'heure de minuit, elle fut ravie en extase. Je la vis élevée de terre à une certaine hauteur. Elle avait les mains croisées sur la poitrine. La splendeur allait croissant autour d'elle ; tout semblait ressentir une émotion joyeuse, même les êtres inanimés. Le roc qui formait le sol et les parvis de la grotte étaient comme vivants dans la lumière. Mais bientôt je ne vis plus la voûte ; une voie lumineuse, dont l'éclat augmentait sans cesse, allait de Marie jusqu'au plus haut des cieux. Il y avait là un mouvement merveilleux de gloires célestes, qui, s'approchant de plus en plus, se montrèrent distinctement sous la l'orme de choeurs angéliques. La sainte Vierge, élevée de terre dans son extase, priait et abaissait ses regards sur son Dieu dont elle était devenue ta mère, et qui, faible enfant nouveau-né, était couché sur la terre devant elle.
Je vis notre Sauveur comme un petit enfant lumineux, dont l'éclat éclipsait toute la splendeur environnante, couché sur le tapis devant les genoux de la sainte Vierge. Il me semblait qu'il était tout petit et grandissait sous mes yeux ; mais tout cela n'était que le rayonnement d'une lumière tellement éblouissante que je ne puis dire comment j'ai pu la voir.
La sainte Vierge resta encore quelque temps dans son extase Puis, je la vis mettre un linge sur l'enfant, mais elle ne le toucha pas et ne le prit pas encore dans ses bras. Après un certain intervalle, je vis l'Enfant-Jésus se mouvoir et je l'entendis pleurer ; ce fut alors que Marie sembla reprendre l'usage de ses sens. Elle prit l'enfant, l'enveloppa dans le linge dont elle l'avait recouvert et le tint dans ses bras contre sa poitrine. Elle s'assit ensuite, s'enveloppa tout entière avec l'enfant dans son voile, et je crois qu'elle l'allaita. Je vis alors autour d'elle des anges, sous forme humaine, se prosterner devant le nouveau-né et l'adorer.
Il s'était bien écoulé une heure depuis la naissance de l'enfant, lorsque Marie appela saint Joseph, qui priait encore la face contre terre. s'étant approché, il se prosterna plein de joie, d'humilité et de ferveur. Ce ne fut que lorsque Marie l'eut engagé à presser contre son coeur le don sacré du Très-Haut, qu'il se leva, reçut l'Enfant-Jésus dans ses bras et remercia Dieu avec des larmes de joie.
Alors la sainte Vierge emmaillota l'Enfant-Jésus. Marie n'avait que quatre langes avec elle. Je vis ensuite Marie et Joseph s'asseoir par terre l'un près de l'autre. Ils ne disaient rien et semblaient tous deux absorbés dans la contemplation. Devant Marie, emmailloté ainsi qu'un enfant ordinaire, était couché Jésus nouveau né, beau et brillant comme un éclair. "Ah! me disais-je, ce lieu contient le salut du monde entier, et personne ne s'en doute.'
Ils placèrent ensuite l'enfant dans la crèche. Ils l'avaient remplie de roseaux et de jolies plantes sur lesquels était étendue une couverture ; elle était au-dessus de l'auge creusée dans le roc, à droite de l'entrée de la grotte, qui s'élargissait là dans la direction du midi. Quand ils eurent mis l'enfant dans la crèche, tous deux se tiennent à côté de lui versant des larmes de joie et chantant des cantiques de louange. Joseph arrangea alors le lit de repos et le siège de la sainte Vierge à côté de la crèche. Je la vis avant et après la naissance de Jésus habillée d'un vêtement blanc qui l'enveloppait tout entière Je la vis là pendant les premiers jours, assise, agenouillée, debout ou même couchée sur le côte et dormant, mais jamais malade ni fatiguée.
LIV - Gloria in excelsis. La naissance du Christ annoncée aux bergers.
Je vis en beaucoup de lieux, jusque dans les pays les plus éloignés, une joie inaccoutumée et un mouvement extraordinaire pendant cette nuit. Je vis les coeurs de beaucoup d'hommes de bien animes d'un désir joyeux, et ceux des méchants pleins d'angoisse et de trouble. Je vis beaucoup d'animaux faire éclater leur allégresse par leurs mouvements, des fleurs relever la tête, des plantes et des arbres reprendre comme une nouvelle vie, et répandre au loin des parfums. Je vis aussi des sources jaillir de terre. Ainsi, au moment où le Sauveur naquit, une source abondante jaillit dans la grotte qui était dans la colline au nord de la grotte de la Crèche. Joseph la vit le lendemain et lui prépara un écoulement. Au-dessus de Bethléem, le ciel était d'un rouge sombre, tandis que sur la grotte de la Crèche, sur la vallée voisine de la grotte de Maraha et sur la vallée des bergers, on voyait une vapeur brillante.
Dans la vallée des bergers, à une lieue et demie environ de la grotte de 'a Crèche, s'élevait une colline où commençaient des vignes, qui s'étendaient de là jusqu'à Gaza. Contre cette colline étaient les cabanes de trois bergers, qui étaient les chefs des familles de pasteurs demeurant alentour. A une distance double de la grotte de la crèche se trouvait ce qu'on appelait la tour des bergers. C'était un grand échafaudage pyramidal en charpente, ayant pour base des quartiers de rocher, placé au milieu d'arbres verdoyants, et s'élevant sur une colline isolée au milieu de la plaine. Il était entouré d'escaliers, de galeries avec des espèces de tourelles couvertes, et tout était comme tapissé de nattes. Il avait quelque ressemblance avec ces tours de bois au haut desquelles on observait les astres dans le pays des trois rois mages, et cela faisait de loin l'effet d'un grand vaisseau avec beaucoup de mats et de voiles. De cette tour, on avait une vue étendue sur tout le pays d'alentour. On voyait Jérusalem et même la montagne de la Tentation dans le désert de Jéricho. Les bergers avaient là des veilleurs pour surveiller la marche des troupeaux et les avertir, en sonnant du cor, dans le cas d'une invasion de voleurs ou de gens de guerre qu'on pouvait voir de là à une grande distance.
Les familles des bergers habitaient alentour dans un rayon de plus de deux lieues ; elles occupaient des métairies isolées, entourées de jardins et de champs ; près de la tour était le lieu où ils se rassemblaient ; c'était là que se tenaient les gardiens chargés de veiller sur le mobilier commun. Le long de la colline où la tour s'élevait étaient des cabanes, et à part de celles-ci un grand hangar à plusieurs compartiments, où les femmes des gardiens demeuraient et préparaient les aliments. Je vis cette nuit les troupeaux près de la tour ; une partie était en plein air ; une autre partie était sous un hangar, près de la colline des trois bergers.
Quand Jésus naquit, je vis les trois bergers, frappés de l'aspect inaccoutumé de cette nuit merveilleuse, se tenir devant leurs cabanes ; ils regardaient autour d'eux et considéraient avec étonnement une lumière extraordinaire au-dessus de la grotte de la Crèche. Je vis aussi s'agiter des bergers qui étaient près de la tour ; je les vis monter sur l'échafaudage et regarder du côté de la grotte de la Crèche. Comme les trois bergers avaient les veux tournés vers le ciel, je vis une nuée lumineuse s'abaisser vers eux. Pendant qu'elle s'approchait, j'y remarquai un mouvement, j'y vis se dessiner des formes et des figures, et j'en. tendis des chants harmonieux, d'une expression joyeuse, et qui devenaient de plus en plus distincts. Les bergers furent d'abord effrayés, mais un ange parut devant eux, et Leur dit : "Ne craignez rien ; car je viens vous annoncer une grande joie pour tout le peuple d'Israel. C'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Et voici à quel signe vous le reconnaîtrez : vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche. Pendant que l'ange annonçait ceci, la splendeur devint de plus en plus grande autour de lui, et je vis cinq ou sept grandes figures d'anges, belles et lumineuses. Ils tenaient dans leurs mains comme une longue banderole où était écrit quelque chose en lettres hautes comme la main, et je les entendis louer Dieu et chanter : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ".
Les bergers de la tour eurent la même apparition, mais un peu plus tard. Les anges apparurent aussi à un troisième groupe de bergers, près d'une fontaine située à trois lieues de Bethléhem, à l'est de la tour des bergers.
La mention d'une banderole dans les mains des anges pourrait faire supposer que la soeur s'est souvenue d'avoir vu pareille chose dans quelque tableau, et que ce souvenir s'est confondu avec son intuition intérieure. Mais on pourrait demander qui a peint le premier de ps reiues banderoles dans les mains des anges, qui, en général, a eu la première idée de placer des banderoles où des paroles sont écrites dans la bouche ou dans les mains des personnages qui sont représentes parlants ? Nous ne voyons pas là une invention des peintres, mais une tradition qui leur est venue de l'antiquité, et cela par des tableaux où des hommes contemplatits avaient représenté ce qui leur était apparu à eux-mêmes dans leurs visions. Il est donc possible que les bergers avaient vu une semblable banderole dans les mains des anges.
Je ne vis pas les bergers aller immédiatement à la grotte de la Crèche, dont ils étaient éloignés, les uns d'une lieue et demie, les autres du double ; mais je les vis se consulter pour savoir ce qu'ils porteraient au nouveau-né, et préparer leurs présents avec toute la promptitude possible. Ils n'arrivèrent à la crèche qu'à l'aurore.
LV - La naissance du Christ annoncée en divers lieux.
Au moment de la naissance de Jésus, mon âme fit d'innombrables voyages dans toutes les directions pour voir divers événements miraculeux qui annonçaient la naissance de notre Sauveur ; mais, comme j'étais malade et fatiguée, il me sembla souvent que les tableaux venaient à moi. J'ai vu un grand nombre de choses arrivées à cette occasion ; mais les souffrances et les dérangements m'en ont fait oublier la plupart : je ne me souviens guère que de ce qui suit.
Je vis cette nuit, dans le temple, Noémi, la maîtresse de la sainte Vierge, ainsi que la prophétesse Anne et le vieux Siméon, à Nazareth sainte Anne, à Juttah sainte Élisabeth, avoir des visions et des révélations sur la naissance du Sauveur. Je vis le petit Jean-Baptiste, près de sa mère, manifester une joie extraordinaire. Tous virent et reconnurent Marie dans ces visions, mais ils ne savaient pas où le miracle avait eu lieu, Elisabeth même l'ignorait ; sainte Anne seule savait que Bethléhem était le lieu du salut.
Je vis cette nuit, dans le temple, un événement merveilleux. Tous les rouleaux d'écriture des saducéens furent plusieurs fois jetés hors des armoires qui les contenaient, et dispersés ça et là. On en fut très effrayé : les saducéens l'attribuèrent à la sorcellerie, et donnèrent beaucoup d'argent pour que la chose restât secrète. (Elle raconta ici quelque chose d'assez peu clair sur les fils d'Hérode qui étaient saducéens, et qu'il avait placés dans le temple, parce qu'il était en lutte avec les pharisiens, et cherchait à prendre de l'influence dans le temple.)
J'ai vu bien des choses se passer à Rome pendant cette nuit ; mais d'autres tableaux m'en ont fait oublier une grande partie, et il est possible que je fasse quelque confusion. Voici à peu près ce dont je me souviens. Je vis, lorsque Jésus naquit, un quartier de Rome situé au delà du fleuve, et où habitaient beaucoup de Juifs (ici, elle décrivit un peu confusément un lieu qui ressemblait à une colline entourée d'eau et qui formait une sorte de presqu'île) ; il y jaillit comme une source d'huile, et tout le monde en fut fort émerveillé.
Une statue magnifique de Jupiter tomba en morceaux dans un temple dont toute la voûte s'écroula. Les paiens, effrayés, tirent des sacrifices et demandèrent à une autre idole, celle de Vénus, à ce que je crois, ce que cela voulait dire. Le démon fut forcé de répondre par la bouche de cette statue : " Cela est arrivé parce qu'une vierge a conçu un fils sans cesser d'être vierge, et qu'elle vient de le mettre au monde ". Cette idole parla aussi de la source d'huile qui avait jailli. Dans l'endroit où elle est sortie de terre, s'élève aujourd'hui une église consacrée à la Mère de Dieu'.
Je vis les prêtres des idoles consternés faire des enquêtes à ce sujet. Soixante-dix ans auparavant, lorsqu'on revêtit cette idole d'ornements magnifiques, couverts d'or et de pierreries, et qu'on lui offrit des sacrifices solennels, il y avait à Rome une bonne et pieuse femme : le ne sais plus bien si elle n'était pas Juive. Son nom était comme Serena ou Cyrena ; elle avait une certaine aisance ; elle eut des visions à la suite desquelles elle prophétisa ; elle dit publiquement aux païens qu'ils ne devaient pas rendre de si grands honneurs à l'idole de Jupiter, ni faire de si grands frais pour elle, parce qu'elle devait un jour se briser au milieu d'eux.
Sainte Marie au delà du Tibre porte aussi le nom de Sancta Maria in Fonte Olei, par suite d'une tradition conforme à cette vision de la soeur Emmerich. (Note du trad.)
Les prêtres la firent venir et sur demandèrent quand cela arriverait ; et, comme elle ne pouvait pas alors fixer l'époque, on l'emprisonna et on la persécuta jusqu'à ce qu'enfin Dieu lui fit connaître que l'idole se briserait quand une vierge pure mettrait un fils au monde. Lorsqu'elle fit cette réponse, on se moqua d'elle et on la relâcha comme étant folle. Mais lorsque le temple, en s'écroulant, mit réellement l'idole en pièces, ils reconnurent qu'elle avait dit la vérité, et s'étonnèrent seulement de ce qui avait- été dit pour fixer l'époque où la chose arriverait, parce que naturellement ils ne savaient pas que la sainte Vierge eût mis le Christ au monde.
Je vis aussi que les magistrats de la ville de Rome prirent des informations sur cet événement et sur l'apparition de la source d'huile. L'un d'eux s'appelait Lentulus ; il fut l'aïeul de Moise, prêtre et martyr, et de ce Lentulus qui devint plus tard l'ami de saint Pierre à Rome.
Je vis aussi quelque chose touchant l'empereur Auguste, mais je ne m'en souviens plus bien. Je vis l'empereur avec d'autres personnes sur une colline de Rome, à l'un des côtés de laquelle était le temple qui s'était écroulé. Des degrés conduisaient au haut de cette colline, et il s'y trouvait une porte dorée. On traitait là beaucoup d'affaires. Quand l'empereur descendit, il vit à droite, au-dessus de la colline, une apparition dans le ciel : c'était une vierge sur un arc-en-ciel, avec un enfant suspendu en l'air et qui semblait sortir d'elle'. Je crois qu'il fut le seul à voir cela. Il fit consulter, sur la signification de cette apparition, un oracle qui était devenu muet, et qui pourtant parla d'un enfant nouveau-né auquel ils devaient tous céder la place. L'empereur fit alors ériger un autel à l'endroit de la colline au-dessus duquel il avait vu l'apparition ; et, après avoir offert des sacrifices :, il le dédia au premier-né de Dieu. J'ai oublié une grande partie de tout cela.
Ce fut vraisemblablement la même apparition que virent les rois mages à l'heure de la naissance de Jésus, et qui est décrite plus loin.
Je vis aussi en Egypte un évènement qui annonçait la naissance du Christ. Bien au delà de Matarée, d'Héliopolis et de Memphis, une grande idole, qui rendait ordinairement des oracles de toute espèce, devint muette. Alors le roi fit faire des sacrifices dans tout le pays afin que l'idole pût dire pourquoi elle se taisait. L'idole fut forcée par Dieu à répondre qu'elle se taisait et devait disparaître, parce que le Fils de la Vierge était né, et qu'un temple lui serait élevé en cet endroit. Le roi voulut là-dessus lui élever, en effet, un temple près de celui de l'idole. Je ne me souviens plus bien de tout ce qui arriva ; je sais seulement que l'idole fut retirée, et qu'on dédia là un temple à la Vierge annoncée et à son enfant ; on l'y honora à la manière paienne.
Je vis à l'heure de la naissance de Jésus une apparition merveilleuse qu'eurent les rois mages. Ils étaient adorateurs des astres, et avaient sur une montagne une tour en forme de pyramide, où l'un d'eux se tenait toujours avec plusieurs prêtres pour observer les étoiles. Ils écrivaient leurs observations et se les communiquaient mutuellement. Pendant cette nuit, je crois avoir vu deux des rois mages sur cette tour. Le troisième, qui demeurait à l'orient de la mer Caspienne, n'était pas avec eux. C'était une constellation déterminée qu'ils observaient toujours ; ils y voyaient de temps en temps des changements avec des apparitions dans le ciel. Cette nuit, je vis l'image dont ils eurent connaissance. Ce ne fut pas dans une étoile qu'ils la virent, mais dans une figure composée de plusieurs étoiles parmi lesquelles il semblait s'opérer un mouvement.
Ils virent un bel arc-en-ciel au-dessus du croissant de la lune. Sur cet arc-en-ciel était assise une vierge. Son genou gauche était légèrement relevé ; sa jambe droite était plus allongée, et le pied reposait sur le croissant. Du côté gauche de la Vierge, au dessus de l'arc-en-ciel, parut un cep de vigne, et du côté droit un bouquet d'épis de blé. Je vis devant la Vierge paraître ou monter la figure d'un calice, semblable à celui qui servit pour la sainte cène. Je vis sortir de ce calice un enfant, et au-dessus de l'enfant un disque lumineux, pareil à un ostensoir vide, duquel partaient des rayons semblables à des épis. Cela me fit penser au saint sacrement. Du côté droit de l'enfant sortit une branche à l'extrémité de laquelle se montra, comme une fleur, une église octogone qui avait une grande porte dorée et deux petites portes latérales. La Vierge, avec sa main droite, fit entrer le calice, l'enfant et l'hostie dans l'église, dont je vis l'intérieur, et qui alors me parut très grande. Je vis dans le fond une manifestation de la sainte Trinité ; puis l'église se transforma en une cité brillante, semblable aux représentations de la Jérusalem céleste.
Je vis dans ce tableau beaucoup de choses se succéder et naître, pour ainsi dire, les unes des autres pendant que je regardais dans l'intérieur de l'église dont j'ai parlé ; mais je ne me souviens plus dans quel ordre. Je ne me rappelle pas non plus de quelle manière les rois mages furent instruits que l'enfant était né en Judée. Le troisième roi, qui demeurait à une grande distance, vit l'apparition à la même heure que les autres. Les rois éprouvèrent une joie inexprimable. Ils rassemblèrent leurs trésors et leurs présents et se mirent en route. Ce ne fut qu'au bout de quelques jours qu'ils se rencontrèrent. Dès les derniers jours qui précédèrent la naissance du Christ, je les vis sur leur grand observatoire, où ils eurent différentes visions.
Combien a été grande la miséricorde de Dieu envers les paiens ! Savez-vous d'où cette prophétie était venue aux rois mages ? Je vous en dirai seulement quelque chose, car tout ne m'est pas présent en ce moment. Cinq cents ans avant la naissance du Messie (Elie vivait environ huit cents ans avant Jésus-Christ), les ancêtres des trois rois étaient riches et puissants : ils l'étaient plus que leurs descendants, car leurs possessions étaient plus étendues et leur héritage était moins divisé. Alors aussi ils vivaient sous la tente, excepté l'ancêtre établi à l'orient de la mer Caspienne, dont je vois maintenant la ville. Elle a des substructions en pierre au haut desquelles sont dressés des pavillons, car elle est près de la mer qui déborde souvent. Il y a des montagnes très élevées : je vois deux mers, l'une à ma droite et l'autre à ma gauche.
Ces chefs de race étaient dès lors adorateurs des étoiles ; mais il y avait en outre dans ce pays un culte abominable. On sacrifiait des vieillards et des hommes mal conformés on immolait aussi des enfants. Ce qu'il y avait de plus horrible, c'est que ces enfants, habillés de blanc, étaient mis dans des chaudières et qu'on les faisait bouillir tout vivants ; mais tout cela finit par être aboli. C'était à ces aveugles paiens que Dieu, si longtemps d'avance, avait annoncé la naissance du Sauveur.
Ces princes avaient trois filles, versées dans la connaissance des astres : toutes trois reçurent en même temps l'esprit de prophétie, et connurent par une vision qu'une étoile sortirait de Jacob et qu'une vierge enfanterait le Sauveur. Elles avaient de longs manteaux, parcouraient le pays, prêchaient la réforme des moeurs, et annonçaient que les envoyés du Rédempteur viendraient un jour apporter à ces peuples le culte du vrai Dieu. Elles faisaient beaucoup d'autres prédictions, même relatives à notre époque et à des époques plus éloignées. Là-dessus, les pères de ces trois vierges élevèrent un temple à la future mère de Dieu, vers le midi de la mer, à l'endroit où leurs pays se touchaient, et ils y offrirent des sacrifices La prédiction des trois vierges parlait spécialement d'un. constellation et de divers changements qu'on y verrait. Alors on commença à observer cette constellation du haut d'une colline, prés du temple de la future mère d Dieu, et d'après les observations qu'on faisait, on changeait continuellement quelque chose dans les temples, dans le culte et dans les ornements. Le pavillon du temple était tantôt bleu, tantôt rouge, tantôt jaune ou de quelque autre couleur. Ce qui me parut remarquable, c'est qu'ils transportèrent leur jour de fête hebdomadaire au samedi. C'était auparavant le vendredi : je sais encore comment ils appelaient ce jour. Ici elle balbutia quelque chose comme Tanna ou Tanneda, mais sans prononcer bien distinctement'.
Ici il y eut dans son discours une interruption soudaine d'une nature si particulière que nous la raconterons comme propre à caractériser son état. Ce fut le 27 novembre 1821, un peu avant six heures du soir, qu'elle dit ce qui précède, étant endormie. Il ne faut pas oublier que depuis plusieurs années elle avait les pieds paralysés ; que, loin de pouvoir marcher, elle ne pouvait qu'à grand peine se mettre sur son séant, et qu'elle était alors, comme toujours, étendue sur son lit : la porte de sa chambre était ouverte sur une pièce antérieure où son confesseur était assis, disant son bréviaire à la lueur une lampe. Elle avait dit ce qui précède avec une telle vérité d'expression, qu'il était impossible de croire que toutes ces choses ne se passassent pas devant ses yeux. Mais à peine eut-elle balbutié le mot Tanneda, que tout d'un coup la paralytique endormie sauta de son lit avec la rapidité de l'éclair, se précipita dans la pièce antérieure, et remua vivement les pieds et les mains du côté de la fenêtre comme une personne qui lutte et se détend ; puis elle dit à son confesseur : "Ah ! le coquin ! il était bien grand, mais je l'ai chassé à coups de pied "Après ces mot. elle tomba comme en défaillance et resta par terré en travers de la fenêtre, dans une posture grave et modeste. Le prêtre, quoique aussi étonné que l'écrivain de cet incident extraordinaire, ne lui dit autre chose que ceci : " Au nom de l'obéissance, soeur Emmerich, retournez à votre couche. "Aussitôt elle se releva, rentra dans sa chambre et s'étendit de nouveau sur son lit. L'écrivain lui ayant alors demandé ce que c'était que cette singulière aventure, elle raconta ce qui suit, étant bien éveillée et en pleine connaissance. Quoique fatiguée, elle parla avec l'humeur joyeuse d'une personne qui vient de remporter une victoire : "Oui, c'était bien singulier : comme j'étais si loin, si loin dans le pays des rois mages, au haut de la chaîne de montagnes qui est entre les deux mers, et comme je regardais dans leurs villes formées de tentes de même qu'on regarde de la fenêtre dans la basse cour, je me sentis tout à coup rappelée à la maison par mon ange gardien. Je me retournai, et je ils ici, à Dulmen, devant notre maisonnette, passer une pauvre vieille femme de ma connaissance, retenant d'une boutique. Eue était exaspérée, pleine de malice ; elle grondait et jurait horriblement. Je vis alors son ange gardien s'éloigner, et une grande et sombre figure de démon se mettre en travers sur son chemin pour la faire tomber afin qu'elle se rompit le cou et mourut ainsi en état de péché. Quand je vis cela, je laissai les trois rois, priai ardemment le bon Dieu de secourir la pauvre femme, et me retrouvai dans ma chambre. Je vis alors que le diable furieux se précipitait vers la fenêtre et voulait entrer dans la chambre. avant dans ses griffes un gros paquet de lacets et de cordes entortillées ; car il voulait, pour se venger, ourdir avec tout cela des intrigues et susciter ici tonte sorte de troubles. Alors je me suis précipitée et lui ai donné un coup de pied qui l'& fait tomber en arrière : Je crois qu'il s'en souviendra. Je me suis mise en travers devant la fenêtre pour l'empêcher d'entrer ". C'est là assurément quelque chose de très étrange : pendant qu'elle regarde du haut du Caucase et raconte des choses arrivées cinq siècles avant Jésus-Christ comme d'elles se passaient sous ses yeux, elle voit en même temps le danger que court devant sa porte une pauvre vieille de son pays et s'empresse de voler à son secours. Il était effrayant de la voir se précipiter comme un squelette animé et se mettre en défense avec tant de vivacité, elle qui depuis le 8 septembre pouvait à peine faire deux pas sur des béquilles sans tomber en défaillance.
La soeur Vit dans la nuit de la Nativité beaucoup de choses touchant la détermination précise du temps de la naissance du Christ ; mais son état de maladie et les visites qu'on lui fit le jour Suivant, qui était la fête de sa patronne, Sainte Catherine' lui en firent beaucoup oublier. Cependant, peu de temps après, se trouvant en état d'extase, elle Communiqua quelques fragments de ses visions, où il est à remarquer qu'elle voyait toujours les nombres écrits en chiffres romains, et qu'elle avait souvent de la peine à les lire ; mais elle les expliquait en répétant le nom des lettres dans l'ordre Ou elle les voyait Ou en les traçant avec Ses doigts. Cette fois pourtant elle dit les chiffres.
Vous pouvez le lire, dit-elle ; voyez, C'est marque là. Jésus Christ est né avant que l'an 3907 du monde fût accompli ; on a oublié postérieurement les quatre années, moins quelque chose, écoulées depuis sa naissance jusqu'à la fin de l'an 4000 ; puis ensuite on a fait commencer notre nouvelle ère quatre ans plus tard.
Un des consuls de nome s'appelait alors Lentulus ; il fut l'ancêtre de Saint Moise, prêtre et martyr, dont j'ai ici une relique, et qui vivait du temps de saint Cyprien. C'est aussi de lui que descendait ce Lentulus qui devint l'ami de saint Pierre, à Rome. Hérode a régné quarante ans. Pendant sept ans, il ne fut pas indépendant, mais il opprima déjà le pays et exerça beaucoup de cruautés. Il mourut, si je ne me trompe ; dans la sixième année de la vie de Jésus. Je crois que sa mort fut tenue secrète pendant un certain temps '. Il fut sanguinaire jusque dans sa mort, et dans ses derniers jours il fit encore bien du mal. Je le vis se traîner dans une grande chambre toute matelassée ; il avait une lance près de lui et voulait en frapper les gens qui l'approchaient. Jésus naquit à peu près la trente-quatrième année de son règne.
Deux ans avant l'entrée de Marie au temple, Hérode y fit faire des constructions. Ce n'était pas un nouveau temple qu'on faisait, c'étaient des changements et des embellissements. La faite en Égypte eut lieu quand Jésus avait neuf mois, et le massacre des innocents quand il était dans sa deuxième année. Elle mentionna encore plusieurs circonstances et plusieurs traits de la vie d'Hérode, qui prouvaient combien elle voyait tout dans le détail ; mais il ne fut pas possible de mettre en ordre ce qu'elle avait raconté à bâtons rompus.
La naissance de Jésus-Christ eut lieu dans une année où les Juifs comptaient treize mois. C'était un arrangement analogue à celui de nos années bissextiles. Je crois aussi que les Juifs avaient deux fois dans l'année des mois de vingt et un de vingt-deux jours ; j'ai entendu quelque chose à ce sujet à propos des jours de fête, mais je n'en ai qu'un souvenir confus. J'ai vu aussi que, plusieurs fois, on fit des changements dans le calendrier : ce fut au sortir d'une captivité, quand on travailla au temple. J'ai vu l'homme qui changea le calendrier, et j'ai su son nom.
Ou peut-être ce fut le mort du second Hérode, touchant lequel elle dit quelque chose de semblable et qu'elle paraissait confondre quelquefois avec celui-ci.
LVI - Adoration des bergers.
(Le dimanche, 25 novembre). Aux premières lueurs du crépuscule, les trois chefs des bergers vinrent de la colline à la grotte de la Crèche avec les présents qu'ils avaient préparés. C'étaient de petits animaux qui ressemblaient assez à des chevreuils. Si c'étaient des chevreaux, ils différaient de ceux de notre pays : ils avaient de longs cous, de beaux yeux fort brillants ; ils étaient très gracieux et très légers à la course. Les bergers les conduisaient avec eux attachés à des cordes menues. Ils portaient aussi sur leurs épaules des oiseaux qu'ils avaient tués, et sous le bras d'autres oiseaux vivants de plus grande taille.
Ils frappèrent timidement à la porte de la grotte de la Crèche, et Joseph vint à leur rencontre. Ils lui répétèrent ce que les anges leur avaient annoncé, et lui dirent qu'ils venaient rendre leurs hommages à l'enfant de la promesse et lui présenter leurs pauvres offrandes. Joseph accepta leurs présents avec une humble gratitude, et il les conduisit à la sainte Vierge, qui était assise près de la crèche et tenait l'Enfant-Jésus sur ses genoux. Les trois bergers s'agenouillèrent humblement, et restèrent longtemps en silence, absorbés dans un sentiment de joie indicible ; ils chantèrent ensuite le cantique qu'ils avaient entendu chanter aux anges, et un psaume que j'ai oublié. Quand ils voulurent se retirer, la sainte Vierge leur donna le petit Jésus, qu'ils tinrent tour à tour dans leurs bras ; puis ils le lui rendirent en pleurant, et quittèrent la grotte.
(Le dimanche, 25 novembre, dans la soirée.) La soeur avait été toute cette journée dans de grandes souffrances physiques et morales. Le soir, à peine endormie, elle se trouva transportée dans la terre promise. Comme, indépendamment de ses contemplations sur la Nativité, elle avait, en outre, une série de visions sur la première année de la prédication de Jésus, et, précisément à cette époque, sur son jeûne de quarante jours, elle s'écria avec un étonnement naïf : " Combien cela est touchant ! Je vois, d'un côté, Jésus, âgé de trente ans, jeûnant et tenté par le diable dans la caverne du désert, et de l'autre côté, je le vois, enfant nouveau-né, adoré par les bergers dans la grotte de la Crèche ". Après ces paroles, elle se leva de sa couche avec une rapidité surprenante, courut à la porte ouverte de sa chambre, et, comme ivre de joie, elle appela les amis qui se trouvaient dans la pièce antérieure, leur disant : " Venez, venez vite adorer l'enfant, il est près de moi ". Elle revint à son lit avec la même vitesse et commença, le visage rayonnant d'enthousiasme et de ferveur, à chanter, d'une voix claire et singulièrement expressive, le Magnificat, le Gloria in excelsis, et quelques cantiques inconnus, d'un style simple, d'un sens profond, et en partie rimés. Elle chanta le second dessus d'un de ces airs. il' avait en elle une émotion de joie qui était singulièrement touchante. Voici ce qu'elle raconta dans la matinée suivante :
"Hier soir, plusieurs bergers, avec leurs femmes et même leurs enfants, sont venus de la tour des bergers, qui est à quatre lieues de la crèche. Ils portaient des oiseaux, des oeufs, du miel, des écheveaux de fil de différentes couleurs, des petits paquets qui ressemblaient à de la soie brute, et des bouquets d'une plante ressemblant au jonc et qui a de grandes feuilles. Cette plante avait des épis pleins de gros grains. Quand ils eurent remis leurs présents à Joseph, ils s'approchèrent humblement de la crèche, près de laquelle la sainte Vierge était assise. Ils saluèrent la mère et l'enfant, al, s'étant agenouillés, ils chantèrent de très beaux psaumes, le Gloria in excelsis, et quelques cantiques très courts. Je chantai avec eux. Ils chantèrent à plusieurs parties, et je fis une fois le second dessus. Je me souviens à peu près des paroles suivantes : " O petit enfant, vermeil comme la rose, tu parais, semblable à un messager de paix " ! Quand ils prirent congé, ils se courbèrent au-dessus de la crèche, comme s'ils embrassaient le petit Jésus.
(Le lundi, 26 novembre.) J'ai vu aujourd'hui les trois bergers aider tour à tour saint Joseph à tout disposer plus commodément dans la grotte de la Crèche et dans les grottes latérales. Je vis aussi, près de la sainte Vierge, plusieurs femmes pieuses qui lui rendaient divers services. C'étaient des Esséniennes, qui demeuraient à peu de distance de la grotte de la Crèche, dans une gorge située au levant de la colline. Elles habitaient, les unes près des autres, des espèces de chambres creusées dans le roc à une assez grande hauteur. Elles avaient de petits jardins près de leurs demeures, et instruisaient des enfants de leur secte. C'était saint Joseph qui les avait fait venir. Il connaissait cette association depuis sa jeunesse ; car, lorsqu'il fuyait ses frères dans la grotte de la Crèche, il avait plus d'une fois visité ces pieuses femmes. Elles venaient tour à tour près de la sainte Vierge, apportaient de petites provisions et s'occupaient des soins du ménage pour la sainte Famille.
(Le mardi, 27 novembre.) Je vis aujourd'hui une scène très touchante dans la grotte de la Crèche. Joseph et Marie se tenaient près de la crèche et regardaient l'Enfant-Jésus avec un profond attendrissement. Tout à coup l'âne se jeta sur ses genoux et courba sa tête jusqu'à terre. Marie et Joseph versèrent des larmes.
Le soir, il vint un message de la part de sainte Anne. Un homme âgé vint de Nazareth avec une veuve, parente d'Anne et qui la servait. Ils apportaient différents petits objets pour Marie. Ils furent extraordinairement touchés à la vue de l'enfant. Le vieux serviteur versa des larmes de joie. Il se remit bientôt en route pour porter des nouvelles à sainte Anne. La servante resta près de la sainte Vierge.
(Le mercredi, 28 novembre.) Je vis aujourd'hui la Sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus et la servante quitter la grotte de la Crèche pendant quelques heures'.
A ceci se rapporte ce qu'elle dit le 29-30 décembre 1820 : Je vis aujourd'hui Marie avec l'Enfant-Jésus dans une autre grotte que je n'avais pas remarquée auparavant. Elle s'ouvrait dans l'entrée a gauche, près de l'endroit où Joseph faisait le feu. On descendait un peu sur un étroit passage assez incommode. La lumière y pénétrait par des trous faits dans la voûte. Marie était assise près de l'Enfant-Jésus qui était devant elle sur une couverture. Elle s'était retirée là pour se dérober a certaines visites - . Je vis plusieurs personnes prés de la crèche, Joseph leur parla.
Je la vis se cacher dans la grotte latérale où avait jailli une source après la naissance de Jésus-Christ. Elle resta environ quatre heures dans cette grotte, où plus tard elle passa deux jours. Joseph, dès le point du jour, l'avait arrangée pour qu'elle pût s'y tenir sans trop d'incommodité.
Ils allèrent là par suite d'un avertissement intérieur, car quelques personnes vinrent aujourd'hui de Bethléhem à la grotte de la Crèche. Je crois que c'étaient des émissaires d'Hérode. Par suite des propos des bergers, le bruit s'était répandu que quelque chose de miraculeux avait eu lieu en cet endroit, lors de la naissance d'un enfant. je vis les hommes échanger quelques paroles avec saint Joseph, qu'ils trouvèrent devant la grotte avec les bergers, et le quitter en ricanant lorsqu'ils eurent vu sa pauvreté et sa simplicité. La sainte Vierge, après être restée environ quatre heures dans la grotte latérale, revint à la crèche avec l'Enfant-Jésus.
La grotte de la Crèche jouit d'une aimable tranquillité. Il n'y vient personne de Bethléhem : les bergers seuls sont en rapport avec elle. Du reste, on ne s'inquiète guère, à Bethléhem, de ce qui s'y passe, car il y a beaucoup de mouvement et d'agitation dans la ville, à cause du grand nombre d'étrangers qui s'y trouvent. On vend et on tue beaucoup d'animaux, parce que plusieurs arrivants payent leur impôt en bétail ; il y a aussi beaucoup de paiens qui sont employés comme domestiques.
Ce soir, la soeur étant endormie dit tout à coup : " Hérode a fait mourir un homme pieux qui avait un emploi important au temple. Il l'a fait inviter amicalement à venir le trouver à Jéricho et l'a fait assassiner en route. Cet homme s'opposait aux empiétements d'Hérode dans le temple. On accuse Hérode de ce meurtre, mais cela ne fait qu'augmenter son influence dans le temple ". Elle dit ensuite qu'Hérode avait fait donner à deux de ses bâtards deux emplois considérables dans le temple, qu'ils étaient saducéens, et que tout ce qui s'y passait lui était révélé par eux.
(Le jeudi, 29 novembre) Le matin, l'hôte de la dernière auberge où la sainte Famille avait passé la nuit, a envoyé à la grotte de la Crèche un serviteur avec des présents. Lui-même est venu dans la journée pour rendre ses hommages à l'enfant. L'apparition de l'ange aux bergers à l'heure de la naissance de Jésus est cause que tous les braves gens des vallées ont entendu parler du merveilleux enfant de la promesse ; ils viennent maintenant pour honorer l'enfant.
(Le vendredi, 30 novembre.) Aujourd'hui plusieurs bergers et d'autres braves gens vinrent à la grotte de la Crèche et honorèrent l'Enfant-Jésus avec beaucoup d'émotion. Ils étaient en habits de fête et allaient a Bethléhem- pour le sabbat. Parmi ces gens, je vis la femme qui, le 20 novembre, avait réparé la grossièreté de son mari envers la sainte Famille en lui offrant l'hospitalité Elle aurait pu aller pour le sabbat à Jérusalem qui était près de chez elle ; mais elle fit un détour jusqu'à Bethléhem, pour voir le saint enfant et ses parents. Elle se sentit tout heureuse de leur avoir donné cette marque d'affection.
Je vis aussi, dans l'après-midi, un parent de saint Joseph près de la demeure duquel la sainte Famille avait passé la nuit le 22 novembre, venir à la crèche et saluer l'enfant. C'était le père de Jonadab, qui, lors du crucifiement, porta à Jésus un drap pour se couvrir. Il avait su que Joseph avait passé près de chez lui et avait entendu parler des miracles qui avaient signalé la naissance de l'enfant ; et comme il allait à Bethléhem pour le sabbat, il était venu à la crèche porter des présents. Il salua Marie et rendit hommage à l'Enfant-Jésus. Joseph le reçut très amicalement, mais il ne voulut rien recevoir de lui ; seulement il lui emprunta de l'argent et lui remit en gage la jeune Anesse', à condition de Pouvoir la reprendre quand il le rembourserait. Joseph avait besoin de cet argent à cause des présents à faire et du repas à donner lors de la cérémonie de la circoncision de l'enfant.
Comme je méditais sur cette jeune ânesse, mise en gage pour fournir aux frais de la circoncision, et que je pensais que dimanche prochain, jour où aura lieu cette cérémonie, on lirait l'Evangile du dimanche des Rameaux (en allemand et en latin dimanche des Palmes), qui raconte l'entrée à Jérusalem de Jésus, monté sur un âne, je vis le tableau suivant, mais je ne sais plus où je le vis, et je ne puis plus bien m'en expliquer le sens. Je vis sous un palmier deux écriteaux tenu' par des anges. Sur l'un je vis représentés divers instruments de martyre, et au milieu une colonne sur laquelle était un mortier avec deux anses ; sur l'autre écriteau 0e trouvaient des lettres ; je crois que c'étaient des chiffres indiquant des années et des époques de l'histoire de l'Église. Au-dessus du palmier était agenouillée une vierge qui semblait sortir de sa tige et dont la robe flottait autour d'elle. Elle tenait dans ses mains, Au-dessous de la poitrine, un vase de la forme du calice de la sainte cène, duquel sortait une figure d'enfant lumineux. Je vis ensuite le Père éternel sous la forme où il m'est montré ordinairement, s'approcher du palmier sur des nuées, en détacher une grosse branche qui avait 1a figure d'une croix et la placer sur l'enfant. Je vis aussitôt l'enfant comme attaché à cette croix de palmier, et 'a Vierge présenter à Dieu le Père cette branche avec l'enfant crucifie, tandis qu'elle tenait de l'autre main le calice vide, qui m'apparut aussi comme étant son coeur. Comme je voulais lire les lettres qui étaient sur l'écriteau au-dessous du palmier, je fus réveillée par une visite. Je ne sais pas si je vis ce tableau dans la grotte de la Crèche, ou si ce fut ailleurs. On peut comparer cette description avec celle de la figure que les rois mages virent dans les étoiles à l'heure de la naissance de Jésus, et aussi avec les apparitions qui ont été racontées à l'occasion de la présentation de Marie au temple.
Quand tout ce monde fut parti pour la synagogue de Bethléhem, Joseph prépara dans la grotte la lampe du sabbat, qui avait sept mèches, l'alluma, et plaça au-dessous une petite table sur laquelle étaient les rouleaux qui contenaient les prières. Ce fut sous cette lampe qu'il célébra le sabbat avec la sainte Vierge et la servante de sainte Anne. Deux bergers se tenaient un peu en arrière de la grotte. Des Esséniennes étaient aussi là.
Aujourd'hui, avant le sabbat, les Esséniennes et la servante préparèrent des aliments. J'ai vu qu'elles faisaient rôtir des oiseaux à une broche placée au-dessus du feu. Elles les roulaient aussi dans une espèce de farine faite avec des grains qui viennent en épis sur une plante semblable au roseau ; on la trouve à l'état sauvage dans les endroits humides et marécageux du pays. On la cultive dans plusieurs lieux ; elle vient souvent sans culture près de Bethléhem et d'Hébron ; je ne la vis pas près de Nazareth. Les pâtres de la tour des bergers en avaient apporté à Joseph. Je vis ces femmes Jaire aussi avec les grains une espèce de crème blanche assez épaisse et pétrir des gâteaux avec la farine. La sainte Famille ne garda pour son usage qu'une très petite quantité des nombreuses provisions que les bergers avaient apportées ; le reste fut donné en présents, et surtout distribué aux pauvres.
(Le samedi, 1er décembre.) Je vis aujourd'hui, dans l'après-midi. plusieurs personnes venir à la grotte de la Crèche, et le soir, après la clôture du sabbat, je vis les Esséniennes et la servante de Marie apprêter un repas dans une cabane de feuillage devant l'entrée de la grotte. Joseph l'avait dressée avec l'aide des bergers. Il avait aussi vidé la chambre située dans l'entrée de la grotte, y avait étendu des couvertures par terre, et avait tout arrangé comme pour une fête, autant que le comportait sa pauvreté. Il avait ainsi disposé les choses avant l'ouverture du sabbat ; car le lendemain était le huitième jour depuis la naissance du Christ, lequel devait être circoncis ce jour-là, conformément au précepte divin.
Joseph était allé vers le soir à Bethléhem, et il en avait ramené trois prêtres, un homme âgé et une femme qui paraissait une sorte de garde ou d'assistante, employée ordinairement dans cette cérémonie. Elle apportait un siège dont on se servait en pareille circonstance, et une pierre plate, fort épaisse et de forme octogone, où se trouvaient les objets nécessaires. Tout cela fut placé sur des nattes, à l'endroit où la cérémonie devait se faire, c'est-à-dire dans l'entrée de la grotte, entre le réduit de saint Joseph et le foyer : le siège était un coffre avec des espèces de tiroirs, qui, mis à la suite les uns des autres, formaient comme un lit de repos avec un appui d'un côté : an y était plutôt étendu qu'assis. La pierre octogone avait plus de deux pieds de diamètre, au milieu était une cavité également octogone, recouverte d'une plaque de métal, et où se trouvaient, dans des compartiments séparés, trois boîtes et un couteau de pierre. Cette pierre fut placée à côté du siège, sur un petit escabeau à trois pieds, qui jusqu'alors était toujours resté sous une couverture à la place où était né le Sauveur
Quand on eut fait ces arrangements, les prêtres saluèrent la sainte Vierge et l'Enfant-Jésus ; ils s'entretinrent amicalement avec Marie, et ils prirent dans leurs bras l'enfant, dont la vue les toucha. Ensuite le repas eut lieu dans la cabane de feuillage ; une quantité de pauvres gens, qui avaient suivi les prêtres, comme il arrivait toujours dans de semblables occasions, entourèrent la table, et, pendant le repas, reçurent des présents de Joseph et des prêtres, en sorte que tout fut bientôt distribué. Je vis le soleil se coucher ; son disque paraissait plus grand qu'il ne parait dans notre pays. Je le vis s'abaisser à l'horizon ; ses rayons pénétraient jusque dans la grotte par la porte ouverte.
LVII. - Circoncision du Christ. Le nom de Jésus.
(Le dimanche, 2 décembre.) La soeur ne dit pas si les prêtres, après Le repas, retournèrent à la ville et revinrent le lendemain matin, ou s'ils passèrent la nuit près de la grotte ou dans le voisinage ; mais voici ce qu'elle raconta :
Des lampes étaient allumées dans la grotte, et je vis que pendant la nuit on pria beaucoup et qu'on chanta des cantiques La circoncision eut lieu au point du jour. La sainte Vierge était attristée et inquiète. Elle avait apprêté elle-même les linges destinés à recevoir le sang et à bander la plaie ; elle les tenait devant elle dans un pli de son manteau. La pierre octogone fut recouverte par les prêtres d'un drap rouge et d'un autre drap blanc par dessus, avec des prières et des cérémonies ; puis l'un des prêtres s'appuya plutôt qu'il ne s'assit sur le siège, et la sainte Vierge, qui se tenait voilée au fond de la grotte, avec l'Enfant-Jésus sur les bras, le donna à la servante avec les linges. Saint Joseph le reçut des mains de la servante, et le donna à la garde qui était venue avec les prêtres. Celle-ci plaça l'enfant recouvert d'un voile sur la couverture de la pierre octogone.
On fit encore des prières ; puis cette femme ôta à l'enfant ses langes et le remit sur les genoux du prêtre qui était assis. Saint Joseph se pencha par-dessus les épaules du prêtre et tint l'enfant par le haut du corps. Deux prêtres s'agenouillèrent à droite et à gauche, tenant chacun un de ses petits pieds : celui qui devait accomplir la cérémonie s'agenouilla devant lui. On découvrit la pierre octogone et on enleva la plaque de métal pour avoir sous la main les trois boîtes où il y avait des eaux vulnéraires et de l'onguent. Le manche et la lame du couteau étaient de pierre. Le manche, brun et poli, avait une rainure où l'on faisait entrer la lame : celle-ci, qui était de couleur jaunâtre, ne me parut pas très affilée. L'incision se fit avec la pointe recourbée du couteau. Le prêtre fit aussi usage de l'ongle tranchant de son doigt. Il exprima le sang de la blessure, et y mit du vulnéraire et d'autres ingrédients de même nature qu'il prit dans les boîtes. La garde prit alors l'enfant, et, après avoir bandé la plaie, elle lui remit ses langes. Cette fois, on emmaillota, aussi ses bras qui étaient libres auparavant, et on roula autour de sa tête le voile dont on l'avait couverte. Il fut placé de nouveau sur la pierre octogone, et on fit encore des prières.
L'ange avait dit à Joseph que l'enfant devait s'appeler Jésus ; mais le prêtre d'abord n'agréa pas ce nom, et il se mit en prières à cette occasion. Je vis alors un ange lui apparaître et lui montrer le nom de Jésus sur un écriteau pareil à celui qui surmonta la croix sur le Calvaire. Je ne sais pas si en effet cet ange fut vu par lui ou par un autre prêtre ; mais je le vis tout ému écrire ce nom sur un parchemin, comme poussé par une impulsion d'en haut. L'Enfant-Jésus pleura beaucoup après la cérémonie de la circoncision. Je vis saint Joseph le reprendre et le mettre dans les bras de la sainte Vierge qui était restée au fond de la grotte avec deux femmes. Elle le prit en pleurant, se retira dans le coin où était la crèche, s'assit' couverte de son voile, et apaisa l'enfant en lui donnant le sein. Saint Joseph lui remit aussi les linges teints de sang. On pria de nouveau et on chanta des cantiques. La lampe brûlait encore ; il faisait alors tout à fait jour. Bientôt la sainte Vierge vint avec l'enfant et le posa sur la pierre octogone. Les prêtres tournèrent vers elle leurs mains croisées sur la tête de l'enfant, et elle se retira avec lui.
Les prêtres, avant de se retirer, mangèrent quelque chose avec Joseph et deux bergers dans la cabane de feuillage. J'ai su que tous ceux qui avaient assisté à la sainte cérémonie étaient des gens de bien, et que les prêtres plus tard embrassèrent la doctrine du Sauveur. Toute la matinée on fit encore des distributions aux pauvres qui venaient à la porte. Pendant la cérémonie, l'âne était resté attaché dans un lieu séparé.
Encore aujourd'hui beaucoup de mendiants fort sales portant des paquets et venant de la vallée des bergers, passèrent devant la grotte de la Crèche. Ils semblaient aller à Jérusalem pour une fête. Ils demandèrent l'aumône très insolemment et proférèrent des malédictions et des injures près de la crèche, parce qu'ils ne trouvaient pas que Joseph leur eût donné assez. Je ne sais pas qui étaient ces gens, ils me déplaisaient beaucoup.
Dans la nuit suivante, je vis l'enfant souvent privé de sommeil par la douleur qu'il ressentit : il pleurait beaucoup. Marie et Joseph le prirent tour à tour sur leurs bras et le portèrent autour de la grotte en essayant de le calmer.
LVIII - Elisabeth vient à la Crèche.
Le lundi, 3 décembre) Ce soir je vis Élisabeth se rendre de Juttah à la grotte de la Crèche, montée sur un âne que conduisait un vieux domestique. Joseph la reçut très amicalement ; Marie et elle s'embrassèrent avec des sentiments de joie indicible. Elle pressa l'Enfant-Jésus sur son coeur en versant des larmes. On lui prépara une couche près de la place où Jésus était né. Devant cette place il y avait un tréteau élevé, comme une espèce de tréteau de scieur, sur lequel était un petit coffre où l'on mettait souvent l'Enfant-Jésus. Ce devrait être une chose habituelle pour les enfants, car, déjà chez sainte Anne, j'avais vu Marie, dans sa petite enfance, reposer sur un tréteau semblable.
(Le mardi, 4 décembre.) Hier soir et aujourd'hui, dans la journée, je vis Marie et Élisabeth assises à côté l'une de l'autre et s'entretenant affectueusement. J'étais prés d'elles et j'écoutais toutes leurs paroles avec un vif sentiment de joie. La sainte Vierge raconta à sa cousine tout ce qui lui était arrivé jusqu'alors, et quand elle parla de ce qu'elle avait souffert en cherchant un logement à Bethléhem, Élisabeth pleura de tout son coeur. Elle lui raconta aussi beaucoup de choses touchant la naissance de Jésus, et je m'en rappelle encore quelque chose. Elle dit qu'au moment de l'annonciation elle avait été ravie en esprit pendant dix minutes, et qu'elle avait eu le sentiment que son coeur devenait double, et qu'un bien inexprimable entrait en elle et la remplissait tout entière. Au moment de la nativité, elle avait eu aussi un ravissement avec le sentiment que les anges la portaient en l'air agenouillée, et il lui avait semblé que son coeur était divise en deux et qu'une moitié se séparait de l'autre. Elle avait perdu dix minutes l'usage de ses sens ; puis, ressentant un vide intérieur et un désir immense d'un bien infini qu'elle avait eu jusque là au dedans d'elle et qui n'y était plus, elle avait vu devant elle une lumière éclatante dans laquelle son enfant avait semblé croître sous ses y eux. Elle l'avait alors vu remuer et entendu pleurer ; puis, revenant à elle, elle l'avait pris sur la couverture et pressé contre son sein, car au commencement il lui avait semblé qu'elle rêvait, et elle n'avait pas osé toucher l'enfant environné de lumière. Elle dit aussi qu'elle n'avait pas eu la conscience du moment où l'enfant s'était séparé d'elle. Élisabeth lui dit : " Vous avez eu dans votre enfantement des grâces que n'ont pas les autres femmes ; celui de Jean aussi a été plein de douceur, mais les choses se sont passées autrement ". Voilà ce que je me rappelle de leurs discours.
Vers le soir, Marie se cacha encore avec l'Enfant-Jésus et Elisabeth dans la grotte latérale voisine de la grotte de la Crèche. Je crois qu'elles y restèrent toute la nuit. Marie s'y décida, parce que des gens de distinction de Bethléhem venaient en foule à la crèche par curiosité. Elle ne voulut pas se montrer à eux.
Je vis aujourd'hui la sainte Vierge avec l'Enfant-Jésus sortir de la grotte de la Crèche et aller dans une autre grotte placée à droite. L'entrée en était très étroite : quatorze marches en pente conduisaient d'abord dans un petit caveau, puis dans une chambre souterraine, plus grande que la grotte de la Crèche. Joseph la sépara en deux au moyen d'une couverture suspendue en l'air. La partie voisine de l'entrée était semi-circulaire, l'autre partie était carrée. La lumière ne venait pas par en haut, mais par des ouvertures latérales qui traversaient une grande épaisseur de rocher. J'ai vu, les jours précédents, un homme âgé enlever de cette grotte des fagots, des bottes de paille et des paquets de roseaux, comme ceux dont Joseph se servait pour faire du feu. Ce fut un berger qui leur rendit ce service. Cette grotte était plus claire et plus spacieuse que celle de la Crèche. L'âne n'y était pas. J'y vis l'Enfant-Jésus couché dans une auge creusée dans le roc. Pendant les jours précédents, j'ai vu souvent Marie montrer à quelques visiteurs son enfant, couvert d'un voile et tout nu, à l'exception d'un linge autour du corps. D'autres fois, je le vis de nouveau entièrement emmailloté. Je vis la garde qui avait assisté à la circoncision visiter souvent l'enfant. Marie lui donnait presque tout ce qu'apportaient les visiteurs, afin qu'elle le distribuât aux pauvres de Bethléhem.
LIX - Voyage des trois Rois Mages à Bethléhem.
(Communiqué le 21 novembre)
(Le 25 novembre.) J'ai déjà raconté comment je vis la naissance de Jésus-Christ annoncée aux trois rois la nuit même de Noël. Je vis Mensor et Sair ; ils étaient dans le pays du premier et regardaient les astres. Tous leurs préparatifs de voyage étaient faits. Ils regardaient l'étoile de Jacob du haut d'une tour en forme de pyramide, cette étoile avait une queue. Elle se dilata, pour ainsi dire, à leurs yeux, et ils virent une vierge brillante devant laquelle planait un enfant lumineux. Du côté droit de l'enfant sortit une branche, et à l'extrémité de celle-ci parut, comme une fleur, une petite tour à plusieurs entrées, qui finit par devenir une ville. Aussitôt après cette apparition, tous deux se mirent en route. Théokéno, le troisième, demeurait plus à l'orient, à deux journées de voyage. Il vit la même chose à la même heure, et partit aussitôt en toute hâte pour se réunir à ses deux amis, qu'il rejoignit en effet.
(Le 26 novembre.) Je m'endormis avec un grand désir de me trouver dans la grotte de la Crèche, près de la mère de Dieu, afin qu'elle me donnât l'Enfant-Jésus, pour le tenir quelque temps dans mes bras et le serrer sur mon coeur, et j'y allai en effet. Il faisait nuit. Joseph dormait, appuyé sur son bras droit, derrière son réduit, près de l'entrée. Marie était éveillée ; elle était assise à sa place accoutumée près de la crèche, et tenait sur son sein le petit Jésus recouvert d'un voile. Je m'agenouillai et j'adorai avec un grand désir de voir l'enfant. Ah ! elle le savait bien ; elle sait tout et elle accueille tout ce qu'on lui demande avec une bonté si touchante, quand on prie avec une foi sincère. Mais elle était silencieuse, recueillie ; elle adorait respectueusement celui dont elle était la mère, et elle ne me donna pas l'enfant, parce qu'elle l'allaitait, à ce que je crois. A sa place, j'aurais fait comme elle.
Mon désir allait toujours croissant et se confondait avec celui de toutes les âmes qui soupiraient pour l'Enfant-Jésus. Mais cette ardente aspiration vers le Sauveur n'était nulle part si pure, si naive et si sincère que dans le coeur des bons rois mages de l'Orient, qui l'avaient attendu pendant des siècles dans la personne de leurs ancêtres, croyant, espérant et aimant. Aussi mon désir se tourna vers eux. Quand j'eus fini d'adorer, je me glissais respectueusement hors de la grotte de la Crèche, et je fus conduite par une longue route jusqu'au cortège des trois rois.
Sur cette route, j'ai vu bien des pays, des habitations et des gens, leurs costumes, leurs moeurs et leurs usages, et aussi quelque chose de leur culte ; mais j'ai presque tout oublié. Je raconterai comme je le pourrai ce qui m'est resté présent à la mémoire.
Je fus conduite à l'orient dans une contrée où je n'avais jamais été. Elle était presque partout stérile et sablonneuse. Près de quelques collines habitaient, dans des cabanes de branchage, de petites réunions d'hommes. C'étaient comme des familles isolées, de cinq à huit personnes. Le toit, fait avec des branches, s'appuyait à la colline, où les demeures étaient creusées. Cette contrée ne produisait presque rien ; il n'y venait que des buissons, et ça et là un petit arbre avec quelques boutons dont on tirait une laine blanche. Je vis, en outre, quelques arbres plus grands sous lesquels ils plaçaient leurs idoles. Ces hommes étaient encore très sauvages ; ils me parurent se nourrir le plus souvent de chair crue, spécialement d'oiseaux, et vivre en partie de brigandage.
Ils étaient de couleur cuivrée et avaient des cheveux roussâtres comme le poil du renard. Ils étaient petits, trapus, plutôt gras que maigres, du reste adroits, lestes et actifs. Je ne vis pas chez eux d'animaux domestiques, ni de troupeaux. Ces gens faisaient des espèces de couvertures avec une laine blanche qu'ils recueillaient sur de petits arbres. Ils filaient avec cette laine de longues cordes de l'épaisseur du doigt, qu'ils tressaient ensuite pour en faire de larges bandes d'étoffe. Quand ils en avaient préparé un certain nombre, ils mettaient sur leur tête de grands rouleaux de ces couvertures, et allaient en troupe les vendre à une ville.
Je vis aussi en divers lieux, sous de grands arbres leurs idoles, qui avaient des têtes de taureau, avec des cornes et une grande bouche. Il y avait dans le corps des trous ronds, et en bas une ouverture plus large où l'on faisait du feu pour brûler les offrandes placées dans les autres ouvertures plus petites. Autour de chacun de ces arbres sous lesquels étaient les idoles, se trouvaient, sur de petites colonnes de pierre, d'autres figures d'animaux. Il y avait des oiseaux, des dragons, et une figure qui avait trois têtes de chien et une queue de serpent roulée sur elle-même.
Au commencement de mon voyage j'eus le sentiment qu'il y avait à ma droite un grand amas d'eau dont je m'éloignais de plus en plus. Au delà de la contrée dont je viens de parler le chemin allait toujours en montant, et je traversais une crête de montagne de sable blanc, où gisaient en grande quantité de petites pierres noires brisées, semblables à des fragments de pots et d'écuelles. De l'autre côté, je descendis dans une contrée couverte d'arbres, qui semblaient rangés dans un ordre régulier. Quelques-uns de ces arbres avaient des troncs écailleux et des feuilles d'une grandeur extraordinaire. Il y en avait, aussi de forme pyramidale avec de grandes et belles fleurs. Ces derniers avaient des feuilles d'un vert jaunâtre, et des branches avec des boutons. Je vis aussi des arbres avec des feuilles très lisses en forme de coeur.
J'arrivai ensuite dans un pays de pâturages qui s'étendaient à perte de vue entre des hauteurs. Tout y fourmillait de troupeaux innombrables. La vigne croissait autour des collines, et elle y était cultivée. Il y avait des rangées de ceps sur des terrasses, avec de petites haies de branchages pour les protéger. Les possesseurs de ces troupeaux habitaient sous des tentes dont l'entrée était fermée par des claies légères. Ces tentes étaient faites avec l'étoffe de laine blanche que fabriquaient les peuplades sauvages chez lesquelles j'avais passé. Il y avait au centre une grande tente entourée d'une quantité d'autres plus petites. Les troupeaux, séparés suivant leurs espèces, erraient dans ces grands pâturages, qui étaient entrecoupés par places de masses de buissons, formant comme des taillis. Je distinguai là des troupeaux d'espèces fort différentes. Je vis des montons dont la laine pendait en longues tresses et qui avaient de longues queues laineuses ; puis des animaux très agiles, avec des cornes comme celles des boucs ; ils étaient grands comme des veaux ; d'autres étaient de la taille des chevaux qui courent ici en liberté dans les prairies. Je vis aussi des troupes de chameaux et d'animaux de même espèce avec deux bosses. Dans un endroit, je vis dans une enceinte fermée quelques éléphants blancs et tachetés : ils étaient apprivoisés et servaient pour les usages domestiques.
Cette vision fut interrompue trois fois, parce que mon attention fut appelée d'un autre côté, et j'y revins toujours à différentes reprises. Ces troupeaux et ces pâturages me parurent appartenir à un des rois mages alors en voyage ; je crois que c'était à Mensor et à sa famille. Ils étaient confiés aux soins de bergers subalternes, qui portaient des jaquettes tombant jusqu'aux genoux, à peu près de la forme des habits de nos paysans, si ce n'est qu'elles étaient plus étroites. Je crois que le chef étant parti pour un long voyage, tous ses troupeaux furent in . . . (bas de page absent)
en temps des gens en manteaux longs venir prendre connaissance de tout. Ils se rendaient dans la grande tente centrale, et alors on faisait passer les troupeaux entre celle-ci et les petites tentes ; on les comptait et on les examinait. Ceux qui en faisaient le compte avaient à la main des espèces de tablettes, de je ne sais quelle matière, sur lesquelles ils écrivaient quelque chose. Je me disais alors à moi-même : Puissent nos évêques examiner avec la même diligence leurs troupeaux confiés aux pasteurs du second ordre !
Quand, après la dernière interruption, je revins à cette contrée de pâturages, il était nuit. Un profond silence régnait partout. La plupart des bergers dormaient sous les petites tentes ; quelques-uns seulement veillaient et erraient ça et là autour des troupeaux, lesquels étaient endormis et parqués, suivant leur espèce, dans de grandes enceintes séparées. Pour moi, je regardais avec attendrissement ces troupeaux dormant en paix, en pensant qu'ils appartenaient à des hommes qui, cessant de contempler les immenses pâturages azurés du ciel, semés d'innombrables étoiles, étaient partis à l'appel de leur Créateur tout-puissant, reconnaissant en lui leur pasteur, comme des troupeaux fidèles, pour suivre sa voix avec plus d'obéissance que les brebis de cette terre ne suivent celle de leurs pasteurs mortels. Et comme je voyais les bergers qui veillaient regarder plus souvent les étoiles du ciel que les troupeaux confiés à leur garde, je me disais à moi-même : ils ont bien raison de tourner des yeux étonnés et reconnaissants vers le ciel où, depuis des siècles, leurs ancêtres, persévérant dans l'attente et la prière, n'ont cessé d'attacher leurs regards. Le bon pasteur qui cherche sa brebis égarée, ne se repose pas qu'il ne l'ait trouvée et rapportée ; ainsi vient de faire le Père qui est dans les cieux, le vrai pasteur de ces innombrables troupeaux d'étoiles répandues dans l'immensité. L'homme auquel il avait soumis la terre ayant péché, et la terre ayant été maudite par lui en punition de ce crime, il était allé chercher l'homme tombé et la terre, . . .
(renvoi incohérent entre deux pages)
. . . on séjour, comme une brebis perdue : il a envoyé du haut du ciel son Fils unique pour se faire homme, ramener cette brebis perdue, prendre sur lui tous ses péchés en qualité d'agneau de Dieu et satisfaire en mourant à la justice divine. Et cet avènement du Rédempteur promis venait d'avoir lieu. Les rois de ce pays, conduits par une étoile, étaient partis la nuit précédente pour aller rendre hommage au Sauveur nouvellement né. C'est pourquoi ceux qui veillaient sur les troupeaux regardaient avec émotion les pâturages célestes et priaient ; car le Pasteur des pasteurs venait d'en descendre, et c'était aux bergers qu'il avait d'abord annoncé sa venue.
Pendant que je méditais ainsi en regardant l'immense plaine, le silence de la nuit fut interrompu par le bruit des pas d'une cavalcade qui arrivait en toute hâte : c'était une troupe d'hommes montés sur des chameaux. Le cortège, passant le long des troupeaux qui reposaient, se dirigea rapidement vers la tente principale du camp des bergers. Quelques chameaux endormis se réveillaient ça et là et tournaient leurs longs cous vers le cortège. On entendait bêler des agneaux troublés dans leur sommeil ; quelques-uns des arrivants sautaient à bas de leurs montures et réveillaient les bergers dormant dans les tentes. Les plus voisins des veilleurs accostaient le cortège. Bientôt tout fut sur pied et en mouvement autour des voyageurs ; on s'entretint en regardant le ciel et en se montrant les étoiles. Ils parlaient d'un astre ou d'une apparition dans le ciel qui avait cessé de se montrer, car moi-même je ne la vis pas.
C'était le cortège de Théokéno, le troisième des rois mages, celui qui demeurait le. plus loin. Il avait vu dans sa patrie le même signe dans le ciel, qu'avaient vu d'autres, et il s'était aussitôt mis en route. u demandait maintenant combien Mensor et Sair devaient avoir d'avance sur lui, et si l'on pouvait encore voir l'étoile qu'ils avaient prise pour guide. Quand il eut reçu les informations nécessaires, le cortège continua son voyage sans s'arrêter plus longtemps. Cet endroit était celui où les trois rois, qui demeuraient fort loin les uns des autres, avaient coutume de se réunir pour observer les astres, et la tour, en forme de pyramide, au haut de laquelle il' faisaient leurs observations, était dans le voisinage. Théokéno était celui des trois qui demeurait le plus loin. Il habitait au delà du pays dans lequel Abraham avait d'abord vécu, et à l'entour duquel tous les trois étaient établis.
Dans les intervalles entre les visions que j'eus à trois reprises pendant la journée sur ce qui se passait dans la grande plaine des troupeaux, différentes choses me furent montrées touchant les pays où Abraham avait vécu : j'en ai oublié la plus grande partie. Je vis une fois, à une grande distance, la hauteur sur laquelle Abraham voulait sacrifier Isaac. Une autre fois, je vis très distinctement, quoique ce fût fort loin d'ici, l'aventure d'Agar et d'Ismael dans le désert. La première demeure d'Abraham était située à une grande élévation, et les pays des trois rois, qui se trouvaient alentour, étaient plus bas. Je raconterai ici ce que je vis d'Agar et d'Ismael. A l'un des côtés de la montagne d'Abraham, plus près du fond de la vallée, je vis Agar avec son fils errer au milieu des buissons. Elle semblait comme hors d'elle-même. L'enfant était encore fort jeune : il avait une longue robe. Elle-même était enveloppée dans un long manteau qui recouvrait la tête, et sous lequel elle portait un vêtement court avec un corsage étroit. Elle plaça l'enfant sous un arbre, près d'une colline, et lui fit des marques sur le front, au haut du bras droit, sur la poitrine et au haut du bras gauche. Je ne vis pas la marque sur le front, mais les autres, qui étaient faites sur les habits, restèrent visibles et semblaient tracées avec une couleur rouge. Elles avaient la forme d'une croix, mais non pas d'une croix ordinaire. Cela ressemblait à une croix de Malte, ayant au milieu un cercle duquel partaient les quatre triangles formant la croix. Dans les quatre triangles, elle écrivit des signes ol1 des lettres en forme de crochets dont je ne comprenais pas la signification. Dans le cercle qui était au centre, je la vis tracer deux ou trois lettres. Elle traça tout cela très vite, avec une couleur rouge, qu'elle semblait avoir dans la main. Peut-être était-ce du sang. Elle s'éloigna ensuite, leva les yeux au ciel et ne regarda plus du côté de son fils. Elle alla à peu près à une portée de fusil et s'assit sous un arbre. Alors elle entendit une voix venant du ciel, se leva et alla plus loin ; puis elle entendit de nouveau la voix, et vit une source sous le feuillage. Elle remplit son outre de cuir, retourna près de son fils, auquel elle donna à boire, et elle le conduisit près de la source, où elle lui mit un autre vêtement par-dessus celui où elle avait fait les marques dont j'ai parlé.
Voilà tout ce que je me rappelle de cette vision. Je crois qu'antérieurement j'avais vu deux fois Agar dans le désert, une fois avant la naissance de son fils, et l'autre fois comme celle-ci avec le jeune Ismael.
(Dans la nuit du 27 au 28 novembre.) Quand la soeur Emmerich communiqua, en 1821, ces visions sur le voyage des trois rois, elle avait déjà raconté toute la période de la prédication de Jésus. Elle avait vu entre autres choses le Sauveur se retirer au delà du Jourdain, après la résurrection de Lazare, et, pendant une absence de seize semaines, faire une visite aux rois mages, qui, à leur retour de Bethléhem, s'étaient établis ensemble dans un pays plus voisin que le leur de la terre promise. Mensor et Théokéno vivaient encore ; mais, lors du voyage de Jésus, Sair, le roi basané, était mort. Il a paru nécessaire d'instruire le lecteur de ces événements, postérieurs de trente-trois ans, mais racontés précédemment, afin de rendre intelligibles certaines choses qui y font allusion dans le récit qui suit.
Dans la nuit du 27 au 28 novembre, je vis à l'aube du jour le cortège de Théokéno rejoindre celui de Mensor et de Sair dans une ville en ruine. Il y avait là de longues rangées de hautes colonnes isolées. Les portes étaient surmontées de tours carrées à moitié écroulées. Il s'y trouvait de grandes et belles statues ; elles n'étaient pas raides comme celles de l'Egypte, mais elles avaient de belles attitudes qui leur donnaient l'air vivant. Le pays était sablonneux, et il y avait beaucoup de rochers. Dans les ruines de cette ville abandonnée étaient établis des gens qui avaient l'air de bandits ; ils n'étaient vêtus que de peaux de bêtes jetées sur le corps, et ils étaient armés d'épieux. Ils avaient la peau basanée ; ils étaient petits et trapus, mais singulièrement agiles. Il me semblait avoir été déjà dans cet endroit, peut-être lors de ces voyages que je fis en songe à la montagne des prophètes et aux bords du Gange. Les trois cortèges se trouvant réunis, ils quittèrent cette ville de grand matin pour continuer leur voyage en toute bâte, et beaucoup de pauvres habitants de ce lieu se joignirent à eux, attirés par la libéralité des trois rois. Ils allèrent à une demi-journée plus loin, et firent là une halte. Après la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ, l'apôtre saint Jean envoya deux disciples, Saturnin ' et Jonadab, le demi frère de saint Pierre, annoncer l'Evangile dans cette ville ruinée.
Je vis les trois rois ensemble. Le dernier arrivé, Théokéno, avait le teint tirant sur le jaune ; je le reconnus pour celui qui, trente-deux ans plus tard, était malade dans sa tente, lorsque Jésus visita les rois mages dans leur établissement voisin de la terre promise. Chacun des trois rois avait avec lui quatre proches parents ou amis intimes, de sorte qu'il y avait en tout dans le cortège quinze personnes de haut rang, accompagnées d'une foule de conducteurs de chameaux et de serviteurs. Parmi plusieurs jeunes gens de ce cortège, qui étaient à peu prés nus jusqu'à la ceinture, et qui pouvaient sauter et courir avec une agilité extraordinaire, je reconnus Éléazar, qui, plus tard, devint martyr, et dont j'ai une relique.
Elle vit les trois rois passer par cette ville le jour de la fête de saint Saturnin, duquel elle possédait une relique : c'est ce qui lui fit remarquer les relations du saint avec cet endroit. Plus tard, l'écrivain lut dans la légende de saint Saturnin qu'il avait prêché l'Evangile en Asie, jusque dans la Médie.
Dans l'après-midi, comme son confesseur lui demandait encore le nom des trois rois, elle répondit : Mensor le brun, baptisé par saint Thomas après la mort du Sauveur, reçut au baptême le nom de Léandre. Théokéno, le jaune, qui était malade lors du passage de Jésus en Arabie, fut baptisé par le même saint Thomas sous le nom de Léon. Le plus basané, qui était déjà mort lors de la visite du Sauveur, s'appelait Séir ou Sair. Son confesseur lui demanda : " Comment donc celui-ci fut-il baptisé " ? Elle ne se déconcerta pas, et dit en souriant : " il était déjà mort, et avait eu le baptême de désir ". Le confesseur lui dit alors : " Je n'ai jamais entendu ces noms : comment s'accordent-ils avec ceux de Gaspard, Melchior et Balthazar " ? Elle répondit : " On les a ainsi nommés parce que cela se rapporte à leur caractère, car ces mots signifient : 1, il va avec amour ; 2, il erre tout autour, il va en caressant, il s'approche doucement ; 3, il saisit promptement avec sa volonté, il unit promptement sa volonté à la volonté de Dieu ". Elle dit cela d'un air très gracieux et indiqua la signification de ces noms par une espèce de pantomime en remuant sa main sur la couverture de son lit. C'est aux orientalistes a dire jusqu'à quel point ces trois noms peuvent être interprétés de cette manière.
(Le 28 novembre.) Une demi journée au delà de la ville en ruine où se trouvaient tant de colonnes et de figures de pierre, je crus rencontrer pour la première fois le cortège réuni des trois rois mages. C'était dans un pays assez fertile. On voyait ça et là des habitations de bergers construites en pierres blanches et noires Le cortège arriva dans la plaine à un puits, dans le voisinage duquel se trouvaient plusieurs hangars spacieux. Il y en avait trois au milieu et plusieurs autres alentour. C'était comme des lieux de repos pour les voyageurs.
Le cortège entier était divisé en trois groupes : dans chacun d'eux se trouvaient cinq personnages de distinction, et parmi ceux-ci le chef et le roi, qui, comme un père de famille, ordonnait tout, réglait tout et faisait les parts. Chacun de ces trois groupes se composait d'hommes dont je visage était de couleur différente. La tribu de Mensor avait le teint d'un brun agréable, celle de Saïr était d'un brun plus foncé ; celle de Théokéno avait un teint éclatant tirant sur le jaune. Je ne vis personne d'un noir brillant, à l'exception de quelques esclaves.
Les principaux personnages étaient assis sur leurs bêtes de somme, entre des paquets recouverts de tapis. Ils avaient des bâtons à la main. Ils étaient suivis d'autres bêtes grandes à peu près comme des chevaux, sur lesquelles étaient des serviteurs et des esclaves au milieu du bagage. Quand ils furent arrivés, ils descendirent, déchargèrent entièrement les animaux et les firent boire au puits. Celui-ci était entouré d'un petit terrassement sur lequel était un mur avec trois entrées ouvertes. Dans cette enceinte se trouvait le réservoir d'eau, qui était placé un peu plus bas. L'eau sortait par trois conduits fermés avec des chevilles. Le réservoir était fermé par une espèce de couvercle ; il fut ouvert par un homme de la ville en ruine qui s'était joint au cortège. Ils avaient des outres de cuir séparées en quatre compartiments, où quatre chameaux pouvaient boire à la fois quand elles étaient remplies d'eau. Ils étaient si soigneux en ce qui concernait l'eau, qu'ils n'en laissaient pas perdre une goutte ; les bêtes furent ensuite installées dans des enceintes découvertes qui se trouvaient près du puits, et où chacune avait sa place à part. Elles avaient là devant elles des auges de pierre où on leur fit manger d'un fourrage qu'elles portaient avec elles. C'étaient des grains gros à peu près comme des glands (peut-être des fèves). Dans le bagage se trouvaient aussi de grandes cages suspendues aux flancs des bêtes de somme, et où se trouvaient de, oiseaux de diverses espèces, gros à peu près comme des pigeons ou des poulets, ils en mangeaient pendant le voyage. Ils avaient dans des boites de cuir des pains d'égale grandeur, semblables à des tablettes pressées les unes contre les autres. Ils portaient avec eux des vases précieux d'un métal Jaune, couverts d'ornements et de pierres fines, lesquels avaient à peu près la forme de ne. vases sacrés, tels que calices, patènes, etc. Ils s'en servaient pour boire et pour présenter les aliments Le. bords de ces vases étaient le plus souvent ornés de pierres rouges.
Les tribus n'étaient pas tout à fait habillées de la même manière. Théokéno et sa famille, aussi bien que Mensor, portaient sur la tête une sorte de calotte élevée, autour de laquelle était roulée une bande d'étoffe blanche ; leurs tuniques descendaient jusqu'aux jarrets : elles étaient très simples et avaient à peine quelques ornements sur la poitrine ; ils avaient des manteaux légers, amples et très longs, qui traînaient par derrière. Sair, le basané, et sa famille, portaient des bonnets avec une coiffe ronde, brodée de diverses couleurs, et un petit bourrelet blanc ; ils avaient des manteaux plus courts, et là-dessous des tuniques boutonnées descendant jusqu'aux genoux, chamarrées de lacets, de boutons reluisants et d'autres ornements ; sur l'un des côtés de leur poitrine, se trouvait une plaque brillante de la forme d'une étoile. Tous avaient les pieds nus, posant sur des semelles assujetties avec des cordons qui entouraient le bas des jambes. Les principaux d'entre eux avaient à la ceinture des sabres courts ou de grands coutelas ; ils y portaient aussi des bourses et de petites boites. Il y avait là des hommes de cinquante ans, de quarante, de trente et de vingt ; les uns avaient une longue barbe, les autres la portaient plus courte. Les serviteurs et les chameliers étaient vêtus beaucoup plus simplement ; plusieurs n'avaient sur eux qu'une pièce d'étoffe ou une vieille couverture.
Quand les bêtes furent désaltérées et parquées, et quand eux-mêmes eurent bu, ils firent du feu au milieu du hangar sous lequel ils s'étaient établis : ils se servirent pour cela de morceaux de bois d'environ deux pieds et demi de long, que les pauvres gens du pays avaient apportés en fagots, lesquels paraissaient préparés d'avance pour l'usage des voyageurs ; ils en firent une espèce de bûcher de forme triangulaire, laissant sur le côté une ouverture pour donner de l'air : c'était très habilement arrangé. Je ne sais pas bien comment ils se procurèrent di1 feu : je vis qu'on mit un morceau de bois dans un autre où l'on avait fait un creux, et qu'on le fit tourner quelque temps ; après quoi on le retira allumé. Ils firent ainsi leur feu, et je les vis tuer quelques oiseaux et les faire rôtir.
Les trois rois et les plus âgés firent chacun pour sa tribu ce que fait un père de famille dans sa maison ; ils firent les parts et présentèrent à chacun la sienne : ils placèrent les oiseaux découpés sur de petites patènes ou assiettes, et les firent passer à la ronde ; ils remplirent aussi les coupes et donnèrent à boire à chacun. Les serviteurs subalternes, parmi lesquels étaient des nègres, étaient assis par terre sur une couverture ; ils attendaient patiemment leur tour et recevaient aussi leur part. Je pense que c'étaient des esclaves.
Combien sont touchantes la bonté et la simplicité naive de ces excellents rois ! ils donnent de tout ce qu'ils ont aux gens qui sont venus avec eux ; ils leur portent même les vases d'or à la bouche, et les font boire comme des enfants.
J'ai appris aujourd'hui beaucoup de choses sur les saints rois, notamment les noms de leurs pays et de leurs villes, mais j'ai presque tout oublié. Je dirai ce que j'ai retenu. Mensor, le brun, était Chaldéen ; sa ville avait un nom comme Acaiaia ; elle était entourée d'un fleuve et comme sur une île. Il résidait habituellement dans la plaine, près de ses troupeaux. Sair, le basané, était déjà auprès de lui tout prêt à partir, la nuit de la Nativité. Je me souviens que son pays avait un nom qui ressemblait à Partherme. (C'est peut-être le nom de Parthiène ou de Parthomaspe défiguré.) un peu au-dessus de ce pays se trouvait un lac. Lui et sa tribu étaient de couleur très foncée) mais avec les lèvres rouges. Les autres gens qu'étaient avec eux étaient blancs Il n'y avait qu'une ville, à peu près grande comme Munster.
L'écrivain trouva, en 1839, par conséquent dix-huit ans après cette mention d'Acaiaia, l'indication suivante dans le Dictionnaire des écoles industrielles de Franke : "Achaiacula, forteresse sur les iles de l'Euphrate en Mésopotamie. "(Ammian., 2 i-2.) Nous désirons qu'on puisse établir une relation entre ces noms.
Théokéno, le blanc, venait de Médie, pays situé plus haut, entre deux mers ; il habitait sa ville, dont j'ai oublié le nom. Elle était composée de tentes dressées sur des fondements en pierres. Je pense que Théokéno, qui était le plus riche des trois, et celui qui avait renoncé à plus de choses, aurait pu se rendre à Bethléhem par une voie plus directe, et qu'il avait fait un détour pour se réunir aux autres. Il me semble presque qu'il avait dû passer près de Babylone pour les rejoindre.
Saïr demeurait à trois journées de voyage de l'habitation de Mensor, en évaluant chaque journée à douze lieues. Théokéno était à cinq de ces journées de voyage. Mensor et Sair se trouvaient réunis chez le premier, lorsqu'ils virent l'étoile qui annonçait la naissance de Jésus. Ils s'étaient mis en route le jour suivant. Théokéno vit chez lui la même apparition ; il partit en toute hâte pour rejoindre les deux autres et les rencontra dans la ville en ruine.
L'étoile qui les conduisait était comme un globe rond, et la lumière en sortait comme d'une bouche. (Cette expression peut s'être présentée à elle, parce qu'elle voyait souvent de la lumière sortir de la bouche du Seigneur et de celle des saints.) il me semblait toujours que ce globe était comme suspendu à un fit lumineux et dirigé par une main. Pendant la journée je voyais au-devant d'eux un corps brillant dont la clarté surpassait celle du jour. Quand je considère la longueur du voyage, je suis étonnée de la vitesse avec laquelle ils le firent ; mais les animaux qu'ils montaient avaient un pas si léger et si égal, que leur marche me paraissait ordonnée, rapide et uniforme comme le vol d'une bande d'oiseaux de passage. Les pays des trois rois formaient ensemble comme un triangle.
Le cortège étant resté jusqu'au soir dans l'endroit où je l'avais vu s'arrêter, les gens qui s'y étaient joints aidèrent à recharger les bêtes de somme, et emportèrent chez eux différentes choses qui avaient été laissées là par les voyageurs. La nuit tombait lorsque ceux-ci se mirent en route. L'étoile était visible ; elle jetait une lueur rougeâtre comme la lune lorsqu'il fait grand vent. Ils marchèrent quelque temps près de leurs montures, la tête découverte, et ils firent des prières. Le chemin ici était tel qu'on ne pouvait pas aller vite. Plus tard, quand il devint uni, ils remontèrent sur leurs bêtes, qui avaient une allure très rapide. Quelquefois ils allaient lentement, et alors ils entonnaient tous ensemble, à travers la nuit, des chants singulièrement expressifs et touchants.
(Du 29 novembre au 2 décembre.) Dans la nuit du 29 au 30 novembre, je me trouvai de nouveau prés du cortège des trois rois. Ils s'avancent toujours dans la nuit, suivant l'étoile qui, en ce moment, semble toucher la terre de sa longue queue lumineuse. Ils la regardent avec une joie tranquille, descendent de leurs montures et s'entretiennent ensemble. Quelquefois ils chantent alternativement de courtes sentences sur un air lent et expressif, dont les notes sont tantôt très hautes, tantôt très basses. Il y a quelque chose d'extrêmement touchant dans ces mélodies qui interrompent le silence de la nuit, et j'ai le sentiment de tout ce qu'ils chantent. Le cortège s'avance dans une belle ordonnance : c'est d'abord un grand chameau portant de chaque côté des coffres sur lesquels sont étendus de larges tapis ; en haut est assis un des chefs, avec son épieu à la main et un sac auprès de lui. Puis viennent des animaux plus petits, comme des chevaux ou des ânes de haute taille, et sur eux, entre les bagages, les hommes qui dépendent de ce chef. Puis, vient un autre chef sur un chameau, etc. Ces animaux marchent légèrement, quoique à grand pas, et ils posent le pied avec précaution. Leur corps ne remue pas ; leurs pieds seuls sont en mouvement. Les hommes sont aussi calmes que s'ils n'avaient à s'occuper de rien. Tout cela est si tranquille et si doux ! c'est comme un songe paisible.
Je ne puis m'empêcher de faire une réflexion frappante sur ce que je vois. Ces bonnes gens ne connaissent pas encore le Seigneur, et ils vont à lui avec tant d'ordre, de paix et de bonne grâce ! tandis que nous, qu'il a délivrés et comblés de ses bienfaits, nous sommes si désordonnés et si irrévérencieux dans nos processions.
Le vendredi, 30 novembre, je vis le cortège s'arrêter dans une plaine près d'un puits. Un homme, sorti d'une cabane comme il y en avait plusieurs dans le voisinage, leur ouvrit ce puits. Ils abreuvèrent leurs bêtes, et firent une courte halte sans les décharger.
Le samedi, 1er décembre, je vis le cortège, qui avait suivi hier un chemin montant sur un plateau élevé. A leur droite étaient des montagnes, et il me sembla qu'à l'endroit où le chemin descendait, ils s'approchèrent d'une contrée où se trouvaient fréquemment des habitations, des arbres et des fontaines. Il me sembla que c'était le pays de ces gens que j'avais vus l'année dernière et récemment encore filer et tisser du coton. Ils adoraient des images de taureaux. Ils offrirent libéralement des aliments à la troupe nombreuse qui suivait le cortège ; mais ils ne se servaient plus des plats dans lesquels ceux-ci avaient mangé, ce dont je fus surprise.
Le dimanche, 2 décembre, Je vis les saints rois dans le voisinage d'une ville dont le nom me parait ressembler à Causour, et qui se compose de tentes dressées sur des fondations en pierres. Ils s'arrêtèrent là chez un autre roi auquel cette ville appartenait, et dont la demeure était à quelque distance. Depuis leur jonction dans la ville en ruine jusqu'ici, ils avaient fait cinquante-trois ou soixante-trois heures de route. Ils racontèrent au roi de Causour tout ce qu'ils avaient vu dans les étoiles. Il fut très étonné, regarda l'étoile qui les conduisait, et y vit un petit enfant avec une croix. Il les pria de lui raconter à leur retour ce qu'ils auraient vu, parce qu'il voulait aussi élever des autels à l'enfant et lui offrir des sacrifices. Je suis curieuse de savoir s'il tiendra sa parole lorsqu'ils reviendront. Je les ai entendus lui raconter l'origine de leurs observations sur les astres, et je me souviens de ce qui suit :
Les ancêtres des trois rois étaient de la race de Job, qui anciennement avait habité près du Caucase, et qui avait eu des possessions dans d'autres pays très éloignés. Environ quinze cents ans avant Jésus-Christ, ils ne formaient encore qu'une seule tribu. Le prophète Balaam était de leur pays ; un de ses disciples y avait fait connaître sa prophétie : " une étoile naîtra de Jacob ", et avait donné des instructions à ce sujet. Sa doctrine s'y était fort répandue : on avait élevé une grande tour sur une montagne, et plusieurs savants astronomes y résidaient alternativement. J'ai vu cette tour, qui était elle-même comme une montagne, large par en bas et se terminant en pointe. Tout ce qu'ils observaient dans le ciel était noté et passait de bouche en bouche. A plusieurs reprises, ces observations furent interrompues par suite de divers événements. Plus tard, ils en vinrent à des abominations impies, au point de sacrifier des enfants. Ils croyaient pourtant que l'enfant promis devait venir bientôt. Environ cinq siècles avant la naissance de Jésus-Christ, les observations avaient cessé. Ils s'étaient alors divisés en trois branches, formées par trois frères qui vivaient séparés avec leurs familles. Ces frères avaient trois filles auxquelles Dieu avait accordé le don de prophétie. Elles parcouraient le pays, vêtues de longs manteaux, et faisaient des prédictions relativement à l'étoile et à l'enfant qui devait sortir de Jacob. On se remit alors à observer les astres, et l'attente de l'enfant redevint très vive dans les trois tribus. Les trois rois descendaient de ces trois frères par quinze générations qui s'étaient succédé en ligne directe depuis environ cinq cents ans. Mais, par suite du mélange avec d'autres races, la couleur de leur peau avait changé, et ils différaient les uns des autres à cet égard.
Depuis cinq siècles, les ancêtres des trois rois n'avaient jamais cessé de se réunir de temps en temps pour observer ensemble les astres. Tous les événements remarquables et relatifs à l'avènement futur du Messie leur étaient indiqués par des signes merveilleux qu'ils voyaient dans le ciel. J'en vis plusieurs pendant leur récit, mais je ne puis les rapporter clairement. Depuis la conception de la sainte Vierge, par conséquent depuis quinze ans, ces signes marquaient plus distinctement que la venue de l'Enfant était proche. Enfin ils avaient vu aussi bien des choses qui se rapportaient à la Passion de Notre Seigneur. Ils pouvaient calculer au juste l'époque où sortirait de Jacob l'étoile prophétisée par Balaam, car ils avaient vu l'échelle de Jacob, et, d'après le nombre des échelons et la succession des tableaux qui s'y montraient, ils pouvaient calculer l'approche du Sauveur, comme sur un calendrier ; car l'extrémité de l'échelle aboutissait à cette étoile, ou bien l'étoile était la dernière image qui y apparût. A l'époque de la conception de Marie, ils avaient vu la Vierge avec un sceptre et une balance, sur les plateaux de laquelle étaient des épis de blé et des raisins. Un peu plus tard ils virent la Vierge avec l'enfant. Bethléhem leur apparut comme un beau palais, une maison où étaient rassemblées et distribuées d'abondantes bénédictions. Ils y virent aussi la Jérusalem céleste, et entre ces deux demeures, une route sombre, pleine d'épines, de combats et de sang.
Ils prirent tout cela à la lettre. Ils croyaient que le roi attendu était né au milieu d'une grande pompe, et que tous les peuples lui rendaient hommage. C'est pourquoi ils allaient, eux aussi, l'honorer et lui porter leurs présents. Ils prenaient la Jérusalem céleste pour son royaume sur la terre, et c'était là qu'ils croyaient aller. Quant à la route semée de difficultés, ils pensaient qu'elle représentait leur voyage, ou bien une guerre qui menaçait le nouveau roi. Ils ne savaient pas que c'était le symbole de la voie douloureuse de sa Passion. Au-dessous, sur l'échelle de Jacob, ils virent (et je vis aussi) une tour artistement construite, assez semblable aux tours que je vois ; sur la montagne des prophètes, et où la Vierge se réfugia une fois pendant un orage. Je ne sais plus ce que cela signifiait. (Peut-être la fuite en Egypte.) il y avait une longue série de tableaux sur cette échelle de Jacob, entre autres beaucoup de symboles figuratifs de la sainte Vierge, dont quelques-uns se trouvent dans les litanies, en outre la fontaine scellée, le jardin fermé, et aussi des figures de rois dont les uns tenaient un sceptre et les autres des branches d'arbre.
Ils virent ces tableaux se montrer dans les étoiles ; ils les virent continuellement pendant les trois dernières nuits Alors le principal d'entre eux envoya des messagers aux autres ; et quand ils virent les rois présenter des offrandes à l'enfant nouveau-né, ils se mirent en route avec leurs présents, ne voulant pas être les derniers à lui rendre hommage. Toutes les tribus des adorateurs des astres avaient vu l'étoile, mais celles-ci seules la suivirent. L'étoile qui les conduisait n'était pas une comète, mais un météore brillant que portait un ange.
Ce furent ces visions qui les firent partir dans l'attente de grandes choses, et ils furent ensuite très surpris de ne rien trouver de tout cela. Ils furent très étonnés de la réception d'Hérode et de l'ignorance où tout le monde était. Quand ils arrivèrent à Bethléhem, et qu'au lieu du palais magnifique qu'ils avaient vu dans l'étoile, ils virent une pauvre grotte, ils furent assaillis de bien des doutes. Mais ils restèrent fermes dans leur foi, et, à la vue de l'Enfant-Jésus, ils reconnurent que ce qu'ils avaient vu dans les astres était accompli.
Leurs observations des étoiles étaient accompagnées d. jeûnes, de prières, de cérémonies, de toute sorte d'abstinences et de purifications. Ce culte des astres exerçait des influences pernicieuses sur des gens qui étaient en rapport avec le mauvais esprit. Ces gens, lors de leurs visions, étaient saisis de convulsions violentes ; c'était à leur suite qu'avaient lieu d'abominables sacrifices d'enfants. D'autres, comme par exemple les saints rois, virent tout cela clairement, tranquillement, avec une douce émotion, et ils en devinrent meilleurs et plus pieux.
(Du lundi 3 au mercredi 5 décembre.) Lorsque les trois rois quittèrent Causour, je vis se joindre à eux une troupe considérable de voyageurs de distinction qui suivaient la même route. Les 3 et 4 décembre, je vis la caravane traverser une grande plaine. Le b, ils firent une halte près d'un puits. Ils firent boire et manger leurs bêtes de somme sans les décharger, et préparèrent quelques aliments pour eux-mêmes.
Pendant ces derniers jours, la soeur Emmerich, tout en dormant, chanta plusieurs fois des paroles rimées sur des airs étranges, mais très touchants. Comme on l'interrogeait à ce sujet. elle répondit : Je chante avec ces bons rois ; ils chantent si agréablement des paroles comme celles-ci, par exemple :
Nous voulons franchir les montagnes,
et nous agenouiller devant le nouveau roi.
Ils improvisent et chantent ces vers alternativement ; l'un d'eux commence, et tous les autres répètent le vers qu'il a chanté ; alors un autre ajoute un autre vers, et ils continuent ainsi, tout en chevauchant, à chanter leurs douces et touchantes mélodies.
Dans le centre de l'étoile, ou plutôt du globe lumineux qui leur montrait le chemin, je vis apparaître un enfant avec une croix. Ce globe lumineux, lorsqu'ils eurent vu l'apparition de la Vierge dans les étoiles, s'était montré au-dessus de cette image et s'était tout d'un coup mis en mouvement.
LX - Bethléhem. La sainte Vierge a le pressentiment de rapproche des trois Rois.
La contemplation passe alternativement de la grotte de la Crèche, à Bethléhem, à la caravane des trois rois.
(Mercredi, 5 décembre.) Marie avait eu une vision sur l'approche des trois rois pendant leur halte près du roi de Causour. Elle vit aussi que celui-ci voulait élever un autel à l'enfant. Elle raconta cela à saint Joseph et à Élisabeth, et dit qu'il fallait vider la grotte de la Crèche et tout préparer pour la réception des trois rois à leur arrivée.
Les gens à cause desquels Marie s'était retirée hier dans l'autre grotte étaient des visiteurs curieux : il en vint un plus grand nombre dans les derniers jours. Aujourd'hui Élisabeth revint à Juttah, en compagnie d'un serviteur.
(Du 6 au 8 décembre.) il y eut plus de tranquillité dans la grotte de la Crèche pendant ces deux jours. La sainte Famille resta seule la plupart du temps. La servante de Marie, femme d'environ trente ans, très sérieuse et très humble, était seule présente. C'était une veuve sans enfants, parente d'Anne, qui lui avait donné asile chez elle. Son défunt mari avait été très dur envers elle parce qu'elle allait souvent chez les Esséniens ; car elle était très pieuse et attendait le salut d'Israel. Il s'irritait à cause de cela, comme de méchants hommes de nos jours qui trouvent que leurs femmes vont trop souvent à l'église ; il l'avait quittée et était mort quelque temps après.
Les vagabonds qui avaient mendié et proféré des injures et des malédictions près de la grotte de la Crèche ne revinrent plus dans ces derniers jours. C'étaient des mendiants qui allaient à Jérusalem pour la fête de la dédicace du temple, instituée par les Machabées.
Joseph célébra le sabbat sous la lampe, dans la grotte de la Crèche, avec Marie et la servante. Le samedi soir commença la fête de la dédicace du temple. On est tranquille aujourd'hui ; les nombreux visiteurs étaient des voyageurs qui allaient à la fête. Anne envoie plusieurs fois des messagers pour apporter des présents et avoir des nouvelles. Les femmes juives ne nourrissent pas longtemps leurs enfants sans leur donner d'autre aliment que leur lait : aussi l'Enfant-Jésus prit-il, après les premiers jours, une bouillie faite de la moelle d'une espèce de roseau : cette bouillie est douce, légère et nourrissante.
(Du 9 au 10 décembre.) Joseph allume le soir et le matin ses petites lampes pour célébrer la fête de la Dédicace. Depuis le commencement de la fête à Jérusalem, on est fort tranquille ici.
(Le lundi 10.) Il vint aujourd'hui un serviteur de la part de sainte Anne. Il portait à la sainte Vierge, outre divers autres objets, tout ce qu'il fallait pour travailler à une ceinture, ainsi qu'une charmante corbeille pleine de fruits et recouverte de roses qui étaient placées sur les fruits et qui étaient restées très fraîches. Cette corbeille était mince et haute. Les roses n'étaient pas de la couleur des nôtres, mais pâles et presque couleur de chair ; il y en avait aussi de jaunes et de blanches ; il s'y trouvait des boutons. Marie parut y prendre plaisir et plaça la corbeille près d'elle.
(Caravane des trois rois.) J'ai vu plusieurs fois les trois rois en marche ; le chemin était montueux. Ils franchirent ces montagnes dont j'ai parlé, et où se trouvent semées des pierres minces semblables à des fragments de poterie. J'aimerais à en avoir : elles sont belles et polies. Il y a aussi là d'autres montagnes où se trouvent beaucoup de pierres transparentes semblables à des oeufs d'oiseau, ainsi que beaucoup de sable blanc. Je les vis dans la contrée où ils s'établirent plus tard, et où Jésus les visita pendant sa troisième année de prédication.
(Mardi,1 décembre ; jeudi, 13 décembre.) il me semble que Joseph aurait envie de rester à Bethléhem et de s'y fixer après la purification de Marie ; je crois qu'il a pris quelques renseignements dans cette intention. Il y a trois jours, il vint à la grotte de la Crèche des gens aisés de Bethléhem ; maintenant ils prendraient volontiers la sainte Famille chez eux. Marie se cacha dans la grotte latérale, et Joseph déclina leurs offres. Sainte Anne visitera bientôt la sainte Vierge. Je l'ai vue dernièrement très affairée : elle faisait des parts de ses troupeaux pour les pauvres et pour le temple. La sainte Famille distribuait également tout ce qu'elle avait. La fête de la Dédicace était encore célébrée matin et soir. Il doit s'y être joint une autre fête le 13. Je vis à Jérusalem faire des changements dans les cérémonies de la fête. Je vis un prêtre avec un rouleau prés de saint Joseph dans la grotte : ils prièrent ensemble près d'une petite table qui avait une couverture rouge et blanche. Il semblait que ce prêtre voulût voir si Joseph célébrait la fête ou qu'il lui annonçât une nouvelle fête. (Il lui sembla voir un jour de fête ; cependant elle croyait que celle de la nouvelle lune (néoménie) devait avoir commencé : elle ne savait pas bien ce qui en était.) Dans les derniers jours la grotte fut tranquille et sans visiteurs.