DOUZIÈME CHAPITRE.

Jésus sur les frontières de la Samarie et dans la basse Galilée. 

(Du 2 au 17 août 1822.)


 



    Jésus à Ghinea.- Atharoth.- Engannim.- Naïm.- Cana.- Le centurion de Capharnaum.-Jésus à Bethsaïda -au petit Sephoris - à Nazareth où on veut le précipiter du haut de la montagne.


    (2 et 3 août.) Dans l'après-midi, je vis Jésus avec les cinq disciples quitter l'hôtellerie voisine de Sichar, et laissant Thébez à gauche et Samarie à droite, aller à six lieues de là dans une ville appelée Ghinéa ou Ghinnim Cette ville est située sur l'autre versant des montagnes, et sert de limite entre la Samarie et la Galilée. à trois quarts de lieue plus près de Samarie est situé le bien de Lazare, une grande maison dans la montagne d'où l'on peut voir très loin.

Comme il était déjà tard, ils se rendirent en toute hâte pour le sabbat dans la ville de Ghinéa qui est en plaine. Ils y arrivèrent avec leurs robes retroussées, et entrèrent aussitôt dans la synagogue, car il était déjà près de huit heures. Les disciples partis antérieurement étaient aussi là. Les saintes femmes avaient passé la première nuit à Thébez, à trois lieues environ de la maison des bergers, puis le jeudi elles étaient revenues à Capharnaum. Il y avait, aujourd'hui vendredi, un jeûne commémoratif des murmures des enfants d'Israël lorsque Dieu leur interdit la terre promise : c'est pour cela que les autres disciples étaient restés ici. Ils avaient tous reçu l'hospitalité sur la propriété de Lazare, et au sortir de la synagogue, ils y revinrent avec Jésus et y passèrent la nuit. C'est là que Marie entra lors de son voyage à Bethléhem, et aussi dans un autre voyage. L'intendant était un homme de grande taille, d'une simplicité qui rappelait l'ancien temps : il avait plusieurs enfants Il y avait là de magnifiques jardins avec beaucoup de fruits, et tout ce pays en général était beau et charmant à voir. Ils prirent ici un repas et y passèrent la nuit.

J'ai vu Jean dans sa prison, il y a deux ou trois jours : plusieurs de ses disciples s'entretenaient avec lui. Ils ne peuvent pas arriver jusqu'à lui, mais ils peuvent pourtant le voir et lui faire passer quelque chose à travers la grille. Il est permis d'en laisser venir quelques-uns, mais quand il s'en présente un grand nombre, les soldats les forcent de s'éloigner. Ils l'interrogèrent au sujet du baptême, et il leur ordonna de continuer à baptiser à Ainon, jusqu'à ce que Jésus y fît baptiser lui-même. La prison de Jean est spacieuse et claire, mais il n'a pour se reposer qu'un banc de pierre taillé en forme de couche. Il est comme à l'ordinaire, très grave : il a toujours eu dans je visage quelque chose de méditatif et de mélancolique, comme mi homme qui attendait l'Agneau de Dieu, le voyait, l'aimait et savait qu'on le mettrait à mort.

 (3 août.) Aujourd'hui ils célébrèrent tous le sabbat à Ghinéa. Jésus enseigna dans la synagogue. On lut dans les écritures des passages relatifs à la marche des enfants d'Israël dans le désert et à la répartition de la terre de Chanaan. On lut aussi quelque chose de Jérémie. Il y avait ici douze pharisiens entêtés qui disputèrent avec Jésus. Jésus parla de l'approche du royaume de Dieu : il dit qu'on ne devait pas se comporter par rapport à ce royaume comme on avait fait pour la terre de Chanaan. C'est ainsi qu'il appliquait tout au royaume de Dieu. Il ajouta qu'ils erraient encore dans le désert et que ceux qui murmureraient contre le royaume de Dieu mourraient dans ce désert. Il parla aussi du châtiment de Jérusalem, dit qu'il viendrait un temps où le temple ne subsisterait plus et où Jérusalem ne serait plus reconnaissable. Il parla encore du maître de la signe qui avait envoyé son fils et de la manière dont celui-ci serait repoussé et mis à mort ; il cita le passage des psaumes sur la pierre angulaire rejetée par les architectes, ce qu'il appliqua au fils du maître de la vigne : il parla aussi d'Elie et d'Elisée.

Ils lui posèrent des questions insidieuses : ils lui montrèrent un écrit et lui demandèrent ce que signifiaient les trois jours que Jonas avait passés dans le ventre de la baleine. Il expliqua cela d'une manière générale, mais très intelligible pour eux disant que le Messie mis à mort reposerait trois jours dans le tombeau, qu'il irait dans le sein d'Abraham, et ressusciterait ensuite. Là-dessus ils se mirent à rire et la plupart quittèrent la synagogue.

L'un d'eux écouta l'instruction jusqu'à la fin et l'invita à un repas avec ses disciples : toutefois il espionnait encore, quoiqu'il valût mieux que les autres. Lorsque Jésus revint à la synagogue, on lui avait amené des malades devant la porte et on le priait de les guérir et de faire voir un prodige. Mais Jésus ne guérit pas ces malades et il ajouta que comme ils ne voulaient pas croire en lui, il ne voulait pas non plus leur faire voir de prodige. Or ils voulaient l'induire en tentation en le faisant guérir le jour du sabbat pour l'accuser ensuite à ce sujet.

Quand le sabbat fut fini, les plus considérables des disciples galiléens partirent pour retourner chez eux. Mais Jésus avec Saturnin et deux autres, se rendit sur le bien de Lazare, où il est encore. Je crois que demain il parcourra les environs et ira un peu plus au midi dans la montagne. Il me semble que l'endroit s'appelle Atharoth.

C'était un spectacle très touchant de voir Jésus instruire dans le jardin les enfants du maître de la maison. Il les avait tantôt devant lui, tantôt contre lui ; quelquefois il prenait dans ses bras deux des plus petits. Il les instruisait sur l'obéissance envers leurs parents et sur le respect dû à la vieillesse. Il parla aussi aux enfants des fils de Jacob et des Israélites, leur dit qu'ils avaient murmuré et qu'à cause de cela ils n'étaient point entrés dans la terre promise qui pourtant était si belle : alors il leur montrait les beaux arbres et les fruits du jardin et parlait du royaume des cieux : ce royaume leur était promis s'ils observaient les commandements de Dieu, et c'était un pays bien plus beau, en comparaison duquel celui qu'ils voyaient était un désert : ils devaient donc obéir et supporter avec actions de grâces tout ce que Dieu leur enverrait. Ils ne devaient jamais murmurer s'ils voulaient entrer dans le royaume des cieux : ils ne devaient jamais douter de sa beauté comme les Israélites dans le désert, ils devaient croire que tout y était meilleur qu'ici-bas et incomparablement plus beau. Ils devaient l'avoir toujours présent à la pensée et le mériter par toute espèce de peines et de travaux. Voilà à quoi Jésus s'occupa ce Jour-là.

Dans l'après-midi la soeur Emmerich raconta encore ce qui suit sur l'instruction faite par Jésus, et à laquelle assistaient douze pharisiens. Il parla des Israélites qui, n'étant pas contents d'avoir Samuel pour juge, demandèrent un roi, lequel leur fut donné dans la personne de Saul. Maintenant que la prophétie était accomplie et que le sceptre était retiré de Juda à cause de leur impiété, ils demandaient de nouveau un roi et le rétablissement du royaume, et Dieu allait leur envoyer un roi, leur véritable roi comme le maître de la vigne envoya son fils lorsque ses serviteurs eurent été tués par les vignerons impies : eux aussi devaient mettre à mort ce roi qui était le leur Mais il leur en arriverait malheur, car Dieu les replacerait sous le pouvoir des juges. Il parla encore de la destruction de Jérusalem, de la pierre angulaire rejetée et du salut qui devait être retiré aux Juifs.

Lorsqu'ils l'interrogèrent sur Jonas, il répondit que leur roi serait de même trois jours dans le tombeau, et qu'ensuite il reviendrait ; sur quoi ils se mirent à rire entre eux. Il parla encore de la colère des Israélites dans le désert, dit qu'ils auraient pu arriver à la terre promise par un chemin beaucoup plus court, s'ils avaient gardé les commandements que Dieu avait donnés sur le mont Sinaï, mais qu'à cause de leurs péchés ils avaient toujours été ramenés en arrière, et que les murmurateurs étaient morts dans le désert. Maintenant que le royaume de Dieu et ses dernières miséricordes approchaient, maintenant que leur vie était de nouveau une course errante dans le désert, ils devaient prendre le chemin le plus court pour arriver au royaume promis, et ce chemin leur était montré en ce moment.

Alors trois pharisiens s'avancèrent d'un air hypocrite et lui dirent : " Vénérable Maître, vous parlez toujours de la voie la plus courte, dites nous quelle est cette voie plus courte.  Jésus leur répondit : "Connaissez-vous les dix commandements du Sinaï ? "- "Oui ", dirent ils. Et il reprit : " Gardez le premier d'entre eux, aimez votre prochain comme vous-mêmes, et n'imposez pas à ceux qui vous sont subordonnés de lourds fardeaux que vous ne portez pas vous-mêmes. C'est là la voie. " Ce que vous dites là, nous le savions, nous aussi, répondirent-ils." Et Jésus leur dit : " Vous savez et vous ne faites pas, c'est là votre faute, pour laquelle vous serez châtiés. "Alors il leur reprocha, ce qu'ils faisaient particulièrement dans cette ville, d'imposer aux autres une foule de fardeaux, tandis qu"eux-mêmes n'observaient pas la loi. Il parla encore des vêtements sacerdotaux faits suivant les prescriptions de Dieu à Moïse, et de ce qu'ils signifiaient ; il leur dit qu'ils n'accomplissaient pas ces prescriptions et y ajoutaient en outre beaucoup de choses purement extérieures et souvent déraisonnables. cela les rendit tous furieux, mais ils ne purent rien lui répliquer. Souvent ils disaient entre eux : " C'est donc là le prophète de Nazareth ; oui, le fils du charpentier, etc. "

Le bien de Lazare était tout au plus à trois quarts de lieue d'ici : Jésus y retourna pendant le sabbat, le matin et l'après-midi, il enseigna les enfants et revint.

 (4 août.) Le dimanche dans la matinée, Jésus fit une très longue instruction aux enfants dans la maison de campagne de Lazare, près de Ghinea : il y avait là d'autres enfants du voisinage. Il instruisit d'abord les garçons, puis les filles seules, de là manière que j'ai dite hier. Vers midi, il alla avec les disciples au sud-est, à quatre lieues en arrière, dans un petit endroit nommé Atharoth, situé sur un point élevé, à environ deux lieues de Samarie.

C'était comme un chef-lieu pour les sadducéens, et ceux qui y habitaient lors de la persécution des disciples après la pâque, en avaient arrêté plusieurs, à l'exemple des pharisiens de Gennabris, et les avaient tourmentés par leurs interrogatoires. Quelques-uns de ces sadducéens avaient déjà espionné Jésus pendant ses instructions dans l'hôtellerie voisine de Sichar, où il avait blâmé spécialement la dureté des pharisiens et des sadducéens envers les Samaritains. Ils avaient dès lors formé le projet d'induire Jésus en tentation et l'avaient engagé à célébrer le sabbat à Atharoth. Mais il connaissait leurs premières manœuvres et il avait continué son chemin vers Ghinéa. Après s'être consultés avec les pharisiens de cet endroit, ils lui envoyèrent des messagers le samedi matin. "Puisqu'il avait, disaient-ils, si bien prêché sur la charité et si souvent répété qu'on doit aimer son prochain comme soi-même, il devait venir à Atharoth, guérir un malade : s'il leur faisait ce miracle, ils voulaient tous croire en lui, ainsi que les pharisiens de Ghinéa, et propager sa doctrine dans le pays. "

Jésus connaissait leur malice et leur fourberie. L'homme dont ils parlaient, depuis plusieurs jours déjà, gisait immobile et mort, et ils affirmaient devant tous les habitants de la ville qu'il était plongé dans l'extase : sa femme même ne savait pas qu'il fût mort. Si Jésus l'avait ressuscité, ils auraient nié qu'il fût mort. Ils vinrent au-devant de Jésus et le conduisirent devant la maison du défunt. Cet homme avait été un des principaux sadducéens et il avait intrigué très activement contre les disciples. Ils le portèrent dans la rue sur une litière lorsque Jésus arriva. une quinzaine de sadducéens et tout le peuple se tenaient autour de lui. Le corps avait une belle apparence, ils l'avaient ouvert et embaumé pour tromper Jésus. Mais Jésus leur dit : "Cet homme est mort et restera mort ; "alors ils dirent qu'il était seulement ravi en esprit, et que s'il était mort, il venait de mourir à l'instant. Mais Jésus reprit : "il a nié la résurrection et il ne ressuscitera pas ici : vous l'avez rempli d'aromates, mais voyez quels aromates ! découvrez-lui la poitrine ! " Alors je vis l'un d'eux soulever la peau comme une soupape sur la poitrine du mort et il en sortit une quantité de vers qui se tordaient et se pressaient les uns contre les autres. Les sadducéens furent outrés de colère, car Jésus révéla tout haut et publiquement les péchés et les prévarications de cet homme, et il dit que c'étaient les vers de sa mauvaise conscience qu'il avait cachés jusque-là et qui maintenant lui rongeaient le cœur. Il fit entendre aussi des paroles menaçantes sur leurs fourberies et leurs mauvais desseins : il parla très sévèrement des sadducéens et annonça le jugement qui allait frapper Jérusalem et tous ceux qui n'accueilleraient pas le salut. Ils remportèrent en toute hâte le mort dans sa maison et il s'éleva un affreux tumulte avec beaucoup de vociférations et d'injures. Lorsque Jésus se dirigea vers la porte avec ses disciples, la populace excitée leur jeta des pierres par derrière : car la vue des vers et la révélation de leur malice les avaient violemment irrités.

Je vis dans la foule de ces méchantes gens quelques personnes bien intentionnées qui pleuraient. Dans une rue voisine demeuraient, séparées du peuple, des femmes malades, affligées de pertes de sang, qui croyaient en Jésus et l'imploraient de loin : car dans leur état d'impureté légale, elles n'osaient pas s'approcher. Comme il ne l'ignorait pas, touché de compassion, il passa par leur rue : quand il fut passé, elles vinrent après lui et baisèrent les traces de ses pas : il se retourna pour les regarder et elles furent guéries.

Jésus fit encore près de trois lieues jusqu'à une colline dans le voisinage d'Engannim : cet endroit est à peu près sur la même ligne que Ghinéa, mais quelques lieues plus à l'est, dans une autre vallée : c'est le chemin direct de Nazareth par Endor et Naïm. De Naïm il y a environ sept lieues.

Jésus passa la nuit sur cette colline où plusieurs disciples de la Galilée étaient venus à sa rencontre dans un hangar ou hôtellerie ouverte : ils mangèrent quelque chose que les disciples avaient apporté. C'étaient André, Nathanaël le fiancé et deux serviteurs du centurion de Capharnaum. Ceux-ci le prièrent très instamment de ne pas différer d'aller chez cet homme dont le fils était fort malade. Mais il répondit qu"il irait en temps opportun.

Ce centurion après avoir été préposé par Hérode Antipas, à une partie de la Galilée, avait été mis à la retraite. Il était bien disposé, et dans la persécution, excitée récemment contre les disciples, il avait protégé ceux-ci contre les pharisiens, et les avait même assistés de sa bourse. Il n'avait pas encore une foi entière, quoiqu'il crût aux miracles. Il désirait vivement, à cause de son enfant et aussi pour faire honte aux pharisiens, que Jésus fit un miracle en faveur de son fils : les disciples aussi le désiraient : ils avaient dit comme lui : " C'est alors que les pharisiens seront pleins de dépit et verront qui est celui dont nous sommes les compagnons. "

Voilà pourquoi André et Nathanael s'étaient aussi chargés du message, et Jésus le savait. Il leur fit, une instruction le matin, et les deux serviteurs qui ? étaient des esclaves païens se convertirent.

(5 et 6 août.) Aujourd'hui dimanche, dans la matinée, Jésus séjourna encore avec les disciples dans l'hôtellerie qui était sur la colline. Il est arrivé hier, à une heure avancée de la nuit. Après midi les disciples retournèrent es Galilée, et il alla avec Saturnin, le fils de la tante du fiancé de Cana, et un jeune homme d'environ seize ans, fils de la veuve d'Obed de Jérusalem, dans la ville voisine d'Engannim.

Jésus avait là des parents éloignés : c'étaient des Esséniens, alliés à la famille de sainte Anne. J'ai appris de nouveau à cette occasion que les ancêtres de sainte Anne avaient des relations fréquentes avec les Esséniens et qu'il y avait même eu des Esséniens parmi eux. Ces gens reçurent Jésus avec beaucoup d'humilité, de simplicité et de cordialité : ils demeuraient à part dans un quartier de la ville. J'appris beaucoup de choses sur leur manière de vivre. Ceux qui étaient mariés vivaient ensemble très strictement : aussitôt que la femme avait conçu, ils observaient strictement la continence. Plusieurs autres vivaient dans le célibat ; ils se réunissaient pour les repas comme dans un couvent. Cependant ceux de cet endroit n'observaient plus l'ancienne règle dans toute sa rigueur : ils étaient vêtus comme les autres Juifs et allaient avec eux aux écoles. Je vis aujourd'hui Jésus dans la synagogue. Il y avait là des gens de bien et je ne remarquai pas de pharisiens dans cet endroit, si ce n'est quelques espions venus d'ailleurs.

Mardi, Jésus a enseigné tout le jour dans la synagogue d'Engannim. Une très grande quantité de personnes étaient accourues de tout le pays : ils se reposaient par troupes devant la synagogue qui ne pouvait pas les contenir tous et quand une troupe était sortie, une autre la remplaçait. Il enseigna à peu près les mêmes choses que dans tout ce voyage, seulement il ne fit pas autant de menaces, parce que ses auditeurs avaient de bons sentiments. C'était alors comme à présent : chaque petit endroit avait des dispositions différentes suivant les dispositions des prêtres.

Jésus, après avoir enseigné, dit qu'il voulait aussi guérir. Il parla de l'approche du royaume de Dieu et de la venue du Messie. Il cita tous les passages de l'Écriture et des prophètes, et les appliqua à l'époque. Il parla d'Élie, de ce qu'il avait dit et vu et indiqua un calcul d'années que j'ai oublié. Il ajouta que ce prophète avait élevé dans une grotte un autel en l'honneur de la future mère du Messie. Il caractérisa aussi l'époque qui ne pouvait être une autre que l'époque présente, fit remarquer que le sceptre avait été retiré de Juda, et mentionna aussi le voyage des trois rois. Il dit tout cela en termes généraux, comme s'il eût parlé d'un tiers, sans faire une mention expresse de lui-même ni de sa mère. Il parla aussi de la compassion et des bons procédés envers les Samaritains. Il raconta la parabole du Samaritain, cependant il ne nomma pas Jéricho. Il dit aussi qu'il avait éprouvé par lui-même qu'ils étaient plus secourables envers les Juifs que ceux-ci envers eux. Il raconta l"histoire de la femme samaritaine, et comment elle lui avait donné à boire, ce qu'un Juif n'eût pas fait si facilement pour un Samaritain : il parla de la manière bienveillante dont ils l'avaient accueilli. Il annonça encore le jugement et le châtiment de Jérusalem. Du reste, le jour de jeûne du 9 se rattachait au souvenir de la destruction de cette capitale. Il parla en outre des publicains : il y en avait quelques-uns qui résidaient dans le pays.

Je vis que les Esséniens avaient une espèce d'hôpital où ils soignaient les malades : ils donnaient aussi à manger aux pauvres sur de longues tables.

Engannim est une ville de lévites : elle est placée au penchant d'une vallée qui court vers Jezraël, à cheval sur un contrefort de la longue chaîne de montagnes située au levant. Le ruisseau qui arrose la vallée coule dans la direction du nord :Les habitants tissent des étoffes pour les vêtements sacerdotaux. Ils confectionnent aussi des houppes, des franges de soie et des glands qui pendent à l"extrémité de ces vêtements. Il y a ici une très bonne population.

L'hôpital tenu par les Esséniens est rempli de malades et d'infirmes venus de tous les côtés : ils reçoivent tous ceux qui se présentent et, en outre des soins qu'ils leur donnent, ils les instruisent et les rendent meilleurs. Leur établissement est très bien organisé : ils ont toujours soin de placer un méchant homme entre deux bons qui l'exhortent et travaillent à le corriger. Jésus y passa et y guérit quelques malades. Pendant que Jésus enseignait encore dans la synagogue, on avait déjà amené de la ville et de tout le pays une grande quantité de malades. On les plaçait le long des maisons sur des litières et des coussins, là où Jésus devait passer : on avait étendu des toiles sur leur tête, et leurs parents se tenaient près d'eux Les choses étaient ordonnées de manière à ce que les malades de chaque catégorie fussent ensemble. C'était comme une exposition de toutes les misères humaines.

Jésus sortit après l'instruction, et passa le long des malades qui l'imploraient humblement : il guérit, tout en leur donnant des instructions et des avis, une quarantaine de paralytiques, aveugles, muets, goutteux, fiévreux, hydropiques, etc. Je ne vis pas ici de possédés. Il enseigna ensuite en plein air à cause de l'affluence du peuple : la presse était si grande à la fin que les gens entraient dans les maisons, montaient sur les toits et perçaient les murailles. Lorsque ce désordre commença, Jésus se perdit dans la foule, quitta la ville et prit dans la montagne un chemin de traverse très escarpé, où il ne rencontra personne. Ses trois disciples le suivirent : ils le cherchèrent longtemps et ils ne le rejoignirent que dans la nuit ; ils le trouvèrent occupé à prier.

(7 août.) Je crois que Jésus a passé la nuit dans la montagne avec les disciples : je vis qu'ils le trouvèrent en prière et quand ils se reposèrent, ils lui demandèrent comment ils devaient prier, alors que lui-même priait Alors il leur enseigna brièvement quelques-unes des demandes du Pater. Il leur dit : "Que votre nom soit sanctifié, pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous offensés et délivrez-nous du mal. "il ajouta : "Bornez-vous maintenant à dire ces prières et agissez en conséquence "Il leur fit d'admirables instructions à ce sujet. Je vis qu"ils observaient fidèlement ce qu'il leur avait prescrit, quand il ne s'entretenait pas avec eux et qu'il marchait seul. Maintenant ils portaient toujours avec eux quelques aliments dans leurs besaces, et je vis que quand d'autres voyageurs passaient, même sur des chemins détournés, Jésus leur avait prescrit d'aller à eux et de leur donner ce dont ils pouvaient avoir besoin, surtout quand c'étaient des pauvres.

Jésus passa près de Jezraël et d'Endor, et vers onze heures ou midi, il arriva devant Naïm Il entra sans bruit dans une hôtellerie qui était devant la ville.

La veuve de Naïm, sœur de la femme de Jacques le Majeur, savait par Nathanaël qu'il viendrait prochainement, et elle avait pris ses mesures pour être avertie de son arrivée Je vis qu'elle vint le trouver dans l'hôtellerie avec une autre veuve que je ne connaissais pas encore. Elles se prosternèrent devant lui, couvertes de leurs voiles, et la veuve de Naim le pria d'accueillir les offres de cette autre bonne veuve qui voulait donner tout son bien à la caisse des saintes femmes destinée à l'entretien des disciples et au soulagement des pauvres : elle désirait aussi se mettre personnellement à son service. Jésus accepta les offres de cette veuve, puis il les instruisit et les consola toutes deux. Elles portèrent aussi quelques dons pour un repas que prirent les disciples, et la veuve leur donna immédiatement une somme d'argent, qu'ils envoyèrent aux saintes femmes à Capharnaum. Jésus se reposa ici avec les disciples, car le jour précédent, à Engannim, il s'était excessivement fatigué à prêcher et à guérir, et depuis lors il avait fait environ sept lieues. Je l'ai vu encore, pendant la nuit, passer près du Thabor ; il laissa Nazareth à sa gauche et je l'entendis de nouveau donner à ses disciples des instructions sur la prière.

La veuve nouvellement arrivée parla à Jésus d'une autre femme, appelée Marie, qui m'est inconnue et qui voulait aussi donner son avoir. Jésus répondit qu'elle devait le conserver jusqu'au temps où il en aurait besoin.

(8 août.) Aujourd'hui dès l'aube du jour, Jésus arriva à Cana et entra chez un scribe près de la synagogue : Il se reposa et prit quelque nourriture : la cour antérieure de la maison fut bientôt remplie de monde, car on avait appris d'Engannim qu'il allait venir, et tous l'attendaient.

Il enseigna toute la matinée et il était entouré d'une grande foule de peuple quand le centurion de Capharnaum arriva. Il vint avec plusieurs serviteurs et plusieurs mulets. Il se hâtait beaucoup, paraissait plein d'inquiétude et de souci, et cherchait en vain de tous les côtés à pénétrer jusqu'à Jésus à travers la foule, mais sans pouvoir y réussir. L'ayant inutilement tenté plusieurs fois, il se mit à crier de toutes ses forces : "Respectable maître, laissez venir à vous votre serviteur ! Je suis ici comme envoyé de mon maître de Capharnaum, je parle en son nom et comme père de son fils : je vous supplie de venir tout de suite avec moi, car mon fils est très malade et va mourir." Jésus ne l'entendit pas : mais comme il avait excité l'attention, il chercha à pénétrer plus avant : toutefois il n'y parvint pas et se mit à crier de nouveau. "Venez sans délai avec moi, mon fils est à la mort." Comme il criait de toutes ses forces, Jésus tourna la tête vers lui et lui dit, de manière à être entendu du peuple : " Si vous ne voyez pas des signes et des miracles, vous ne croyez pas. Je sais ce qui vous amène : vous voulez vous glorifier et défier les pharisiens et vous n'avez pas moins de besoins qu'eux. " Ma mission n'est pas de faire des miracles pour remplir vos vues. Votre témoignage ne m'est pas nécessaire : je me manifesterai quand ce sera la volonté de mon Père, et je ferai des miracles lorsque ma mission le demandera ". Il parla longtemps sur ce ton et gourmanda cet homme devant le peuple, lui reprochant de chercher depuis longtemps une occasion pour faire guérir son fils par lui, afin d'en tirer gloire en face des pharisiens : "il ne fallait pas, ajouta-t-il, demander des miracles pour soi en vue des autres, mais il fallait croire et se convertir "

Ces discours ne produisirent aucun effet sur cet homme : il ne se laissa pas détourner de son dessein, mais s'approcha plus près et cria de nouveau : " Maître, à quoi bon tout cela ! venez avec moi tout de suite, il est peut-être déjà mort. "Alors Jésus lui dit : " Allez, votre fils est vivant ". L"homme répondit : " est-ce bien sûr ? " et Jésus dit : " il est sain et sauf à cette heure, sur ma parole. "

Alors l'homme le crut, il ne lui demanda plus de partir avec lui, et retourna en toute hâte à Capharnaum. Jésus ajouta que cette fois encore il voulait bien faire ce qui lui était demandé, mais que si un cas semblable se représentait, il ne le ferait plus. Je vis en cet homme, non l'officier royal lui-même, mais pourtant le père de son fils. C'était lui qui tenait la première place dans la maison du centurion de Capharnaum. Celui-ci n'avait pas d'enfants, il en avait longtemps désiré, et avait adopté comme sien un fils de cet homme de confiance et de sa femme ; l'enfant avait alors quatorze ans. Le messager vint comme envoyé, et aussi comme s'il eût été lui-même le maître et le père. J'ai vu tout cela et toutes les relations entre ces personnes m'ont été expliquées, et c'est pour cela peut-être que Jésus le laissa si longtemps crier. Du reste ces choses étaient restées secrètes.

L'enfant soupirait depuis longtemps après l'arrivée de Jésus. Dans les commencements la maladie était bénigne, alors c'était à cause des pharisiens qu'on désirait Jésus. Depuis quinze jours l'état du malade était devenu plus grave et le jeune homme, auquel on donnait toute sorte de remèdes, ne cessait de dire : " Toutes ces boissons ne me servent de rien : c'est Jésus, le prophète de Nazareth, qui seul me guérira. "Comme le danger devenait imminent, ils envoyèrent un message à Samarie avec les saintes femmes, puis André et Nathanaël à Engannim ; enfin l'intendant lui-même partit pour Cana où il trouva Jésus. Jésus fit longtemps attendre son secours en punition de la première intention qu'on avait eue.

De Cana à Capharnaum, il y avait une journée de voyage, mais cet homme fit tant de diligence, qu'il arriva avant la nuit. Deux serviteurs vinrent à sa rencontre à deux lieues avant Capharnaum, et lui dirent que l'enfant était guéri : ils étaient partis pour courir après lui et l'engager, dans le cas où il n'aurait pas trouvé Jésus, à s'épargner la fatigue et les frais d'un nouveau voyage : car à la septième heure l'enfant s'était trouvé guéri subitement, comme si la chose se fût faite d'elle-même : alors il leur raconta ce qu'avait dit Jésus, et ils furent remplis d'admiration et se rendirent avec lui à la maison. Je vis le centurion Zorobabel avec l'enfant le recevoir sous la porte. L'enfant l'embrassa ; il raconta ce qu'avait dit Jésus, et les serviteurs qui l'avaient accompagné attestèrent la vérité de son récit : ce fut pour tous une glande joie. Je vis préparer un repas. Le jeune homme était assis entre son père adoptif et son père véritable : la mère était présente. L'enfant aimait son vrai père autant que son père putatif et le premier avait aussi une grande autorité dans la maison.

Lorsque Jésus eut congédié l'homme de Capharnaum, il guérit encore plusieurs malades qu'on avait amenés dans une cour de la maison. Il y avait là plusieurs possédés, mais non de la pire espèce. On conduisait souvent des possédés à ses instructions : quand ils arrivaient, ils faisaient grand bruit et se démenaient terriblement : mais Jésus leur ordonnait de se tenir tranquilles, et ils devenaient très calmes ; puis au bout d'un certain temps ils paraissaient ne pouvoir plus se maîtriser, et ils recommençaient à entrer en convulsions : alors Jésus leur faisait signe de la main et ils se calmaient de nouveau. Après l"instruction il commandait à Satan de se retirer, sur quoi ordinairement ils tombaient comme sans connaissance pendant quelques instants, puis se réveillaient tout joyeux, le remerciaient, et ne savaient plus rien de ce qui leur était arrivé. Ceux-là sont des gens dont la possession n'est pas d'une mauvaise nature, qui sont possédés sans qu'il y ait de leur faute. Je ne puis pas expliquer cela clairement, mais j'ai vu distinctement cette fois et d'autre fois encore, comment il arrive que près d'un méchant homme qui reste épargné par l'effet de la miséricorde et de la longanimité divine, souvent Satan prend possession d'un homme innocent et faible qui est parent du premier. Il semble que celui-là prenne à sa charge une partie du châtiment dû à l"autre. Je ne puis m'expliquer très clairement sur ce point : cela tient à la relation qui existe entre nous tous comme membres d'un seul et même corps ; et c'est comme lorsqu'un membre sain contracte, en vertu d'un rapport intime et mystérieux, une maladie qui a pour cause les péchés d'un autre membre. Il y avait ici des possédés de cette espèce. Ceux dont la possession est d'une mauvaise nature, sont beaucoup plus effrayants et coopèrent avec Satan : les autres sont purement passifs ; dans l'intervalle des accès, ils sont bons et pieux.

Jésus enseigna encore dans la synagogue où plusieurs scribes de Nazareth qui étaient présents l"engagèrent à venir. Ils lui dirent que le bruit des grands miracles qu'il avait opérés dans la Judée, la Samarie et l'avant veille à Engannim, s'était répandu dans sa patrie. Or il savait bien qu'à Nazareth on ne croyait pas qu"un homme pût être vraiment savant, s'il n'avait pas étudié à l'école des pharisiens. Ils désiraient donc, disaient-ils qu'il vint les visiter et redresser leurs idées. En lui tenant ces discours, ils croyaient qu'il s"y laisserait prendre. Jésus leur dit qu'il n'irait pas encore, et que quand il viendrait, ils n'auraient pas de lui ce qu'ils désiraient. Après la synagogue il assista à un grand repas dans la maison du père de la fiancée de Cana ; sa fille y assistait ainsi que le fiancé Nathanael et la veuve, tante de celui-ci. Nathanael s"était attaché à Jésus comme son disciple, et il avait aidé à maintenir l'ordre lors de ses prédications et de ses guérisons de malades. Le fiancé et la fiancée demeurent seuls ; ils n'ont pas de ménage et reçoivent leur nourriture de chez les parents de la fiancée. (Ce sont des gens de bien : le père est un peu boiteux. Cana est une belle ville, située sur un plateau élevé : plusieurs grandes routes y passent. Il y a un chemin direct d'ici à Capharnaum qui est, je crois, à une distance de sept lieues. Le chemin s'abaisse un peu vers Capharnaüm Après le repas, Jésus revint à son logis et guérit encore plusieurs malades qui l'attendaient. Il ne guérit pas toujours de la même manière. Tantôt il commande, tantôt il impose les mains ou se courbe sur les malades : d'autres fois il leur ordonne de prendre un bain, d'autres fois encore il mêle de la poussière avec sa salive et leur frotte les yeux. Aux uns il donne des avis, aux autres il révèle leurs péchés : il y en a aussi qu'il refuse de guérir.

(9 - 11 août.) Jésus alla mardi de Cana à Capharnaum avec ses disciples : Nathanaël aussi le suivit : sa femme, sa tante et quelques autres personnes étaient allées en avant. La route peut être de sept lieues : elle est assez directe : vers Capharnaum elle descend. Sur ce chemin on laisse à droite un étang ou petit lac qui ressemble à celui d'Ainon : un ruisseau coule au milieu : il y a sur l'eau plusieurs petites barques. à l'entour sont des jardins et des maisons de plaisance : on aperçoit de vieilles tours sur une montagne. C'est là que commence le magnifique et fertile district de Génésareth. Il y a dans la plaine quelques vigies comme celles qui sont autour de la plaine de Magdalum : prés de la montagne où sont les tours, il y a des bains chauds.

Lorsque Jésus arriva dans le voisinage de Capharnaum, plusieurs possédés s'agitèrent devant les portes et dans la ville ; ils criaient : "Le prophète vient, que veut-il ici, qu'a-t-il à faire avec nous ? "Je vis Jésus arriver vers deux heures devant Capharnaum, et les possédés se dispersèrent. un peu en avant de la ville on avait dressé une tente. Le centurion vint avec le père de l'enfant et l'enfant lui-même, placé entre eux deux, à la rencontre de Jésus ; il était suivi de toute sa famille, de ses serviteurs, de ses subordonnés et de ses esclaves : ceux-ci étaient des païens qu'Hérode lui envoyait. C'était toute une procession, tous se prosternèrent devant Jésus et lui rendirent grâces. On lava ici les pieds à Jésus et on lui présenta a boire et à manger. Jésus mit la main sur la tête de l'enfant agenouillé devant lui et lui adressa quelques exhortations : il reçut alors le nom de Jessé au lieu de celui de Joël qu'il portait auparavant : le centurion s'appelait Zorobabel. Celui-ci pria instamment Jésus d'entrer dans sa maison à Capharnaum et d'y accepter un repas, mais Jésus s'y refusa et lui reprocha encore son désir de le voir faire des miracles pour exciter le dépit d'autres personnes. Il lui dit : " Je n'aurais pas guéri l'enfant, si la foi du messager n'avait pas été si énergique et si pressante. "Là-dessus Jésus continua son chemin.

Cependant Zorobabel avait fait préparer un grand festin Tous les serviteurs et les ouvriers qui travaillaient dans les nombreux jardins qu'il possédait dans les environs avaient été convoqués. On leur raconta le miracle ; tous furent profondément émus et crurent en Jésus. Pendant le repas, ces gens, ainsi que beaucoup de pauvres auxquels on avait distribué des présents, chantèrent un cantique de louanges dans le vestibule.

Le miracle avait été connu dès le matin dans Capharnaum. Zorobabel en envoya la nouvelle à la mère de Jésus et aux apôtres que je vis tous occupés de nouveau à leurs pêcheries. Je vis aussi que la nouvelle fut portée à la belle-mère de Pierre qui était malade et gardait le lit.

Jésus tourna autour de Capharnaüm pour gagner l'habitation de sa mère, ou se trouvaient réunies environ cinq femmes avec Pierre, André, Jacques et Jean. Ils allèrent au-devant de Jésus et il y eut une grande joie à cause de son arrivée et de ses miracles. Il prit ici un repas et se rendit aussitôt à Capharnaum pour le sabbat avec ses disciples : les femmes restèrent à la maison. Une grande foule de peuple et beaucoup de malades étaient rassemblés à Capharnaum. Les possédés couraient et criaient dans les rues lorsqu'il arriva. Il leur ordonna de se taire et se rendit à la synagogue en passant au milieu d'eux. Après la prière, un pharisien obstiné, du nom de Manassé, fut appelé à faire la lecture, parce que c'était son tour. Mais Jésus demanda les rouleaux d'écriture, et annonça qu'il allait lire. Il lut d'abord depuis le commencement du cinquième livre de Moïse jusqu'aux murmures des enfants d'Israël : puis il fit une instruction sur l'ingratitude de leurs pères, sur la miséricorde de Dieu à leur égard, et sur l'approche du royaume de Dieu : il dit qu'on devait bien se garder aujourd'hui de suivre leur exemple : il présenta toutes leurs marches et leurs courses vagabondes comme des symboles des erreurs contemporaines et fit des rapprochements entre la terre promise d'alors et le royaume de Dieu, si voisin maintenant. Il lut ensuite le premier chapitre d'Isaïe qu'il appliqua au temps présent : il parla des prévarications des Juifs et de leur châtiment, rappela leur longue attente d'un prophète, et dit comment ils allaient traiter celui qu'ils possédaient maintenant. Il parla d'animaux de diverses espèces qui savent reconnaître leur maître, tandis qu'eux ne reconnaîtraient pas le leur : il dit aussi comment celui qui venait pour les secourir se ferait reconnaître, aux mauvais traitements qu'il souffrirait d'eux, comment Jérusalem serait châtiée, et combien la communauté des saints serait peu nombreuse. Mais le Seigneur devait lui donner l'accroissement, et les autres devaient être exterminés. Il les exhorta à se convertir, à crier vers le Seigneur qui les rendrait purs quand même ils seraient tout couverts de sang. Il parla ensuite du roi Manassé, qui, ayant prévariqué devant Dieu et commis des actes abominables, avait été, pour sa punition, réduit en captivité et emmené à Babylone, mais qui s'était converti, avait imploré Dieu et reçu son pardon. Il déplia aussi comme par hasard un rouleau où il lut le passage d'Isaïe (VII, 14.) "Voici que la Vierge concevra, "et il appliqua ce texte à lui même et à la venue du Messie.

Il avait fait un commentaire semblable lors de son séjour à Nazareth, avant son baptême, et ils s'étaient moqués de lui, disant : "Nous ne l'avons pas vu manger beaucoup de beurre et de miel chez son père, le pauvre charpentier."

Les pharisiens et beaucoup d'autres personnes de Capharnaum étaient mécontents qu'il leur fit aujourd'hui un enseignement si sévère sur l'ingratitude ; car ils s'étaient attendus à quelques paroles flatteuses pour l"avoir si bien reçu. L'instruction dura assez longtemps, et lorsqu'il sortit, j'entendis deux pharisiens se dire tout bas l'un à l'autre : "ils ont amené des malades, osera-t-il les guérir le jour du sabbat ? "On avait éclairé la rue avec des flambeaux et plusieurs maisons avec des lampes. Quelques habitations de gens mal intentionnés étaient restées dans l'ombre. Là où il passait, on avait placé des malades devant les maisons et de la lumière à côté. Il y avait beaucoup de tumulte et de bruit dans les rues, quelques possédés le poursuivirent de leurs clameurs, et il les délivra par un simple commandement. J'en vis un tout furieux qui s'élançait sur lui et lui criait avec un visage effrayant et les cheveux dressés sur la tète : "  C'est toi ! que veux-tu ? qu'as-tu à faire ici ? " Jésus le repoussa en arrière en lui disant : "Retire-toi, Satan ! " Je vis alors cet homme tomber par terre si violemment qu'il aurait dû se rompre le cou et se briser les jambes ; mais bientôt il se releva tout changé et particulièrement calme, s'agenouilla devant Jésus et lui rendit grâces. Jésus lui ordonna de se corriger. Je le vis ainsi en guérir plusieurs comme il passait devant eux.

Je le vis ensuite se diriger dans la nuit avec ses disciples vers la maison de sa mère, et pendant qu'ils marchaient, j'entendis leur conversation qui était toute simple et toute naturelle.

Pierre parlait de son ménage, disait qu'il avait laissé bien des choses en souffrance dans sa pêcherie, à cause de sa longue absence : "Pourtant, disait-il, c'était son devoir de veiller à la subsistance de sa femme, de ses enfants et de sa belle-mère. "Jean lui répondit : "que lui aussi, ainsi que Jacques, devaient prendre soin de leurs parents, que c'était là quelque chose de plus important qu'une belle-mère." C'est ainsi qu'ils s"entretenaient avec beaucoup de simplicité, quelquefois mente en badinant, et j'entendis Jésus leur dire que le temps viendrait bientôt ou ils laisseraient entièrement cette pêche, et où ils prendraient d'autres poissons. Jean était plus naïf et plus confiant avec Jésus que les autres : il était aimant et dévoué, ne s'inquiétait pas et ne contredisait pas. Jésus alla chez sa mère, les autres chez eux.

(10 août.) Le jour du sabbat Jésus alla de bonne heure à Capharnaüm avec ses disciples. L'habitation de sa mère est à environ trois quarts de lieue, du côté de Bethsaïde. Le chemin, à partir de là, monte un peu, puis redescend vers Capharnaum. Peu avant la porte, dans un enfoncement, se trouve une maison qu'un pieux vieillard habite en qualité de gardien. Cette maison est destinée à recevoir ici Jésus et ses disciples. Tous les disciples de Bethsaïde et des environs se trouvaient à Capharnaum. Marie et les saintes femmes s'y rendirent plus tard. Lorsque Jésus vint dans la ville, il trouva placés sur son chemin un très grand nombre de malades qui étaient venus la veille et qui n'avaient pas été guéris. Il en guérit beaucoup en se rendant à la synagogue, dans laquelle il enseigna et expliqua entre autres choses une parabole que j'ai oubliée.

Comme, en s'en allant, il enseignait encore devant la synagogue plusieurs personnes se prosternèrent devant lui et demandèrent le pardon de leurs péchés. C'étaient deux femmes adultères renvoyées par leurs maris, et environ quatre hommes parmi lesquels se trouvaient des complices de ces femmes. Ils fondaient en larmes et voulaient confesser leurs péchés devant le peuple assemblé. Jésus leur dit que leurs péchés lui étaient connus, qu'un temps viendrait où la confession publique serait prescrite, mais que, dans la circonstance présente, elle ne pouvait amener que du scandale et des persécutions pour eux. Il les exhorta en outre à veiller sur eux-mêmes afin de ne pas retomber, a ne jamais désespérer, même en cas de rechute, mais à avoir recours à Dieu et à la pénitence. Il leur remit aussi leurs péchés, et comme les hommes demandaient à quel baptême ils devaient aller, s'ils devaient aller à celui de Jean, ou attendre que ses disciples baptisassent, il leur dit d'aller au baptême des disciples de Jean.

Les pharisiens qui étaient présents s'étonnèrent beaucoup qu'il osât remettre les péchés, et ils lui demandèrent des explications à ce sujet. Il les réduisit au silence par ses réponses, et leur dit qu'il lui était plus aisé de remettre les péchés que de guérir : que les péchés étaient remis à celui qui se repentait sincèrement, et qu'il lui devenait facile de ne pas retomber, tandis que les malades qui étaient guéris corporellement, restaient souvent avec l'âme malade et faisaient servir leur corps au péché. Ils lui demandèrent aussi si, maintenant que ces femmes avaient reçu le pardon de leurs péchés, les maris qui les avaient renvoyées, devaient les reprendre. Jésus dit que le temps ne lui permettait pas de s'expliquer à cet égard, qu"une autre fois il donnerait des instructions sur ce point. Ils l'interrogèrent aussi sur les guérisons opérées le jour du sabbat, il se justifia en disant que si une de leurs bêtes de somme tombait dans un puits le jour du sabbat, ils la retireraient, etc.

L'après-midi il se rendit avec tous les disciples dans la maison qui était devant Capharnaum ; les saintes femmes y étaient déjà. Il y eut un repas dont le centurion Zorobabel avait fait les trais : il était au nombre des convives ainsi que Salathiel, le père de l'enfant guéri. Cet enfant qui avait changé son nom de Joël pour celui de Jessé, servait à table ; les femmes étaient à une table séparée. Jésus parla et enseigna. On lui apporta des malades jusque dans cette maison : on forçait l'entrée de la salle où se faisait le repas, en implorant son secours à grands cris. Il en guérit plusieurs. Après le repas, il alla de nouveau à la synagogue, et je l'entendis, entre autres choses, prêcher sur Isaie et sur sa prophétie au roi Achaz : " Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils. "(XII.)

Lorsqu'il quitta la synagogue, il guérit encore plusieurs personnes dans les rues jusqu'à la nuit. Parmi celles-ci se trouvaient plusieurs femmes affligées de pertes de sang qui se tenaient à distance, tristes et voilées, et n'osaient pas s'approcher de lui ni du peuple. Jésus connaissait leur état, il se tourna vers elles et les guérit en les regardant. Il ne touchait jamais ces sortes de malades. Il y a là un mystère que je ne puis pas expliquer maintenant. Ce soir-là commençait un jour de jeûne.

Lorsqu'il revint avec ses disciples dans la maison de sa mère, on y disait que le lendemain il voulait aller au lac avec eux, et j'entendis que Pierre s'excusait à cause du mauvais état de sa barque. Les gens auxquels il avait remis leurs péchés étaient en habits de pénitents et voilés. à l'avant-dernier sabbat, les Juifs étaient vêtus de noir ; tous les derniers jours avaient été des jours de pénitence parce qu'on y faisait commémoration de la destruction de Jérusalem : de là aussi les paroles sévères de Jésus sur le châtiment qui menaçait cette ville.

Lorsque Jésus, le sabbat fini, quitta Capharnaum après ses nombreuses guérisons, pour se rendre dans la maison de sa mère, il passa dans la ville devant un bâtiment entouré d'eau où il y avait un pont j on y enfermait le soir les possédés de la pire espèce. Lorsque le Sauveur passa près d'eux, ils tirent grand bruit et crièrent : " Le voilà qui passe, que veut-il ? pourquoi veut-il nous chasser ? "Mais Jésus leur dit : " Taisez-vous et attendez que je revienne : c'est alors qu'il faudra partir. " Alors ils se tinrent tranquilles.

Lorsqu'il fut parti, je vis que les pharisiens et les principaux de la ville s'assemblèrent : le centurion Zorobabel était présent. Ils délibérèrent sur tout ce qu'ils avaient vu, sur ce qu'ils devaient penser de Jésus et sur les mesures qu'il fallait prendre. a Quelle agitation et quel tumulte excite cet homme ! n disaient-ils. `' Il n'y a plus de tranquillité possible ! Les gens abandonnent leur travail et le suivent partout. Il trouble tout le monde par ses discours et ses invectives. Il parle toujours de son père : mais n'est-il pas de Nazareth, n'est-ce pas le fils d'un pauvre charpentier ? Où prend-il tant de hardiesse et d'assurance ? Sur quel droit s'appuie-t-il ? Il guérit le jour du sabbat et trouble la paix : il remet les péchés : sa force vient-elle d'en haut ? est-ce un art magique dont il fait usage ? D'où tire-t-il toutes ses explications de l'Ecriture ? N'est-il pas allé à l'école à Nazareth j il doit avoir des relations secrètes avec un peuple étranger. Il parle toujours de l"avènement du royaume, de l'approche du Messie, de la ruine de Jérusalem. Son père Joseph était d'origine illustre ; peut-être est-ce un enfant supposé, le fils de quelque homme puissant, qui cherche à se faire un parti dans le pays et à s'emparer de la souveraineté en Judée. Il doit avoir derrière lui des appuis mystérieux, un soutien inconnu sur lequel il compte ; autrement, il ne pourrait pas procéder avec tant d'assurance et de hardiesse, aller à l'encontre de tous les usages et de toutes les autorités, comme si c'était son droit d'en agir de la sorte. Il a fait souvent de longues absences : quelles alliances peut-il avoir formé ? où peut-il avoir pris son art et sa science ? qu'y a-t-il à faire avec lui ? "(XL, 11.) C'est ainsi qu'ils parlaient entre eux dans leur dépit et se livraient à des conjectures de toute espèce. Le centurion Zorobabel restait très calme, et il trouva enfin moyen de les calmer aussi ; il les exhorta à ne pas s"inquiéter à ce sujet : "Si son pouvoir vient de Dieu, " leur dit-il, " il s'affermira certainement : s'il en est autrement, il tombera. Mais tant qu'il nous guérira et nous fera du bien, nous devrons lui en savoir gré et remercier celui qui l'a envoyé. " Jésus passa la nuit dans la demeure de sa mère en avant de Capharnaum.

(11 août.) Les disciples étaient restés tous avec Jésus dans la maison de Marie. Jésus voulait en ce jour qui était un jour de jeûne, se promener avec eux, les instruire et les préparer. Il alla le matin vers le lac avec une vingtaine de disciples. Outre ceux qui étaient du pays, il y avait avec lui ceux de Cana, les fils des veuves, Saturnin et ceux qui l'accompagnaient ordinairement. Il n'alla pas directement au lac, qui est tout au plus à une lieue, mais au midi en contournant la hauteur qui domine au levant la maison de Marie. Cette montagne n'est que le prolongement de celle qui court au nord, mais elle en est un peu séparée par une dépression du terrain. Jésus alla au midi avec les disciples : c'était une promenade destinée à les instruire. Il y avait là plusieurs jolis petits cours d'eau qui des hauteurs coulaient dans le lac : la petite rivière de Capharnaum coulait aussi dans cette direction. Des sources abondantes coupaient ici le pays et coulaient autour de Bethsaïde. Jésus se reposa plusieurs fois avec eux à des endroits agréables : souvent aussi il s'arrêta pour enseigner.

Note : Ce jour de jeûne est présenté comme ayant lieu en commémoration de à lampe du temple qui s'éteignit sous Achaz. Comme ce fut à ce roi qu'Isaïe fit la célèbre prédiction : " Une Vierge enfantera, " la citation de cette prophétie faite hier soir pouvait se rapporter à l'approche de ce jour de jeûne.

Il parla de la dîme : ils se plaignaient de grandes vexations qui avaient eu lieu à Jérusalem à propos des dîmes et se demandaient si cela ne pouvait pas être corrigé. Il répondit que Dieu avait ordonné de donner au temple et à ses ministres la dixième partie de tous les fruits, afin que les hommes se souvinssent qu'ils n'étaient pas propriétaires, mais seulement usufruitiers ; qu'on devait en outre, par esprit de renoncement, donner la dîme des légumes, etc. Ses disciples parlèrent aussi de Samarie et dirent qu'ils regrettaient d'avoir peut-être été cause qu'il avait quitté ce pays, qu'ils ne savaient pas que les habitants fussent aussi avides de son enseignement, et l'eussent si bien accueilli : sans leurs instances, il y serait peut-être resté plus longtemps. Mais Jésus leur dit que les deux jours qu'il y était resté, avaient été suffisants, que les Sichimites étaient très ardents et très prompts à s'émouvoir, que parmi les convertis il n'y en avait peut-être qu'une vingtaine qui persévérât encore, qu'il leur réservait la moisson future, laquelle serait plus abondante.

Les disciples émus par sa dernière instruction parlèrent avec sympathie des Samaritains et rappelèrent à leur louange l'histoire de l'homme qui, allant à Jéricho était tombé entre les mains des voleurs et près duquel le prêtre et le lévite avaient passé sans s'arrêter, tandis que le Samaritain l'avait recueilli et l'avait oint d'huile et de vin. Cette histoire était connue, elle était arrivée réellement près de Jéricho à une époque déjà ancienne. La pitié qu'ils montraient pour le blessé et la joie que leur causait l'action charitable du Samaritain donnèrent occasion à Jésus de leur raconter une parabole du même genre. Il commença par Adam et Eve et par la chute originelle qu'il raconta simplement, comme elle est dans la Bible, dit comment, étant chassés du paradis, ils vinrent eux aussi, avec leurs enfants. dans un désert plein de voleurs et d"assassins, et comment l'homme renversé et blessé par le péché resta gisant dans ce désert. C'est alors que le roi du ciel et de la terre a fait tout ce qui était possible pour venir en aide à l'homme dans son malheur. Il a envoyé sa loi, des prêtres en grand appareil et beaucoup de prophètes, mais tous ont passé et nul n'a secouru le malade, lequel, de son côté, a plus d'une fois refusé toute assistance Enfin à cet homme misérable il a envoyé son propre fils sous un extérieur pauvre (ici il décrivit sa propre pauvreté) : sans chaussures, sans rien pour se couvrir la tête, sans ceinture, etc. ; et celui-ci a versé de l'huile et du vin dans les plaies du blessé pour le guérir. Mais ceux-là mêmes qui, pourvus de tout, n'avaient pas eu pitié du malheureux, se saisirent du fils du roi et le mirent à mort, lui qui avait guéri le pauvre blessé avec de l'huile et du vin. Il leur donna cette parabole pour la méditer et lui dire ce qu'ils en pensaient, après quoi, il la leur expliquerait. Ils ne la comprirent pas, toutefois ils remarquèrent qu'il s'était décrit lui-même dans la personne du fils du roi il leur venait toute sorte de pensées et ils se demandaient entre eux, à voix basse, qui pouvait être son père dont il parlait si souvent ?-il fit aussi allusion à leurs préoccupations de la veille touchant leurs pêcheries, et leur présenta l"exemple de ce fils de roi qui avait tout quitté et qui lorsque les autres regorgeant de tout, avaient laissé languir le pauvre blessé, l"avait oint d'huile et de vin. Il assura que le père n'abandonnerait pas les serviteurs de son fils et qu'ils recevraient tout en abondance quand il les rassemblerait autour de lui dans son royaume.

Tout en disant ces choses et d'autres encore, il arriva avec eux au-dessous de Bethsaïde à l'endroit du lac où étaient les barques de Pierre et de Zébédée ; sur le rivage on avait dressé plusieurs cabanes de terre pour les pêcheurs Sur les navires étaient des esclaves païens occupés à pêcher : il n'y avait pas de juifs parce que c'était un jour de jeûne. Zébédée était dans une cabane sur le rivage. Jésus leur dit de laisser là leur pêche et de venir à terre, ce qu'ils firent. Là aussi il enseigna.

Il remonta ensuite le lac vers Bethsaide qui est à une bonne demi lieue d'ici. Pierre a le privilège de la pêche sur une étendue d'une lieue le long du rivage. Entre la station des barques et Bethsaide on rencontrait une anse : là plusieurs petits ruisseaux se jetaient dans le lac ; c'étaient des bras de la petite rivière qui vient de Capharnaum à travers la vallée et qui reçoit plusieurs autres cours d'eau : devant Capharnaum elle forme un grand étang. Jésus n'alla pas jusqu'à Bethsaïde, mais ils tournèrent à l'ouest et se dirigèrent par la partie septentrionale de la vallée, vers la maison de Pierre, laquelle est adossée au côté oriental de la hauteur qui domine de l'autre côté la maison de Marie.

Jésus alla avec Pierre dans la maison de celui-ci, où Marie et les autres saintes femmes de la contrée étaient réunies, ainsi que celles de Cana. Les autres disciples n'y entrèrent pas, ils se tinrent dans le jardin qui avoisinait, ou allèrent en avant, du côté de l'habitation de Marie. Lorsque Pierre entra dans la maison avec Jésus, il lui dit : " Seigneur, quoique ce fût un Jour de jeûne, vous nous avez rassasiés. " La maison de Pierre était bien tenue, il y avait une cour et un jardin ; elle était longue et on pouvait se promener sur le toit, d'où l'on avait une belle vue sur le lac. Je ne vis ni la belle-fille de Pierre, ni les fils de sa femme, je crois qu'ils étaient à l'école. Sa femme était près des saintes femmes : elle n'avait pas d'enfants avec elle. Sa belle-mère, une femme maladive, grande et maigre, marchait en s"appuyant aux murs.

Jésus s'entretint longtemps avec les femmes des arrangements à prendre sur cette partie du littoral où il avait l'intention de résider souvent. Il les exhorta à ne Pas faire de dépenses inutiles et pourtant a ne s'inquiéter de rien. Il lui fallait peu de chose pour lui-même et il n'avait de besoins que pour les disciples et pour les pauvres. Je pense qu'il se tiendra surtout ici dans la saison d'hiver et avant ce temps, à ce que je crois, il fera encore baptiser. Il alla avec les disciples dans la demeure de Marie où il s'entretint encore avec eux, après quoi il se retira à part.

Le ruisseau de Capharnaum coule le long de la maison de Pierre : Il peut de là aller jusqu'au lac avec ses instruments de pèche sur un petit canot au milieu duquel est un siège.

Lorsque les saintes femmes apprirent de Jésus qu'il voulait aller le surlendemain, pour le sabbat à Nazareth qui est à neuf ou dix lieues d'ici, elles en eurent du déplaisir et témoignèrent le désir qu'il restât ici ou du moins qu'il revînt bientôt. Il dit qu'il ne croyait pas rester longtemps à Nazareth, vu que les habitants seraient mécontents de lui parce qu'il ne pouvait pas faire ce qu'ils désiraient. Il parla de plusieurs choses qu'on lui reprocherait et sur lesquelles il appela attention de sa mère. Il voulait lui dire d'avance ce qui arriverait. Je savais encore ces choses il y a peu de temps, mais je les ai oubliées. Les saintes femmes passèrent la nuit dans la maison de Pierre.

(12 août.) Jésus quitta la maison de Marie avec les disciples et se rendit à Bethsaïde, qui était à peu près à une petite lieue, par le côté septentrional de la vallée, en suivant la pente de la montagne. Les saintes femmes s'y rendirent de la maison de Pierre : elles entrèrent dans la maison d'André, située à l"extrémité de Bethsaide, vers le nord : elle était en bon état, mais moins grande que celle de Pierre. 
Bethsaide est une petite ville de pêcheurs dont la partie centrale est seule tournée vers l'intérieur des terres et qui s'étend en deux bras très minces jusqu"au lac. De la station de la barque de Pierre, on la voit devant soi au nord. Elle est habité en grande partie par des pêcheurs : il y a en outre des gens qui tissent des couvertures et d'autres qui font des tentes : ce sont des gens rudes et simples et ils me font toujours l'effet d'être ce que sont chez nous ceux qui travaillent aux tourbières compares au reste de la population. Les couvertures sont faites de poil de chèvre et de chameau. Les longs poils qu'ont les chameaux sur le cou et sur la poitrine forment sur les bords comme des franges et des galons parce qu'ils ont un brillant agréable.

Le vieux centurion Zorobabel n'était pas ici avec eux : c'était un homme débile et qui ne pouvait pas marcher beaucoup. Il aurait pu venir à cheval, mais alors il n'aurait pas entendu les instructions données en route par Jésus : d'ailleurs il n'était pas encore baptisé. Il y avait ici beaucoup de gens des lieux environnants, et aussi beaucoup d'étrangers venus, de l'autre côté du lac, du pays de Khorosaïn et de Bethsaïde-Juliade qui est en face.

Jésus enseigna ici dans la synagogue qui n'est pas très grande, sur l'approche du royaume de Dieu et il dit assez clairement qu'il était le roi de ce royaume, il excita comme à l'ordinaire l'étonnement de ses disciples et des auditeurs. Il prêcha en termes généraux comme tous ces jours-ci et guérit plusieurs malades qu'on avait amenés devant la synagogue. Il y avait plusieurs possédés qui lui criaient : "Jésus de Nazareth, prophète, roi des Juifs, etc." Jésus leur ordonna de se taire parce que le temps n'était pas encore venu de révéler ce qu'il était.

Lorsqu'il eut fini d'instruire et de guérir, ils allèrent à la maison d'André pour manger, mais Jésus n'entra pas et dit qu'il avait faim d'une autre nourriture. Il alla avec Saturnin et un autre disciple, en remontant le lac jusqu'à une demi lieue de la maison d'André, dans un hôpital écarté, situé au bord de l'eau, où languissaient des lépreux, des idiots et d'autres malheureux sans ressource et presque entièrement délaissés. Il y en avait parmi eux qui étaient à peu près tout nus. Personne de la ville ne le suivit parce qu'on craignait de se souiller. Les cellules de ces pauvres gens étaient disposées en rond autour d'une cour : ils n'en sortaient jamais et on leur donnait à manger par des trous qui étaient aux portes. Jésus les fit conduire dehors par le surveillant de la maison et il fit apporter par ses disciples des couvertures et des vêtements pour les couvrir. Il les instruisit et les consola, fit le tour en allant de l'un à l'antre et en guérit un grand nombre par l'imposition des mains. Il en laissa plusieurs de côté, et ordonna à quelques-uns de se baigner et leur fit d'autres prescriptions. Ceux qu'il avait guéris se prosternèrent devant lui et le remercièrent en pleurant : c'était un spectacle très touchant. Jésus prit avec lui le directeur de la maison et l'emmena chez André au repas. Il y vint, de Bethsaïde, des parents de quelques-uns de ceux qui avaient été guéris : ils vinrent les prendre, pleins de joie, leur apportèrent des vêtements et les conduisirent chez eux et dans la synagogue pour remercier Dieu.

Il y avait chez André un beau repas de gros et bons poissons. On mangea dans une salle ouverte, les femmes étaient seules à leur table. André s'occupait du service. Sa femme était très affairée et très empressée, elle De sortait guère de la maison. Elle avait une espèce d'industrie pour la confection des cordes de filets et elle employait à cela plusieurs filles pauvres dont elle avait formé un atelier fort bien tenu. Il y avait en outre parmi elles de pauvres femmes mariées rejetées de la société pour quelque faute et qui n'avaient pas d'asile ; elle en prenait pitié, elle les occupait, les ramenait au bien et les faisait prier avec elle.

Le soir, après le repas, Jésus enseigna encore dans la synagogue, puis il partit avec les disciples. Il passa de nouveau devant plusieurs malades : mais il ne les guérit pas, disant que leur temps n'était pas encore venu.

Il avait pris congé de sa mère et il alla avec les disciples dans la maison en avant de Capharnaum, qui est à peu près à une lieue et demie du lac. Cette maison appartient à Pierre qui l"a mise à sa disposition. Jésus s'y entretint encore longtemps avec les disciples et il se retira à part sur une colline terminée en pointe aiguë, comme il y en avait plusieurs dans cette contrée : elle était couverte jusqu'en haut d'une espèce d'arbre semblable au genévrier et d'ifs ou de cyprès : il y passa la nuit en prière.

Au point du jour il revint dans la maison et réveilla les disciples avant de se mettre en route pour Nazareth : ils voulurent l'accompagner jusqu'à une certaine distance. Capharnaüm est située au penchant de la montagne où elle forme un demi arc de cercle. Il y a beaucoup de jardins en terrasses et aussi des vignes : en haut croît une espèce de blé dont la tige a la grosseur d'un roseau : c'est un endroit considérable et d'un agréable aspect. Il y a une grande variété de terrains dans le voisinage. Non loin de là sont des décombres de toute espèce, comme des ruines. La ville était autrefois plus grande ou peut-être qu'il y avait là encore une autre ville.

(13-15 août.) Aujourd'hui mardi, Jésus alla de Capharnaum à Nazareth, les disciples galiléens l'accompagnèrent jusqu'à une distance de cinq lieues. Il ne cessa d'enseigner pendant la marche. Il parla de leur destination future, et comme Pierre lui parlait de son métier qu'il lui faudrait abandonner, il lui conseilla de quitter le voisinage du lac et d'aller dans sa maison en avant de Capharnaum. Ils passèrent devant plusieurs villes et aussi devant le petit lac dont il a été fait mention dernièrement. Sur la roule, dans une maison de bergers, deux possédés coururent vers Jésus et le prièrent de les guérir. Ils avaient des troupeaux dans les environs et étaient seulement tourmentés de temps en temps par le démon ; ils étaient alors dans un de leurs bons intervalles. Jésus ne les guérit pas : il leur ordonna d'abord de changer de vie, et compara leur état à celui d'un homme qui a l'estomac surchargé et qui voudrait guérir de son mal d'estomac pour se livrer à de nouveaux excès. Ces gens se retirèrent tout honteux. Les disciples quittèrent Jésus deux lieues avant Séphoris, Saturnin aussi revint avec eux dans la maison de Pierre. Il ne resta avec Jésus que deux disciples venus de Jérusalem où ils voulaient retourner. Il alla à Séphoris d'en bas qui est une petite ville, et entra chez des parents de sainte Anne. Ce n'est pas la maison paternelle d'Anne, laquelle est située entre ce Séphoris et le haut Séphoris, deux villes situées à une lieue l'une de l'autre. Il y a dans un rayon de cinq lieues beaucoup de maisons dépendantes de Séphoris. Il n'alla pas cette fois au grand Séphoris. Il y a là de grandes écoles de toutes les sectes et des tribunaux.

A Séphoris d'en bas il n'y a pas beaucoup de gens riches : on y confectionne des draps, et les femmes font des houppes de soie et des galons pour le temple. Tout le pays est comme un jardin de plaisance, couvert de petits villages et de maisons de campagne disséminées, séparées par des jardins et des avenues. Le grand Séphoris est un lieu très important, il y a des châteaux à une assez grande distance les uns des autres. Le pays est très beau : on y trouve des fontaines et il nourrit un bétail nombreux.

Les parents de Jésus avaient trois fils dont un nommé Kolaïa était disciple de Jésus: : la mère désirait qu'il prit aussi les autres. Elle parla aussi des fils de Marie Cléophas. Jésus lui donna des espérances à ce sujet. Ces fils après la mort du Christ, furent ordonnés prêtres à Éleutheropolis, par José Barsabas qui y était évêque.

(Mercredi 14 août.) Aujourd'hui Jésus enseigna ici dans la synagogue. Il s'y trouvait beaucoup de personnes du pays environnant. Il alla aussi dans les environs avec ses cousins et enseigna ça et là de petites troupes de gens qui le suivaient ou l'attendaient : en revenant il guérit plusieurs malades devant la synagogue et y fit ensuite une instruction sur le mariage et sur le divorce. Il reprocha aux docteurs d'ajuster toute sorte de choses à la loi, montra à un vieux docteur dans un écrit un passage qu'il y avait intercalé, lui en prouva la fausseté et lui ordonna de l"effacer. Je vis aussi que le docteur s'habilla devant lui, que même il se prosterna à ses pieds, reconnut sa faute et le remercia de son avertissement.

Jésus mangea et dormit chez ses parents, et il fut encore question de l'admission des fils parmi les disciples. Ces gens sont, je crois, alliés à Jésus par un des époux de Marie de Cléophas, car j'entendis parler beaucoup ici de Joses Barabbas qui ne me parait pas être du même père que Jacques Thaddée et Simon le Chananéen.

(15 août.) Dans la nuit du mercredi Jésus sortit à minuit de la maison de ses parents du petit Séphoris, et se retira à part pour prier. Je le vis aujourd'hui entre le petit et le grand Séphoris sur l'ancienne propriété patrimoniale de sainte Anne. Il n'avait qu'un disciple avec lui. Ceux qui en étaient devenus les possesseurs par des mariages n'étaient plus ses proches alliés. Il y avait cependant une vieille femme hydropique alitée qui tenait à lui de plus près ; un petit garçon aveugle se tenait habituellement assis près d'elle. Il pria avec la vieille femme à laquelle il fit répéter ses paroles : il lui tint la main pendant à peu près une minute sur la tête et sur la région de l'estomac, alors elle rentra complètement en elle-même, eut une défaillance qui dura près d'une minute, et se sentit tout à fait soulagée. Alors Jésus lui ordonna de se lever. L'enflure de l'hydropisie ne disparut pas à l'instant, mais la malade put marcher, et elle fut en peu de temps débarrassée de son mal par des sueurs et des évacuations. Cette femme l'implora en faveur de l'enfant aveugle qui avait environ huit ans ; il n'avait jamais vu ni parlé, mais il entendait : elle louait sa piété et son obéissance. Jésus lui mit l'index dans la bouche, et souffla ensuite sur ses deux pouces ou peut-être les humecta avec sa salive ; puis, priant et regardant au ciel, il les tint sur les yeux de l'enfant qui étaient fermés ; celui-ci alors ouvrit les yeux et la première chose qu'il vit fut Jésus, son libérateur. L'enfant était tout bouleversé par la joie et l'étonnement que lui causait un état si nouveau pour lui : il courut d'un pas mal assuré vers Jésus, le remercia en bégayant et pleura à ses pieds. Jésus lui donna des avis sur l'obéissance et la piété filiale, lui dit qu'ayant pratiqué ces devoirs étant aveugle, il devait les pratiquer encore plus fidèlement maintenant qu'il voyait, et ne pas faire servir ses yeux au péché, etc. Alors survinrent les parents et les gens de la maison, et il y eut une grande joie et un concert de louanges.

Jésus ne guérissait pas un malade comme l'autre. Il ne guérissait pas non plus autrement que les apôtres, les saints des temps postérieurs et les prêtres jusqu'à notre époque. Il imposait les mains et priait avec les malades. Mais il faisait cela plus vite que les apôtres. Il faisait aussi ses guérisons et ses miracles pour qu'ils servissent de modèle à ses successeurs et à ses disciples. Il les faisait toujours d'une façon qui était appropriée au mal et aux besoins de chacun. Il touchait les paralytiques, leurs muscles s'assouplissaient, et il les relevait. Dans les cas de fracture, il prenait les membres à l'endroit où ils étaient brisés et les os se rejoignaient ensemble : quant aux lépreux, je voyais qu'aussitôt qu'il les avait touchés, leurs plaies se séchaient et il en tombait comme des écailles, mais il restait des marques rouges qui disparaissaient peu à peu, toutefois plus vite qu'à l'ordinaire et suivant le degré où la guérison avait été méritée. le n'ai jamais vu un homme contrefait devenir à l"instant droit comme un cierge, ni un os disloqué se redresser tout à coup : non qu'il n'eut pu le faire, mais il ne le faisait pas parce que ses prodiges n'étaient pas un spectacle, mais c'étaient des œuvres de miséricorde ; c'était une figure de sa mission, une délivrance, une réconciliation, un enseignement, un développement, une éducation, une rédemption : et de même qu'il voulait la coopération des hommes pour les rendre participants de sa rédemption, de même dans les guérisons la foi, l"espérance, l"amour, le repentir, la conversion des cœurs, devaient se produire comme coopérant à la réception de la grâce. à chaque état était assigné le traitement qu'il réclamait, en sorte que chaque maladie et sa guérison étaient le symbole, l'une d'une maladie spirituelle, l'autre d'une guérison de l'âme, d'un pardon et d'un amendement. Ce ne fut qu'à l'égard des paiens que je le vis faire des miracles plus éclatants et plus extraordinaires. Les miracles des apôtres et des saints qui vinrent ensuite avaient quelque chose de beaucoup plus frappant, et de plus contraire à la marché ordinaire de la nature, car les païens avaient besoin d'être ébranlés, les juifs seulement d'être dégagés, etc. Souvent il guérissait à distance par la prière, souvent par un regard, et cela arrivait surtout pour des femmes affligées de pertes de sang qui n'osaient pas s'approcher de lui, et qui d'ailleurs ne le devaient pas d'après les lois juives. Il se conformait à celles de ces lois qui avaient une signification mystérieuse et non aux autres. J'ai vu à Atharoth dés femmes affligées de perles de sang baiser la trace de ses pieds et guérir. J'en ai vu d'autres à Capharnaum le regarder de loin et guérir.

Jésus enseigna encore ça et là dans les environs. Vers le soir il alla à une école isolée située prés de quelques habitations, à une égale distance de Nazareth et du petit Séphoris. Ici le second disciple dont il se faisait accompagner et le disciple Parménas vinrent de Nazareth le trouver. Ils prirent un peu de nourriture, en plein air, près d'une hôtellerie. Je vis des serviteurs de la synagogue du grand Séphoris y apporter des rouleaux d'écritures : c'est, je crois, parce qu'une instruction doit être faite dans cet endroit le jour suivant. Parménas était déjà un ami d'enfance de Jésus et il l'aurait suivi dès le principe avec les autres disciples, s'il n'avait pas eu à Nazareth des père et mère pauvres qu"il soutenait par toute sorte de moyens, spécialement en portant des messages.

(16 août.) Je vis ce matin plusieurs docteurs et pharisiens du grand et du petit Séphoris et des environs, et quelques autres personnes encore, se réunir dans l'école isolée près de laquelle Jésus s'était trouvé hier. Ils venaient pour disputer avec lui sur le passage relatif au divorce qu'il avait signalé le mercredi dans la synagogue, à l'un des docteurs, comme illicitement intercalé. Ils avaient très mal pris cela au grand Séphoris, car cette explication interpolée provenait de leur enseignement. On divorçait très facilement dans cette ville, et il y avait une maison particulière où l'on faisait entrer les femmes séparées de leurs maris. Ce docteur qui avait confessé sa faute, avait copié un cahier de la loi et y avait intercalé de petites gloses pleines d'erreurs. Ils disputèrent longtemps contre Jésus ; ils ne voulaient pas examiner pourquoi il prenait sur lui d'effacer cela : mais il les réduisit au silence, non toutefois à l'aveu de leur faute comme le premier. Il leur prouva qu'il était détendu de rien interpoler, et que par conséquent il y avait obligation d'effacer : il leur démontra la fausseté de l'explication en question, et leur reprocha vivement la manière dont on éludait la loi sur le divorce dans leur ville. Il dit dans quel cas il était absolument détendu à l'homme de renvoyer sa femme, il ajouta que quand un des conjoints avait une aversion insurmontable pour l'autre, il pouvait y avoir séparation à l'amiable, mais que le plus fort ne devait pas chasser l'autre contre sa volonté et sans qu'il y eût de la faute de celui-ci. Toutefois il eut peu de succès auprès d'eux : ils étaient dépités et enflés d'orgueil, quoiqu'ils ne trouvassent rien a lui répondre.

Le scribe repris et converti précédemment par Jésus se sépara tout à fait des pharisiens : il déclara à sa communauté que dorénavant il enseignerait la loi sans y rien ajouter, et que, s'ils le trouvaient mauvais, il se retirerait. Le passage intercalé dans la loi sur le divorce était ainsi conçu : " Quand l'un des deux époux a eu antérieurement commerce avec une autre personne, le mariage n'est pas valide et cette autre personne peut réclamer le premier comme lui appartenant, quand même les époux vivraient en bonne intelligence. "C'est là ce que Jésus rejeta, et il parla de la loi sur le divorce comme donnée seulement pour un peuple grossier.

Il permettait bien de se séparer, mais non de se remarier. Or deux des principaux pharisiens qui prenaient part à cette dispute se trouvaient en position de profiter de ce commentaire sur la séparation (ici elle raconta longuement, mais un peu confusément leurs rapports matrimoniaux) : c'est pourquoi ils avaient depuis longtemps mis en circulation de semblables additions à la loi. Cela n'était pas connu, mais Jésus le savait et il leur dit : "Dans cette altération de la loi ce ne sont point vos propres convoitises charnelles que vous défendez"". Ces paroles les remplirent d'une rage inexprimable.

(16 et 17 août.) Dans l'après-midi, Jésus alla à Nazareth qui était à environ deux lieues de l'endroit où il se trouvait, à la même distance à peu près que le petit Séphoris qui était situé plus à l'est. En avant de la ville, le Seigneur entra dans la demeure qu'occupaient les héritiers de son ami défunt, l'Essénien Eliud. Ils lui lavèrent les pieds et lui offrirent une réfection. C'étaient des gens paisibles, serviables et affectueux. Ils lui dirent combien les habitants de Nazareth se réjouissaient de son arrivée. Mais il leur répondit que cette joie ne serait pas de longue durée, parce qu'ils ne voudraient pas entendre ce qu'il avait à leur dire.

Il entra ensuite dans la ville : il y avait à la porte des gens chargés de signaler son arrivée. à peine parut-il qu'un certain nombre de pharisiens et de gens de distinction vinrent à sa rencontre, accompagnes d'une grande foule de peuple. On le reçut très solennellement et on voulut le conduire dans une hôtellerie publique ou ils avaient préparé un festin pour le recevoir. Il n'accepta pas, disant qu'il avait pour le moment autre chose a faire ; il se rendit aussitôt à la synagogue où ils le suivirent, et où il y eut une grande affluence de peuple. Ceci se passait un peu avant l'ouverture du sabbat.

Il enseigna sur l"avènement du royaume de Dieu et sur l'accomplissement des prophètes, demanda le volume d'Isaïe, le déroula et lut ce passage : (XXI, 1) a L'esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m'a oint, il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, afin que je guérisse ceux qui ont le cœur oppressé, que j'annonce aux captifs leur délivrance, et aux prisonniers leur élargissement. (Luc, IV, 18, et Matth., V, 3.) il récita ce passage comme s'appliquant à lui-même, faisant entendre clairement que c'était bien sur lui qu'était l'esprit de Dieu, lui qui était venu pour annoncer le salut aux pauvres et aux souffrants, par qui toute injustice devait être supprimée, les veuves consolées, les malades guéris, les pécheurs pardonnés, etc. Cela se trouvait en partie dans le texte, et résultait en partie des explications qu'il donnait. Son discours fut très beau et très attachant. Tous étaient dans l"admiration : et ce soir encore ils lui étaient très favorables. Toutefois ils se disaient de temps en temps les uns aux autres : "il parle absolument comme si lui-même était le Messie. "Mais l'admiration les dominait tellement, qu'ils étaient tout fiers de l'avoir pour compatriote, et ils l'écoutèrent avec grand plaisir. Jésus parla encore, lorsque le sabbat s'ouvrit, sur la voix de celui qui prépare les chemins dans le désert ', et dit comment tout devait être égalisé et aplani.

Il alla ensuite manger avec eux : ils se montrèrent très bienveillants pour lui. Ils lui dirent qu'il y avait là beaucoup de malades, qu'il devrait bien les guérir ! Jésus déclina cette proposition et ils n'insistèrent pas pour le moment, pensant que ce serait pour le lendemain. Après le repas, il alla retrouver les Esséniens.

Note : Isaïe, XL, 3. C'est d'après la tradition juive, la lecture du sabbat d'aujourd'hui.

Comme ceux-ci se réjouissaient fort du bon accueil qu'on lui avait fait, il leur dit d'attendre jusqu'au jour suivant, qu'alors ils verraient tout autre chose.

(17 août.) Le samedi matin Jésus enseigna de nouveau dans la synagogue. un autre 3uif voulut prendre le livre des Ecritures, parce que c'était son tour de lire : mais Jésus demanda le volume et prenant pour texte le Deutéronome (ch. n), il enseigna sur l"obéissance aux commandements auxquels on ne devait rien ajouter ni rien retrancher ; il rappela comment Moïse avait répété aux enfants d'Israel tous les préceptes donnés par Dieu et combien on les avait mal observés. Vint ensuite la lecture des dix commandements et l'explication du premier commandement sur l'amour de Dieu. Jésus parla très sévèrement à ce sujet : il leur reprocha d"ajouter toutes sortes de choses à la loi, et d'imposer de lourds fardeaux au pauvre peuple, tandis qu'eux-mêmes n'accomplissaient point les préceptes. Il les attaqua avec tant de force qu'ils devinrent furieux, car ils ne pouvaient pas dire qu'il parlât contrairement à la vérité. Mais ils murmuraient et se disaient les uns aux autres : " Comme il est impudent ! il a quitté ce pays il y a quelque temps à peine, et voilà qu'il se donne pour un personnage merveilleux ! il parle comme s'il était le Messie, et pourtant nous connaissons bien son père, le pauvre charpentier, et nous le connaissons bien aussi : où a-t-il étudié, Comment ose-t-il nous présenter pareille chose ?, Et ils commencèrent à se mettre en fureur contre lui, mais en secret, car ils étaient confondus et réduits au silence devant tout le peuple.

Jésus continua à enseigner tranquillement, et quand il eut fini, il sortit pour aller retrouver la famille essénienne et prendre quelque nourriture il y fut visité là par les fils d'un homme riche qui, d'autres fois déjà, avaient demandé instamment à être admis parmi ses disciples, mais dont les parents ne cherchaient pour eux que la science et la réputation humaine. Ils l'invitèrent à venir manger chez eux, ce qu'il n'accepta pas. Ils le prièrent encore de lés admettre et dirent qu'ils avaient accompli tout ce qu'il leur avait prescrit. Alors il leur répondit : "Si vous avez fait cela, vous n'avez pas besoin de venir à mon école, vous êtes maîtres vous-mêmes. "Et là-dessus il les congédia.

Il mangea et enseigna dans le cercle de la famille, chez les Esséniens, et ceux-ci lui racontèrent toutes les vexations qu'ils avaient à endurer. Il leur conseilla d'aller à Capharnaum, où il comptait résider dorénavant.

Pendant ce temps les pharisiens s'étaient consultés ensemble et s'excitant les uns les autres, ils résolurent, si ce soir il parlait encore aussi librement, de lui montrer qu'il n'y avait pas ici de privilège pour lui, et de le traiter comme depuis longtemps à Jérusalem on souhaitait qu'il fût traité. Cependant ils espéraient encore qu'il chercherait à rester en faveur auprès d'eux, et qu'il ferait quelque miracle par déférence pour eux. Lorsqu'il vint à la synagogue pour la clôture du sabbat, ils avaient amené des malades devant l'entrée. Mais il passa au milieu d'eux et n'en guérit aucun. Dans la synagogue, il parla comme auparavant, de l'accomplissement des temps, de sa mission, dés derniers jours de grâce, de leur perversité, du châtiment qui les attendait s'ils ne se corrigeaient pas ; et il répéta qu'il était venu pour secourir, pour guérir et pour enseigner. Comme leur colère allait toujours croissant et qu'ils murmuraient, il leur parla ainsi : " Vous dites : médecin, guéris-toi toi-même ; les miracles que tu as faits à Capharnaum et ailleurs, fais-les aussi dans ta patrie ! Mais, nul n'est prophète dans son pays. Ils s'irritèrent et murmurèrent de plus belle : alors, il compara le temps présent à une époque de grande famine, et les différentes villes à de pauvres veuves, et il ajouta : "Lors de la famine qui eut lieu à l'époque d'Elie, il y avait beaucoup de veuves dans le pays, et pourtant le prophète ne fut envoyé à aucune d'elles, mais seulement à la veuve de Sarepta : à l'époque d'Elisée, il y avait beaucoup de lépreux, et il ne guérit que Naaman, le Syrien, "comparant ainsi leur ville à un lépreux qui ne devait pas être guéri. Cette comparaison les mit hors d'eux-mêmes : ils se levèrent de leurs sièges en grand tumulte et voulurent mettre la main sur lui Mais il leur dit : " Observez ce que vous enseignez et ne violez pas le sabbat ! Plus lard, vous ferez ce que vous avez résolu." Alors, lui répondant par des murmures et des invectives, ils le laissèrent poursuivre sa prédication, quittèrent leurs places et se dirigèrent ers la porte.

Mais Jésus enseigna encore : il ajouta quelques explications à ses dernières paroles, puis il sortit de la synagogue. Devant la porte, une vingtaine de pharisiens furieux l'entourèrent, le saisirent et lui dirent : "Viens maintenant avec nous à une place d'honneur où tu pourras exposer encore ta doctrine : alors nous te répondrons comme il faut te répondre." Il leur dit de le laisser libre, qu'il allait les suivre de son plein gré, et ils partirent, l"entourant comme une garde, et suivis d'une grande foule de peuple. Il y eut une violente explosion d'injures et d'invectives au moment où le sabbat finit. Ils luttaient à l'envi à qui lui adresserait les insultes les plus grossières : " Nous voulons te répondre ! Va trouver la veuve de Sarepta. a guérir le syrien Naaman ! Si tu es Elie, monte au ciel, nous te montrerons une bonne place ! Qui es-tu ? Pourquoi n'as-tu pas amené ici ta sequelle avec toi, Tu n'en as pas eu le courage ? N'as-tu pas trouvé ici du pain avec tes pauvres parents ? Et maintenant que tu es repu, tu viens nous injurier ! mais nous voulons t'entendre ! il faut que tu parles en plein air devant tout le peuple : nous voulons te répondre ". C'est ainsi qu'on suivit, au milieu des cris de la foule, le chemin qui conduisait au haut de la montagne. Mais Jésus continuait à enseigner avec un grand calme : il répondait à leurs propos par de saintes sentences et des paroles pleines de sagesse qui tantôt les couvraient de contusion, tantôt redoublaient leur rage.

La synagogue était à l'extrémité occidentale de Nazareth : comme il faisait déjà nuit, ils avaient deux falots avec eux. Ils conduisirent Jésus au côté oriental de la synagogue ; puis, s'en éloignant, ils tournèrent dans une large rue qui revenait au couchant et conduisait hors de la ville.

Gravissant la montagne, ils arrivèrent à une haute crête au bas de laquelle était un marais du côté du nord, tandis qu'au midi un rocher en saillie s'avançait au-dessus d'un précipice. Il y avait là une place d'où ils avaient coutume de précipiter les criminels, et c'était en ce lieu qu'ils voulaient encore une fois interroger Jésus, puis le précipiter du haut du rocher. Le précipice aboutissait à une gorge étroite. Comme ils approchaient de cet endroit, je vis Jésus qui était au milieu d'eux comme un prisonnier, s'arrêter pendant qu'ils continuaient à marcher, vomissant des injures et des malédictions. Je vis en cet instant prés de Jésus deux longues figures lumineuses. Je le vis ensuite revenir un peu sur ses pas à travers la foule qui se pressait, puis passer le long du mur de la ville sur l'arête de la montagne de Nazareth et gagner la porte par laquelle il était entré hier. Il revint dans la maison des Esséniens. Ceux-ci n'avaient pas eu d'inquiétudes à son sujet : ils croyaient en lui et l'attendaient. Il prit une petite réfection, parla de ce qui venait de se passer, les engagea de nouveau à se retirer à Capharnaum, leur rappela qu'il leur avait annoncé d'avance comment on le traiterait : puis au bout d'une demi heure, il quitta la ville, se dirigeant d'abord comme s'il eût voulu aller à Cana.

Rien n'était plus risible que l'exaspération dés pharisiens, le trouble où ils furent et le bruit qu'ils firent lorsqu'ils s'aperçurent qu'il n'était plus au milieu d'eux. Tous se mirent à crier : Où est-il ? Arrêtez ! Pendant que la foule compacte se portait en avant, eux cherchaient à revenir sur leurs pas, et il y eut sur l'étroit sentier une presse et un tumulte incroyables. Chacun portait la main sur son voisin : ils se disputaient, criaient, couraient dans tous les ravins, approchaient la lumière du creux des rochers et croyaient qu'il s'était blotti quelque part. Ils s'exposaient eux-mêmes à se rompre le cou et les jambes, et se reprochaient mutuellement de l'avoir laissé échapper par leur faute. Ils finirent par s'en retourner en silence, longtemps après que Jésus fut sorti de la ville. Toutefois ils mirent des hommes en sentinelle sur tous les points de la montagne et ils disaient en revenant. "On voit bien ce que c'est : c'est un escamoteur : le diable est venu à son aide, maintenant il va reparaître inopinément dans un autre coin et mettre le désordre partout."