SEIZIEME CHAPITRE.

Jésus sur le bord oriental du Jourdain.

(Du 10 au 30 septembre 1822.)


 




    - Jésus à Ramoth Galaad, - à Arga, - à Azo, - à Ephron, - à Bétharamphtha-Juliade, - à Abila, - à Gadara et à Dium.


    (10 septembre.) Aujourd'hui Jésus est allé avec une douzaine de disciples à une petite rivière nommée Jabok et dans les endroits voisins. Parmi ses compagnons étaient les trois disciples de Jean attachés à sa famille, dont l'un s'appelait Matthias et était plus âgé que Jésus. André, Jacques, Jean et plusieurs autres étaient restés à Ainon et baptisaient. Le bassin baptismal était au levant de la colline, de laquelle l'eau venait dans le bassin, remplissait un petit étang qui se trouvait derrière, arrosait ensuite plusieurs prairies en formant un petit ruisseau, puis était recueillie de nouveau, au nord d'Ainon, dans une fontaine ` ; d'où on pouvait la faire écouler dans le Jourdain. Je vis Jésus avec les disciples à environ une lieue à l'est de Sukkoth, sur la rive méridionale du Jabok, enseigner dans une ville dont je ne sais pas bien le nom, et guérir plusieurs malades. Il y avait là un homme qui avait un œil fermé depuis sa naissance : Jésus humecta cet œil avec sa salive, il l'ouvrit et l'homme recouvra la vue. Quant au nom de la ville, il me semble avoir entendu les syllabes Ka et On, mais je ne me souviens pas bien (peut-être Kamon ?)

Jésus traversa ensuite le Jabok qui coule dans la vallée, et se dirigea vers l'est jusque devant Mahanaïm, une ville très propre, divisée en deux parties. Il s'arrêta devant cet endroit près d'un puits : bientôt les préposés de la synagogue et d'autres anciens de la ville vinrent avec un bassin plein d'eau et des aliments. Ils lui souhaitèrent la bienvenue, lui lavèrent les pieds ainsi qu'aux disciples et lui versèrent aussi de l'onguent sur la tête : ils lui donnèrent à manger et à boire, et le conduisirent dans la ville avec beaucoup de bienveillance et de simplicité. Jésus fit une courte instruction sur le patriarche Jacob et tout ce qui lui était arrivé dans ce pays. Ces gens avaient été pour la plupart baptisés par Jean. bans tous les endroits d'alentour il régnait une simplicité patriarcale et beaucoup d'anciens usages. Jésus ne s'arrêta pas longtemps ici.

De Mahanaïm, suivant la rive septentrionale du Jabok, il alla à une lieue plus à l'est, a l'endroit où avait eu lieu la rencontre de Jacob et d'Esau. La vallée s'élargissait ici et formait un bassin. Il enseigna les disciples sur tous ces chemins. Après une petite balte, ils repassèrent le Jabok et vinrent sur sa rive méridionale, à peu de distance d'un endroit ou il reçoit deux petits cours d'eau. Ils allèrent ensuite environ deux lieues à l'est, ils avaient à main droite le désert d'Ephraïm.

Ici, au levant de la forêt d'Ephraïm, se trouve Ramoth Galaad, situé sur une arête de montagne de l'autre côté de la vallée : c'est une jolie ville, régulière et bien bâtie, dans laquelle les paiens occupaient quelques rues et possédaient un temple. Dans cet endroit le service divin était fait par des lévites. un disciple était allé en avant pour annoncer l'arrivée de Jésus : les lévites et d'autres personnes de considération l'attendaient déjà sous une tente devant la ville, près d'un puits. Ils lavèrent les pieds aux arrivants, leur donnèrent à manger et à boire, et les conduisirent dans la ville où déjà beaucoup de malades étaient rassemblés sur une place et imploraient l'assistance de Jésus. Il en guérit plusieurs. Lorsque le soir vint, il enseigna aussi dans la synagogue, car c'était le sabbat où l'on fêtait le sacrifice de la fille de Jephté : on célébrait dans cette ville, à cette occasion, une fête de deuil a laquelle tout le peuple prenait part. Il y avait notamment ici beaucoup de jeunes filles et aussi d'autres personnes des environs Je dirai demain ce que je puis me rappeler de l'instruction.

Jésus et les disciples assistèrent à un repas chez les lévites et passèrent la nuit dans une maison voisine de la synagogue. Dans ce pays, il n'y avait pas de logements préparés d'avance pour lui, mais à Ainon, à Kamon et à Mahanaïm, les hôtelleries avaient été louées d'avance, et le nombre des hôtes déterminé. Ramoth est situé sur une colline faisant partie d'une terrasse de montagne : derrière cette colline, dans une petite vallée, devant une muraille de rochers escarpés, se trouve la partie de la ville que les païens habitent. On peut reconnaître leurs maisons aux figures placées sur les toits. Sur le toit du temple il y avait un groupe de statues. Au milieu était une figure couronnée, portant un bassin à la main et se tenant elle-même dans un bassin ou sur des sources. Plusieurs figures d'enfants rangées à l'entour puisaient l'eau et se la passaient l'un à l'autre, puis la versaient en dernier lieu dans le bassin que tenait la figure placée au centre.

 Toutes les villes de cette contrée sont plus jolies et mieux bâties que les vieilles villes juives. Les rues forment comme u ne étoile ; elles viennent aboutir à un point central, et les angles sont arrondis : les murs de la ville courent aussi de même en zigzag. Il y avait autrefois ici un lieu d'asile pour les criminels (voyez le Deutéronome, IV, 43 ; Josué, XX, 8) : on voit un grand édifice séparé qui devait autrefois servir à les loger, mais il est en ruines et paraît hors d'usage. On fabrique dans cet endroit des couvertures de toute espèce sur lesquelles on brode des fleurs et des animaux ; on en vend une partie, le reste est destiné au temple. Je vis beaucoup de femmes et de jeunes filles occupées sous des tentes à ce genre de travail. Les gens d'ici sont habillés d'une façon qui se rapproche assez de celle des anciens patriarches. Ils sont très propres. Leurs habits sont de laine fine, je crois avoir vu aussi des habits de soie.

(11 septembre.) Jésus assista aujourd'hui à une grande fête en mémoire du sacrifice de la fille de Jephté. Il alla avec ses disciples et les lévites devant le côté oriental de la ville, sur une belle place en plein air où on avait tout disposé pour la fête. Toute la population de Ramoth Galaad était là rassemblée en groupes nombreux. On voyait encore sur la colline l'autel où la fille de Jephté avait été sacrifiée : en face étaient des sièges de gazon en demi cercle pour les jeunes filles : il y avait aussi des sièges pour les lévites et les juges de la ville. On se rendit à cet endroit en longue procession. Toutes les jeunes filles de Ramoth et beaucoup d'autres venues des villes voisines étaient à la fêle et portaient des habits de deuil. L'une d'elles, habillée de blanc et voilée, représentait la fille de Jephté. Il y avait un groupe avec des vêtements de couleur sombre ; elles avaient le menton voilé et portaient à l'avant-bras des cordons avec des franges noires. Elles représentaient les compagnes de la fille de Jephté, pleurant sur son sort Des petites filles semaient des fleurs devant le cortège ; quelques-unes avaient des petites flûtes dont elles tiraient des sons mélancoliques : on conduisait aussi trois agneaux. C'était une fête très touchante et très longue, entremêlée de cérémonies, de chants et d'instructions. Tout y était très bien ordonné : tantôt on représentait des scènes du lugubre sacrifice, tantôt on chantait des cantiques qui s'y rapportaient, et des psaumes. C'était en chœur que ses compagnes consolaient celle qui représentait la fille de Jephté, ou se lamentaient sur sa destinée : elle-même désirait et demandait la mort. Les lévites, partagés en chœurs, eux aussi, tenaient comme un conseil à son sujet. Elle comparaissait devant eux et prononçait quelques paroles où elle de. mandait que le vœu de son père fût accompli. Pour toutes ces scènes on avait des rôles écrits qu’on récitait par cœur ou qu'on lisait.

Jésus assista à cette fête et il y prit une part active. Il représenta lui-même le grand juge ou le grand prêtre : tantôt il tint quelques discours appropriés à la circonstance, tantôt il fit des instructions étendues, avant et pendant la fête. Trois agneaux furent immolés en mémoire de la fille de Jephté, le sang fut répandu autour de l'autel, et la chair rôtie donnée aux pauvres. Jésus parla devant les jeunes filles contre la vanité, et je crois qu'il fut dit à cette occasion, du moins j'en eux le sentiment, que la fille de Jephté aurait pu échapper à la mort, si elle eût été moins vaine.

La fête dura jusqu'après midi. Pendant toute sa durée, les jeunes filles se succédèrent dans le rôle de la fille de Jephté : c'était tantôt l'une, tantôt l'autre, qui venait se placer au milieu du cercle et s'asseoir sur le siège de pierre, après avoir changé d'habits sous une tente avec celle qui faisait précédemment ce personnage. Le costume était encore le même qu'avait porté la fille de Jephté pour le sacrifice.

Son tombeau subsistait là sur une colline, et tout auprès était le lieu où les agneaux étaient sacrifiés. Le tombeau était un sarcophage carré, on pouvait l'ouvrir par en haut. Lorsque la graisse des victimes et les parties offertes en sacrifice étaient à peu près consumées, on portait ce qui restait avec la cendre et quelques débris au tombeau voisin, et on le plaçait sur l’ouverture, de manière à ce que tout cela tombât dans le sépulcre. Lorsque les agneaux furent immolés, je vis le sang jaillir autour de l'autel et les jeunes filles y tremper une baguette et en teindre l’extrémité de la longue bandelette qu'elles portaient sur les épaules.

Jésus fit une instruction : "Fille de Jephté, tu aurais dû remercier Dieu dans ta maison de la victoire qu'il avait donnée à ton peuple, mais tu sortis poussée par la vanité pour prendre ta part de gloire comme fille d'un vainqueur, pour étaler tes vains ajustements dans la pompe d'une fête et te glorifier devant les filles d'Israël. "Ce fut à peu près dans ces termes qu'il parla. Lorsque les cérémonies de la fête prirent fin, on alla dans un jardin de plaisance voisin où il y avait de la verdure et des tentes : un repas y était prépare. Jésus y prit part et se mit à une table à laquelle on faisait manger les pauvres. Il raconta une parabole, mais comme il s'agit presque toujours de celles que tout le monde connaît, j'oublie la plupart du temps si c'est celle-ci ou celle-là. Les jeunes filles mangèrent sous la même tente, mais séparées par une cloison à hauteur d'appui. Quand on était table, on ne se voyait pas, mais debout on pouvait se voir.

Après le repas, Jésus alla à la ville avec les lévites et beaucoup d'autres personnes Plusieurs malades l'attendaient et il les guérit. Il y avait parmi eux des mélancoliques et des lunatiques il enseigna encore dans la synagogue. Il parla beaucoup de Jacob, et aussi de Joseph vendu aux Egyptiens : il dit qu'un autre serait vendu par un de ses frères pour la même somme : mais que celui-là aussi accueillerait ses frères repentants et les nourrirait dans la famille avec le pain de la vie éternelle. J'appris ainsi que Joseph avait été vendu pour trente pièces d'argent.

Ce soir-là quelques païens de la ville demandèrent avec beaucoup d'humilité aux disciples s'ils ne pourraient pas, eux aussi, avoir part aux bienfaits du grand prophète ; les disciples en parlèrent à Jésus qui leur promit d'aller les visiter le lendemain.

Jephté était comme un bâtard, étant né d'une mère paienne ; les enfants légitimes de son père le chassèrent de Ramoth qui s'appelle aussi Maspha ; il se retira alors dans la contrée voisine de Tob, où il s'associa à d'autres gens de guerre et où il vécut de pillage Il avait de sa femme qu’il avait perdue et qui était aussi une bâtarde de sang païen, une fille unique qui était belle bien faite, remarquablement spirituelle, et aussi passablement vaine. Jephté était un homme robuste, énergique, d'une grande vivacité, très ambitieux de la gloire des armes et esclave de sa parole. Quoique Juif, il ressemblait à un héros païen. C'était un instrument dans la main de Dieu. Désirant ardemment la victoire et voulant devenir le chef du pays d'où il avait été chassé, il fit le voeu solennel de sacrifier au Seigneur en holocauste, quiconque, après la victoire, viendrait de sa maison à sa rencontre. Il ne s’attendait pas à ce que ce fût sa fille unique ; quant aux autres personnes de sa maison, il ne leur portait pas grande affection.

Le voeu ne plut pas à Dieu, mais il le permit et il disposa les choses pour que son accomplissement fût le châtiment de Jephté et de sa fille et éteignit sa postérité dans Israël. Sa fille serait peut-être devenue très mauvaise à la suite de la victoire et de l'élévation de son père ; au lieu qu'elle fit pénitence pendant deux mois, mourut pour Dieu et put en outre amener son père à résipiscence et le rendre plus pieux. Cette jeune fille, accompagnée d'un grand cortège de vierges qui chantaient et jouaient des instruments, vint au-devant de son père à une lieue de la ville, avant qu'il eût vu aucune autre personne.

La fille de Jephté, lorsqu'elle sut quel sort lui était réservé, rentra en elle-même et demanda à aller avec ses compagnes passer deux mois dans la solitude pour y pleurer sur ce que, mourant avec sa virginité, elle était cause que son père n'aurait pas de descendance dans Israël, et aussi pour se préparer à son immolation par la pénitence. Elle alla avec plusieurs jeunes filles au delà de la vallée de Ramoth, dans les montagnes qui sont vis-à-vis, et elle vécut là sous la tente, priant, jeûnant et portant un habit de pénitente. Les jeunes filles de Ramoth allaient alternativement la visiter. Elle pleura particulièrement sur sa vanité et sa passion pour la gloire humaine.

J'ai vu de plus qu'on tint un conseil pour savoir si on ne pourrait pas lui laisser la vie : mais cela fut jugé impossible, car son père l’avait vouée avec un serment solennel ; elle était dès lors une victime qui ne pouvait être soustraite au sacrifice. Je vis en outre qu'elle demanda elle-même l'accomplissement du vœu, et parla d'une façon très sage et très touchante. J'ai aussi vu son sacrifice et je m'en rappelle quelque chose. Il se fit avec toute espèce de signes de deuil, ses compagnes chantaient autour d'elle des lamentations. Elle s'assit au lieu même où on la représentait à la fête On tint encore un conseil pour voir si on ne pouvait pas lui laisser la vie : mais elle s'avança et demanda à mourir, comme cela se fit aussi à la cérémonie de la fête. Elle était revêtue d'une robe d'une blancheur éclatante et toute enveloppée de la tête aux pieds, mais depuis la tête jusqu'à la poitrine elle n'avait qu'un voile d'une étoffe blanche, légère et transparente, au travers de laquelle on voyait son visage, ses épaules et son cou. Elle s'avança elle-même devant l'autel, son père ne prit pas congé d'elle et quitta le lieu du sacrifice. Elle but dans une coupe je ne sais quelle ligueur rouge, qui, je crois, devait la rendre insensible. un des guerriers de Jephté devait l'immoler : il avait les yeux bandés, je ne sais plus bien pourquoi ; c'était peut-être pour qu'il ne la vît pas découverte ou pour qu'il ne se troublât pas : peut-être aussi était-ce une manière d'indiquer qu'il n'était pas un meurtrier, puisqu'il la tuait sans voir ce qu'il faisait. Elle fut placée de façon à ce qu'il passât le bras gauche autour d'elle : alors il approcha de son cou un fer court et pointu et lui trancha la gorge. Après avoir bu le breuvage rouge, elle était restée comme sans connaissance, et ce fut alors que le guerrier la saisit. Deux de ses compagnes vêtues aussi de blanc et qui étaient comme ses demoiselles d'honneur, recueillirent le sang dans une coupe et le versèrent sur l'autel. Elle fut ensuite enveloppée dans un linceul par les vierges, et placée de tout son long sur l'autel dont la partie supérieure était recouverte d'une grille On alluma du feu par-dessus : puis, quand ses vêtements furent calcinés et qu'on ne vit plus qu'une masse notre, quoique le corps lui-même ne fût pas consumé, des hommes portèrent la grille sur le bord du tombeau ouvert qui était près de là, et levant cette grille obliquement, ils laissèrent glisser le corps dans le sépulcre. qui fut fermé aussitôt. Ce sépulcre subsistait encore à l'époque de Jésus.

Les compagnes de la fille de Jephté, ainsi que beaucoup d'assistants, trempèrent leurs voiles et leurs linges dans son sang On recueillit aussi une partie des cendres du sacrifice. Avant qu'elle se présentât dans son vêtement de victime, ses compagnes lui avaient fait prendre un bain sous une tente.

Il y avait plus de deux heures à faire dans la montagne au nord de Ramoth pour arriver au lieu où la fille de Jephté, suivie de ses compagnes, avait rencontré son père. Elles étaient montées sur de petits ânes ornés de rubans et portant plusieurs sonnettes bruyantes. L'une des jeunes filles allait en avant de la fille de Jephté, deux autres étaient à ses côtés, le reste suivait, chantant et jouant des instruments. Elles chantaient le cantique de Moïse sur la défaite des Egyptiens. Lorsque Jephté aperçut sa fille, il déchira ses vêtements et fut inconsolable. Sa fille fut moins affligée elle resta calme lorsqu'elle apprit le sort qui lui était réservé.

Lorsqu'elle alla au désert avec ses compagnes, lesquelles emportèrent avec elles ce qu'il fallait d'aliments pour des personnes qui allaient jeûner, son père s'entretint avec elle pour la dernière fois : ce fut déjà, en quelque manière, le commencement du sacrifice : car il lui mit la main sur la tête comme on le fait aux victimes qui doivent être immolées, puis il lui dit seulement ces mots : "Va-t-en, tu n'auras pas d'époux : "à quoi elle répondit : "Non, je n'aurai pas d'époux. D Ce fut la dernière fois qu'il loi parla. Quand elle eut cessé de vivre, il fit ériger à Ramoth un beau monument tant en l'honneur de sa fille qu'en l’honneur de sa victoire : il éleva un petit Temple et fonda une fête commémorative qui devait avoir lieu chaque année le jour du sacrifice, afin de conserver la mémoire de son funeste vœu, comme leçon pour tous les téméraires. (Jud. XI, 39-40.)

La mère de Jephté était une paienne qui devint juive : sa femme avait pour père un homme né d'un commerce illégitime entre paiens et juifs : lorsqu'il fut exilé, sa fille n'alla pas avec lui dans le pays de Tob : elle était restée à Ramoth où elle perdit sa mère. Jephté n'était pas encore revenu dans sa ville natale depuis que ses concitoyens l'avaient rappelé du pays de Tob : il avait traité toutes les affaires dans le camp de Maspha et il y avait assemblé le peuple. Il n'avait pas encore revu sa maison ni sa fille. Lorsqu'il fit son vœu, il ne pensa pas à elle, mais à ses autres parents qui l'avaient repoussé, et c'est pourquoi Dieu le punit.

La fête à laquelle Jésus assista ici dura encore quelques jours.

(12 septembre.) Aujourd'hui, de très bonne heure, je vis Jésus aller avec ses disciples dans le quartier des paiens à Ramoth : ils le reçurent très respectueusement à l'entrée de leur rue. Il alla assez près de leur temple, à un endroit ou on les enseignait, et on y amena beaucoup de malades et de vieillards infirmes qu'il guérit. Ceux qui l'avaient fait appeler semblaient être des savants, des prêtres et des philosophes ; ils avaient entendu parler du voyage des trois Rois, de la manière dont ceux-ci avaient appris par les étoiles la naissance d'on Roi des Juifs ; car ils avaient des croyances analogues à celles des Mages et s'occupaient aussi d'observer les astres. Il y avait à peu de distance d'ici sur une colline, une espèce d'observatoire comme celui que j'avais vu dans le pays des trois Rois. Ils désiraient depuis longtemps être instruits, et maintenant c'était Jésus lui-même qui venait les enseigner. Il leur exposa des doctrines pleines de profondeur sur la sainte Trinité, et j'entendis ces paroles qui me frappèrent beaucoup : "Il y en a trois qui rendent témoignage, l’eau, le sang et l'esprit, et ces trois ne font qu'un. "Il parla encore de la chute originelle, du Rédempteur promis, et ajouta beaucoup de choses sur les voies de Dieu dans la conduite des hommes, sur le déluge, sur le passage de la mer Rouge, sur celui du Jourdain, et sur le baptême. Il leur dit que les Juifs n'avaient pas occupé la terre promise tout entière, qu'il y était resté beaucoup de paiens, qu'il venait maintenant pour prendre possession de ce qu'ils avaient laissé inoccupé et l'incorporer à son royaume, non par l’épée, mais par la charité et la grâce. Plusieurs des auditeurs furent extraordinairement touches, et il les envoya à Ainon se faire baptiser. Toutefois il fit baptiser ici par deux disciples sept hommes très âgés qui n'étaient pas en état de faire ce voyage. On apporta un bassin qu'on plaça devant eux : eux-mêmes descendirent dans une citerne voisine où l'on prenait des bains, de manière à être dans l'eau jusqu'aux genoux : au-dessus du bassin plein d'eau on plaça une balustrade sur laquelle ils s'appuyaient. Deux disciples leur mirent les mains sur les épaules. et Mathias. le disciple de Jean (le plus âgé des trois fils de Marie d'Héli, soeur de la sainte Vierge), leur versa successivement de l'eau sur la tête avec une coupe qui avait une anse. Jésus apprit d’abord aux disciples la formule qu'ils devaient réciter en donnant le baptême : je ne m’en souviens plus bien. Ces gens étaient tous très bien habilles : leurs vêtements étaient d'une grande blancheur Jésus donna encore au peuple des instructions générales sur la chasteté et sur le mariage : il parla particulièrement aux femmes de l'obéissance, de l'humilité et de la bonne éducation des enfants. Ces gens étaient très bons, et quand il partit, ils l'accompagnèrent avec de grands témoignages d’affection. Jésus revint dans la ville juive vers neuf heures, et il opéra encore des guérisons devant la synagogue. Les lévites n'avaient pas vu avec plaisir qu'il allât visiter les païens ; aussi enseigna-t-il dans la synagogue, où l'on continuait à célébrer la fêle en l'honneur de Jephté, sur la vocation des gentils. Il dit que beaucoup d'entre eux prendraient place dans son royaume avant les enfants d'Israël ; qu'il était venu pour rattacher à la terre promise par la grâce, l’enseignement et le baptême, ceux des paiens que les Israélites n'avaient pas subjugués, etc. Il parla aussi de la victoire de Jephté et de son vœu.

Pendant que Jésus enseignait dans la synagogue, les jeunes filles célébraient leur fête près du monument que Jephté avait élevé à sa fille, et qui plus tard avait été restauré et embelli, grâce au don fait par plusieurs jeunes filles des bijoux et des ornements portés par elles aux fêtes anniversaires. Ce monument était renfermé dans un temple rond dont le toit avait une ouverture. C'était comme un autre temple plus petit également circulaire. reposant sur des colonnes dégagées et surmonté d'une espèce de coupole, à laquelle conduisait un escalier caché dans une des colonnes. Autour de la coupole régnait un chemin en spirale le long duquel des figures de la taille d'un enfant représentaient le cortège triomphal de Jephté. Elles étaient faites d'une matière mince et brillante : on aurait dit des lames de métal : il y avait des ouvertures par lesquelles les figures avaient l'air de regarder en bas dans le temple. Arrivé en haut, on se trouvait sur une plate-forme circulaire en métal, du milieu de laquelle partait une espèce de mât garni d'échelons qui passait par l'ouverture du toit du temple, de sorte qu'en y montant par cette ouverture, on avait la vue de la ville et des environs. La plate-forme était assez spacieuse pour que deux jeunes filles se donnant la main pussent circuler autour du mât auquel se tenait l'une d'elles. Sur un piédestal, au milieu du petit temple, se trouvait la statue en marbre blanc de la fille de Jephté, assise sur un siège comme celui où elle se tenait avant le sacrifice. La tête arrivait à la hauteur de la première spirale de la coupole. Autour de la statue, il y avait assez d'espace pour que trois hommes pussent y passer de front.

Les colonnes du petit temple étaient reliées entre elles par de belles grilles. L'extérieur était d'une pierre marbrée de veines de diverses couleurs. Le chemin qui tournait autour de la coupole devenait plus blanc à mesure qu'il s'élevait.

Aujourd'hui les jeunes filles célébraient dans le temple et autour de ce monument la fête de la fille de Jephté. La statue qui représente celle-ci tient d'une main une draperie qu'elle met devant ses yeux, comme si elle pleurait ; l’autre main est abaissée et tient quelque chose qui ressemble à une branche brisée ou à une fleur. Aujourd’hui encore c'était aux jeunes filles que se rapportait toute l'ordonnance de la tète. Tantôt elles étendaient des rideaux qui allaient de la circonférence du temple au monument : puis, se formant en petits groupes séparés, elles s'asseyaient dans plusieurs réduits qui tous aboutissaient au point central, où l'on voyait la statue, et là elles priaient en silence, soupiraient et gémissaient : tantôt elles chantaient en chœur, tantôt alternativement. Ensuite elles s’étendaient deux à deux auprès de la statue, lui jetaient des fleurs, l’ornaient de guirlandes et chantaient des cantiques de consolation où il était question de la brièveté de la vie. Je me souviens de ces paroles : "Aujourd'hui c'est moi, demain ce sera toi. "Puis elles louaient la fille de Jephté, sa force d'âme et son dévouement, et l'exaltaient comme ayant été le prix de la victoire : puis elles se rendaient de nouveau par groupes sur le chemin tournant au sommet du monument et chantaient des chants de victoire : quelques-unes montaient sur le mât, regardaient du côté par où devait venir le vainqueur et prononçaient le terrible vœu. Alors le cortège redescendait en pleurant prés du monument : elles se lamentaient et consolaient la jeune vierge de ce qu'elle allait mourir sans avol1 eu d'époux. Le tout était entremêlé de chants d'actions de grâces à Dieu, de considérations sur la justice divine, etc. Leurs gestes et leurs attitudes étaient souvent très touchants, et c'était un beau spectacle que ces scènes où se succédaient alternativement la joie, la douleur et la prière. Il y eut aussi un repas dans le temple : je ne vis pas les vierges se placer toutes à une même table : mais il y avait dans l'enceinte du temple des espèces de gradins sur lesquels elles s'assirent, les jambes croisées, de manière à être trois l’une au-dessus de l'autre : elles avaient près d’elles de petites tables rondes. On leur servit quelques plats singuliers et des mets façonnés en figures ; je me souviens, par exemple d'une figure d'agneau couché sur le des faite avec je ne sais quel objet bon à manger, et je les vis tirer de son corps des légumes verts et d'autres aliments.

(12-15 septembre.) Aujourd'hui Jésus, après avoir assiste à un repas donné par les lévites partit de Ramoth avec ses disciples et quelques autres personnes : il passa le Jabok, se dirigeant vers le nord, puis s'élevant dans les montagnes, il fit environ trois lieues à l'ouest, et arriva dans l'ancien royaume de Basan, près d'une ville située entre deux pics élevés et une longue arête de montagne. Elle s'appelle Arga et appartient au district d'Argob, dans la demi tribu de Manassé. à une lieue et demie ou deux lieues an levant d'Arga, près de la source d'un ruisseau du nom d'Og, se trouve une grande ville, qui est Gérasa. Au sud-est on voit Jabès-Galaad, située à une grande élévation. Cette contrée est pierreuse, et de loin on croirait qu'il n'y a pas d'arbres ; cependant, dans beaucoup d'endroits, le sol est couvert de petits buissons verdoyants. Le royaume de Basan vient jusqu'ici, et Arga en est la première ville ; toutefois, la demi tribu de Manassé s'étend encore un peu au midi. à environ une lieue au nord du Jabok, je vis une ligne frontière indiquée par des poteaux.

Le pays de Basan a la forme d'une paire de chausses : un district appartenant à un autre pays y pénètre profondément et y fait une séparation. Il y a sur l'un des côtés un certain nombre de belles villes. à l'époque de Moïse, cette contrée appartenait au roi Og, qui était un homme d'une grandeur démesurée. (Elle le décrit comme ayant environ huit pieds de haut.) il était très rude et très brutal, et on le craignait fort : il parcourait le pays et s'emparait de ce qui lui convenait. Le ruisseau de la vallée de Gérasa s'appelle Og.

Jésus passa la nuit avec ses compagnons à environ une demi lieue en avant de la ville, dans un logement public placé sur une des grandes routes commerciales qui conduisent de l'Orient vers Arga. Pendant la nuit, lorsque tous dormaient, Jésus se leva et alla seul prier en plein air. Arga est une grande ville, très populeuse et extrêmement propre. Comme la plupart des villes de ce pays, dans lesquelles habitent aussi des paiens, elle a des rues droites, larges et construites sur un plan en forme d'étoile. Les habitants ont une` toute autre manière de vivre que dans la Judée et la Galilée, et des mœurs beaucoup meilleures. Il y a ici des lévites, envoyés de Jérusalem et d'ailleurs, qui enseignent dans la synagogue, et on les congédie de temps en temps. Quand les habitants ne sont pas contents d'eux, ils ont le droit de se plaindre et on leur en donne d'autres. Les mauvais sujets ne sont pas tolérés ici, et il y a un lieu de correction où on les envoie. Les habitants ne tiennent point proprement de ménage, c'est-à-dire qu'ils ne préparent pas leurs aliments chez eux ; il y a de grandes cuisines communes où l'on prépare tous les mets : ils vont y manger ou ils y font prendre leur nourriture. On dort ici sur les toits des maisons, sous des tentes. Il y a de grands ateliers de teinture où l'industrie est très perfectionnée : on y fait spécialement de très beau violet. Pour la confection et la broderie des tapis, on est ici beaucoup plus habile et plus avancé qu'à Ramoth. Entre la ville et les murs d'enceinte s'étendent plusieurs séries de tentes où des femmes assises travaillent sous de longues bandes tendues. Tout ce courant d'affaires est cause que la plus grande propreté règne de temps immémorial dans cet endroit. On récolte dans le pays beaucoup d'huile d'excellente qualité. Les oliviers sont en longues rangées et ordinairement déployés en espaliers. Il y a aussi dans les vallées qui descendent au Jourdain de très bons pâturages avec de nombreux chameaux. C'est dans cette contrée qu'on trouve un bois précieux qui fut employé pour l'arche d'alliance et la table des pains de proposition. L'arbre est à peu près gros comme moi à la ceinture : il a une belle écorce lisse, ses branches sont pendantes comme celles du saule, les feuilles ont à peu près la forme des feuilles du poirier, mais elles sont beaucoup plus grandes, vertes d'un côté et grises de l'autre, comme si elles étaient couvertes de rosée : il a des haies comme celles de l'églantier, mais plus grosses. Le bois est excessivement dur et compacte, et il se laisse diviser en planches très minces, aussi minces que de l'écorce ; puis il est blanchi, séché, et devient alors très beau et comme indestructible. Il y a au dedans de l'arbre une très fine moelle, mais un coup de scie fait périr le conduit de la moelle, et il ne reste rien qu'une une veine rougeâtre dans le milieu des planches prises à l'intérieur. On fabrique avec ce bois de petites tables et d'autres objets travaillés en marqueterie. On possède ici des vaches et des brebis de très grande taille. On fait aussi le commerce de myrrhe et d'autres aromates qui toutefois ne sont pas un produit du pays, mais on les reçoit des caravanes qui souvent se reposent ici toute une semaine et y font des chargements. Elles laissent ici ces aromates en ballots, et on les prépare de façon à ce qu'elles puissent être employées par les Juifs pour embaumer les corps.

(13 septembre.) Ce matin, Jésus alla à la ville avec les disciples, et s'assit près d'un puits. Les lévites et les principaux de la ville, avertis par les disciples envoyés à l'avance, l’attendaient : ils lui témoignèrent beaucoup de respect, le conduisirent dans une tente, lui lavèrent les pieds et lui offrirent à manger. Il alla enseigner dans la synagogue, et guérit ensuite beaucoup de malades qui s'étaient rassemblés là, et parmi lesquels il y avait beaucoup de phtisiques. Il alla aussi visiter des malades dans plusieurs maisons. Vers trois heures il y eut un repas : il mangea avec les lévites et plusieurs personnes dans une maison publique ; les plats furent apportés de la maison commune où on les préparait. Le soir, Jésus fit dans la synagogue, à l'ouverture du sabbat, une instruction dont je parlerai plus tard. Le matin, il parla beaucoup de Moïse dans le désert, au mont Sinaï et au mont Horeb ; de la construction de l'arche d'alliance, de la table des pains de proposition, etc., car les gens de cet endroit avaient donné des offrandes à cet effet : il dit que leur offrande avait été figurative, et il les exhorta, maintenant que le temps de l'accomplissement des figures était arrivé, à offrir aussi leurs cœurs et leurs âmes par la pénitence et la conversion. Il établit, je ne sais plus bien comment, un rapport entre leurs anciennes offrandes et leur état présent. Voici quels étaient les points fondamentaux de cette instruction.

Je vis, pendant la prédication de Jésus, très en détail et d'une manière très circonstanciée, qu'au temps de la sortie d'Egypte, Raguel beau-père de Moise, son beau-frère Jethro et sa femme Séphora, habitaient à Arga avec ses deux fils et une fille. Je vis que Jethro, la femme de Moise et ses enfants, allèrent le trouver au mont Horeb ; que Moïse les reçut avec joie, qu'il leur raconta tout ce que Dieu avait fait pour les tirer d'Egypte, et que Jethro offrit un sacrifice. Je vis aussi que Moïse jugeait lui-même tous les Israélites et que Jethro lui conseilla d'établir des juges subordonnés ; après quoi il retourna chez lui ; mais la femme et les enfants de Moïse restèrent près de lui. Je vis que Jethro raconta à Arga tous les prodiges qu'il avait vus, que beaucoup de gens en conçurent un grand respect pour le Dieu des Israélites, et que Jethro envoya sur des chameaux des présents et des offrandes auxquels contribuèrent beaucoup d'habitants d'Arga.

Ces présents consistaient en huile fine qu'on fit brûler ensuite dans le tabernacle, en poils de chameaux très fins et très longs pour filer et tisser des couvertures, et en très beau bois, appelé setim, dont on fit plus tard les bâtons de l'arche d'alliance et la table des pains de proposition. Je crois qu'ils envoyèrent aussi une espèce de farine avec laquelle on St ces pains eux-mêmes : c'était cette moelle tirée d'une plante semblable au roseau, dont je vis Marie faire de la bouillie pour Jésus peu après sa naissance.

Le jour du sabbat, Jésus enseigna dans la synagogue sur des passages d'Isaie et du Deutéronome (XXI, 26). Le matin déjà il avait parlé de Balac et du prophète Balaam, et je vis touchant ces deux personnages beaucoup de choses que je ne peux plus coordonner. Ce soir, dans la prédication du sabbat, il raconta sous forme d'exemple, en prenant pour texte ce qui avait été lu de la loi de Moïse, l’histoire de Zambri, qui fut tué par Phinées avec la femme madianite (Num., XXV). (Anne Catherine rapporta encore d'une façon vraiment surprenante une quantité de préceptes de Moïse dont elle n'avait jamais rien lu ni entendu dire, tels qu'ils se trouvent dans le Deutéronome (XXI, XXVI), et particulièrement certains de ces préceptes correspondant à son état et à sa manière de sentir, comme, par exemple, celui qui prescrit, lorsqu'on prend un nid d’oiseau, de laisser aller le père et la mère ; ceux qui concernent les indigents auxquels on doit permettre de glaner après la moisson ; les règles à suivre touchant le prêt, touchant les objets donnés en gage par les pauvres, etc. Jésus enseigna sur tout cela, et il insista particulièrement sur l'obligation qu'il y a de ne pas retenir le salaire des ouvriers, parce qu'il y a ici beaucoup d'ouvriers. Elle se réjouit fort d'apprendre que tout cela se trouve dans la Bible, et s'étonna d'avoir si bien entendu et retenu les paroles du Sauveur.)

(14 septembre.) Encore aujourd'hui Jésus enseigna dans l'école sur les préceptes de Moïse, puis il guérit dans la ville, et alla après le sabbat dans L'hôtellerie des païens qui l'avaient fait prier instamment de les visiter. Ils le reçurent avec beaucoup d'humilité et de cordialité, et il leur parla de la vocation des païens, et leur dit qu'il venait maintenant pour subjuguer ces païens qu'Israël n'avait pas vaincus. Ils l'interrogèrent sur l’accomplissement des prophéties : entre autres choses, sur celle d'après laquelle le sceptre devait être retiré de Juda à l'époque du Messie : il enseigna sur ce sujet. Ils désiraient aussi recevoir le baptême, et avaient connaissance du voyage des trois Rois. Il les instruisit sur le baptême et leur dit que c'était pour eux une préparation à prendre part au royaume du Messie. Ces païens si bien disposés étaient des voyageurs qui devaient rester là deux semaines pour attendre le passage d'une caravane. Il y avait cinq familles et en tout trente-sept personnes. Ils ne pouvaient pas aller à Ainon pour le baptême, parce qu'ils craignaient de manquer la caravane. Ils demandèrent aussi à Jésus où ils devaient s'établir, et il leur indiqua le lieu. Je ne l'ai jamais entendu parler aux païens de la circoncision, mais bien de la continence, et leur dire qu'ils ne devaient avoir qu'une femme.

(15 septembre.) Aujourd'hui je vis Jésus instruire encore les païens, qui furent ensuite baptisés par Saturnin et Juda Barsabas. Ils descendirent dans une citerne qui servait à prendre des bains, et se courbèrent au-dessus d'un grand bassin placé devant eux, et que Jésus avait bénit. L'eau fut versée trois fois sur leur tête. Je ne sais plus bien quelle fut la formule du baptême : je crois qu'on les baptisa au nom de Jéhovah et de son envoyé : les disciples de Jean disaient seulement : au nom de l'envoyé de Jehovah : cependant je ne m'en souviens pas bien exactement : je me sens trop malade et trop troublée.

Les païens étaient tous habillés de blanc : ils offrirent à Jésus, pour la caisse des disciples, des agrafes d'or et des pendants d'oreilles : ils faisaient le commerce d'objets de ce genre. On en fit de l'argent qu'on distribua aux pauvres. Jésus enseigna ensuite dans la synagogue : il guérit encore et prit un repas avec les lévites.

(15-17 septembre.) Après le repas, Jésus, accompagné de plusieurs personnes de l'endroit, alla à deux lieues au nord, vers une petite ville qui s'appelait Azo l. Il y était venu beaucoup de monde à l'occasion d'une fête en mémoire de Gédéon qui commençait le soir même.

Note : Elle chercha longtemps le nom de cet endroit, l’appela tantôt Gozzo. tantôt Ozo, et finit par s’arrêter au nom d'Azo, disant qu'il n'y avait que trois lettres.

Jésus fut reçu devant la ville par les lévites : on lui lava les pieds et on lui offrit à manger, puis il alla à la synagogue où il enseigna. J'ai vu beaucoup de choses relatives à cette ville et aux événements qui s'y sont passés, pendant que Jésus et les habitants s'entretenaient ensemble, et qu'il parlait de ces événements. J'en ai oublié la plus grande partie ; je raconterai ce que j'ai retenu. Azo doit être une des plus anciennes villes du pays de Basan, car j’ai vu quelque chose concernant Samson : mais je ne sais plus bien ce que c'est : je crois qu'il y vint faire certaines recherches ou qu'il y séjourna avec ses parents. Azo était une place forte du temps de Jephté : elle fut détruite pendant la guerre à l'occasion de laquelle celui-ci fut rappelé du pays de Tob. Maintenant Azo était un petit endroit très propre, consistant en une longue rangée de maisons : il n'y avait pas de païens : les habitants étaient bons, actifs et polis. On récolte ici beaucoup d'huile. Les oliviers sont devant la ville, plantés sur des terrasses et cultivés avec soin On s'occupe également ici à préparer et à broder des étoffes La manière de vivre est comme celle d'Arga : les habitants se considèrent comme des juifs de race très pure, de la tribu de Manassé, parce qu'ils n'ont jamais d'alliances avec les païens : le chemin qui mène à Azo descend le long d'une vallée en pente douce dans laquelle la ville est située, à l'ouest d'une montagne. (Elle donna beaucoup d'autres détails topographiques très exacts à leur manière, mais impossibles à reproduire, parce qu'il y a souvent des lacunes considérables ; et qu'elle parle comme si ses auditeurs voyaient les lieux et les connaissaient.)

J'ai vu une curieuse histoire qui s'est passée ici, pendant une guerre, à l'époque où Débora jugeait en Israël et où Sisara fut mis à mort par Jahel (Judic., IV, 17, 20). Voici ce que j'en ai retenu : une fille qui tirait son origine d'une femme échappée à l'extermination de la tribu de Benjamin, avait longtemps vécu à Maspha sous des habits d'homme, et elle était parvenue à dissimuler son sexe de manière à tromper tout le monde. Elle avait des visions, prophétisait, et servait souvent d'espion aux Israélites ; mais partout où ils l'employaient, les choses tournaient mal pour eux. J'ai oublié beaucoup de choses qui la concernaient.-Il y avait alors ici des troupes ennemies, des Madianites, à ce que je crois : elle vint habillée en homme, ayant toute l'apparence d'un soldat de belle prestance, et elle se donna pour Abinoëm, un des guerriers qui s'étaient trouvés à la défaite de Sisara.

Elle venait pour espionner : déjà elle avait traversé plusieurs campements, et elle se présenta ici dans la tente du chef de l'armée, promettant de mettre en son pouvoir tous les Israélites. Ordinairement elle ne buvait pas de vin, et se montrait très circonspecte et très chaste. Mais ici elle s'enivra, ce qui fit découvrir son sexe. Elle fut livrée et clouée sur une planche par les mains et par les pieds. On la laissa languir quelque temps, dans ce supplice ignominieux, puis on la jeta dans un trou, en retournant la planche sur elle, et j'entendis dire à cette occasion : "Qu'elle soit ensevelie ici avec son nom, "probablement parce que personne ne savait qui elle était. Elle prophétisait et espionnait pour de l'argent. Après cela, les ennemis descendirent vers le Jourdain.

Ce fut d'Azo que Gédéon partit pour attaquer le camp ennemi. J'ai vu diverses circonstances de cette histoire. Gédéon était de la tribu de Manassé ; il habitait avec son père, prés de Silo. C'était une époque de détresse pour Israël ; les Madianites et d'autres païens envahissaient le pays de toutes parts, dévastaient les champs et enlevaient les moissons. Gédéon, fils de Joas d’Ezri, qui habitait à Ephra, était très vaillant et aussi très bienfaisant : il battait souvent son blé un peu plus tôt que les autres et le partageait avec les indigents. Je le vis le matin, avant le jour, aller dans la rosée à un arbre d'une grosseur extraordinaire, sous lequel il avait caché son aire. C’était un homme très beau et très robuste. Le chêne couvrait de ses larges branches une espèce de cuve fort spacieuse que formait le rocher où il plongeait ses racines ; ce bassin était entouré d'un rebord montueux qui s'élevait jusqu'à la hauteur des branches, en sorte qu'on ne pouvait pas être vu de l'extérieur et qu’on était au pied du chêne comme dans un vaste caveau. Le fond était de rocher : tout autour, dans la paroi, étaient des trous où le blé était conserve dans des vases d'écorce. On battait le grain à l'aide d'un rouleau placé sur des roues qu'on faisait tourner autour de l'arbre et auquel étaient adaptés des marteaux de bois qui tombaient sur les épis. Il y avait dans le haut de l’arbre un siège d'où l'on pouvait voir tout autour de soi. Ce fut ici que Gédéon trouva un ange, un jeune homme blanc assis sur une pierre, près du chêne. (Elle raconta alors l'histoire d'une manière peu différente du récit de la Bible ; seulement elle dit que Gédéon laissa l'ange attendre tout un jour avant de revenir avec la victime et que le bois de Baal, détruit par lui, consistait en un groupe d'arbres. Elle se réjouissait particulièrement de la réponse de Joas aux ministres des idoles, qui demandaient que Gédéon leur fût livré. Il y a bien des choses qu'elle omit ou qu'elle ne vit pas jusqu'à l'irruption de Gédéon avec trois cents hommes dans le camp des Madianites. Voici ce qu'elle en dit : (Les Madianites occupaient le pays depuis Basan jusqu'au delà du Jourdain : ils se tenaient dans la plaine d'Esdrelon, et la vallée du Jourdain était couverte de chameaux qui paissaient. Cela fut très utile à Gédéon : il observa tout avec soin pendant plusieurs semaines et se glissa assez loin, jusque vers Azo, avec ses trois cents hommes. Je le vis pénétrer dans le camp des Madianites et s'arrêter près d'une tente ou il entendit un soldat disant à l'autre : "J'ai rêvé qu'un pain tombait du haut de la montagne et renversait la tente.-Ce n'est pas un bon signe, répondit l'autre, sûrement Gédéon tombera sur nous avec les Israélites. "Je vis la nuit suivante Gédéon, accompagné un petit nombre d'hommes, partir d'ici, et faire irruption dans le camp ; ils sonnaient de la trompette et tenaient des lampes à la main : ses autres soldats en firent autant d'un autre côté. La confusion se mit partout dans le camp ennemi : ils se tuaient les uns les autres, et ils furent ensuite chassés de toutes parts et taillés en pièces par les enfants d’Israël. La montagne, du haut de laquelle le soldat avait vu en songe rouler un pain, se trouvait derrière Azo : c'est aussi de là que Gédéon attaqua en personne. La sœur raconta encore plusieurs choses touchant les fils de Gédéon, légitimes et illégitimes ; elle parla de 'idolâtrie dans laquelle il tomba plus tard, et aussi de la mort d'Abimélech, mais tout cela d'une manière très sommaire. Barech était le frère du mari de Débora.

(16 septembre.) Le matin du 24 Elul on célébra à Azo la fête anniversaire de la victoire de Gédéon.

Devant la ville, au pied d'une colline, se trouve un grand chêne sous lequel est un autel de pierres entassées. Entre cet arbre et les montagnes d'où le soldat vit rouler le pain, était enterrée la prophétesse déguisée. Ces sortes d'arbres sont différents de nos chênes : ils portent un fruit volumineux, qui a extérieurement une coque verte, sous laquelle se trouve un noyau extraordinairement dur, placé aussi dans un petit réceptacle comme nos glands. De ce noyau les Juifs du pays font des têtes à leurs bâtons. Entre ce chêne et la ville on voyait une longue rangée de cabanes de feuillage ornées de toutes sortes de fruits : c'étaient des abris pour la foule de peuple qui affluait en cet endroit. Jésus et ses disciples allèrent en procession au chêne avec les lévites. On conduisait en avant cinq petits chevreaux avec des guirlandes rouges autour du cou, et on les enferma dans de petits trous fermés par des grilles, pratiqués autour de l'arbre dans la paroi du rocher. On portait aussi des gâteaux pour le sacrifice, et en même temps on sonnait de la trompette. On lut divers passages de l’Écriture relatifs à Gédéon, et on chanta des chants de triomphe, puis les chevreaux furent immolés et dépecés : on mit aussi sur l'autel plusieurs portions des gâteaux. On fit ensuite une aspersion autour de l'autel avec le sang ; un des 1évites avait un roseau dans lequel il soufflait pour allumer le bois placé sous la grille de l'autel : je pense que c'était en mémoire de ce que l'ange avait mis le feu au sacrifice de Gédéon en le touchant avec un bâton.

Jésus fit encore une instruction au peuple assemblé. Ce qui resta de viande fut distribué aux pauvres. Cette fête dura jusqu'au matin. Dans l'après-midi, Jésus alla avec les lévites et les plus considérables des habitants dans la vallée qui est située au midi devant la ville : il y avait là un lieu de plaisance où l'on prenait des bains : une petite source y jaillissait. Il s'y trouvait des femmes et des jeunes filles réunies dans un jardin à part, où elles jouaient et se divertissaient. un repas y était préparé, et les pauvres étaient assis aux tables d'en haut, d'après un ancien usage. Jésus se mit à la table des pauvres. Il raconta la parabole de l'enfant prodigue et du veau gras que le père fit tuer pour lui.

Jésus passa la nuit sur le toit de la synagogue, sous une tente : les gens de ce pays avaient coutume de dormir sur les toits.

La fête continua encore le jour suivant, et l'on disposa dès lors les cabanes de feuillages pour la fête des tabernacles, qui commence dans quinze jours. Le matin, Jésus enseigna dans la synagogue : il guérit devant l'école beaucoup d'aveugles, de phtisiques, et aussi plusieurs possédés d'une bonne catégorie. Il y eut encore un repas, après quoi Jésus quitta la ville.

(17-18 septembre.) Les lévites et une trentaine de personnes en tout accompagnèrent Jésus. Le chemin franchissait d'abord la montagne d'où le soldat vit en songe un pain d'orge rouler dans le camp des Madianites : ils entrèrent ensuite dans une gorge qui les conduisit sur une haute crête de montagne très étroite et très allongée. Ils firent encore une lieue au nord de l'autre côté, et arrivèrent dans une vallée près d'un joli petit étang, au bord duquel s'élevaient quelques édifices : ce petit endroit appartient aux lévites d'Azo. un ruisseau coule à travers l'étang, arrose la vallée et va se jeter dans le Jourdain.

A environ six lieues au nord-est se trouve Bétharamphtha-Juliade, qui s'étend autour d'une montagne. Pendant la route, j'ai vu cette ville et plusieurs autres encore.

Jésus prit quelque nourriture sur le bord de l'étang. Ils avaient apporté avec eux du poisson grillé, du miel, du pain et une petite cruche de baume. Il fallait environ trois heures pour venir d'Azo ici. Jésus raconta en chemin des paraboles sur le semeur et la semence jetée dans un champ pierreux, car le sol était très rocailleux sur toute la route. Il raconta une parabole où il était question de pêche et de poissons : mais je ne m'en souviens plus. Il y avait de petites barques sur l'étang, on y pêchait à la trouble : les poissons qu'on prit furent rapportés pour être donnés aux pauvres. à environ une lieue et demie d'ici se trouve Ephron, ville située au penchant d'un ravin. On ne peut pas la voir d'ici, mais on a en face de soi les montagnes qui la dominent. Jésus se sépara ici des gens d'Azo, qui était la meilleure ville qu'il eût visitée dans ce pays, et il alla à Ephron. Il fut reçu, comme à l'ordinaire, par les lévites en avant d'Ephron. Il y avait déjà beaucoup de malades devant la ville : le Seigneur les guérit.

Note : Elle reconnut ces montagnes comme assez exactement indiquées sur la carte de Klœde ; il lui sembla que celle dont il est question ici était représentée sur cette carte sous la forme d'une semelle, mais que la gorge n'y était pas marquée.

Ephron est sur une hauteur qui domine au midi un passage étroit où coule un ruisseau qui tarit souvent. Il se rend au Jourdain que l'on aperçoit dans le lointain à l'extrémité de la gorge. Vis-à-vis est une montagne plus élevée sur laquelle la fille de Jephté avec ses suivantes attendit un signal qui devait lui annoncer la victoire de son père ; ce signal fut donné au moyen d'une fumée abondante s'élevant dans les airs. Là-dessus elle revint en toute hâte à Ramoth et alla en grande pompe au-devant de son père. Jésus guérit ici beaucoup de malades et les instruisit.

Les lévites d'ici étaient de l'ancienne secte des Réchabites, Jésus leur reprocha d'être trop sévères et trop rigoureux dans leurs maximes, et il conseilla au peuple de ne pas tenir compte de plusieurs de leurs préceptes. Dans cette instruction il fit mention de ces lévites de Bethsamès qui avaient regardé l'arche d'alliance revenue de chez les Philistins, sans que cela leur fût permis (peut être étaient ils en état d'impureté ou avaient-ils été poussés par une vaine curiosité), et qui avaient été punis pour cela : je ne sais plus comment ce fait trouvait ici son application. Les Réchabites descendent de Jethro, le beau-frère de Moïse. Ils vivaient autrefois sous la tente, ne cultivaient pas la terre et ne buvaient jamais de vin. Ils faisaient dans le temple l'office de chantres et de portiers. Ceux qui près de Bethsamés regardèrent l'arche d'alliance, contrairement à ce qui était prescrit, étaient des Réchabites qui habitaient là sous la tente. Jérémie autrefois les engagea inutilement à boire du vin dans le temple, et leur obéissance à leurs traditions fut donnée en exemple aux Israélites. à l’époque de Jésus, ils n'étaient plus sous la tente, mais ils avaient encore plusieurs usages singuliers. Ils portaient sur la chair nue un ephod ou scapulaire de crin en guise de cilice, et par là-dessus un habit de peau, puis en outre un beau vêtement blanc avec une ceinture très large. Ils se distinguaient des Esséniens parce qu'ils étaient mieux vêtus. Ils avaient des préceptes exagérés quant à la pureté, particulièrement en ce qui touche le mariage. Ils s'abstenaient d'en user trois jours avant d'offrir un sacrifice, et ils se regardaient comme souillés par des désirs involontaires. Ils avaient d'étranges usages relativement au mariage ; ils jugeaient d'après le sang qu'on tirait à un homme, s'il devait prendre femme ou non, et c'était en se guidant d'après ces signes qu'ils mariaient les hommes de leur race, ou qu'ils leur imposaient parfois le célibat. Je n'ai pas vu qu'à l'époque présente il y en eût en Palestine, ailleurs qu'à Ephron. Autrefois il y en avait aussi à Argob, à Jabès et dans la Judée. Ils ne contredirent pas, se montrèrent pleins d'humilité et prirent bien l'enseignement et les reproches de Jésus. J'ai l'idée que la population juive, gouvernée par Judith dans l'Abyssinie, descend en partie des Réchabites. J'ai vu quelque chose à ce sujet : ces Juifs sont aussi pour la plupart vêtus d'habits de peau. Il en est resté là plusieurs qui avaient été emmenés en captivité. Jésus leur reprocha principalement leur sévérité incroyable pour les adultères et les meurtriers qu'ils ne voulaient admettre en aucune façon à la réconciliation. Ils pratiquaient aussi le jeune avec une extrême rigueur.- Il y avait ici contre la montagne beaucoup de fonderies et de forges ; on fabriquait des pots, des rigoles et aussi des tuyaux pour les conduites d'eau, formés de deux rigoles soudées ensemble.

Note : Ceci se rapporte à une principauté juive située dans les montagnes de la Lune en Abyssinie ; elle y alla souvent dans ses visions et la souveraine actuelle avec laquelle elle eut beaucoup de rapports portait disait-elle, le nom de Judith. Elle disait que ces juifs n'avaient pris aucune part à la mort de Jésus, qu'ils étaient venus longtemps auparavant en Abyssinie.

 (19-23 septembre.) Jésus avait encore opéré des guérisons à Ephron : il alla ensuite avec ses disciples et plusieurs Réchabites à cinq lieues au nord-est, à Bétharamphtha-Juliade, une belle ville, située à une assez grande élévation : il avait enseigné en route, près d'une mine d'où l'on retirait le bronze qui était mis en œuvre à Ephron. à Bétharamphtha, il y avait aussi des Réchabites, parmi lesquels des prêtres. Ceux d'Ephron me semblaient être subordonnés à ceux-ci. La ville est grande et s'étend autour de la montagne. (Elle croyait la reconnaître exactement sur la carte de Klœde). Le quartier occidental est habité par des Juifs, le quartier oriental et une partie du haut de la ville par les paiens. Les deux quartiers sont séparés par un chemin bordé d’un mur et par un lieu de plaisance avec des avenues (Elle indique les quartiers de la ville en promenant le doigt ça et là sur la couverture de son lit, comme quelqu'un qui connaît bien ce dont il parle, mais qui le décrit d'une manière assez confuse) En haut, sur la montagne, se trouve un beau château avec des tours : il y a aussi des jardins et des arbres. une femme répudiée du tétrarque Philippe y demeurait, et les revenus de cette contrée lui étaient assignés pour son entretien. Elle avait avec elle cinq filles déjà grandes. Elle était de race Jébuséenne et païenne, et descendait des rois de Gessur. Elle s'appelait Abigail : c'était une femme déjà d'un certain âge, forte et belle, et d'un caractère bon et bienfaisant.

Philippe était plus âgé que l'Hérode de la Pérée et de la Galilée. C'était un païen inoffensif, mais voluptueux ; demi frère de l'autre Hérode, qui était né d'une autre mère. Ce Philippe avait d'abord épousé une veuve qui avait une fille, mais le mari de cette Abigail je visita, étant en voyage, à l'occasion d'une guerre, à ce que je crois, ou peut-être en se rendant à Rome, et il laissa sa femme chez lui. Elle fut pendant l’absence de son mari, séduite et épousée par Philippe, ce qui fit mourir le mari de chagrin. Quelques années après, la première femme que Philippe avait répudiée à cause d'Abigail, étant au moment de mourir, pria Philippe d'avoir au moins pitié de sa fille. Or, le tétrarque, fatigué d’Abigaïl, épousa cette belle-fille et renvoya Abigaïl avec ses cinq filles à Bétharam, qu'on appelait aussi Juliade, en l’honneur d'une dame romaine de la famille impériale. Elle vivait là, faisant beaucoup de bien, et se montrant très favorable aux Juifs. Elle avait un grand désir de connaître la voie du salut ; mais elle était étroitement surveillée par quelques agents de Philippe. Philippe avait aussi un fils. Sa femme actuelle était beaucoup plus jeune que lui.

Jésus fut bien accueilli et bien hébergé à Bétharam. Le matin d'après son arrivée, il guérit beaucoup de malades juifs, enseigna le soir dans la synagogue, et le jour suivant encore, sur les dîmes et les prémices. (Deutér., XXVI-XXIX, et Isaïe, LX.)

Abigaïl était en très bon renom parmi les habitants ; elle envoya des présents aux Juifs pour les aider à traiter Jésus et ses disciples. Le premier jour du mois de Tisri, on faisait la fête de la nouvelle année. On jouait de divers instruments de musique au haut de la synagogue. Il y avait des harpes, mais surtout on jouait beaucoup de certaines grandes trompettes qui avaient plusieurs embouchures. Je vis encore ce singulier instrument avec des soufflets que j'avais vus à la synagogue de Capharnaum. Je vis que tout était orné de fruits et de fleurs pour la fête, et je remarquai diverses coutumes en usage dans les différentes classes de la population. Je vis pendant la nuit beaucoup de personnes, surtout des femmes, avec des lumières recouvertes de boisseaux, se prosterner et prier sur les tombeaux, habillées de longs vêtements. Tous en outre se baignaient, les femmes dans les maisons, les hommes dans les bains publics.

Les hommes mariés et les jeunes gens se baignaient séparément, il en était de même pour les femmes et les jeunes filles. Les bains étaient très fréquents chez les Juifs ; mais comme on n'avait pas partout de l'eau en abondance, on les prenait souvent d'une manière économique. Ils se couchaient sur le des dans dés auges et versaient de l'eau sur eux avec une coquille : souvent c'était plutôt une ablution qu'un bain. Ils se baignèrent aujourd'hui devant la ville, dans de l'eau tout à fait froide. Ils avaient coutume aussi, à cette occasion, de se faire mutuellement des présents, et on en faisait spécialement aux pauvres. Il y eut ensuite un grand repas : on avait placé sur un long mur beaucoup de présents, consistant en aliments, en vêtements et en couvertures : chacun recevait de ses amis les cadeaux qui lui étaient destinés et en donnait quelque chose aux pauvres : les Réchabites, qui étaient là dirigeaient et réglaient tout : ils regardaient ce que chacun distribuait aux pauvres, et ils avaient trois registres où ils prenaient note des libéralités qui avaient été faites, mais sans que les personnes intéressées en eussent connaissance.

L'un de ces registres s'appelait le livre de vie, l'autre la route du milieu, le troisième le livre de mort. Les Réchabites avaient diverses attributions de ce genre : du reste, ils remplissaient dans le temple l'office de portiers, de teneurs de comptes, et surtout de chantres, et ils exerçaient ces mêmes fonctions à la fête d'aujourd'hui : toutefois, ici et ailleurs, il y avait ordinairement des prêtres parmi eux. Jésus reçut à Bétharamphtha des présents consistait en habits, couvertures et pièces de monnaie : il fit tout distribuer aux pauvres.

Pendant cette fête publique, Jésus alla visiter les païens. Abigaïl ! 'avait fait prier instamment de venir la voir, et les Juifs eux-mêmes, auxquels elle faisait beaucoup de bien, le prièrent de s'entretenir avec elle. Le matin, je le vis avec quelques-uns de ses disciples traverser la ville juive et se rendre au quartier des paiens, en passant par un jardin public planté d'arbres, qui séparait les deux parties de la ville, et où les Juifs et les païens se rencontraient ordinairement pour traiter d'affaires. Abigaïl s'y trouvait avec sa suite et ses cinq grandes filles : il y avait aussi plusieurs jeunes filles païennes et d'autres personnes. Abigail était une grande et forte femme d'environ cinquante ans : elle devait être du même âge que Philippe t. Il y avait chez elle quelque chose de triste et de languissant. Elle désirait vivement être assistée et éclairée, mais elle ne savait par où s'y prendre, car elle était gênée dans ses relations et espionnée par des surveillants. Elle se prosterna devant Jésus qui la releva et qui lui donna des enseignements à elle et à tous les assistants, tout en se promenant de long en large. Il parla de l'accomplissement des prophéties, de la vocation des païens et du baptême.

Je dois mentionner ici que depuis que Jésus avait quitté Ainon, il y venait continuellement, de tous les endroits qu'il avait visités depuis lors, des troupes de juifs et de païens pour recevoir le baptême de la main des disciples qu'il y avait renvoyés. André, Jacques le Mineur, Jean et les disciples de Jean Baptiste, y étaient encore occupés à baptiser. Lazare était retourné immédiatement chez lui. Des messagers allaient et venaient visitant Jean Baptiste dans sa prison et rapportant ce qu'il avait dit.

Note : La Sœur dit une autre fois que Philippe était l'aîné d'Hérode Antipas, lequel était beaucoup plus actif et plus fort, et aussi moins gras et moins mou que son frère.

Jésus reçut d'Abigaïl, à l'endroit où il devait enseigner, les honneurs rendus habituellement en pareille circonstance. Elle avait chargé des serviteurs juifs de lui laver les pieds et de lui offrir une réfection pour sa bienvenue. Elle le pria très humblement de lui pardonner le désir qu'elle avait eu de s'entretenir avec lui : elle lui dit que depuis longtemps elle désirait l'entendre, et l'invita à prendre part à une fête qu'elle avait préparée pour lui. Jésus se montra plein de bonté envers tous, et spécialement envers elle ; toutes ses paroles aussi bien que son aspect l'émurent profondément, car elle était accablée de chagrins et n'avait qu'une instruction bien incomplète. Cet enseignement des païens dura jusqu'après midi. Jésus se rendit, sur l'invitation d'Abigaïl, dans la partie orientale de la ville, non loin de temple des païens : il y avait là beaucoup de bains et une espèce de fête populaire, car les païens fêtaient aussi la nouvelle lune de ce jour avec une pompe particulière. Il eut à suivre le chemin qui séparait la ville juive de la ville païenne, Et le long duquel il rencontra plusieurs pauvres malades païens qui faisaient leur demeure dans la muraille, couchés dans des caisses pleines de paille et de balle d'avoine. Les païens avaient ici beaucoup de pauvres. Jésus n'en guérit aucun pour le moment.

Dans le jardin de plaisance où le festin avait lieu, Jésus enseigna longtemps les paiens, tantôt allant et venant, tantôt pendant le repas. Il raconta des paraboles où il était question de bêtes de toute espèce, auxquelles il les comparait à cause des occupations auxquelles ils se livraient et du peu de fruit qu'ils en retiraient. Il parla du travail incessant, souvent si peu profitable de l'araignée, de l'activité désordonnée des fourmis et des guêpes, et l'opposa au travail si bien ordonné des abeilles. Le repas, auquel Abigaïl prit part, fut en grande partie distribué aux pauvres sur l'ordre de Jésus. Je vis aussi ce même jour une grande fête dans le temple des païens, lequel était d'une grande magnificence. Il y avait de cinq côtés de grands péristyles ouverts, à travers lesquels on pouvait voir ce qui se faisait. Au centre était une haute coupole. On voyait plusieurs dieux dans différentes salles de ce temple, mais le principal dieu s'appelait Dagon ; il avait le haut du corps comme un homme et se terminait en poisson. Il y avait aussi là d'antres dieux avec des figures d'animaux, mais nulle part d'aussi belles figures que chez les Grecs et les Romains. Je vis des jeunes filles suspendre des guirlandes aux idoles, et chanter et danser l'entour. Je vis aussi des prêtres des idoles brûler de l'encens sur une petite table à trois pieds. Sur la coupole de ce temple se trouvait un appareil singulier très artistement arrangé, qu'on mettait en mouvement pendant la nuit. C'était un globe lumineux entouré d'étoiles qui tournait au-dessus du toit ; on pouvait le voir de l'extérieur et aussi de l'intérieur du temple. Le cours des astres y était représenté en partie, ainsi que la nouvelle lune ou la nouvelle année. Le mouvement était lent, et quand la face opposée se montrait, les jeux et les fêtes cessaient de ce côté du temple et commençaient du côté ou la lune arrivait. Non loin du lieu ou le repas fut donné à Jésus se trouvait un grand jardin d’agrément où les jeunes filles jouaient j leurs robes étaient retroussées et leurs jambes enveloppées ; elles avaient des arcs, des flèches et de petits épieux entourés de fleurs, et couraient devant un singulier échafaudage de branches, de fleurs et d'ornements de toute espèce ; sans cesser leur course, elles lançaient leurs traits sur des oiseaux qu'on y avait attachés ou sur d'autres animaux parmi lesquels étaient des chevreaux et des bêtes ressemblant à de petits ânes qu'on avait enfermés dans des enceintes au pied de l'échafaudage. Tout cela servait de décoration a une idole hideuse qui ouvrait une large gueule comme celle d'une bête féroce ; pour le reste, elle ressemblait à un homme : elle avait les bras pendants : elle était creuse et il y avait du feu au-dessous. Les animaux tués étaient mis dans sa gueule ; ils y rôtissaient et tombaient dans le feu. Ceux qui n’étaient pas atteints étaient mis à part : je crois qu'on les regardait alors comme sacrés, que les prêtres mettaient sur eux les péchés du peuple et leur rendaient la liberté. C'était quelque chose comme les animaux expiatoires des Juifs : si ce n'eût été le supplice infligé aux animaux, et surtout l'aspect de l'affreuse idole, l’agilité et l'adresse des jeunes filles m'auraient beaucoup plût à voir. La fête dura jusqu'au soir, et quand la lune se leva, les animaux furent immolés. Le soir, tout le temple fut illuminé ainsi que le château d'Abigaïl.

Jésus enseigna encore après le repas, et il se convertit plusieurs paiens qui allèrent à Ainon se faire baptiser.

Le soir je vis Jésus monter de nouveau la montagne, à la lueur des flambeaux, et s'entretenir avec Abigail sous un vestibule à colonnes, dans un jardin attenant à son château. Il y avait près d'elle quelques agents de Philippe qui la surveillaient constamment. Cela la gênait beaucoup dans toutes ses actions, et elle le donna à entendre au Seigneur par un regard qu'elle jeta sur ces hommes. Mais Jésus connaissait tout son intérieur et les liens qui la tenaient captive. Il était touché de compassion pour elle. Elle demanda si elle pouvait être réconciliée avec Dieu : il y avait un point qui était pour elle l'objet d'un remords incessant : c'était la violation de la foi conjugale envers son légitime époux et la mort de celui-ci. Jésus la consola et lui dit que ses péchés lui étaient remis, qu'elle devait persévérer dans les bonnes œuvres, attendre patiemment et prier. Elle était de la race des Jébuséens : c'étaient des paiens qui faisaient périr leurs enfants quand ils naissaient contrefaits, et qui avaient beaucoup de croyances superstitieuses touchant les signes de naissance.

(23 septembre.) Dans tous les lieux où Jésus avait passé dernièrement, on était déjà occupé à faire des préparatifs de toute espèce pour la fête des tabernacles. On rassemblait des lattes de tous côtés, et à Bétharamphtha on dressait sur les toits de beaucoup de maisons des tentes et des huttes de feuillage. Les jeunes filles étaient occupées à se pourvoir de plantes et de fleurs, qu'elles 1nettaient dans l'eau pour les tenir fraîches. Il y a tant de jours de jeûne avant la fête, et on a besoin de tant de choses pour les repas dont elle est accompagnée, que l'on fait déjà tout apporter d'avance. Plusieurs personnes se partagent le soin de fournir tons les objets nécessaires. à cette occasion, les pauvres sont rétribués et défrayés, et à la fin on leur donne une belle fête et une gratification.

Dans tous ces endroits on ne voit pas de boutiques publiques. Il y a, à Jérusalem, autour de l'enceinte extérieure du temple, quelques endroits où se trouvent des boutiques en certain nombre ; dans les autres villes, c'est tout au plus si l'on rencontre parfois auprès de la porte une tente où l'on vend des couvertures ; cela se voit principalement dans les endroits où il passe des caravanes. On ne voit pas non plus de gens assis ensemble dans les auberges, comme chez nous. On trouve çà et là au coin d'un mur un homme qui se tient près d'une tente, muni d'une outre ou d'une cruche : un voyageur passe et se fait remplir un cruchon : il est rare qu'il s’arrête pour boire. On ne rencontre pas de gens ivres dans les rues. On voit aussi des gens qui vendent de l'eau : ils portent sur le dos des outres suspendues des deux côtés à une perche : quant à la vaisselle et à la ferraille, chacun va les prendre avec des ânes aux endroits où on les confectionne.

Jésus, après son entretien d'hier avec Abigail, revint dans la ville juive, où il passa la nuit chez les lévites. Le lundi 2 Tisri je le vis de bon matin, sur le chemin bordé d'un mur qui séparait le quartier des Juifs du quartier des païens, guérir tous les pauvres païens malades qui gisaient là si misérablement dans des trous, et les disciples leur distribuèrent les aumônes qu'ils avaient recueillies. Plus tard, il enseigna encore dans la synagogue pour prendre congé, et comme à cette fête se lie une autre fête commémorative du sacrifice d'Abraham, il parla de l'Isaac réel et véritable, ce qui toutefois ne fut pas compris par les auditeurs. Dans tous ces endroits il parle très clairement du Messie, mais sans dire expressément que c'est lui.

(23-26 septembre.) Jésus, accompagné des disciples et de quelques lévites, alla à deux ou trois lieues au nord-ouest vers une gorge par laquelle le ruisseau de Chrit se jette dans le Hiéromax : au fond de cette gorge est la jolie ville d'Abila. Les lévites l'accompagnèrent jusqu'à une montagne qui est à moitié chemin et s'en retournèrent. Il était trois heures après midi lorsque Jésus arriva devant Abila, qui est bâtie près de la source du ruisseau de Chrit : il y fut reçu par les lévites de la ville, auxquels s'étaient joints plusieurs Réchabites. Il y avait en outre avec eux trois disciples de Galilée qui attendaient Jésus, j'ai oublié ce qui les amenait. Ils le conduisirent aussitôt dans la ville, près d'une très belle fontaine. C'était la source du ruisseau de Chrit, autour de laquelle la ville était bâtie. La fontaine était surmontée d'un bel édifice reposant sur des colonnes et environnée de péristyles qui unissaient la synagogue et d'autres bâtiments avec ce point central. La ville s'élevait en pente douce sur les deux côtés de la hauteur, s'étendait tout autour avec ses rues disposées en forme d'étoiles, en sorte que de toutes les rues on pouvait voir la fontaine. Les lévites lavèrent les pieds à Jésus et à ses disciples, et on leur offrit la réfection d'usage.

Je vis dans les jardins voisins et près de divers édifices des jeunes filles et des hommes occupés à faire des préparatifs pour la fête des tabernacles.

D'ici Jésus alla avec eux plus au nord dans la vallée, à environ une demi lieue de la ville, à un endroit où se trouvait un large pont de pierre bâti sur le lit du ruisseau. Sur ce pont s'élevait, en mémoire d'Elle, une espèce de chaire surmontée d'un petit temple que supportaient huit colonnes. Les deux rives du petit cours d'eau étaient disposées en forme de gradins pour les auditeurs et toutes couvertes de monde. La chaire était au haut d'une petite colonne, dans l'intérieur de laquelle on montait. Jésus y enseigna en se tournant successivement de tous les côtés.

On célébrait aujourd'hui dans cette ville une fête en mémoire d'Elle, parce qu'il lui était arrivé auprès de ce ruisseau quelque chose dont je ne me souviens plus bien. Après l'instruction, il y eut un repas dans un jardin de plaisance où l'on prenait des bains : mais il finit avec le sabbat, parce que le lendemain était un jour de jeûne en mémoire du meurtre de Godolias.

C'était l'usage d'aller pleurer les morts sur leurs tombeaux au commencement du mois de Tisri. Je vis ici quelque chose de ce genre ; je ne sais pourtant pas si c'était le jour anniversaire de la mort d'un personnage quelconque ou une commémoration générale des morts. Je vis sur le penchant de la montagne, à l'est de la ville d'Abila, un beau sépulcre isolé, en avant duquel était un petit jardin ou les femmes de trois familles d'Abila célébraient une cérémonie funèbre. Elles étaient assises et voilées, pleuraient, chantaient des lamentations et se prosternaient souvent je visage contre terre : elles tuèrent aussi plusieurs oiseaux d'un très beau plumage, les plumèrent, et brûlèrent sur le tombeau les belles plumes brillantes qu'elles avaient arrachées. La chair des oiseaux fut donnée aux pauvres.

Note : Godolias était un lieutenant de Nabuchodonosor bien disposé pour les Juifs, qui fut assassiné par le roi des Ammonites Baalim. Après le retour de la captivité, les Juifs instituèrent un jeûne annuel le jour de sa mort (IV Reg. XXV, 24-25.)

C'était le tombeau d'une femme égyptienne dont elles descendaient. Avant la sortie des enfants d'Israël, il y avait en Egypte une parente illégitime du Pharaon d'alors, qui était très attachée à Moise, et qui rendit de grands services aux Israélites. Elle était prophétesse et dans la dernière nuit elle découvrit à Moïse le lieu où était la momie de Joseph. Elle avait je ne sais quel lien de parenté avec les Israélites. On l'appelait Segola. Une fille de cette Segola fut concubine d’Aaron, mais il se sépara d'elle quoiqu'ils eussent des enfants, et épousa Elisabeth, fille d'Aminadab, de la tribu de Juda. La femme répudiée avait aussi avec cet Aminadab une relation que je ne me. rappelle plus. La fille de Segola qui avait été bien pourvue par Aaron et par sa mère, et qui avait emporté d'Egypte beaucoup de richesses, suivit les Israélites et prit un autre mari. Elle s'attacha plus tard aux Madianites, spécialement à la famille de Jethro. Ses descendants s'établirent près d'Abila, où ils habitaient sous la tente, et son corps y fut enterre. Abila ne fut bâtie qu'après l'époque d'Elle, et ce fut alors que les descendants de l'Egyptienne s'y fixèrent : car au temps d'Elle je ne vis pas la ville, elle devait donc avoir été détruite antérieurement. Il s'y trouvait encore trois familles de cette race. Je me souviens confusément que les trésors laissés par Segola et le généreux emploi qu'en avaient fait ses descendants avaient beaucoup aidé à bâtir la ville. Voilà que la mémoire me revient. On était au jour anniversaire de la mort de la fille de Segola : sa momie apportée du désert avait été ensevelie ici. Les femmes offrirent aux lévites en mémoire d'elle des pendants d'oreille et des joyaux. Jésus fit l'éloge de cette femme, et du haut de la chaire d'Elle il loua la bienfaisance de sa mère Segola. Les femmes écoutaient, debout derrière les hommes. Au repas qui eut lieu dans le jardin des bains, il était venu beaucoup de pauvres, et chaque convive devait prendre quelque chose sur sa portion pour le leur donner.

(24 septembre.) Ce matin je vis Jésus conduit par les lévites dans une grande cour entourée de cellules Ou dés sourds-muets et des aveugles étaient soignés comme dans un hôpital. Il y avait près d'eux des gardiens et deux personnages qui paraissaient être des médecins. Les uns étaient sourds-muets de naissance, les autres, aveugles-nés. Plusieurs d'entre eux étaient déjà vieux : ils étaient en tout environ une vingtaine. Les sourds-muets étaient tout à lait comme des enfants : chacun avait un petit jardin où il s'amusait et qu'il cultivait : tous vinrent bientôt entourer Jésus, ils riaient et faisaient des signes en mettant le doigt sur la bouche. Jésus écrivit avec le doigt quelques caractères sur le sable, ils le regardèrent attentivement, et à chaque chose qu'il écrivait, ils montraient tel ou tel objet autour d'eux. Je crois qu'il leur fit ainsi comprendre quelque chose relativement à Dieu. Je ne sais pas s'il traça des signes ou des figures : j'ignore également si on les avait déjà instruits de cette façon. Après cela Jésus leur mit les doigts dans les oreilles et les toucha sous la langue avec les pouces et l'index : alors ils ressentirent une commotion violente et regardèrent autour d'eux, ils entendirent, ils pleurèrent, ils balbutièrent et parlèrent ; puis ils se prosternèrent devant Jésus et finirent par entonner un cantique de quelques paroles seulement, d'une mélodie monotone, mais très touchante. Cela rappelait beaucoup le cantique si émouvant des trois rois pendant leur voyage.

Jésus alla ensuite aux aveugles qui se tenaient rangés en silence. Il pria et leur mit les deux pouces sur les yeux : ils ouvrirent les yeux, virent leur sauveur et leur rédempteur, et mêlèrent leur chant d'action de grâces à celui des sourds-muets qui avaient maintenant la faculté de louer et d'entendre son enseignement. C'était un spectacle plein de charme et qui remplissait le cœur d'une joie indicible. Toute la ville accourut transportée d'allégresse, lorsque Jésus sortit avec les gens qu'il avait guéris et auxquels il ordonna de prendre un bain.

Lui-même se rendit à travers la ville jusqu'à la chaire d'Elle, en compagnie de ses disciples et des lévites. Il y eut une grande émotion dans la ville. Sur la nouvelle du prodige, on avait mis en liberté plusieurs, possédés. à un coin de rue plusieurs femmes idiotes coururent vers Jésus, elles parlaient toutes à la fois avec une grande volubilité, lui disant : "Jésus de Nazareth, prophète ! Tu es prophète ! Tu es Jésus ! Tu es le Christ, le prophète, etc." C'étaient des folles d'un bon naturel. Jésus leur imposa silence, et elles se turent. Il leur mit la main sur la tête, alors elles tombèrent à genoux, pleurèrent, devinrent tout à fait calmes, se prirent à rougir et furent emmenées paisiblement par les leurs. Plusieurs possédés furieux se firent aussi jour à travers la foule : il semblait qu'ils voulussent mettre Jésus en pièces. Il les regarda : alors ils vinrent se mettre à ses pieds comme des chiens couchants, et par un commandement il chassa les démons dont ils étaient possédés : ils s'affaissèrent sur eux-mêmes, et il sortit d'eux une vapeur noirâtre : puis ils reprirent connaissance, pleurèrent, rendirent grâces et furent ramenés chez eux par les leurs. Ordinairement Jésus leur ordonnait de se purifier. Il enseigna encore dans la chaire qui est sur le pont du ruisseau. Il parla beaucoup d'Elie, de Moïse et de la sortie d'Egypte, puis des malades guéris et des prophètes qui disaient qu'au temps du Messie les muets parleraient et les aveugles verraient. Il parla encore de ceux qui voient ces signes et ne les comprennent pas, etc.

Je vis à cette occasion beaucoup de choses concernant Elie : j'en ai oublié une partie. C'était un grand homme maigre ; il avait les joues creuses, mais vermeilles, un regard brillant et perçant, une longue barbe peu fournie, la tête chauve, et par derrière seulement une couronne de cheveux. Sur le sommet de la tête il avait trois grosseurs, ayant à peu près la forme d'oignons : une au milieu, les deux autres plus en avant sur le front. Son vêtement se composait de deux peaux de bête qui se réunissaient sur lés épaules ; il était ouvert par le côté, et lié autour du corps avec une corde. Il portait un bâton à la main : le devant de ses jambes était beaucoup plus brun que son visage. Elie séjourna ici neuf mois : il résida deux ans et trois mois chez la veuve de Sarepta il vivait ici dans une grotte creusée sur la pente orientale de la vallée, à peu de distance du ruisseau. J'ai vu l'oiseau lui porter sa nourriture. Il vint d'abord à lui une petite figure sombre ; elle sortit de terre comme une ombre, tenant à la main un gâteau de peu d'épaisseur. Ce n'était ni un homme, ni un animal : c'était l'ennemi qui le tentait. Elie n'accepta pas ce pain et renvoya celui qui l’apportait Je vis ensuite un oiseau gros comme une oie arriver dans le voisinage de la grotte ; il portait dans ses pattes du pain et d'autres aliments qu'il cacha en les recouvrant avec des feuilles. Il semblait que cet oiseau les cachât pour lui-même. Ce ne pouvait pas être un corbeau, ce devait être un oiseau aquatique, car ses pattes étaient palmées. Sa tête était aplatie ; des deux côtés de son bec, il y avait comme deux poches pendantes : il avait aussi sous le bec une espèce de goitre. Il claquetait à la façon d'une cigogne. Je vis aussi que cet oiseau était tout à fait familier avec Elle, en sorte que celui-ci lui indiquait la droite ou la gauche comme pour l'envoyer quelque part ou le faire venir à lui. J'ai souvent vu des oiseaux de cette espèce près des anachorètes, et aussi près de Zosime et de Marie Egyptienne. Lorsqu'elle demeurait chez la veuve de Sarepta, indépendamment de la multiplication de l’huile et de la farine, un corbeau leur apportait souvent des aliments.

Je vis Jésus aller avec les lévites à la grotte d'Elie. Au penchant oriental de la vallée, sous une masse de rocher qui surplombait, on voyait un étroit banc de pierre où le prophète dormait, protégé par le rocher. La couche était encore couverte de mousse. Lorsque le sabbat du quatrième jour de Tisri commença et que le jour de jeûne fut passé, il y eut dans le jardin des bains un repas à la suite duquel des aliments furent distribués aux pauvres.

(25 septembre.) Je vis le matin Jésus enseigner et guérir dans la synagogue. Les hommes et les jeunes gens allèrent ensuite se baigner séparément, de même que les femmes et les jeunes filles. Les vieilles gens restèrent chez eux, et lorsque les autres furent de retour, je vis, vers midi, les vieillards et les femmes âgées aller ensemble à un lieu de plaisance situé près de la ville. Ils se conduisaient les uns les autres : il y avait là des gens si vieux, qu'il fallait les soutenir des deux côtés.

Je vis, Jésus en compagnie des disciples, des lévites, des Réchabites et d'autres personnes se promener et enseigner au milieu des vignes, sur la hauteur occidentale de la montagne, dans un rayon d'une lieue. Il y avait sur ces montagnes, jusqu'à Gadara, beaucoup de monticules, les uns naturels. les autres formés artificiellement avec des amas de pierres, autour desquels les ceps étaient plantés. Les souches étaient grosses comme le bras et assez éloignées les unes des autres, mais les branches s'étendaient au loin. Les grappes de raisin étaient souvent de la longueur du bras et avaient des grains gros comme des prunes. Les feuilles étaient aussi plus grandes que chez nous, toutefois elles paraissaient petites en comparaison des grappes. Les lévites interrogèrent Jésus sur divers passages des psaumes qui ont trait au Messie : ils disaient : "Vous êtes certainement celui qui a le plus de rapports avec le Messie, vous nous direz ce qui en est. "il s'agissait du texte : Dixit Dominus Domino meo et encore d'un autre passage où il est question de vin changé en sang (peut-être du texte d'Isaïe où celui qui foule le pressoir est tout arrosé de sang : il fut lu à Gadara le sabbat suivant. Malheureusement la Sœur avait presque tout oublié). Jésus leur expliqua tout cela d'une manière très profonde, et il l'appliqua à lui-même, etc. Pendant cette explication, ils étaient assis autour d'une colline couverte de vigne et mangeaient des grains de raisin. Les Réchabites n'avaient pas voulu en manger avec eux, parce que le vin leur était interdit. Mais Jésus les y engagea et même le leur enjoignit, disant que s'ils péchaient en cela, il prenait le péché sur lui. Comme on parlait de cette loi qui leur était imposée, on rappela qu'autrefois Jérémie, par ordre de Dieu, leur avait donné un ordre semblable, auquel ils n'avaient pas obéi : mais cette fois Jésus le leur commanda, et ils le firent. Ils revinrent vers le soir. Il y eut encore un repas ou l’on donna à manger aux pauvres : ensuite Jésus enseigna dans la synagogue et dormit dans la maison des lévites sous une tente dressée sur le toit.

(26 septembre.) Jeudi 15 Tisri. Jésus enseigna aujourd'hui dans l'école : il guérit plusieurs malades, alla dans l'après-midi, en compagnie des lévites, au midi des vignobles, dans la direction de l'ouest, et le soir, quand le jour de jeûne fut fini il prit avec eux en route un petit repas. Il dit ensuite adieu aux Abiléniens et continua sa route vers Gadara. Il arriva le soir par le côté du midi devant le quartier juif : il est séparé du quartier païen, qui est beaucoup plus grand et où il y a bien quatre temples d'idoles. Je reconnus tout de suite que Gadara était une ville païenne, en voyant l'idole du dieu Baal érigée sous un grand arbre Jésus fut très bien accueilli : il y avait ici des pharisiens, des sadducéens et un sanhédrin pour cette contrée, quoique la ville n'eût guère parmi ses habitants que trois à quatre cents Juifs. Quelques nouveaux disciples Galiléens vinrent ici rejoindre Jésus : parmi eux étaient Nathanaël Khased, Jonathan, demi frère de Pierre, et je crois aussi Philippe. Jésus logea devant le quartier juif, dans une hôtellerie où on avait préparé beaucoup de cabanes de feuillage pour la fête des tabernacles.

(27 septembre.) Ce matin, lorsque Jésus alla à la synagogue pour y enseigner, une grande foule de malades était rassemblée devant cet édifice : il y avait aussi plusieurs possédés furieux. Les pharisiens et les sadducéens qui, du reste, paraissaient très bien disposés, voulaient renvoyer ces gens, disant qu'ils ne devaient pas être si importuns, que ce n'était pas le moment, etc. Mais Jésus parla encore avec une grande bonté : il dit qu'ils pouvaient rester là, qu'il était venu pour eux, et il en guérit plusieurs.

Le sanhédrin juif de l'endroit avait pendant ce temps mis en délibération si on laisserait enseigner un homme contre lequel il s'élevait tant de contradiction : toutefois ils donnèrent leur assentiment à l’unanimité Ils avaient déjà entendu parler de lui très favorablement, surtout à propos de la guérison opérée à distance du fils du centurion de Capharnaum. 
Les disciples nouvellement arrivés parlèrent hier soir à Jésus d'un autre malade de Capharnaum qui, disaient-ils, méritait fort qu'il lui vînt en aide. Jésus enseigna ensuite dans la synagogue. Il parla beaucoup d'Elie, d'Achab, de Jézabel, et de l'idole de Baal qui avait été érigée à Samarie Je vis tout ce dont il parla. Après midi il y eut un repas et il guérit encore. Le soir commença le sabbat : l'instruction fut tirée du Deutéronome (XXIX, 10-31) et d'Isaïe (LXI, 10 jusqu'à LXIV, 1) Il y était dit comment Moïse, avant de transmettre sa charge à Josué, renouvela l'alliance de Dieu avec Israël. Dans l'explication il fut fort question de l'idolâtrie à Samarie, d'Achab, de Jézabel et d'Elle. Jésus parla aussi de Jonas, auquel le corbeau n'avait pas apporté de pain parce qu'il avait été désobéissant (je crois qu'il doit s'être passé ici quelque chose de relatif à ce prophète : mais je l'ai oublié). Il fut aussi question de Balthazar, roi de Babylone, qui profana les vases sacrés et vit des caractères écrits sur la muraille. Je vis tout cela. Il enseigna longtemps et avec force sur les textes d'Isaïe, se les appliqua à lui-même d'une manière admirable, et dit aussi des choses très profondes sur ses souffrances et sur son triomphe. Il parla de celui qui foule le pressoir et de son vêtement tout rouge de sang, de travaux solitaires, de l’oppression des peuples foulés aux pieds. Auparavant il avait parlé du renouvellement de Sion et des gardiens veillant sur les murs de Sion : je sentis qu’il entendait par là l’Eglise. Il enseigna d'une façon si claire pour moi, mais si grave et si profonde, que les savants juifs furent émus et ébranlés sans pourtant le bien comprendre. Ils se réunirent encore dans la nuit, feuilletèrent des écritures et tinrent toute sorte de propos, ils pensaient qu'il devait avoir fait alliance avec quelque peuple voisin, et qu'il avait dessein de venir avant peu conquérir la Judée avec une grande armée.

Jésus passa encore la nuit devant la ville, dans cette auberge où les cabanes de feuillage étaient construites et rangées.

L’idole de Baal, qui était à l'entrée du quartier païen, était en métal. Elle était assise sous un grand arbre. Elle avait une large tête et une énorme bouche : la tête était pointue par en haut, comme un pain de sucre, et entourée d'une guirlande de feuilles comme d'une couronne. L'idole était large, grosse et courte : assise comme elle l'était, elle ressemblait à un animal, à un bœuf dressé sur ses jambes de derrière. Elle tenait d'une main un bouquet d'épis, de l'autre, comme une plante qui pendait, je ne sais pas si c'était du raisin ou un végétal quelconque. Elle avait sept ouvertures dans le corps, et se tenait assise dans une espèce de chaudière où l'on pouvait faire du feu sous elle. Les jours de ses fêtes on l'habillait.

Gadara est une forteresse : la ville païenne est assez grande : elle est un peu au-dessous du point culminant de la montagne. Au pied de cette montagne, au nord, sont des bains chauds avec de beaux bâtiments.

(28 septembre.) Le matin, je vis près de Jésus, devant la ville, beaucoup) de malades qu'il guérit. Il y avait beaucoup de monde sous les cabanes de feuillage. Lorsque les prêtres vinrent à lui, il leur dit : "Pourquoi cette nuit vous êtes-vous tant inquiétés de mon enseignement ? Pourquoi craignez-vous une armée, puisque Dieu protège les justes ? Accomplissez la loi et les prophètes. Pourquoi vous effrayez-vous ? "Il enseigna ensuite comme hier dans la synagogue.

Vers midi, une femme païenne vint timidement trouver les disciples et pria Jésus de venir chez elle guérir son enfant. Après le repas, Jésus alla avec plusieurs disciples dans la ville païenne. Le mari de cette femme le reçut à la porte et le fit entrer dans sa maison. Alors la femme se jeta à ses pieds et dit : "Seigneur, j'ai entendu parler de vous : on dit que vous faites de plus grandes choses qu’elle. Voilà que mon unique enfant est à la mort, et notre devineresse ne peut pas le secourir. Ayez pitié de nous ! "L'enfant était dans un coin couché dans un petit coffre : il avait environ trois ans. Son père était allé hier soir à la vigne et l'enfant avec lui : il avait mangé quelques grains, et le père l’avait rapporté pleurant et sanglotant. La mère, jusqu'à présent, l’avait toujours tenu dans ses bras, et avait tout essayé sans succès. Il était déjà comme mort : il semblait même réellement mort. Alors elle courut à la ville juive et implora Jésus. Jésus lui dit : " Laissez-moi seul avec l'enfant et envoyez-moi deux de mes disciples. "Jude Barsabas et Nathanael le fiancé arrivèrent. Jésus retira l'enfant de sa couche et le prit dans ses bras : il approcha sa poitrine de la sienne, le tenant étendu en travers contre lui et serré contre lui : il courba son visage sur je visage de l'enfant et souffla sur lui. Alors l'enfant ouvrit les yeux, remua, et Jésus, le tenant élevé devant lui, ordonna aux deux disciples de lui poser les mains sur la tête et de le bénir. Ils firent comme il disait : alors l'enfant se trouva tout à fait guéri, et il le ramena aux parents qui attendaient avec impatience et qui, l’ayant embrassé, se prosternèrent en pleurant . devant Jésus. La femme dit encore : " Le Dieu d'Israël est grand : il est au-dessus de tous les dieux ! Mon mari me l'a déjà dit et je ne veux plus servir d'autre Dieu. " Il se forma bientôt un rassemblement, et on amena encore plusieurs enfants au Seigneur. Il guérit un petit garçon d'un an en lui imposant les mains. un enfant de sept ans avait des convulsions. ce qui le rendait comme idiot : il était démoniaque, mais sans accès violents, et souvent il semblait perclus et muet. Jésus le bénit et ordonna de le mettre dans un bain mélangé de trois espèces d'eaux différentes, puisées à la source chaude d'Amathus, qui est au nord de la montagne de Gadara, au ruisseau de Chrit, près d'Abila, et enfin au Jourdain. Les Juifs de l'endroit avaient dans des outres une provision d'eau du Jourdain, prise à l'endroit où Elie avait passé le fleuve, et dont ils faisaient usage pour les lépreux.

Les mères païennes se plaignaient de ce qu'il arrivait bien souvent malheur à leurs enfants, et de ce que la prêtresse ne pouvait pas toujours les guérir. Alors Jésus leur commanda de faire venir la prêtresse en question. Cette femme vint à contrecœur, et elle ne voulait pas entrer. Elle était entièrement voilée. Jésus lui dit de s'approcher : mais elle ne le regarda pas et détourna son visage : ses allures ressemblaient à celles des possédés qu'une force intérieure pousse à fuir la présence de Jésus, mais qui cependant lui obéissent quand il leur ordonne de s'approcher. Jésus dit aux paiennes et aux hommes rassemblés là : " Je veux vous montrer ce que c'est que la science que vous révérez dans cette femme et dans ses pratiques." Et en même temps il ordonna à ses esprits de l'abandonner. Alors il sortit d'elle comme une vapeur noire, et dans cette vapeu1r des figures de bêtes malfaisantes de toute espèce, serpents, crapauds, rats, dragons, qui s'éloignaient comme des ombres. L'était un spectacle effrayant, et Jésus leur dit : " voyez quels enseignements vous suivez ! cependant la femme s'affaissa sur ses genoux, se mit à pleurer et à sangloter. Elle était devenue traitable et docile, et Jésus lui ordonna de dire comment elle faisait pour guérir les enfants. Elle raconta, en versant des larmes, et en partie contre sa volonté, quels enseignements elle avait reçus, et l'on sut par là qu'elle rendait les enfants malades par des sortilèges, afin de les guérir ensuite et d'en faire honneur à ses dieux. Jésus-Christ lui ordonna alors de venir avec lui et les disciples à l'endroit où était le dieu Moloch, et il fit convoquer là plusieurs prêtres païens. Il s'y trouva aussi une foule nombreuse, car le bruit de la guérison des enfants s'était déjà répandu. Ce lieu n'était pas un temple, mais une colline toute entourée de tombeaux, et le dieu lui-même était sous terre parmi les sépulcres, dans un caveau au-dessus duquel était un couvercle.

Note : Les tombeaux qui entouraient Moloch étaient dans le caveau souterrain où il était placé. Je ne vis pas de cercueil. Ces païens brûlaient les morts : il y avait là beaucoup de grands vases, grands comme de petits tonneaux, en métal fondu, à ce que je crois ; car cela ne ressemblait pas à de la poterie : ils étaient remplis de cendres et d'ossements. Je vis, prés de plusieurs, des espèces de petites poupées rembourrées comme des momies : je crois qu'elles étaient destinées à représenter certains morts, mais je ne sais pas si elles contenaient quelque chose ; peut-être contenaient- elles des restes d'enfants. En Égypte, on voyait souvent près des momies les effigies des décédés : mais il n’en était pas ainsi quant à la momie de Joseph : elle se trouvait à l'entrée, comme si l'on eût eu l'intention de l'emporter ailleurs d'un moment à l'autre. Les enfants d'Esau et les autres descendants d’Abraham séparés du peuple de Dieu enterraient leurs morts.

Jésus dit alors aux prêtres des idoles de faire paraître leur dieu ; et comme ils le firent monter à l'aide d'une machine. Jésus les plaignit d'avoir un dieu qui ne pouvait pas se mouvoir lui-même.

Il dit à la prêtresse qu'elle devait maintenant raconter tout haut et exalter la gloire de son dieu, la manière dont on l'honorait et ce qu'il donnait pour cela. Alors il arriva à cette femme ce qui était arrivé au prophète Balaam, elle raconta à haute voix toutes les abominations de ce culte et annonça les merveilles du Dieu d'Israël devant tout le peuple. Jésus ordonna alors à ses disciples de renverser l'idole du haut en bas, et de la tourner dans tous les sens, ce qu'ils firent : puis il dit : "voyez quelle idole vous servez ; voyez les esprits que vous adorez. D On vit alors sortir de l'idole, sous les yeux de tous les assistants, toute sorte de figures diaboliques qui tremblaient, qui rampaient et qui disparurent enfin sous la terre près des tombeaux. Les païens furent saisis d’horreur et couverts de confusion. Jésus leur dit : " Si vous rejetez votre idole dans la fosse, elle tombera en morceaux. " Mais les prêtres le prièrent de ne pas la briser : et il les laissa la redresser et la faire redescendre. La plupart des paiens étaient très émus et très honteux, spécialement les prêtres. Quelques-uns pourtant étaient très mécontents : mais le peuple était décidément du côté de Jésus. Il leur lit encore une belle instruction et beaucoup se convertirent. Le dieu Moloch était assis comme un bœuf sur les jambes de derrière, il ouvrait lés bras comme quelqu'un qui veut serrer quelque chose contre sa poitrine, et il pouvait en effet ramener ses bras à lui, à l'aide d'une mécanique. Il était grand et gros : c'était comme un bœuf assis : sa tête avait en haut une large ouverture, et sur le front il portait une corne recourbée. Le dieu était assis dans un large bassin : il avait autour du corps plusieurs appendices qui ressemblaient à des poches ouvertes. Les jours de fête on l'habillait. Son vêtement était fait d'une espèce de longues bandelettes qui lui pendaient autour du cou. Lors des sacrifices on allumait du feu dans le bassin placé au-dessous de lui. Plusieurs lampes brûlaient constamment devant lui autour du bassin. Autrefois on lui sacrifiait des animaux de toute espèce, qu'on faisait brûler dans les ouvertures de son corps, ou qu'on jetait à l'intérieur par l'ouverture de la tête. La plus belle victime qu'on pût lui offrir était une chèvre de Syrie à longs poils. Il y avait aussi là des appareils au moyen desquels on se faisait descendre jusqu'au dieu. Il était tout à fait sous la terre et au milieu des tombeaux. Son culte n'était plus en plein exercice, on l'invoquait seulement dans les opérations magiques, et la prêtresse spécialement s'adressait à lui pour les enfants malades. Dans chacune des poches adhérentes à son corps, il recevait des offrandes particulières. Autrefois on lui mettait des enfants dans les bras, et ils étaient consumés par le feu allumé sous la statue et dans l'intérieur qui était creux : il retirait ses bras à lui et les étouffait pour les empêcher de crier. Il avait une mécanique dans les jambes, et on pouvait le mettre debout. Il était entouré de rayons.

Les païens dont Jésus avait guéri hier les enfants à Gadara lui demandèrent ce qu'ils avaient à faire : car ils voulaient renoncer au culte des idoles. Jésus leur parla du baptême : il leur dit de rester tranquilles et d'attendre jusqu'à nouvel ordre : il leur parla de Dieu, comme d'un père auquel nous devons sacrifier nos mauvaises convoitises, et qui n'a besoin d'aucun autre sacrifice que de celui de nos cœurs, etc. Avec les païens il disait plus nettement qu'aux Juifs que Dieu n'a pas besoin de nos sacrifices. Il les exhorta à se repentir et à faire pénitence. à se montrer reconnaissants pour les bienfaits et compatissants envers les malheureux. Il alla pour la fin du sabbat dans la ville juive, où il prit un repas ; aussitôt après commençait le jour de jeûne commémoratif de l'adoration du veau d'or, qui fut observé le huit de Tisri, parce que le sept du même mois, jour de jeûne ordinaire, coïncidait cette année avec le sabbat. 
Jésus enseigna encore à Gadara dans la matinée du huit de Tisri : il quitta la ville dans l'après-midi. Les païens dont il avait guéri les enfants lui adressèrent encore des actions de grâces devant la ville païenne. Il les bénit et descendit avec une douzaine de disciples la vallée qui est au sud de Gadara, puis il franchit une montagne, et alla toujours dans la direction du midi, jusqu’à un petit cours d'eau qui coule dans la vallée, et qui vient des montagnes placées au-dessous de Bétharamphtha-Juliade, où sont des mines situées au levant.

Jésus s'arrêta le soir près de ce petit cours d'eau, dans une hôtellerie, qui est a environ trois lieues au midi de Gadara. Des gens de toute espèce étaient occupés là à récolter des fruits : il alla parmi eux et les enseigna. Ceux - ci étaient des Juifs il y avait aussi dans les environs une troupe de païens qui recueillaient sur les bords du petit cours d'eau les fleurs blanches d'une plante de haies : je ne sais pas à quel usage elles servaient. Ils ramassaient aussi d'affreux scarabées très grands et des insectes dont la vue me faisait horreur. Jésus s'approcha d'eux. Ils s'éloignèrent et parurent intimidés. J’eus alors une Vision étrange qui me fait encore frissonner : cela me parut si abominable que je fus toute bouleversée par la frayeur et le dégoût. 
Pendant que les païens ramassaient leurs scarabées, je jetai un regard à environ une lieue plus au midi, sur le côté occidental d'une pente de montagne ou était une ville appelée Dion ou Dium : là Je vis devant la porte de la ville une horrible idole, assise sous un arbre grand comme un noyer et qui était, je crois, un saule. Elle avait une figure à peu près humaine, mais qui pourtant tenait plutôt du singe, avec des bras courts et des jambes grêles. Sa tête était très pointue par le haut, et surmontée de deux petites cornes recourbées, comme des croissants ; elle avait un visage humain, mais horrible ; le nez était droit et très allongé, le bas du visage relativement très court, le menton saillant, la bouche grande et bestiale, le corps mince, les jambes assez grêles, les pieds longs avec des griffes aux orteils : il avait un tablier devant lui. D'une main il tenait une coupe placée sur une tige : de l'autre une grande figure de papillon qui paraissait sortir de sa chrysalide, et vouloir se précipiter sur la coupe. Mais ce papillon faisait en partie l'effet d'un oiseau, en partie celui d'un insecte dégoûtant. Par derrière, du côté où l'idole le tenait, il était comme une larve tordue et roulée sur elle-même. En avant de la main, il déployait une paire d'ailes, et sa tête, où étincelaient deux yeux rouges, se terminait par une espèce de bec ouvert. L'idole était assise sur un trône circulaire. Entre ses jambes séparées, il y avait un foyer dans le siège même. Le papillon étalait partout des couleurs brillantes et variées, mais ce qui me faisait le plus d'horreur, c'est que l'idole avait sur le front et tout autour de la tête une guirlande comme une couronne de gros scarabées affreusement dégoûtants et de vers ailés : ils étaient serrés les uns contre les autres, et sur le front, entre les cornes, il y en avait un plus gros et plus dégoûtant que tous les autres, auxquels aboutissaient les extrémités de la guirlande. Ils étaient brillants et de couleurs variées, mais leur forme était horrible, et ils ressemblaient à des bêtes venimeuses, avec leurs ventres allongés, leurs longues pattes leurs grandes pinces et leurs aiguillons. Les bêtes de cette espèce m'inspirent toujours de la répugnance : mais combien celles-ci me faisaient horreur ! Je venais à peine de les regarder, et je me figurais, parce qu'elles ne bougeaient pas, qu'elles devaient être artificielles, lorsque tout d'un coup, au moment où Jésus passa près des païens qui cherchaient de ces bêtes pour leur dieu au bord de la petite rivière. Je vis toute la couronne se disjoindre et s'envoler ; et je fus saisie de frayeur, comme si elles venaient se poser sur moi, mais je les vis comme un sombre essaim qui se disperse, voler de tous côtes dans des coins et des trous, et je vis aussi de noires et hideuses figures d'esprits qui semblaient se cacher avec elles, et comme elles, se précipiter tout effrayés dans des trous. C'étaient les mauvais esprits qu'on honorait en Béelzébub, avec ces scarabées. Ce qui faisait tenir les scarabées tranquilles était, je crois, qu'on enduisait le front de l’idole avec du sang ou quelque autre chose. (La Sœur ne peut trouver de termes qui expriment à son gré combien ces bêtes étaient affreuses.)

(30 septembre) Le lundi vers dix heures du matin. Jésus arriva devant Dium, qui est a une lieue au midi de l'hôtellerie voisine du petit cours d'eau, située sur le penchant oriental de la montagne en face du Jourdain, à deux lieues à l'est de Scythopolis. Il arriva devant le quartier juif, beaucoup plus petit que le quartier païen, lequel est bien bâti et possède plusieurs temples. La ville juive est tout à fait séparée de l'autre, et Béelzébub n'est pas de ce côté. à l'endroit où Jésus arriva, devant la ville, les cabanes de feuillages étaient déjà préparées en grande partie, et ce fut sous l'une d'elles qu'il fut reçu solennellement par les prêtres et les préposés de l'endroit : comme à l'ordinaire, on lui lava les pieds et on lui offrit une réfection. Il commença par visiter un grand nombre de malades qui étaient couchés ou se tenaient debout sous les cabanes de feuillage. Les disciples l'assistaient et maintenaient l'ordre. Il y avait des malades de toute espèce, paralytiques, muets, aveugles, hydropiques, perclus : il en guérit beaucoup et leur fit des exhortations. Il y en avait parmi eux quelques-uns qui se tenaient debout, soutenus par des béquilles à trois pieds, sur lesquelles ils pouvaient s'appuyer sans faire usage de leurs jambes : c'était à peu près comme des sièges à roulettes. Il alla en dernier lieu voir les femmes malades, elle étaient couchées, accoudées ou assises, dans un endroit plus rapproché de la ville, sous une longue cabane de feuillage, élevée sur un banc de terre en forme de terrasse. Ce banc était couvert d'un beau gazon très fin dont la tige retombait et pendait comme des cheveux doux et soyeux : on y avait étendu des tapis. Il y avait plus loin plusieurs femmes affligées de flux de sang, tout enveloppées de leurs voiles, et aussi quelques hypocondriaques au visage pâle, à l'air triste et sombre, et d'autres malades encore.

Jésus leur adressa la parole avec une grande bonté ; il les guérit l'un après l'autre, leur ordonna des bains pour se purifier, et leur indiqua quelques moyens à prendre pour se corriger de leurs fautes et expier leurs péchés. Il guérit et bénit aussi plusieurs enfants que leurs mères avaient amenés. Tout cela dura jusque dans l'après-midi, et donna lieu à de grandes démonstrations d'allégresse. Tous ceux qui étaient guéris partaient en chantant des cantiques de louange, emportant leurs lits et leurs béquilles, pleins de contentement et de joie, accompagnés de leurs parents, amis et serviteurs, joyeux comme eux-mêmes : ils se retiraient en bon ordre à mesure qu'ils étaient guéris, et ils entrèrent ainsi dans la ville, ayant au milieu d'eux Jésus avec les disciples et les lévites. L'humilité et la gravité de Jésus dans ces occasions sont chose impossible à décrire. Les enfants et les femmes allaient en avant, et tous chantaient le quarantième psaume de David : "heureux celui qui sait comment il faut assister les malheureux !" ils allèrent à la synagogue où ils rendirent grâces à Dieu. Il y eut ensuite, sous une cabane de feuillage, un repas de fruits, d'oiseaux, de rayons de miel et de pain grillé. Lorsque le sabbat commença, tous se rendirent en habits de deuil à la synagogue, car c'était le 16 du mois de Tisri, le grand jour d'expiation des Juifs.
 


FIN DU TOME SECOND.