CHAPITRE QUATRIEME

- Prédication et miracles de Jésus.

- Prédication et miracles de Jésus à Capharnaum et dans les environs. Il guérit le serviteur du centurion Cornélius. Il ressuscite le fils de la veuve de Naim et la fille de Jaïre. Rechute de Madeleine. Vocation de saint Matthieu. Vocation définitive de Pierre, d'André, de Jacques et de Jean. La tempête apaisée. Guérisons de malades. La pêche miraculeuse.

(14 novembre.) Je vis déjà dans la journée d'hier e dans la nuit suivante plusieurs disciples qui demeuraient dans le voisinage, retourner chez eux : Pierre André et quelques autres se rendirent à Capharnaum et a Bethsaïde. Jésus enseigna et guérit encore quelques malades dans l'après-midi ; puis, accompagne dl reste des disciples et de plusieurs autres personnes, descendit, par le côté au nord-est de la montagne de Gabara, dans la vallée qui est au levant de Magdalum après quoi, suivant une côte élevée qui domine la rive du lac, il arriva près d'une colline qui termine les hauteurs méridionales de la vallée de Capharnaum, dans la direction du lac. Il y a là un petit endroit d'une cinquantaine d'habitations, qui fait partie d'un bien appartenant à Zorobabel, le centurion de Capharnaum. C'est là qu'aboutit cette gorge où sont parqués de beaux animaux de toute espèce, et où Jésus se retira, lors de son dernier séjour à Capharnaum, avant de quitter le pays. (Voir tome II, page 285.) Les deux lépreux qu'il y avait guéris vinrent le trouver et lui rendre grâces de leur guérison, car alors il ne s'était arrêté près d'eux que fort peu de temps. Cet endroit se composait de divers jardins séparés et entourés de murs, et les habitations que j'ai vues, au nombre d'une cinquantaine, étaient presque toutes des cabanes et de petits celliers pratiqués dans les terrassements en maçonnerie qui soutenaient les jardins. Elles n'étaient habitées que par des jardiniers, des gens de service, des esclaves et des métayers du centurion Zorobabel, propriétaire de ce terrain, auquel venait aboutir, de la vallée de Capharnaum, cette gorge sauvage dont on avait fait une espèce de parc très bien arrangé, et par laquelle Jésus était venu ici en secret.

Il y trouva aujourd'hui l'intendant avec tous les serviteurs et le fils de Zorobabel qu'il avait guéri : tous avaient été baptisés. Jésus les enseigna ainsi que ses compagnons et les habitants de l'endroit : il guérit en outre plusieurs malades, et il prit un petit repas. A la chute du jour il se rendit dans la vallée de Capharnaum, à la maison de sa mère : ses disciples l'avaient quitté pour se rendre dans leurs familles. Toutes les saintes femmes s'étaient réunies et sa présence causa une grande joie ; Pierre et les alliés de la sainte Famille assistèrent au repas. J'ai encore cette fois entendu Marie et les saintes femmes prier Jésus de passer de l'autre côté du lac le lendemain matin, à cause de la fureur dont le comité des Pharisiens était animé contre lui Mais il les engagea à se calmer. Marie lui recommanda de nouveau le centurion Cornélius, à propos de son esclave malade, disant que c'était un excellent homme, lequel, quoique païen, avait bâti une synagogue par affection pour les Juifs : elle le pria aussi de guérir la fille de Jaïre, le chef de la synagogue. Celui-ci demeure, à ce que je crois, dans un petit endroit voisin de Capharnaum.

(15 novembre.) Ce matin, Jésus prit le chemin de Capharnaum avec plusieurs disciples : il voulait aller chez le centurion Cornélius : mais comme il arrivait devant la ville, dans le voisinage de la maison qui appartient à Pierre, il vit venir à sa rencontre deux Juifs que Cornélius lui avait déjà envoyés récemment. Ils le prièrent de nouveau d'avoir pitié du serviteur du centurion, lui disant que Cornélius le méritait bien qu'il était l'ami des Juifs, qu'il leur avait fait bâtir une nouvelle synagogue, et qu'il s'était trouvé honoré de pouvoir faire cela pour eux. Jésus leur répondit qu'ils pouvaient lui annoncer sa visite. Alors ils lui envoyèrent un messager pour le prévenir. Cornélius habitait au nord de Capharnaum, tout contre la ville, sur le penchant de la hauteur qui la dominait. Jésus prit aussitôt sur sa droite le chemin qui était entre la ville et les murs de la ville, et il passa devant la cabane d'un lépreux auquel on avait permis de se faire un logement dans la muraille. Mais lorsque, s'étant avance un peu plus loin, il se trouva en vue de la maison de Cornélius, l'humble centurion vint à quelque distance et se mit à genoux pendant que son messager courait à la rencontre de Jésus et lui disait : " Le centurion vous fait dire : Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit, dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri, car si moi, qui suis peu de chose et soumis à des supérieurs, je puis dire à mes serviteurs : Faites ceci ! faites cela ! et ils le font, combien vous est-il plus facile d'ordonner à votre serviteur de guérir, moyennant quoi il sera guéri ! " Quand le messager eut répété ces paroles de Cornélius, qui ne se jugeait pas digne de s'approcher de Jésus et de lui parler lui-même, le Seigneur se tourna vers les assistants et dit : " Je vous le dis en vérité, je n'ai pas trouvé une telle foi parmi les Israélites. Sachez-le donc : beaucoup viendront de l'orient et de l'occident et seront dans le ciel avec Abraham, Isaac et Jacob, pendant que beaucoup d'enfants du royaume de Dieu, beaucoup d'Israélites, seront repoussés dans les ténèbres extérieures, là où il y aura des pleurs et des grincements de dents ". Il se tourna ensuite vers le centurion et dit : " Allez ! qu'il vous soit fait selon votre foi ! " et le messager s'empressa de porter ces paroles au centurion agenouillé. Celui-ci se courba jusqu'à terre, se releva et retourna chez lui. Mais devant la maison, son serviteur vint à sa rencontre : il était enveloppé dans un grand drap et avait un linge autour de la tête : ce n'était pas un homme du pays, il avait le teint d'un brun jaunâtre. Pendant ce temps, Jésus était retourné vers la cabane du lépreux, ayant à passer devant pour entrer dans la ville. Le lépreux sortit, se prosterna et dit : " Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir ". Jésus lui répondit : " Etends les mains ", puis il les toucha et lui dit : " Je le veux, sois guéri ". Alors sa lèpre se détacha et tomba, et Jésus lui ordonna de se présenter aux prêtres pour qu'ils l'examinassent, et de faire les offrandes prescrites, mais du reste de ne parler de cela à personne. Cet homme, qui était très connu dans la ville, alla alors trouver les Pharisiens pour faire examiner si sa guérison était bien réelle : ils furent fort dépités, lui firent subir un examen très rigoureux, et furent obligés de le déclarer libre. Ils lui cherchèrent pourtant querelle, et le chassèrent à peu près de leur présence.

Après cela, Jésus reprit le chemin qui conduisait au milieu de la ville. On y avait apporté beaucoup de malades, on y amena aussi des possédés, et il passa bien encore une heure à opérer des guérisons. Les malades étaient couchés sur une place, la plupart autour d'un puits où se trouvaient des cabanes. Jésus sortit ensuite de la ville avec plusieurs disciples, et, suivant la vallée, il se rendit à une lieue et demie de là dans la gorge qui est au-dessus de Magdalum, non loin de Damna : il y avait là une hôtellerie publique. Plusieurs femmes, qui voulaient lui parler, l'y attendaient : c'étaient Maroni, la veuve de Naïm, Laïs la païenne de Naïm, avec ses deux filles Sabia et Athalie que Jésus, étant à Méroz, avait guéries à distance et délivrées, et je ne sais plus quelle autre femme. La veuve Maroni était venue supplier Jésus de venir près de son fils Martial, âgé de douze ans, lequel était si malade, qu'elle craignait de le trouver mort en rentrant dans sa maison. Jésus lui dit de s'en retourner tranquillement chez elle, et lui promit de venir : mais il ne dit pas quand. Elle était venue avec un âne et apportait des dons pour la communauté, qui furent portés à la ville voisine de Damna, où l'on avait établi une hôtellerie. Jésus la consola, et elle partit aussitôt, montée sur l'âne, et accompagnée d'un serviteur. Naïm était à environ neuf lieues de là. Je ne me souviens plus si, à raison du danger imminent de son fils, elle ne continua pas son voyage ce soir après l'ouverture du sabbat : je crois que Jésus lui en donna la permission. C'était une femme riche, de beaucoup de vertu, et qui était comme une Mère pour tous les enfants pauvres de Naïm. Je crois qu'elle était nièce, non du père, mais du beau-père de Pierre.

Barthélémy était aussi venu, amenant avec lui le petit José, fils de sa soeur, qui était veuve, peut-être pour le faire baptiser. Thomas était là également, et avec lui Jephté, l'enfant d'Achias, le centurion de Giscala, que Jésus avait guéri récemment. Thomas était allé voir un de ses parents, et je ne sais plus à quelle occasion il avait pris avec lui ce jeune garçon. Achias, son père, n'y était pas, mais Judas Iscariote était venu avec eux de Méroz. Laïs et ses deux filles avaient déjà embrassé le judaïsme à Naïm, et avaient renoncé à tout en présence des prêtres. Il y avait dans ces occasions une espèce de baptême donné par les prêtres, lequel consistait seulement en une aspersion avec un goupillon et en diverses purifications. Quand ce cas se présentait, on baptisait aussi les femmes chez les juifs. Mais aucune n'eut part au baptême de Jean ni à celui de Jésus avant la Pentecôte.

Jésus s'entretint ici avec ces femmes touchant leurs projets pour l'avenir, ce qu'il n'avait pas eu le temps de faire à Capharnaum. A l'exception de Maroni, elles célébrèrent le sabbat à Damna, parce qu'elles étaient trop fatiguées pour pouvoir se rendre à Capharnaum avant qu'il fût ouvert. Jésus leur donna des instructions et les consola : il mangea aussi avec elles, ainsi que les disciples, un peu des aliments qu'elles avaient apportés. Il revint ensuite à Capharnaum pour le sabbat, accompagne des disciples et des hommes qui étaient venus le joindre : les femmes allèrent à Damna.

Arrivé à Capharnaum, Jésus alla à la synagogue tous les futurs apôtres étaient présents, à l'exception de Matthieu, ainsi que beaucoup de disciples et de parents de Jésus, et plusieurs femmes de ses parentes et de ses amies. Marie d'Héli, soeur aînée de la sainte Vierge, était aussi venue chez celle-ci, en compagnie d'Obed, son second mari, avec un âne qui portait des présents. Elle habitait à Japha, petit endroit situé à une lieue de Nazareth tout au plus, où Zébédée avait habité autrefois et où ses fils étaient nés. Elle s'était fait une fête de revoir, outre les autres personnes ses trois fils, les disciples de Jean, Jacob, Sadoch et Héliacin. Ce Jacob était du même âge qu'André ; c'est le même qui eut une contestation avec Paul au sujet de la circoncision, ainsi qu'un disciple du nom de Céphas et un autre appelé Jean. Il fut fait prêtre après la mort de Jésus : c'était l'un des plus considérables et des plus âgés parmi les soixante-dix disciples. Il alla avec Jacques le Majeur en Espagne, et aussi dans les îles, notamment à Chypre et dans les contrées païennes limitrophes de la Judée. Ce n'est pas lui, mais Jacques le Mineur, fils d'Alphée et de Marie de Cléophas, qui fut le premier évêque de Jérusalem.

Cette communication remarquable éclaircit d'une manière surprenante le second chapitre de l'Epître aux Galates et confirme la tradition rapportée par Eusèbe, selon laquelle le Céphas mentionné par saint Paul ne serait pas saint Pierre, mais un des soixante-dix.

Les Pharisiens et les Sadducéens avaient formé le projet de faire aujourd'hui dans la synagogue une vive opposition à Jésus et, à la faveur d'un tumulte préparé d'avance que devaient exciter des gens apostés par eux, de le chasser ou de se saisir de lui : mais les choses tournèrent tout autrement. Jésus commença son instruction à la synagogue par une allocution très forte et très véhémente, et il parla sans aucun ménagement, comme quelqu'un qui a pouvoir et autorité pour parler ainsi. La fureur des Pharisiens fut à son comble, et ils étaient au moment de se précipiter sur lui, lorsque tout à coup il se fit un grand mouvement dans la synagogue. Un homme de la ville, qui était possédé d'un démon impur et qu'on tenait enchaîné à cause de ses accès de fureur, avait brisé ses liens pendant que ses gardiens étaient à la synagogue. Il se jeta comme un furieux au milieu de l'assemblée, passa, en poussant des cris horribles, à travers la foule qu'il écarta et qui se mit aussi a crier, courut ainsi jusqu'à la place où Jésus enseignait et s'écria : " Jésus de Nazareth, qu'y a-t-il entre nous et toi ? Tu es venu pour nous chasser ? Je sais qui tu es ; tu es le Saint de Dieu ". Mais Jésus, sans s'émouvoir, se tourna à peine vers lui du haut de l'extrade ; il fit un geste de menace de son côté et dit tranquillement : " Tais-toi et sors de cet homme ". Alors l'homme resta silencieux : puis après avoir été jeté de côté et d'autre, il s'affaissa sur lui-même et je vis Satan se retirer de lui comme une épaisse vapeur noire. Quant à l'homme qui avait beaucoup pâli, et qui était complètement calmé, il se prosterne la face contre terre et pleura.

Tous avaient vu cette scène terrible et surprenante ou éclatait le pouvoir de Jésus. L'effroi des assistants fit bientôt place à un murmure d'admiration : les Pharisiens avaient perdu toute leur assurance : ils se disaient même les uns aux autres, dans leur étonnement : " Qu'est-ce donc que cet homme ? Il commande aux esprits et ils s'en vont ". Jésus continua à enseigner sans contradicteurs. Le possédé délivré, dont la faiblesse et la maigreur étaient extrêmes, fut ramené chez lui par les siens et par sa femme qui était à la synagogue. Quand Jésus sortit, après avoir achevé son instruction, cet homme vint à lui, le remercia et lui demanda des conseils. Jésus lui recommanda de renoncer à ses pratiques vicieuses, de peur qu'il ne lui arrivât quelque chose de pis, et l'exhorta à la pénitence et au baptême. C'est un tisserand : il confectionne de ces tissus de coton minces et légers, que les Juifs portent autour du cou. Il retourna à son travail ayant recouvré le calme et la santé. Des esprits impurs de cette espèce prenaient souvent possession des hommes qui se livraient avec excès et sans retenue à leurs passions impures.

Après cette scène, les Pharisiens avaient perdu toute idée d'attaquer Jésus aujourd'hui ils restèrent fort tranquilles et il enseigna ce soir sur la lecture du sabbat, qui était tirée du Pentateuque et du prophète Osée : cela dura ainsi, sans aucun nouvel incident, jusqu'à la clôture, où il parla encore avec beaucoup de force et de gravité. Son attitude et ses paroles furent aujourd'hui beaucoup plus sévères que de coutume, et il parla tout à fait comme quelqu'un qui a autorité.

Il se rendit ensuite à la maison de Marie, où toutes les femmes étaient réunies, ainsi que beaucoup de ses parents et de ses disciples. On `prit là un petit repas. J'ai compté cette nuit toutes les saintes femmes qui, jusqu'à la mort de Jésus, firent partie de la communauté chargée de l'assister. Il y en eut soixante dix : cette fois, j'en ai compté déjà trente-sept qui prennent dès à présent une part active à cette oeuvre. Les filles de Lais de Naïm, Sabia et Athalie, furent à la fin du nombre de celles qui se portaient partout où leur présence pouvait être utile. Je les ai vues, au temps de saint Etienne, parmi les fidèles qui avaient établi leur domicile à Jérusalem.

(17 novembre.) Jésus enseigna ce matin dans la synagogue sans que personne s'y opposât. Les Pharisiens s'étaient dit les uns aux autres : " Nous ne pouvons rien entreprendre contre lui pour le moment : ses partisans sont trop nombreux : nous nous bornerons à le contredire de temps en temps, et à rendre compte de tout à Jérusalem, puis nous attendrons qu'il vienne au Temple pour la fête de Pâques ". Il y avait derechef un grand nombre de malades dans les rues : les uns étaient arrivés la veille un peu avant le sabbat, les autres, d'abord incrédules, venaient de tous les coins de la ville sur le bruit qu'avaient fait les guérisons du jour précédent : j'en vis aussi beaucoup qui étaient venus plusieurs fois, mais qui n'avaient reçu qu'un soulagement temporaire et qui revenaient. Une explication me fut donnée à ce sujet : ces malades sont les âmes tièdes, inconstantes, paresseuses, lesquelles se convertissent plus difficilement que les grands pécheurs à passions violentes. Madeleine ne se convertit qu'à grand peine après plusieurs rechutes, mais alors elle déploya une grande énergie. La conversion de Dina fut rapide : celle de Marie la Suphanite fut précédée de désirs persévérants et s'accomplit tout à coup. Celle de toutes les grandes pécheresses fut prompte et complète : de même pour l'énergique Paul, ce fut comme un coup de foudre. Judas fut toujours indécis et finit par se perdre. Il en est de même pour certains maux terribles et violents, que je vois Jésus, dans sa sagesse, faire disparaître instantanément, parce que ceux qui en sont affectés, ou sont entièrement privés de l'exercice de leur volonté, comme les possédés dans leurs accès, ou sont irrésistiblement dominés par leurs souffrances, comme dans quelques maladies très graves. Quant à d'autres gens valétudinaires, que leurs souffrances empêchent seulement de pécher aussi facilement et qui ne sont pas véritablement convertis, je vois souvent, ou qu'il les renvoie en les exhortant à se corriger, ou qu'il se borne à les soulager un peu, afin que leur âme s'assouplisse davantage sous le poids des chaînes qu'ils portent. Jésus pourrait les guérir tous immédiatement, mais il ne guérit que ceux qui croient et qui font pénitence, et souvent il les avertit de prendre garde aux rechutes. Souvent aussi je l'ai vu guérir promptement des gens atteints de maladies légères, quand cela était profitable pour leur âme. Il n'est pas venu rendre la santé aux malades pour leur rendre le péché plus facile, mais guérir les corps afin de sauver et de racheter les âmes. Je vois toujours dans chaque espèce de maladie une disposition divine et l'image symbolique d'une dette personnelle ou étrangère pesant sur l'individu, et qu'il doit payer sciemment ou à son insu, ou bien encore un capital d'épreuves, qui lui est alloué et qu'il doit faire fructifier par la patience, en sorte qu'à proprement parler, personne ne souffre sans l'avoir mérité. Car nul homme ne peut se dire innocent, puisque le Fils de Dieu a dû prendre sur lui les péchés du monde pour qu'ils fussent effacés, et puisque nous devons porter notre croix à sa suite afin de l'imiter en tout.

La patience poussée jusqu'à la joie au milieu des afflictions et l'union de nos souffrances avec celles de Jésus-Christ faisant partie des conditions de la perfection, le désir de ne pas souffrir est déjà en lui-même une imperfection. Or, nous avons été créés parfaits et nous devons renaître parfaits. C'est pourquoi toute guérison est pure grâce et miséricorde gratuite envers les pauvres pécheurs qui ont mérité plus que la maladie, car ils ont mérité la mort dont le Seigneur, en mourant lui-même, a sauvé ceux qui croient en lui et qui agissent conformément à leur foi.

C'est ainsi que je vis Jésus guérir aujourd'hui beaucoup de possédés, de paralytiques, d'hydropiques, de goutteux, de muets, d'aveugles et d'autres personnes atteintes de graves infirmités. Devant plusieurs malades qui pouvaient encore se tenir debout, je le vis souvent passer outre. Il y en avait parmi eux qui avaient déjà reçu de lui un soulagement à leurs maux, mais qui ne s'étant pas convertis sérieusement, étaient retombés quant au corps et quant à l'âme. Comme Jésus passait devant eux sans s'arrêter, ils s'écrièrent : " Seigneur, Seigneur, vous guérissez tous ces gens malades, et nous, vous ne nous guérissez pas ! Seigneur, ayez pitié ! je suis redevenu malade ! " Alors Jésus répondit : " Pourquoi ne tendez-vous pas vos mains vers moi " ? Tous alors tendirent les mains vers lui en disant : " ce Seigneur, voici nos mains ! " Mais il répondit : " Ces mains-là, vous les tendez, il est vrai ; mais il y a les mains de votre coeur auxquelles je ne puis atteindre : vous les retirez et les fermez, car il n'y a en vous que ténèbres ". Là-dessus, il donna encore quelques enseignements et en guérit plusieurs qui s'étaient convertis : d'autres furent de nouveau soulagés : il y en eut enfin devant lesquels il passa sans s'arrêter.

Vers midi, il s'assit avec les siens. Il y avait là plusieurs personnes de sa parenté, notamment deux qui étaient venues de Nazareth. Dans l'après-midi, il alla avec tous ses disciples et ses parents faire du côté du lac une promenade pendant laquelle il enseigna. Ils visitèrent aussi dans la partie méridionale de la vallée de Capharnaum, un jardin de plaisance arrosé par le ruisseau de Capharnaum, et où l'on prenait des bains : Je crois qu'on y baptisera. J'avais pensé d'abord que ce serait dans le voisinage de la maison de Marie, qu'il y a également une belle fontaine baptismale. mais cela aurait occasionne trop de dérangement. La sainte Vierge de son côté est allée se promener près de Bethsaïde, au-dessus de la maison des lépreux, avec plusieurs des autres femmes parmi lesquelles se trouvent Dina, Marie la Suphanite, Laïs, Athanie. Sabia et Marthe. Une caravane de païens, dont beaucoup de femmes font partie, a établi là son camp. Je crois que ce sont des gens de la haute Galilée. Le sainte Vierge les visita et leur donna des consolations et des enseignements. Les femmes étaient assises en cercle : Marie s'asseyait ou marchait au milieu d'elles. Elles lui adressèrent des interrogations de toute espèce : Marie leur expliqua ce qu'elles ignoraient, les consola et leur raconta bien des choses relatives aux patriarches, aux prophètes et à Jésus.

Jésus enseigna une nombreuse assistance près de la hauteur où est le jardin de Zorobabel. Il parla souvent en paraboles. Les disciples ne le comprenaient pas encore et quand ensuite il se retira à part avec les principaux d'entre eux, il leur expliqua une parabole où il était question du semeur, de l'ivraie mêlée au bon grain et du danger d'arracher le froment avec l'ivraie. C'était entre autres Jacques le Majeur qui lui avait dit qu'on ne le comprenait pas et qui lui avait demandé pourquoi il ne parlait pas Plus clairement. Jésus répondit qu'il leur expliquerait tout, mais qu'a cause des faibles et des paiens le royaume de Dieu ne devait pas être présenté dans toute sa nudité. Puisque dès à présent ils s'en effrayaient, parce qu'ils le trouvaient trop au-dessus de leur portée, ils devaient apprendre à le connaître sous le voile des paraboles ; il fallait qu'il prît croissance en eux comme une semence dans laquelle l'épi est enveloppé et qui, elle-même, est cachée dans le sein de la terre. · Il leur expliqua une parabole qui faisait allusion à leur mission en tant qu'appelés à travailler à la moisson. Il parla des conditions nécessaires pour le suivre, leur dit que bientôt ils l'accompagneraient tous dans ses courses et qu'il leur expliquerait tout. Je me souviens encore que Jacques le Majeur lui dit : "Maître, pourquoi nous expliquez-vous cela, à nous qui sommes des ignorants, afin que nous l'enseignions aux autres ? Dites-le plutôt à Jean Baptiste qui a une si grande foi à ce que vous êtes réellement, et qui pourrait le propager et l'annoncer. "Je ne me souviens plus de ce qu'il répondit à cela.

Vers le soir, Jésus retourna à la synagogue et termina l'instruction du sabbat. Les Pharisiens avaient un peu repris courage et vers la fin ils se mirent encore à disputer avec lui sur ce qu'il remettait les péchés :
Il y en avait là quelques-uns qui avaient assiste au repas donné à Gabara : ils lui reprochèrent d'avoir dit à Marie Madeleine, que ses péchés lui étaient remis. D'où le savait-il ? Comment cela était-il en son pouvoir ? C'était un blasphème. Jésus les réduisit au silence par ses réponses. Ils voulaient l'amener à dire qu'il n'était pas un homme, qu'il était un Dieu. Mais Jésus confondait tous leurs discours. Cela se passa dans le parvis devant la synagogue : ils en vinrent enfin à faire grand bruit et à pousser des clameurs tumultueuses, et Jésus se déroba au milieu de la foule en sorte qu'ils ne surent plus ce qu'il était devenu. Il gagna par le ravin qui était derrière la synagogue les jardins de Zorobabel, puis il revint par des sentiers détournés dans la maison de sa mère. Il y passa une partie de la nuit et s'entretint avec elle et avec les autres femmes. Il fit dire de là à Pierre et à plusieurs autres disciples qu'il irait avec eux à Naïm, le jour suivant et leur donna rendez-vous de l'autre côté de la vallée au-dessus de l'endroit où se tenaient les barques de Pierre. J'ai oublié de dire qu'hier le centurion Cornélius et son serviteur lui firent demander ce qu'il avait à faire : il lui dit de se faire baptiser avec tous les siens.

(17 novembre.) Aujourd'hui dimanche, je vis, de très bon matin, Jésus accompagné des futurs apôtres, d'un bon nombre de disciples et de plusieurs autres personnes qui l'avaient suivi de Gabara à Capharnaum, se diriger vers la plaine d'Esdrelon. Il y avait deux troupes : l'une allait en avant, l'autre en arrière : Jésus était la plupart du temps entre les deux avec quelques compagnons. Il alla parfois enseigner dans les champs, là où il se trouva des gens pour l'écouter : ils se reposèrent aussi par moments. Le chemin passait au-dessus de la pêcherie de Pierre, coupait la vallée de Magdalum, longeait à l'est la montagne qui domine Gabara, puis suivait la vallée à l'est de Béthulie et de Giscala, et traversait le territoire des deux villes qui se trouvaient à droite et à gauche du chemin lors du récent voyage de Dabrath à Giscala. Jésus marcha bien neuf ou dix heures aujourd'hui. Ils entrèrent dans une maison de bergers située sur le chemin, à trois ou quatre lieues de Naïm. Ils avaient passé précédemment le torrent de Cison. Jésus a fréquemment enseigné pendant la route : il a dit entre autres choses à quoi on pouvait reconnaître les faux docteurs.

(18 novembre.) Naïm est une jolie ville avec des maisons bien bâties : elle s'est aussi appelée Engannim. Elle est située sur une colline agréable, près du torrent de Cison, à une petite lieue de l'endroit où commence la montée du Thabor. On voit Endor au sud-ouest. Jezraël est plus au midi, mais on ne peut pas voir cette ville à cause des hauteurs qui la cachent. On a devant soi la belle plaine d'Esdrelon. Naïm peut être à trois ou quatre lieues au sud-est de Nazareth, sur le bord septentrional du torrent de Cison, que Jésus avait passé en allant du nord-est à l'ouest. Cette contrée produit une très grande abondance de blé, de vin et de fruits, et la veuve Maroni possède toute une montagne couverte de vignes magnifiques. Jésus arriva à Naïm avec une trentaine de compagnons : plusieurs s'était séparés de lui en route pour aller chez eux. Le chemin qui passait par les collines était ici fort étroit : un groupe allait devant, un autre derrière et Jésus entre les deux. Il était environ neuf heures du matin, lorsqu'ils arrivèrent près de Naïm. J'avais été récemment informée que Jésus, étant très proche de Naïm, s'était abstenu à dessein d'y aller quoique le jeune homme fût déjà malade, parce qu'il devait l'arracher à la mort et par là propager la foi.

Comme les disciples, suivant un étroit sentier, approchaient de la porte, j'y vis arriver le corps accompagne d'une troupe de Juifs en manteaux de deuil. J'ai toujours entendu dire que les Juifs couraient tumultueusement lorsqu'ils portaient leurs morts en terre et c'est bien ainsi qu'ils faisaient en cette occasion : ils s'agitaient autour du corps comme un essaim d'abeilles. Quatre hommes le portaient dans une bière posée sur des bâtons recourbés au milieu La bière avait la forme d'un corps humain : elle était légère comme une corbeille d'osier et il y avait un couvercle par-dessus. Jésus, passant à travers les disciples qui s'étaient rangés sur deux lignes, alla au devant de ceux qui accompagnaient le corps et leur dit : " Arrêtez vous ". Puis mettant la main sur le cercueil, il ajouta : " Déposez le cercueil ". Ils le mirent par terre et se retirèrent en arrière : les disciples se tenaient des deux côtés. La mère suivait le convoi, avec plusieurs femmes, parmi lesquelles les trois veuves déjà mentionnées, dont l'une avait eu pour premier mari un frère de Khasaloth ; elles venaient de sortir de la porte et se tinrent à quelques pas du Seigneur. Elles étaient voilées et dans une grande affliction. La mère était en avant, elle pleurait en silence et se disait sans doute : " Hélas ! il vient trop tard ! " Jésus lui dit d'un ton affectueux quoique très grave : " Femme. ne pleurez pas ". Il était touché de la douleur de tous les assistants, car on aimait beaucoup la veuve, dans la ville, à cause de sa grande charité envers les orphelins et les pauvres de toute espèce. Toutefois il y avait aussi dans la foule plusieurs personnes malveillantes, et il en arrivait encore d'autres de la ville. Jésus demanda de l'eau et une branche d'arbre : on apporta à l'un des disciples un vase plein d'eau et une branche d'hysope qu'on cueillit dans un jardin : on présenta tout cela au Seigneur qui dit aux porteurs : " Ouvrez le cercueil et détachez les bandages ". Pendant qu'ils exécutaient ses ordres, Jésus leva les yeux au ciel et dit : " Je vous loue, mon Père, seigneur du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché tout cela aux sages et aux habiles pour le manifester aux simples. Oui, mon Père tel a été votre bon Plaisir. Toutes choses ont été mises en mon pouvoir par le Père, et personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils et ceux auxquels le Fils veut le révéler. Venez à moi, vous qui êtes fatigués et accablés ! Je vous renouvellerai. Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur : vous trouverez du repos pour vos âmes, car mon joug est doux et mon fardeau est léger ". Lorsqu'ils eurent levé le couvercle, je vis le corps couché dans le cercueil où il était comme emmailloté. Ils délièrent et détachèrent les bandes d'étoffe qui l'enveloppaient, mirent à découvert je visage et les mains en sorte que le corps ne se trouva plus recouvert que d'un linceul. Jésus bénit l'eau, y trempa la branche d'hyssope et aspergea l'assistance. Alors je vis beaucoup de petites figures ténébreuses comme des insectes, des scarabées, des crapauds, des serpents et de Petits oiseaux de couleur sombre sortir de plusieurs personnes qui se trouvaient là. Personne à la vérité ne sembla voir cela. mais il y eut chez les gens plus de recueillement et d'émotion, c'était comme si tout devenait plus serein et plus pur. Alors Jésus aspergea le jeune homme et fit une croix sur lui avec la main. Je vis sortir du corps une forme noire semblable à un nuage sombre, et Jésus dit au jeune homme : " Lève-toi ". Il se mit sur son séant et Promena autour de lui des regards curieux et étonnés. Jésus dit alors : " Donnez-lui un vêtement ", et on l'enveloppa d'un manteau. Il se leva tout à fait et dit : " Qu'est-ce que ceci ? Comment suis-je ici ? " On lui mit des chaussures : il marcha, puis Jésus le prenant par la main, le conduisit dans les bras de sa mère qui accourait en toute hâte et à laquelle il dit : " Voici que votre fils vous est rendu, mais je vous le redemanderai quand il aura reçu une nouvelle naissance dans le baptême ". La mère était hors d'elle-même dans l'excès de sa joie, de son étonnement, de sa vénération : elle ne remerciait pas, mais fondait en larmes et serrait le jeune homme dans ses bras. On le ramena chez lui : le peuple chantait des cantiques de louange. Jésus les suivit avec ses disciples jusqu'à la maison de la veuve, qui est très grande et entourée de cours et de jardins. Alors il arriva des amis de tous les côtés : on se pressait en foule pour voir le jeune homme. Il prit un bain et on le revêtit d'une robe blanche avec une ceinture. On lava les pieds à Jésus et aux disciples, et on leur offrit à manger : puis aussitôt on fit joyeusement d'abondantes distributions aux pauvres qui s'étaient rassemblés autour de la maison pour présenter leurs félicitations. On leur donna des habits, du linge, du blé, du pain, des agneaux, des oiseaux et aussi de l'argent : pendant ce temps Jésus enseigna la foule qui s'était rassemblée dans la cour de la veuve.

Martial avec sa robe blanche était tout joyeux : il courait ça et là, se montrait aux uns et aux autres et distribuait des aumônes. Il avait une joie d'enfant : et il y eut des scènes divertissantes lorsque les enfants de l'école, ses camarades, furent conduits dans la cour par leurs maîtres et qu'il s'approcha d'eux. Plusieurs de ces enfants furent tout effrayés, pensant que c'était peut-être un esprit, et il courut sur eux et s'amusa à leur faire peur en grossissant sa voix. Comme ils reculaient intimidés, d'autres se moquèrent d'eux et firent les braves : ils lui donnèrent la main, en regardant les peureux d'un air triomphant. C'était comme lorsqu'un garçon déjà grand touche un cheval ou un autre animal qui fait peur à de plus Petits que lui :
On avait préparé dans la maison et dans les cours un repas auquel tous prirent part. Pierre en qualité de parent de la veuve, car elle était fille du frère de son beau-père, témoignait particulièrement sa joie et se montrait à l'aise dans la maison où il tenait en quelque façon la place du père de famille. Jésus, à plusieurs reprises, fit venir le jeune homme près de lui en présence de la foule assemblée ; je vis qu'il lui parlait de manière à être entendu des assistants, et que ce qu'il disait faisait impression sur eux. Je ne l'ai jamais entendu parler de ce jeune homme comme d'un mort. Il semblait dire que la mort, introduite dans le monde par le péché, l'avait lié et enchaîné pour l'achever ensuite dans le tombeau : qu'il avait été jeté, les yeux fermés, dans les ténèbres, et qu'il les aurait ouverts trop tard, là où il n'y a plus de miséricorde, plus de secours ; mais avant qu'il n'y entrât, la miséricorde de Dieu l'avait délivré de ses chaînes à cause de la piété de ses parents et de quelques-uns de ses ancêtres : maintenant il lui restait à se faire délivrer par le baptême de la maladie du péché, afin de ne pas tomber dans une captivité plus terrible. Comme les vertus des parents profitent plus tard à leurs enfants, Dieu, en considération des patriarches, avait jusqu'à présent conduit et épargné Israël : mais maintenant, que lié et enveloppé par la mort du péché, il se trouvait, comme ce jeune garçon, aux portes du tombeau, la miséricorde du Seigneur était venue pour la dernière fois visiter son peuple. Jean avait préparé les voies, crié d'une voix forte pour réveiller les coeurs du sommeil de la mort : le Père les prenait en pitié pour la dernière fois et ouvrait à la vie les yeux de ceux qui ne voulaient pas les fermer obstinément. Il compara le peuple, dans son aveuglement, à un adolescent enveloppé dans les draps mortuaires et renfermé dans le cercueil, au devant duquel le salut était venu près du tombeau, lorsqu'il était déjà hors des portes de la ville. Si les porteurs n'avaient pas écouté sa voix, s'ils n'avaient pas déposé et ouvert le cercueil, s'ils n'avaient pas dégagé le corps de ses liens ; si, persistant à marcher en avant, ils avaient enterré celui qui vivait encore, quoique fortement enchaîné par la mort ; combien cela eût été horrible et épouvantable ! il tira de là une comparaison avec les faux docteurs, les Pharisiens, qui éloignaient le peuple de la vie de la pénitence, l'enlaçaient dans les liens de leurs lois, l'enfermaient dans le cercueil de leurs coutumes, et le jetaient ainsi dans le tombeau pour jamais. Il conjura ses auditeurs d'accueillir les offres miséricordieuses de son Père céleste, les exhorta à courir à la vie, à la pénitence, au baptême.

Il y eut en cette occasion quelque chose de remarquable dans l'usage que fit Jésus de l'eau bénite : je pense que ce fut pour chasser les mauvais esprits qui exerçaient leur empire sur certains d'entre les assistants, lesquels étaient ou scandalisés, ou dévorés d'envie, ou secrètement animés d'une joie maligne, et qui croyaient que Jésus ne réveillerait pas ce jeune homme. Je vis cette mauvaise disposition sortir d'eux sous la forme d'insectes de toute espèce. Lors du retour du jeune homme à la vie, je vis aussi, au moment de l'aspersion avec l'eau bénite, comme un petit nuage de figures ou d'ombres hideuses de diverses grandeurs s'élever du corps et disparaître dans le sein de la terre. Je me souviens, à cette occasion, de ce qui s'était passé lorsque j'avais vu d'autres morts ressuscités par Jésus. Alors il avait rappelé l'âme du mort que je voyais séparée et éloignée de lui dans le cercle où elle devait subir sa peine : elle venait au-dessus du corps et s'y introduisait, après quoi il se relevait. Mais pour l'adolescent de Naïm les choses se passèrent tout autrement : je ne vis pas l'âme séparée du corps et s'y unir de nouveau : je vis la mort se retirer, pour ainsi dire, du corps comme un fardeau dont le poids l'étouffait.

Après le repas, comme le soir approchait, Jésus se rendit avec les disciples à un beau jardin que possédait la veuve Maroni à l'extrémité méridionale de la ville. Tout le chemin qu'il fit à travers la ville était garni de malades de toute espèce qu'il guérit. Il y avait un grand mouvement dans la ville. Le jour était déjà tombé lorsque Jésus arriva au jardin. Maroni s'y trouvait avec les trois veuves, les gens de sa maison, ses amis et quelques docteurs de la synagogue ; son fils était aussi là avec quelques autres adolescents. Il y avait plusieurs pavillons dans le jardin : devant le plus beau dont le toit reposait sur des colonnes, on avait placé sous des palmiers, à une assez grande hauteur, un flambeau qui éclairait l'intérieur de la salle. La lumière se reflétait agréablement sur les longues palmes verdoyantes, et là où elle arrivait, on voyait les fruits briller sur les arbres et se détacher plus distinctement qu'en plein jour. Au commencement Jésus enseigna et raconta en se promenant : ensuite on mangea quelques fruits, et Jésus fit une belle instruction dans l'intérieur du pavillon. Souvent aussi il s'entretint avec le jeune homme rappelé à la vie, de manière à être entendu des autres. On passa dans le jardin une charmante soirée après laquelle on revint à la maison de Maroni, où il y eut place pour tous dans les dépendances.

(19 novembre.) Sur la nouvelle de la présence de Jésus à Naïm et de la résurrection du jeune garçon, beaucoup de personnes et de malades étaient venus de toute la contrée pendant la nuit, et ils s'étaient rangés en longues files dans la rue qui était devant la maison de Maroni. Jésus guérit pendant une partie de la matinée et il rétablit aussi la paix dans plusieurs familles. Il vint notamment plusieurs femmes qui demandèrent s'il ne pouvait pas leur donner des lettres de divorce et qui portèrent force plaintes contre leurs maris, avec lesquels elles ne pouvaient pas vivre. C'é tait un piège que lui tendaient les Pharisiens : réduits à la confusion par ses miracles, ils ne pouvaient rien lui opposer, et comme pourtant ils voyaient tout cela avec une rage secrète, ils voulaient l'induire en tentation, lui faire dire quelque chose contre les dispositions de la loi relatives au divorce, afin de pouvoir l'accuser à ce sujet comme enseignant de fausses rumeurs. Mais Jésus dit aux femmes mariées qui se plaignaient : " Apportez-moi un vase de lait et un vase d'eau. alors je vous répondrai ". Elles allèrent dans une maison voisine et apportèrent deux écuelles lune d'eau, l'autre de lait ; Jésus mêla ensemble les deux liquides et dit : " Séparez-moi ceci de façon à ce que l'eau soit d'un côté et le lait de l'autre, comme tout à l'heure : alors je vous séparerai " Comme elles répondirent qu'elles ne le pouvaient pas, il parla de l'indissolubilité du mariage, dit que le divorce n'avait été permis par Moïse qu'à cause de la dureté des coeurs ; mais il ne pouvait jamais y avoir séparation complète, car le mari et la femme n'étaient qu'un même corps et une même chair, et quoiqu'ils ne vécussent pas ensemble, le mari devait pourtant nourrir la femme et les enfants, et les époux ne devaient pas se remarier. Il alla ensuite avec elles dans la maison de leurs maris. parla à ceux-ci en particulier, puis aux hommes et aux femmes ensemble : il donna tort aux deux parties, mais surtout aux femmes, et il les réconcilia : les uns et les autres versèrent des larmes, ils ne pensèrent plus à se séparer et trouvèrent des lors dans leur fidélité à leurs devoirs un bonheur qu'ils n'avaient pas connu auparavant. Quant aux Pharisiens, ils furent très dépités de ce que leurs desseins avaient échoué.
Jésus guérit ce matin plusieurs aveugles en leur frottant les yeux avec de la terre qu'il avait pétrie avec sa salive.
Vers midi il quitta Naim, Maroni, son fils, tous les siens, les malades guéris, et plusieurs personnes de la ville l'accompagnèrent ; quelques-uns l'attendirent devant la porte, tenant eu main des branches vertes, et l'accueillirent en chantant des psaumes à sa louange. Suivi de ses disciples, il se dirigea vers le couchant, le long de la rive septentrionale du Cison. Il avait à sa droite les montagnes qui ferment au midi la vallée de Nazareth, et il passa un petit cours d'eau qui va, du nord au midi, se jeter dans le Cison : on dirait qu'il vient de Nazareth. De l'autre côté de ce petit cours d'eau il enseigna des ouvriers occupés à ensemencer les champs. Ce ne fut que vers le soir qu'il entra, avec ses disciples, dans le nouveau faubourg de Mageddo, ville située au pied des montagnes, à l'ouest desquelles s'étend la vallée de Zabulon. Il entra dans une hôtellerie devant laquelle il enseigna encore le soir. Quand les gens qui étaient occupes dans les champs virent Jésus s'approcher avec son cortège je les vis courir et mettre leurs habits qu'ils avaient quitté pour travailler.

(20 novembre) Mageddo est située sur une hauteur : c'est une ville déchue et assez déserte. Au milieu se trouve un édifice en ruines, où l'herbe croit sur des décombres : on y voit encore des restes d'arcades. Ce devait être, autrefois, un château des rois Chananéens (Josué, XII, 21. III Reg. IX, 15). J'appris qu'Abraham avait aussi résidé dans cette contrée. C'est dans le voisinage que le pieux roi Josias fut battu par les Egyptiens et blessa. Je vis qu'il mourut dans cette ville. Il y a à Mageddo un quartier moderne et animé : c'est le faubourg où Jésus est entré. Il se compose d'une longue rangée d'édifices au pied de la hauteur, où passe une route de commerce allant à Ptolémais. De là vient qu'il y a là plusieurs grandes hôtelleries : il y demeure aussi des publicains qui, ayant assisté hier à une instruction de Jésus, sont venus le voir aujourd'hui et ont pris la résolution de faire pénitence et de recevoir le baptême. Les Pharisiens de l'endroit se sont scandalisés à cette occasion. Une foule nombreuse de malades s'est rassemblée ici, et il en est venu encore dans la matinée. Jésus leur fit dire qu'il irait les visiter vers le soir, et chargea ses disciples de les faire mettre en rang. Il y avait devant l'entrée de Mageddo une grande pelouse circulaire entourée de murs et de portiques : tout cela était un peu délabré. Les malades furent rangés tout autour, sur leurs couches, et classés suivant la nature de leurs maladies.

Dans l'après-midi, Jésus retourna avec les disciples dans les champs situés à l'est de la ville, au fond d'une vallée, et il les parcourut, enseignant en paraboles les laboureurs occupés aux semailles. Plusieurs des disciples les plus instruits enseignaient aussi : ils préparaient des groupes éloignés avant que le Seigneur vînt à eux, et ils expliquaient à ceux que Jésus quittait ; certaines choses qui n'avaient pas été bien comprises : ils racontaient aussi quelques-uns des miracles du Seigneur. Comme, le plus souvent, la même instruction se répétait plusieurs fois, quand, plus tard, les gens se réunissaient et en parlaient ensemble, tous savaient ce qui avait été dit : seulement la doctrine avait pénétré plus avant chez les auditeurs les plus réfléchis, qui donnaient ensuite des explications aux autres. Comme dans ce climat si chaud ils suspendaient souvent leur travail, Jésus enseignait pendant ces pauses ou bien encore quand ils s'asseyaient pour prendre une réfection.

Pendant que Jésus parcourait les champs avec ses disciples, je vis arriver des disciples de Jean, au nombre de quatre, à ce que je crois : ils saluèrent les disciples, s'arrêtèrent près d'eux et se mirent à écouter. Ils avaient des bandes de fourrure autour du cou et des ceintures de cuir. Ils n'étaient pas envoyés par Jean, quoiqu'ils fussent en rapport avec lui et ses adhérents : c'étaient des disciples de Jean engagés dans une fausse voie ; ils avaient des relations secrètes avec les Hérodiens, et ils avaient mission d'espionner particulièrement ce que Jésus enseignait touchant son royaume. Ils étaient beaucoup plus stricts et plus obséquieux que les disciples de Jésus : chez eux, la peau de mouton de Jean avait pris la forme d'une espèce d'étole, et son enseignement avait donné naissance à une secte entêtée. Vers cinq heures il vint encore une autre troupe de disciples de Jean : ils étaient douze, dont deux envoyés par Jean ; les autres étaient venus avec eux comme témoins. Comme ils s'approchaient, Jésus reprit le chemin de Mageddo, et ils suivirent les disciples : quelques-uns avaient été présents aux derniers miracles de Jésus et étaient retournés vers Jean. Lors qu'il eut rendu la vie au jeune homme de Naim, des disciples de Jean qui se trouvaient dans la foule étaient allés en toute hâte à Machérunte et avaient dit au précurseur : " Qu'est-ce à dire et où en sommes-nous ? Voilà ce que nous l'avons vu faire, ce que nous lui avons entendu dire ; mais ses disciples sont beaucoup plus libres que nous en ce qui touche le jeûne et les observances légales. Qui devons-nous suivre ? Qui est-il ? pourquoi guérit-il tout le monde, console-t-il et assiste-t-il des étrangers, tandis qu'il ne fait pas un pas pour vous délivrer ? n

Jean avait toujours fort à faire avec ses disciples : ils ne voulaient pas se séparer de lui, et il les envoyait souvent à Jésus par petits groupes afin qu'ils apprissent à le connaître et se missent a sa suite ; mais ils avaient peine à s'y résoudre, à cause de la haute opinion d'eux-mêmes que leur mettait en tête leur qualité de disciples de Jean. C'était aussi pour cela qu'il faisait si souvent prier Jésus de dire ouvertement qui il était, afin que ses disciples apprissent à le connaître et se convertissent à lui, ainsi que tous les hommes. Comme cette fois ils étaient revenus vers lui doutant encore, il voulut mettre Jésus dans la nécessité de confesser hautement qu'il était le Messie, le Fils de Dieu, et il lui envoya deux disciples pour lui demander à ce sujet une réponse positive.

Jésus, entré dans la ville, se rendit aussitôt à la place circulaire où étaient rassemblés les malades de tout le pays. Il y avait parmi eux des gens de Nazareth qui le connaissaient : des paralytiques, des aveugles, des sourds, des muets, des malades de toute espèce, et aussi un assez grand nombre de possédés. Il parcourut leurs rangs et il guérit les possédés de plusieurs manières. Ceux-ci n'étaient pas aussi furieux que ceux que j'avais vus en d'autres occasions, mais ils avaient des convulsions et leurs membres se tordaient horriblement. Jésus les guérit de loin par un commandement donné en passant devant eux à quelque distance. Je vis comme à l'ordinaire une vapeur ténébreuse sortir de leur corps : ils tombèrent en faiblesse et se trouvèrent tout changés en revenant à eux. La vapeur qui sortait d'eux était assez légère, mais ensuite elle se ramassait et se condensait ; quelquefois elle se dissipait dans l'air, quelquefois elle se perdait dans le sein de la terre Souvent, quand le mauvais esprit sort des possédés comme une ombre obscure ayant à peu près une forme humaine, je ne vois pas cette ombre s'évanouir à l'instant, mais errer parmi les hommes, puis enfin disparaître.

Comme Jésus commençait à parcourir les rangs des malades et à opérer ses guérisons, les disciples envoyés par Jean se présentèrent à lui avec un certain empressement, comme chargés d'une mission. et voulurent lui adresser la parole ; mais il ne parut pas y faire attention et continua à guérir. Cela ne leur plut pas, parce qu'ils ne savaient pas pourquoi. En général, beaucoup des disciples de Jean avaient des idées très étroites et comme une espèce de jalousie de métier. Jean ne faisait pas de miracles ; Jésus en faisait : Jean parlait en termes très relevés de Jésus, et celui-ci ne faisait rien pour le tirer de sa prison. Après avoir été subjugués par ses miracles et ses enseignements, ils s'y laissaient de nouveau influencer par les propos de ceux qui disaient : " Qui est donc cet homme ? Tout le monde ne connaît-il pas ses pauvres parents ? " Puis ils ne pouvaient s'expliquer ce qu'il disait de son royaume : ils ne voyaient ni royaume, ni dispositions prises pour en établir un. Comme Jean, dans sa prison, restait considéré et entouré d'un respect presque universel, ils pensaient que si Jésus l'y laissait languir et ne faisait rien pour le délivrer, c'était pour mieux travailler à étendre sa propre renommée Ils se scandalisaient aussi de la liberté laissée à ses disciples. Plusieurs trouvaient que c'était une humilité exagérée de la part de Jean de vanter tellement Jésus et de les envoyer sans cesse à lui pour le prier de se déclarer, de se faire connaître publiquement. Comme Jésus répondait toujours d'une manière évasive et qu'ils ne devinaient pas que Jean leur faisait faire ces voyages pour qu'ils reconnussent Jésus, cela leur était plus difficile qu'à l'enfant le plus simple, à cause de l'idée qu'ils avaient d'eux-mêmes.

Pendant que Jésus guérissait les malades rangés autour de lui, il rencontra parmi eux un homme de Nazareth qui se mit à lui parler de gens de leur connaissance : il lui demanda s'il se souvenait de sa vingt cinquième année, époque de la mort de son grand-père, et il se rappelait les relations fréquentes qu'ils avaient elles alors. Il voulait parler du second ou du troisième mari de sainte Anne, autant que je puis m'en souvenir. Jésus ne répondit point à tout et la. Il lui dit qu'en effet il le connaissait, puis il en vint aussitôt à lui parler de ses péchés et de ses souffrances, et quand il le vit repentant et croyant, il le guérit, lui fit une exhortation et passa au malade suivant. Quand il les eut tous passés en revue, les envoyés de Jean qui, pendant tout ce temps, s'étaient tenus au milieu du cercle, le regardant avec stupéfaction opérer tous ses miracles, se présentèrent à lui et lui dirent : " Jean Baptiste nous a envoyés vers vous, et vous fait demander si vous êtes celui qui doit venir, ou si nous devons en attendre un autre ". Jésus leur répondit : " Allez et annoncez à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les sourds entendent, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les morts se lèvent, les veuves sont consolées, et la parole de Dieu est annoncée aux pauvres : ce qui est tordu est redressé, et bienheureux est celui qui ne se scandalise pas de moi ". Alors Jésus s'éloigna d'eux, et ils se retirèrent aussitôt.

Jésus ne pouvait pas parler de lui-même plus clairement car qui l'aurait compris ? Ses disciples étaient tous ou des hommes simples et bons, ou de nobles et pieuses âmes, mais incapables de recevoir une pareille révélation. Plusieurs étaient ses parents selon la chair, et ils se seraient scandalisés ou se seraient mis en tête des idées déraisonnables. Le peuple n'était nullement préparé à entendre la vérité, et Jésus était entouré d'espions ; même parmi les disciples de Jean, les Pharisiens et les Hérodiens avaient des affidés.

Après le départ des envoyés de Jean, Jésus se mit à enseigner sur la place. Il avait pour auditeurs les malades qu'il avait guéris, une foule nombreuse, plusieurs scribes de l'endroit, ses disciples et les cinq publicains qui habitaient cette ville. Il enseigna longtemps à la lueur des flambeaux, car les dernières guérisons avaient clé opérées après la chute du jour. Il prit pour point de départ de son instruction la réponse qu'il avait faite aux disciples de Jean. Il dit comment on devait user des bienfaits qu'on avait reçus de Dieu, prêcha la pénitence et la conversion, et comme il savait que quelques Pharisiens qui étaient présents avaient pris occasion de sa réponse brève et en termes généraux aux envoyés de Jean pour dire au peuple qu'il ne tenait aucun compte de Jean et le laissait languir dans l'oubli pour devenir lui-même plus célèbre, il expliqua pourquoi il avait répondu de la sorte en les renvoyant eux-mêmes à Jean qu'ils avaient entendu et qui avait parlé de Jésus d'une façon qui leur était connue. Pourquoi donc doutaient-ils toujours ? Que cherchaient-ils donc près de Jean ? Il leur dit : "Qu'êtes-vous allés voir quand vous êtes allés à Jean ? un roseau agité par le vent ? un homme vêtu avec recherche et magnificence ? Mais les gens richement vêtus et qui vivent dans les délices se trouvent à la cour des rois. Qu'avez-vous donc voulu voir quand vous l'avez été chercher ? Etait-ce un prophète ? Oui, je vous le dis, c'est plus qu'un prophète que vous avez vu en lui. C'est celui dont il est écrit : Voici que j'envoie mon messager devant ta face, afin qu'il prépare le chemin devant toi. En vérité, je vous le dis, parmi les enfants des femmes, il n'y a pas de plus grand prophète que Jean Baptiste, et pourtant le moindre dans le royaume des cieux est plus grand que lui. Mais à dater de Jean Baptiste le royaume des cieux souffre violence et ceux qui usent de violence s'en emparent. Car tous les prophètes et la loi jusqu'à Jean ont prophétisé à ce sujet, et si vous voulez le comprendre, c'est lui qui est Élie qui doit venir. Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre ! "

Les assistants furent très émus, ils adhéraient aux paroles de Jésus et voulaient se faire baptiser : mais il y avait là des docteurs de la loi qui murmuraient et qui étaient surtout scandalisés de ce que Jésus, hier soir et ce matin, avait frayé avec les publicains qui, ici aussi, bisaient partie de l'auditoire. Alors il expliqua pourquoi on s'était élevé contre lui et contre Jean, et répondit au reproche qu'on lui faisait de fréquenter les pécheurs et les publicains, etc.

Jésus alla ensuite dans la maison d'un publicain où se trouvaient aussi les quatre autres publicains : il y prit un repas avec ses disciples et il enseigna. Il y avait là des gens qui étaient complètement résolus à se convertir et à se faire baptiser. Cette maison était tout contre la place où Jésus avait guéri. Il y avait une autre maison de publicain à l'entrée de la ville : d'autres étaient plus loin. En venant de Naïm ici, on pouvait sur la première partie de chemin voir Dabbeseth où était la demeure de Barthélémy : plus loin, la vue était interceptée par les hauteurs de Mageddo. Dabbeseth était à peu près à une lieue et demie à l'ouest, près du torrent de Cison et en avant de la vallée de Zabulon.

(21 novembre.) Jésus partit aujourd'hui pour retourner à Capharnaum. La fête de la nouvelle lune avait déjà commence hier. Il était accompagné par vingt-quatre disciples et par les quatre disciples équivoques de Jean venus hier à Mageddo. Quelques publicains de Mageddo s'étaient joints a eux : ils voulaient être baptisés à Capharnaum. Ils allaient très lentement et s'arrêtaient ou s'asseyaient souvent dans des endroits agréables, car Jésus enseigna pendant tout le chemin qui partant de Mageddo suivait au nord-est les hauteurs et traversant la vallée qui passe devant Nazareth conduisait au versant nord-ouest du Thabor. Son enseignement me parut destiné à préparer les apôtres à leur vocation définitive et à leur mission prochaine. Je m'en rappelais encore une grande partie ce matin, mais malheureusement des dérangements m'ont fait tout oublier. Il les exhorta beaucoup à se dégager de toute sollicitude terrestre et à renoncer à tous les biens de ce monde. Il tint un langage affectueux et touchant, cueillit une fleur sur le chemin et dit : " Cette fleur n'a souci de rien ! voyez sa couleur, ses beaux filaments ! Le sage Salomon dans sa gloire était-il plus richement vêtu . "

(Le pèlerin chercha où se trouvent dans l'Evangile ces paroles de Jésus : mais elle lui dit : " Cela n'y est pas : il n'y avait pas de lys ici : c'étaient d'autres fleurs. Jésus a souvent répété quelque chose de semblable ".)

Une fois son discours fut tel que chacun des apôtres crut s'y trouver dépeint d'une manière frappante : j'ai entendu alors quelque chose que j'ai oublié, mais qui me fit dire en moi-même : " Certainement Judas a du remarquer cela ". il leur parla aussi de son royaume, dit qu'ils ne devaient pas avoir un si grand désir d'y avoir des emplois, ni se le représenter d'une façon si terrestre. Il parla ainsi avec intention parce que les quatre disciples de Jean, affidés secrets des Hérodiens, observaient particulièrement ce qu'il disait à ce sujet. Il mit en garde les disciples contre les gens dont ils devaient se défier, et décrivit ces Hérodiens d'une façon si claire qu'on ne pouvait pas les méconnaître. Je regrette d'avoir oublié quelques comparaisons relatives à leur habillement. Il dit entre autres choses qu'il fallait se défier de certaines gens portant des peaux de brebis et de longues ceintures de cuir. Il les désigna par un nom que je ne compris pas : il se servit d'un mot dont on se sert chez nous pour désigner l'huile la plus fine : c'est quelque chose comme Provence. Provence ! Qu'est-ce donc que cela ? Il disait : " Gardez-vous des profanes qui ont des peaux de brebis et de longues ceintures ". Il entendait parler de ces disciples de Jean, espions des Hérodiens, qui, à l'imitation des véritables disciples de Jean, portaient autour du cou et sur la poitrine une sorte d'étole en peau de brebis. Il dit qu'on pouvait les reconnaître à ce qu'ils ne regardaient personne en face et que quand eux, les disciples, voudraient, pleins de joie et d'ardeur s'épancher, avec ces hommes, ils les reconnaîtraient à ce signe que leur coeur chercherait à s'échapper en se tournant de côté et d'autre comme un animal qu'on enferme et qui cherche une ouverture pour s'évader (il nomma ici un scarabée, un insecte que j'ai oublié). Une fois, il courba un buisson d'épines et dit : " voyez si vous trouverez là des fruits ". Quelques disciples y regardèrent en toute simplicité. Mais Jésus dit : " Cherche-t-on des figues sur les chardons et des raisins parmi les épines ? " Cheminant ainsi, ils arrivèrent vers le soir, à trois lieues environ de Mageddo, à un hameau composé d'une vingtaine de maisons avec une école, et situé au pied du Thabor, contre le versant du nord-ouest. Cet endroit est à une lieue et demie ou deux lieues au levant de Nazareth, d'une demi lieue de la ville de Thabor, qui est située contre le versant septentrional de la montagne. Il y a encore un endroit au midi de celui-ci également au pied du Thabor. Les gens d'ici étaient bienveillants : ils connaissaient Jésus depuis sa jeunesse, du temps ou il faisait avec ses amis des promenades dans les environs de Nazareth. C'étaient des bergers pour la plupart, et tout en gardant leurs troupeaux ils étaient occupés à recueillir du coton qu'ils empaquetaient pour le rapporter chez eux lorsqu'ils virent venir Jésus. Ils accoururent en toute hâte à sa rencontre. Je vis qu'ils avaient à la main leurs bonnets grossiers de peau de mouton : mais dans l'école ils avaient la tête couverte. On reçut Jésus près du puits, on lui lava les pieds ainsi qu'aux disciples et on leur donna une réfection. Il n'y avait pas de Synagogue dans cet endroit, mais une école et un maître d'école. Jésus y alla et fit une instruction aux habitants. Après cela ils mangèrent et il enseigna en paraboles dans l'école et dans une auberge.

Cet endroit était comme la propriété d'un homme considérable qui habitait avec sa femme dans une grande maison isolée avec une cour. Je vis que cet homme avait commis des péchés graves et qu'il était horriblement lépreux. Il s'était, à cause de cela, séparé de sa femme : elle habitait le haut de la maison et lui dans des bâtiments attenants. Il n'avait pas fait connaître sa maladie pour ne pas avoir à subir les ennuis de la séquestration : cependant on avait appris ce qui en était et on feignait de n'en rien savoir. On ne l'ignorait pas dans l'endroit et on ne suivait pas le chemin qui passait devant sa maison, quoique ce fût la route ordinaire : on aimait mieux faire un détour. Dans la soirée, les habitants parlèrent de cela aux disciples. Cet homme lépreux était depuis longtemps pénétré d'un repentir sincère et il désirait vivement que Jésus vint : sachant son arrivée, il appela un garçon d'environ huit ans, qui était son esclave et lui donnait ce qui lui était nécessaire : il lui dit : " Va vers Jésus de Nazareth et observe le moment ou il se trouvera sépare de ses disciples, devant ou derrière eux : alors jette-toi à ses pieds et dis-lui : Seigneur, mon maître est malade et croit que vous pouvez le secourir si vous voulez prendre le chemin qui passe devant sa maison et où personne ne va il vous supplie humblement d'avoir pitié de sa misère et de prendre ce chemin, car alors il est sûr d'être guéri. "L'enfant ; vint trouver Jésus, fit très bien la commission dont il était chargé, et Jésus lui dit : " Dis ton maître que j'irai demain : "puis il le prit par la main et lui mit l'autre main sur la tête en lui donnant des éloges. Ceci se passa comme il allait de l'école Ç à l'hôtellerie. Jésus qui savait bien pourquoi il venait, était resté à dessein un peu en arrière de ses disciples. L'enfant avait une petite robe jaune.

La propriété de sainte Anne est sur une hauteur, à une lieue à l'ouest de Nazareth, entre la vallée de Nazareth et celle de Zabulon. Une gorge plantée d'arbres conduisait de là à Nazareth et sainte Anne pouvait gagner la maison de Marie sans entrer dans la ville.

(22 novembre.) Le matin, au point du jour, Jésus sortit de l'hôtellerie avec ses disciples, et comme il voulait suivre le chemin qui passait devant la maison du lépreux, ils lui dirent qu'il ne fallait pas aller par là, qu'on le leur avait recommandé, etc. Mais Jésus prit ce chemin et leur ordonna de le suivre : ils étaient effrayés parce qu'ils craignaient qu'on tînt à ce sujet des propos qui seraient répétés à Capharnaum. Les disciples de Jean n'allèrent pas avec lui.

L'enfant avait guetté l'arrivée de Jésus et l'avait annoncée à son maître. Celui-ci vint jusqu'à un sentier qui allait de sa maison au chemin et il se tint à distance. Lorsque Jésus approcha, il cria : " Seigneur, ne venez pas à moi ! pourvu que vous veuillez que je sois guéri, je serai délivré de mon mal. "Les disciples s'arrêtèrent et Jésus dit à cet homme : "Je le veux ;"puis il alla à lui, le toucha et s'entretint avec lui. Cet homme se prosterna devant lui et il fut purifié : sa lèpre disparut. Il expliqua à Jésus sa situation et Jésus lui dit de retourner près de sa femme et de reprendre peu à peu ses relations avec les autres hommes. Il lui donna aussi des avis touchant ses péchés, lui imposa le baptême de pénitence et certaines aumônes. Puis il revint trouver les disciples et leur dit que lorsqu'on croit et que l'on a le coeur pur, on peut, pour leur venir en aide, toucher même les lépreux.

Je vis ensuite l'homme qui avait été guéri prendre un bain et s'habiller, puis se rendre auprès de sa femme et lui raconter le miracle de Jésus. Je vis aussi que des gens malveillants de l'endroit allèrent l'annoncer aux Pharisiens et aux prêtres de la ville de Thabor située à une demi lieue à l'est ; que ceux-ci ayant formé comme une commission d'enquête, allèrent trouver ce pauvre homme, l'examinèrent rigoureusement, lui demandèrent compte du secret qu'il avait gardé sur sa maladie et voulurent s'assurer s'il était réellement guéri : ils étaient poussés par leur envie contre Jésus à faire grand bruit de cette affaire sur laquelle jusqu'alors ils avaient notoirement fermé les veux.

Je vis toute cette journée Jésus marcher très vite avec les disciples : seulement ils se reposèrent de temps en temps et ils prirent une réfection. Tout en marchant il leur donna des enseignements sur le renoncement aux biens de ce monde, parla du royaume de Dieu en paraboles, disant qu'il ne pouvait pas encore rendre tout cela bien intelligible pour eux, mais que le temps viendrait où ils comprendraient tout. Il parla du dégagement des sollicitudes terrestres touchant la nourriture et le vêtement : bientôt, leur dit-il, ils verraient devant eux plus d'affamés que d'aliments pour les satisfaire ; ils diraient : " Où trouver de quoi les nourrir ?", et pourtant il y aurait surabondance. Il les engagea à bâtir des maisons qui fussent solides. Il sembla leur dire qu'avec des sacrifices et des efforts ils s'assureraient ces maisons, c'est-à-dire des emplois et des dignités dans son royaume. Ils comprirent cela humainement ; cela réjouit beaucoup Judas qui prit des airs importants et dit devant tous les autres qu'il voulait dès à présent travailler et faire de son mieux. Alors Jésus qui marchait s'arrêta et dit : " Nous ne sommes pas encore au bout ; il n'en sera pas toujours comme à présent où vous êtes bien reçus, bien nourris et hébergés, et où vous avez tout en abondance : un temps viendra où vous serez persécutés et chassés, où vous n'aurez pas d'abri, pas de pain, pas de vêtements, pas de chaussures ". Il dit encore qu'ils devaient réfléchir mûrement, se bien préparer et tout abandonner, car il avait des affaires importantes à traiter avec eux. Il parla de deux royaumes qui sont opposes l'un à l'autre, dit que personne ne pouvait servir deux maîtres à la fois, et que quiconque voulait servir dans son royaume devait abandonner l'autre. Il parla des Pharisiens et de leurs suppôts, il fit mention de quelque chose qu'ils portaient sur je visage comme un masque ou comme des besicles, dit que tout leur enseignement portait sur des formes extérieures sans vie dont ils imposaient l'observation, laissant entièrement de côté l'intérieur, c'est-à-dire la charité, le pardon, la miséricorde. Quant à lui, sa doctrine était tout l'opposé de la leur : il enseignait que l'écorce sans le fruit était morte et stérile, qu'il fallait commencer par l'intérieur pour accomplir la loi, que le fruit devait prendre son accroissement avec l'écorce. Il leur donna aussi des instructions sur la prière, leur dit qu'ils devaient prier dans la solitude et non avec ostentation, et beaucoup d'autres choses de ce genre.

Quand il cheminait avec les disciples, il leur donnait toujours de ces instructions préparatoires afin qu'ils comprissent mieux ce qui se reproduisait dans ses prédications publiques et pussent ensuite l'expliquer au peuple. Il enseignait très souvent les mêmes choses, seulement en termes différents et suivant un autre ordre.
Parmi ceux qui l'accompagnaient aujourd'hui, ceux qui l'interrogeaient le plus souvent étaient Jacques le Majeur et aussi Jude Barsabas : Pierre le faisait aussi quelquefois. Judas tient souvent des discours présomptueux : André ne s'émeut pas facilement : Thomas réfléchit et semble se rendre compte : Jean prend tout avec une aimable simplicité : ceux des disciples qui ont plus de savoir se taisent, soit par discrétion, soit parce que souvent ils ne veulent pas laisser voir qu'ils n'ont pas compris.

Marchant ainsi à travers les vallées, ils arrivèrent un peu avant l'ouverture du sabbat à la vallée qui est au levant de Magdalum, où ils rencontrèrent le paien Cyrinus de Dabrath et le centurion Achias de Giscala, qui allaient se faire baptiser à Capharnaum.

Comme on approchait déjà de Capharnaum, Jésus enseigna les disciples : il leur dit notamment qu'ils devaient déjà s'exercer à l'obéissance comme préparation a leur mission et s'appliquer à instruire le peuple sur leur chemin, quand il les enverrait quelque part. Il leur donna aussi quelques règles générales sur la manière dont ils devaient se comporter envers certains compagnons de voyage : il dit cela un peu avant de se séparer des quatre Hérodiens qui l'avaient suivi et afin qu'ils l'entendissent, comme je le vis bien. Il leur dit que quand des profanes se joindraient à eux en route, ils les reconnaîtraient bien à leurs manières flatteuses, souriantes, à leur promptitude à écouter et a interroger, que ces sortes de gens ne se laissaient pas rebuter, mais que tantôt approuvant, tantôt contredisant doucement, ils ne cessaient de faire des questions sur les sujets qui pouvaient provoquer des épanchements : qu'alors ils devaient prendre tous les moyens possibles pour se débarrasser d'eux, parce qu'ils étaient encore trop faibles et trop confiants et qu'ils pouvaient facilement tomber dans les filets de ces espions. Pour lui, il ne cherchait pas à les éviter, car il les connaissait et il voulait qu'ils entendissent son enseignement. etc.

Jésus passa près du village du centurion Zorobabel, ainsi qu'il l'avait fait lors de son départ. Le sabbat allait commencer et ils se hâtaient. Or, il y avait ici dans les jardins, grâce à la bonté compatissante de Zorobabel, deux jeunes scribes d'environ vingt-cinq ans qui, par suite de leurs désordres, étaient atteints d'une lèpre hideuse et auxquels Zorobabel, par pitié, avait permis de résider là. Ils étaient tout à fait perdus de réputation et leur état misérable n'excitait que le mépris universel. Ils étaient enveloppés dans des manteaux rouges, couverts d'ulcères et enflés d'une manière dégoûtante. Ils étaient arrivés là à la suite d'une vie de débauche : ils avaient d'abord fréquenté la société de gens d'esprit qui se réunissait chez Madeleine, à Magdalum, puis ils s'étaient tournés d'un autre côté jusqu'au moment où ils étaient tombes dans ce misérable état. Dernièrement, lorsque Jésus était venu ici, ils avaient eu honte de se présenter devant lui : mais cette fois, persuadés de son pouvoir miraculeux et de sa bonté par les nombreuses expériences qui en avaient été faites, ils se firent conduire dans le voisinage du chemin où il devait passer et implorèrent son secours. Mais Jésus passa outre et dit à deux des gens de Zorobabel, qui couraient après lui, intercédant pour ces malheureux, qu'il fallait les conduire à Capharnaum, a la synagogue et quand le peuple y serait assemblé, les faire monter au-dessus des salles attenantes, hautes d'un étage, afin qu'ils pussent de là entendre l'instruction qui serait faite dans l'intérieur. Ils devaient rester là priant et s'excitant au repentir jusqu'à ce qu'il les fit appeler. Les messagers retournèrent alors sur leurs pas et conduisirent ces infortunés à Capharnaum par le chemin le plus court celui du ravin transformé en jardin, et ils les firent monter péniblement, par les degrés attenant aux murs, sur la terrasse des portiques où, seuls et en plein air, appuyés aux fenêtres qui donnaient dans, la synagogue, ils purent entendre l'instruction de Jésus et s'exciter au repentir en attendant leur libérateur.

Jésus et les disciples vinrent à leur tour à la synagogue après s'être lavé les pieds et avoir détaché leurs robes de leurs ceintures : comme le Seigneur s'approchait du pupitre où siégeait déjà un homme qui faisait la lecture de la loi, celui-ci se leva et fit place à Jésus qui prit aussitôt le livre et commença à enseigner sur la rencontre de Jacob et de Laban, la lutte avec l'ange, la réconciliation avec Esau, et l'enlèvement de Dina : il commenta aussi des textes du prophète Osée. Jésus ayant pris le livre pour faire la lecture, sans faire mine de le refuser, les Pharisiens ricanèrent comme si en cela il eût manqué à la politesse. Ils étaient furieux de le voir reparaître, car la nouvelle de la résurrection du jeune homme de Naim, était déjà connue à Capharnaum, comme aussi les nombreuses guérisons opérées par lui à Mageddo. Ils l'observèrent attentivement, curieux de savoir ce qu'il allait entreprendre ici. Aujourd'hui la plupart des membres de la famille de Jésus étaient à la synagogue, ainsi que toutes les saintes femmes.

Lorsque le peuple sortit de la synagogue, suivi bientôt de Jésus, de ses disciples et dés Pharisiens, ceux-ci voulurent encore entrer en discussion avec lui dans le vestibule. Mais ils furent pris au dépourvu et ne purent pas y parvenir : car Jésus, dès qu'il eut franchi le seuil, se dirigea vers le portique au-dessus duquel se tenaient les deux hommes impurs et leur cria de descendre. Ils furent si confus et si intimidés a l'idée de paraître devant les Pharisiens, qu'ils ne lui obéirent pas sur-le-champ, et Jésus leur commanda de venir, invoquant un nom que je ne me rappelle pas. Alors au grand étonnement de tous ils purent descendre seuls l'escalier. Le vestibule était éclairé par des flambeaux pour la sortie de la foule, et les Pharisiens furent transportés de rage lorsque dans l'ombre ils reconnurent à leurs manteaux rouges ces deux pauvres pécheurs si méprisés. Ceux-ci s'agenouillèrent tout tremblants devant Jésus. Il leur imposa les mains, leur souffla au visage et dit : " Vos péchés vous sont remis ". Puis il les exhorta à la continence et au baptême de pénitence. Il leur ordonna aussi de laisser là leur profession de scribes, parce qu'il voulait leur enseigner la vérité et la voie. Ils se levèrent et un changement visible s'opéra en eux : leurs ulcères se scellèrent et les croûtes de la lèpre disparurent. Ils remercièrent en versant des larmes et se retirèrent avec les serviteurs de Zorobabel. Plusieurs personnes bien intentionnées se pressèrent autour d'eux et les félicitèrent à cause de leur pénitence et de leur guérison.

Cependant les Pharisiens étaient comme hors d'eux-mêmes : ils poursuivaient Jésus de leur clameurs : " Tu guéris le jour du sabbat, disaient-ils, et tu remets les péchés ! Comment peux-tu, toi, remettre les péchés ? Il a le diable qui lui vient en aide. C'est un fou frénétique, on le voit bien à la manière dont il court de tous côtés. A peine a-t-il donné ici sa représentation qu'on le voit à Naim, où il réveille les morts, puis à Mageddo, puis encore ailleurs. Ce ne peut pas être un homme de bien ni qui ait sa raison : il a un mauvais esprit puissant qui lui vient en aide ". Je les entendis encore dire : " Quand Hérode en aura fini avec Jean, le tour de celui-ci viendra s'il ne se dérobe pas par la fuite ". Mais Jésus sortit de la en passant au milieu d'eux et j'entendis les femmes, ses parentes et ses amies, pleurer et se lamenter à la vue du déchaînement des Pharisiens contre lui car avant de regagner leur logis elles l'avaient attendu dans le voisinage.

Jésus sortit de la ville en suivant le chemin qui passe au nord-est sur la hauteur, au-dessus de la vallée où est la maison de Marie et où il a une fois guéri des païens : on allait par là directement de Bethsaïde a Capharnaum, sans passer par la vallée qui fait un circuit. Il y a là des massifs de verdure et des grottes ou il pria. Je le vis plus tard aller à la maison de Marie, consoler et exhorter les femmes, puis sortir de nouveau et passer la nuit en prière.

(23 novembre. ) Pierre avait appris sans doute de Marie en quel lieu Jésus était en prière cette nuit. Je le vis ce matin aller trouver Jésus et lui dire que Jaïre, le chef de la synagogue de Capharnaum, étai dans sa maison. Jésus fit dire à Jaïre de ne pas s'inquiéter, que sa fille ne mourrait pas encore, qu'il irait le voir après le repas. Je vis ensuite le Seigneur guérir encore quelques malades près de la maison de Pierre, et se rendre vers neuf heures au lieu où l'on baptisait : beaucoup de personnes s'y trouvaient réunies. Ce lieu n'était pas loin de la maison de Pierre, toutefois plus au midi dans la vallée, dans un jardin clos de haies où il y avait plusieurs citernes rondes servant à prendre des bains et dans lesquelles on faisait venir l'eau du ruisseau voisin. Il y avait là un long berceau de feuillage, divisé par des rideaux et des cloisons portatives en petits réduits où se déshabillaient ceux qui devaient être baptisés. Tout était disposé pour donner le baptême. Jésus se tenait à l'endroit le plus élevé. Les disciples étaient tous présents avec u ne cinquante d'aspirants au baptême. Il y avait parmi eux plusieurs personnes de la parenté de Jésus, un homme âgé et trois jeunes gens venus de Séphoris, l'un desquels était le jeune garçon muet que Jésus avait guéri a Séphoris (voir t. II p. 239), et dont une vieille parente était venue récemment trouver le Seigneur à Abez. Il y avait en outre Cyrinus, l'homme de l'île de Chypre, converti nouvellement à Dabrath, Achias le centurion romain de Giscala, et son petit garçon Jephté, le centurion Cornélius avec son esclave basané guéri par Jésus, et plusieurs personnes de sa maison, et un certain nombre d'autres païens de la haute Galilée. De plus un esclave presque noir de Zorobabel ou Cornélius, cinq publicains de Mageddo, cinq adolescents parmi lesquels José, neveu de Barthélémy, enfin tous les lépreux ou possédés guéris dans les environs ainsi que les deux hommes impurs guéris la veille. Ceux-ci avaient assez mauvaise mine, ils n'avaient plus le corps enflé et couvert d'ulcères, mais leur visage était défait et couvert de taches noirâtres avec des marques luisantes aux endroits d'où les croûtes étaient tombées ; la peau était par endroits rude et écailleuse.

Tous les néophytes avaient des habits de pénitents en laine grise, et sur la tête une espèce de drap mortuaire de forme carrée. Jésus enseigna et prépara les néophytes ; puis ils passèrent sous le berceau de feuillage, où ils déposèrent, chacun de leur côté, leurs habits de pénitence pour se revêtir de robes baptismales : c'était une tunique blanche, longue et ample : ils avaient la tête nue et sur les épaules ce drap dont il a été parlé. Ils allèrent, les mains croisées sur la poitrine, se placer au bord de la citerne. André et Saturnin baptisaient ; Thomas, Barthélémy, Jean et d'autres disciples leur mettaient les mains sur la tête et leur servaient de parrains. Celui qui devait être baptisé avait les épaules nues et se courbait au-dessus du puits : un disciple apportait dans un bassin l'eau bénie par Jésus, et le baptisant la versait par trois fois avec la main sur la tête du néophyte. Thomas fut le parrain de Jephté, le fils d'Achias. On en baptisait un certain nombre à la fois, et pourtant la cérémonie dura jusqu'à deux heures de l'après-midi.

Après cela Jésus prit un peu de nourriture ainsi que les disciples, puis il se rendit à Capharnaum et guérit plusieurs malades sur la place qui était devant la synagogue. Pendant qu'il était occupé à cela, Jaire, le chef de la synagogue, vint se jeter a ses pieds, et le pria de venir en aide à sa fille malade, qui était à toute extrémité. Or, Jésus était occupé à opérer d'autres guérisons, et lorsqu'il voulut suivre Jaïre, les malades le prièrent instamment de rester et ne voulurent pas le laisser partir ; mais il leur dit qu'il reviendrait à eux avant la clôture du sabbat. Comme il allait partir, il vint de la maison de Jaïre des messagers qui lui dirent : " Votre fille est morte : il n'est plus nécessaire que vous importuniez le maître ". Mais Jésus lui dit : " Ne craignez point, croyez en moi, et vous serez secouru ". Ils allèrent alors vers la partie septentrionale de la ville où était la maison de Cornélius, dont celle de Jaïre n'était pas éloignée Comme ils étaient déjà près de celle-ci, ils virent des gens en deuil et des pleureuses devant la porte et dans le vestibule. Jésus ne prit avec lui pour y entrer que Pierre, Jacques le Majeur et Jean. Dans la cour, il dit à ceux qui se lamentaient : " Pourquoi ces pleurs et ces lamentations ? Allez-vous-en : la jeune fille n'est pas morte, mais elle dort ". Les pleureurs commencèrent alors à le railler, parce qu'ils savaient qu'elle était morte. Mais Jésus leur ordonna de se retirer et de sortir de la cour, dont la porte fut fermée. Il entra alors dans la cuisine, ou la mère affligée et sa servante étaient occupées à préparer les linceuls ; puis, accompagné du père, de la mère et des trois disciples, il entra dans la chambre où la jeune fille était couchée. Jésus s'approcha du lit : les parents se tenaient derrière lui et les disciples à sa droite, au pied de la couche. La mère ne me plut pas ; elle n'avait aucune confiance et restait froide. Le père n'était pas précisément un ami dévoué de Jésus : il était de caractère à ne pas vouloir se compromettre vis-à-vis des Pharisiens, et ce n'étaient que l'inquiétude et la douleur qui l'avaient porté à s'adresser à Jésus. Si le Seigneur guérissait sa fille, se disait-il, elle lui serait rendue : dans le cas contraire, il aurait préparé un triomphe pour les Pharisiens. Cependant, en dernier lieu, la guérison du serviteur de Cornélius l'avait particulièrement ému et lui avait donné plus de confiance. La jeune fille n'était pas grande, et la maladie l'avait fort amaigrie : elle me parut âgée de onze ans tout au plus et petite pour son âge, surtout dans un pays comme celui-ci où l'on trouve des filles de douze ans qui sont complètement formées. Elle était étendue sur sa couche, enveloppée dans un long vêtement. Jésus la prit doucement dans ses bras, la plaça contre sa poitrine et souffla sur elle. Je vis alors quelque chose d'extraordinaire. J'avais vu près du corps, à sa droite, une petite forme diaphane dans une sphère lumineuse, et lorsque Jésus souffla sur la jeune fille, je vis cette lumière s'arrêter au-dessus d'elle et entrer dans sa bouche avec l'apparence d'une petite figure humaine. Jésus replaça le corps sur le lit, prit le poignet de la jeune fille comme eût fait un médecin, et lui dit : " Jeune fille, lève-toi ! " Alors elle se mit sur son séant dans le lit, et comme il continuait à lui tenir la main, elle se leva tout à fait, ouvrit les yeux et descendit de sa couche ; puis Jésus la conduisit, encore faible et chancelante, dans les bras de ses parents qui l'avaient regardé faire, d'abord froidement, puis avec crainte et tremblement, mais qui maintenant étaient hors d'eux-mêmes par l'excès de leur joie. Jésus leur dit de donner à manger à l'enfant, et de ne pas ébruiter inutilement cette affaire ; puis, après avoir repu les remerciements du père, il revint dans la ville. La femme était confuse et ébahie : elle remercia à peine. Mais le bruit se répandit parmi les pleureurs que la jeune fille était en vie. Ils quittèrent leur poste, les uns tout confus, les autres ricanant d'une façon ignoble, entrèrent dans la maison et virent la jeune fille manger.

Jésus, en s'en retournant, parla de cette guérison avec les disciples et leur dit que ces gens n'avaient eu ni une foi sincère, ni des intentions vraiment droites ; mais que leur fille avait été rendue à la vie à cause d'elle-même et pour l'honneur du royaume de Dieu. Il n'y avait rien de coupable dans cette mort : c'était contre la mort de l'âme qu'elle devait se tenir en garde. Il revint alors sur la place de la ville et guérit encore plusieurs malades qui l'attendaient, puis il enseigna dans la synagogue jusqu'à la clôture du sabbat. Les Pharisiens étaient tellement agités, si pleins de dépit et de rage, qu'ils se seraient facilement portés à mettre la main sur lui s'il s'était encore commis avec eux après cela. Ils recommencèrent à dire que ces miracles étaient de la sorcellerie ; mais Jésus se perdit dans la foule et quitta la ville en passant par les jardins de Zorobabel : les disciples, de leur côté, se dispersèrent.

La narratrice ne vit pas la guérison de l'hémorroïsse s'opérer au milieu de la foule, dans l'intervalle compris entre l'invitation adressée à Jésus par Jaïre et la guérison de sa fille, quoiqu'elle se trouve ainsi placée dans les Evangiles de saint Matthieu, de saint Marc et de saint Luc. Elle ne vit pas cet incident aujourd'hui, et dit que la presse n'avait pas été grande sur le chemin, ni lors du miracle : il n'y avait eu un peu de foule que le matin, près de la maison de Pierre. Elle ne se rappelait pas avoir vu cette guérison aujourd'hui, pas même parmi les autres guérisons qui n'avaient rien eu de particulier. Elle dit qu'elle se souvenait de cette guérison comme d'une vision antérieure, et l'expression dont se servit Jésus, disant qu'il avait senti une force sortir de lui, lui avait été ainsi expliquée : cette femme avait eu le sentiment de la puissance divine résidant en Jésus ; elle l'avait longtemps invoquée avec ardeur, et elle avait touché le manteau du Sauveur avec le désir d'être guérie et la ferme confiance qu'elle le serait, c'était alors que ce pouvoir divin lui était venu en aide, et que Jésus avait senti qu'une vertu sortait de lui. Cette femme est bien connue d'Anne Catherine, et elle a parlé antérieurement d'un monument qu'elle fit élever et des grâces qui y étaient attachées.

(24 novembre.) Jésus a encore passé une partie de la nuit à prier à l'écart. Ces prières qu'il fait contribuent beaucoup à convertir les pécheurs ainsi qu'à déconcerter et à rendre impuissants les projets des Pharisiens : car il fait tout à la manière humaine, pour que nous puissions l'imiter. C'est pourquoi il priait son Père céleste pour l'accomplissement de son oeuvre. Suivant toutes les probabilités humaines, on pouvait croire que ses ennemis le mettraient en pièces. Cependant il leur échappa, et le jour suivant, qui est le jour même du sabbat, il guérit de nouveau devant la synagogue où il alla ensuite enseigner. 
Pourquoi ne chassaient-ils pas les malades ? Pourquoi ne lui interdisaient-ils pas la prédication dans la synagogue ? C'est que les prophètes et les docteurs avaient eu de tout temps le droit d'enseigner dans les synagogues, d'assister et de guérir : ils ne pouvaient attaquer Jésus que pour cause de blasphème et d'hérésie : or, il leur était impossible de rien prouver contre lui sur ces deux chefs. Quant au baptême qu'il faisait administrer, ils s'en inquiétaient peu, et ils ne venaient pas y assister : puis la grande roule ne passait pas par la vallée : elle conduisait à Bethsaïde par les hauteurs. Dans la vallée il n'y avait que des sentiers à l'usage des pécheurs et des gens de la campagne qui allaient au lac.

Marthe, les saintes femmes de Jérusalem, Dina et d'autres encore, étaient parties pour retourner chez elles après le départ de Jésus pour Naïm. J'ai vu qu'il y eut près de Maroni et de son fils une telle affluence de visiteurs, curieux de voir le ressuscité, qu'ils furent obligés de se cacher. Je vis aussi, je ne sais plus à quelle occasion, que Madeleine est malheureusement retombée dans ses anciennes habitudes. Des hommes du pays sont venus lui rendre visite. On a parlé de Jésus, de sa manière de vivre, de ses rapports et de ses liaisons avec toute sorte de gens de bas étage ; on l'a tournée en ridicule à propos de ce qu'on a entendu dire d'elle : en outre on l'a trouvée, beaucoup plus belle et plus attrayante que dans les derniers temps ; car depuis quelques jours il s'est opéré un changement avantageux dans son extérieur. Malheureusement elle s'est laissé prendre à ces discours, elle est en voie de s'engager de nouveau dans des relations criminelles et de tomber plus bas qu'auparavant, comme il arrive dans les rechutes. Ah ! pourquoi est elle revenue à Magdalum ? Elle a d'ailleurs un très mauvais voisinage, excepté à Damna, où se trouvent des gens de bien : à Gabara, à Jotapat et à Tibériade, il règne beaucoup de corruption et de légèreté. Il y a peut-être dans tout ce monde bien des ennemis de Jésus, qui, ayant eu connaissance de la vive impression que Madeleine a ressentie dernièrement, cherchent à la retenir dans le mal. Les quatre Hérodiens, disciples de Jean, qui étaient récemment près de Jésus, ont leur demeure à Jotapat : depuis le repas, ils ne se sont plus montres.

Il y avait fête aujourd'hui chez le centurion Cornélius, à l'occasion de la guérison de son serviteur. Un grand nombre de païens, parmi lesquels beaucoup de pauvres, s'y rendirent. Aussitôt après la guérison, il avait fait dire à Jésus qu'il voulait faire offrir plusieurs holocaustes de toute espèce d'animaux ; mais Jésus lui fit répondre qu'il ferait mieux d'inviter ses ennemis pour se réconcilier avec eux, ses amis pour leur dire des choses édifiantes, les pauvres pour les soulager et leur donner un repas avec les viandes destinées aux sacrifices, car Dieu ne prenait pas plaisir aux holocaustes, etc. Je vis, après cela, un très grand nombre de païens passer par Bethsaïde et par le chemin d'en haut pour se rendre à la maison de Cornélius où la fête avait lieu. Dans la matinée, je vis Jésus et plusieurs des disciples à l'endroit où l'on baptisait. Saturnin eut une grande joie : il eut à baptiser deux de ses frères cadets et son oncle qui étaient païens. Sa mère, qui a déjà embrassé le judaïsme est venue avec eux. Saturnin a des rois pour aïeux. Ses parents vivaient à Patras ; son père était mort : une belle-mère et deux filles vivaient encore. Saturnin apprit d'abord par un homme d'un teint très brun, qui était allié au plus basané des trois rois mages, et qui avait fait le voyage avec lui l'histoire de l'étoile et de la naissance de Jésus. Il s'était, je crois, trouvé en rapport avec lui pendant une guerre ou dans un voyage. Là-dessus, Saturnin alla à Jérusalem, et lorsque Jean commença sa prédication, il fut au nombre de ses premiers disciples : puis aussitôt que Jésus reparut après son baptême, il alla le trouver avec André (voir tome I, page 370). Sa belle-mère était allée plus tard à Jérusalem avec les deux jeunes filles. Ses deux jeunes frères étaient restes près d'un oncle, et maintenant ils venaient d'arriver. Ils étaient riches.

Dans la matinée, on baptisa encore une douzaine d'autres néophytes. Quand ils descendent dans le tossé qui est autour du bassin, ils relèvent leur longue robe et s'appuient, lorsqu'ils reçoivent le baptême, sur la margelle du bassin : ils retournent ensuite sous les arbres et mettent d'autres vêtements. Leur longue tunique blanche n'est, a ce que je crois, qu'un manteau baptismal sous lequel ils sont nus jusqu'à la ceinture. Les juifs ont peu de souci des païens baptisés : quand ceux-ci ne viennent pas demander aux prêtres à être circoncis, ils ne font pas attention à eux, et il leur semble d'ailleurs qu'il n'y a pas beaucoup à s'en occuper, car ils sont fort peu zélés et n'aiment pas à se donner de la peine. Cornélius, qui habite parmi eux et qui a fait bâtir la synagogue, sera obligé de recevoir la circoncision, s'il veut s'associer à eux plus étroitement.

Jésus mangea chez sa mère et s'entretint avec les femmes qui étaient là : il dit à plusieurs malades qui voulaient être guéris ce qu'ils avaient à faire en attendant qu'il revint. Je le vis ensuite dans l'après-midi enseigner au bord du lac, non loin de l'endroit où se tenaient les barques de Pierre : il était allé là avec les disciples en franchissant la hauteur qui se dirige vers Bethsaïde, derrière la maison de Marie et celle de Pierre. Les bords du lac sont élevés près de Bethsaïde : ici ils descendent en pente douce et offrent un abord facile. Le navire de Pierre était amarré ici, aussi bien que la petite embarcation de Jésus : elle était moins grande et contenait au plus quinze personnes.

Une grande partie des païens qui avaient été à la fête donnée chez Cornélius étaient rassemblés ici. Jésus les enseigna. et comme la presse était trop grande, il monta sur sa barque avec quelques disciples : les autres et les publicains montèrent sur le navire de Pierre. Du haut de la barque, il raconta aux païens et à d'autres personnes qui étaient sur la plage, la parabole du semeur et de l'ivraie : ensuite ils s'éloignèrent. Le navire de Pierre marchait à la rame, traînant après lui l'embarcation de Jésus. Les disciples se relayaient pour ramer. Jésus était assis au pied du mât, les autres autour de lui et sur le bord du navire de Pierre. Ils lui demandèrent ce que signifiait cette parabole et pourquoi il parlait en paraboles. Alors il la leur expliqua. (Elle se référa ici à un texte de saint Matthieu (XIII, 1-24) dont le pèlerin lui fit la lecture, et dit : " il a fait cela pendant la traversée : il était quatre heures du soir ". Je crois aussi que c'est cette fois que Jésus appellera à lui saint Matthieu, car je les ai vus débarquer entre la vallée de Gérasa et Bethsaïde Juliade On monta d'abord sur une éminence, au delà de laquelle se trouvent les demeures des publicains, placées les unes derrière les autres. Je l'ai entendu dire en chemin qu'on se scandaliserait à son sujet. Ce sera sans doute parce qu'il admettra parmi ses disciples le publicain Matthieu.

(25 novembre.) Elle dit le jour suivant : " Lorsque Jésus arriva ici, il était tout au plus cinq heures ; il était donc de meilleure heure lorsqu'ils s'embarquèrent. A partir du rivage, il y avait un chemin qui conduisait aux maisons des publicains, et les publicains qui étaient avec Jésus le prirent. Quant à Jésus, il prit à droite en suivant le bord du lac, en sorte qu'ils passèrent devant la maison de Matthieu qui était à quelque distance. Le chemin qu'ils suivaient avait un embranchement qui aboutissait au comptoir de Matthieu, et quand Jésus se dirigea de ce côté, les disciples s'arrêtèrent, n'osant pas aller plus loin. Lorsque Matthieu, devant la maison duquel je vis des serviteurs et des publicains occupés à examiner diverses marchandises, vit du haut d'une éminence Jésus et les disciples venir vers lui, la honte le prit et il rentra dans sa cabane. Mais Jésus s'approcha et l'appela de l'autre côté du chemin. Alors Matthieu sortit plein d'empressement : il se prosterna devant Jésus la face contre terre, et dit qu'il ne s'était pas cru digne que Jésus lui parlât. Mais le Seigneur lui dit : " Matthieu, lève-toi et suis-moi ". Matthieu se leva et lui dit qu'il allait tout quitter avec joie pour le suivre puis il alla avec Jésus jusqu'à l'endroit où les disciples s'étaient arrêtés. Ceux-ci le saluèrent et lui tendirent la main. Thaddée, Simon et Jacques le Mineur, étaient particulièrement réjouis, car ils étaient ses frères par leur père Alphée, qui, avant son mariage avec Marie de Cléophas, avait eu Matthieu d'une première femme. Il voulait leur donner à tous l'hospitalité, mais Jésus lui dit qu'ils prendraient leur repas chez lui le lendemain, et ils allèrent plus loin. Alors Matthieu revint en hâte à sa maison, qui était à un quart de lieue du lac, dans un enfoncement du coteau. Le petit cours d'eau qui va de Gérasa se jeter dans le lac, passe devant à peu de distance. La vue s'y étend sur le lac et sur la campagne. Matthieu chargea aussitôt un homme de l'embarcation de Pierre de faire son office à sa place jusqu'à nouvel ordre. Il était marié et avait quatre enfants. Il raconta tout à sa femme ce qui lui arrivait d'heureux, et lui dit qu'il voulait tout quitter et se mettre à la suite de Jésus, ce qui la réjouit aussi beaucoup. Ensuite il ordonna de préparer le repas pour le lendemain, et s'occupa lui-même à donner des ordres et à faire des invitations à cet effet. Matthieu était à peu près de l'âge de Pierre, il aurait pu être le père de José Barsabas son jeune demi-frère. C'était un gros homme fortement constitué : il avait la barbe et les cheveux noirs. Depuis qu'il avait fait connaissance avec Jésus sur le chemin de Sidon, il avait reçu le baptême de Jean et réglé sa vie de la manière la plus consciencieuse. Jésus franchit la hauteur qui était derrière la maison de Matthieu, et alla au nord dans la vallée de Bethsaïde Juliade : il passa un petit cours d'eau. Il y avait là un campement de caravanes et de païens en voyage qu'il enseigna : ils passèrent la nuit dans une hôtellerie de Bethsaïde Juliade.

(25 novembre.) Ce matin, Jésus enseigna encore parmi les païens campés dans les environs : vers midi, il revint à la maison de Matthieu, où beaucoup de publicains invités par lui s'étaient réunis. Sur le chemin, quelques Pharisiens et des disciples de Jean se joignirent à Jésus ; toutefois, ils n'entrèrent pas avec lui dans la maison, mais ils allèrent avec les disciples dans le jardin qui y était attenant, et ils leur dirent : " Comment pouvez-vous souffrir qu'il fraye si familièrement avec des pécheurs et des publicains ? " Ils répondirent : " Dites-le-lui vous-mêmes ! " Mais les Pharisiens répliquèrent : " il n'y a rien à dire à un homme qui veut toujours avoir raison ".

Matthieu reçut Jésus et les siens avec beaucoup de cordialité et d'humilité et il leur lava les pieds. Ses demi frères l'embrassèrent tendrement. Il amena à Jésus sa femme et ses enfants. Jésus s'entretint avec la femme et bénit les enfants : passé cela, les enfants ne reparurent plus. Je me suis souvent étonnée de voir que les enfants, quand il les avait bénis, ne se remontraient plus Je vis que Jésus s'assit et que Matthieu s'agenouilla devant lui : Jésus lui mit la main sur la tête, le bénit et lui donna quelques avis. Matthieu s'appelait auparavant Lévi et il reçut alors le nom de Matthieu. Il y eut un grand repas dans une salle découverte, sur une table disposée en forme de croix. Jésus était assis au milieu des publicains : on se levait dans les intervalles des services et on conversait, puis on se rasseyait quand de nouveaux plats avaient été mis sur la table. Il vint de pauvres voyageurs qui passaient près de là : les disciples leur distribuèrent des aliments. Le chemin qui menait à l'endroit où l'on s'embarquait pour traverser le lac passait devant la maison. Cependant les Pharisiens accostèrent les disciples et il y eut entre eux des discussions qui se trouvent dans l'Evangile de saint Luc (V. 30-39), Ils parlèrent principalement du jeûne, parce que ce soir commençait pour les Juifs de la stricte observance un jour de jeûne en mémoire de la destruction des écrits de Jérémie par le roi Joachim et aussi parce que Jésus permettait à ses disciples de cueillir des fruits sur les chemins, ce qui ne se faisait pas chez les Juifs, spécialement en Judée. Lorsque Jésus donna la réponse, il était à table avec les publicains, tandis que les disciples que les pharisiens avaient interpellés se tenaient debout ou allaient et venaient. Jésus tourna la tête et répondit. Je crois que Jésus passa ici la nuit et que ceux des disciples qui étaient pêcheurs de profession restèrent dans les barques. La barque de Zébédée était venue avec les gens qui étaient à son service. Je ne me souviens plus bien s'ils péchèrent cette nuit, mais j'ai l'idée vague qu'il y eut en effet une pêche.

Capharnaum est beaucoup plus animé qu'à l'ordinaire : il y vient beaucoup d'étrangers à cause de Jésus. Les uns sont ses adversaires, les autres ses partisans : il s'y trouve un certain nombre de paiens qui se joignent à Zorobabel et à Cornélius.

J'ai vu aussi cette nuit à Capharnaum beaucoup de choses relatives à Jaïre, à sa fille et à l'hémorrhoisse, mais j'en ai oublié la plus grande partie. Je me souviens seulement que la fille de Jaire, pour la punition de ses parents et des gens de sa famille, qui même après sa guérison avaient encore accueilli Jésus avec des rires moqueurs, est de nouveau retombée, et que Jésus vient encore une fois à son secours, c'est alors, si je ne me trompe, qu'aura lieu la guérison de l'hémorroïsse. Je ne sais plus bien jusqu'à quel point la jeune fille avait participé au péché des autres, mais lorsqu'elle fut rendue à la vie tous se montrèrent peu touchés, et la mère en particulier se comporta d'une manière très inconvenante. L'hémorroïsse n'est pas encore guérie. Elle est depuis longtemps à Capharnaum et emploie plusieurs médecins : elle est dans un état de maigreur et de dépérissement complet. C'est une paienne, veuve d'un Juif de Panéas ou Césarée, capitale de Philippe. Jusqu'à présent elle n'a pas eu une foi ferme et elle est entre les mains des médecins. Mais elle vient de faire connaissance avec Marie qui visite les malades, et celle-ci l'a consolée et l'a beaucoup affermie dans la foi.

(26 novembre ) Ce matin Jésus alla près du lac qui est environ à un quart de lieue de la maison de Matthieu où il a passé la nuit. Je vis Pierre et André occupés à disposer Leurs filets et se préparant à aller au large. Jésus leur cria : " Venez et suivez-moi : je ferai de vous des pêcheurs d'hommes ". Alors ils laissèrent là leur travail, abordèrent et descendirent à terre. Jésus marcha encore un peu le long du rivage jusqu'à l'endroit où était la barque de Zébédée qui avec ses fils Jacques et Jean, réparait ses filets sur le navire : Jésus leur cria aussi de venir. Alors ils descendirent à terre. Zébédée resta dans la barque avec les serviteurs.

Je vis que Jésus les envoya dans la montagne avec l'ordre de donner le baptême aux païens qui le demanderaient. Il les avait déjà préparés hier matin et avant-hier. Lui-même alla d'un autre côté avec Saturnin et les autres disciples. Ils devaient se retrouver ensemble, le soir, chez Matthieu. Je le vis leur indiquer du doigt le chemin qu'ils devaient prendre. Les autres disciples attendaient en haut près du chemin, pendant qu'il appelait ceux-ci. Quand ils furent tous réunis, il leur ordonna d'aller baptiser dans les endroits qu'il leur avait désignes.

Comme les Evangiles ne devaient pas contenir le récit circonstancié de tout ce que fit Jésus avec ses disciples, mais en donner seulement un court abrégé, cet appel adressé à certains d'entre eux pour qu'ils eussent à laisser là leurs barques et la pêche qu'ils allaient faire pour devenir des pêcheurs d'hommes y est placé au commencement comme résumant toute la vocation de Pierre, d'André, de Jean et de Jacques : après quoi les écrivains sacrés rapportent un certain nombre de paraboles, de miracles et de discours de Jésus, sans s'astreindre à suivre un ordre chronologique.

Je vis Jésus et une partie des disciples, parmi lesquels Saturnin était spécialement chargé de baptiser, se rendre dans les environs de Bethsaïde Juliade, tandis que Pierre avec André comme ministres du baptême, les autres pêcheurs et quelques disciples encore, gravirent la montagne au nord-est et descendirent dans une vallée arrosée par un petit ruisseau. Il y avait là un campement de paiens dont Jésus, les jours précédents, avait déjà préparé une partie au baptême. Je vis ceux-ci aller À la rencontre des disciples auxquels ils demandèrent le baptême, et André les baptisa d'une nouvelle manière, différente de la précédente. On apporta dans un bassin de l'eau puisée au ruisseau : les néophytes se rangèrent en cercle et s'agenouillèrent, mettant les mains en croix sur la poitrine. Il y avait parmi eux des enfants de trois à six ans, je n'en avais jamais vu d'aussi petits en pareille circonstance. Pierre tenait le bassin : André prenait de l'eau dans sa main, en aspergeait trois fois la tête de trois néophytes et prononçait les paroles sacramentelles : les autres disciples circulaient autour d'eux et leur imposaient les mains. Ceux qui venaient d'être baptises étaient aussitôt remplacés par d'autres. Il y eut des pauses par intervalles, et les disciples racontèrent les paraboles qui étaient à leur portée, parlèrent de Jésus, de ses enseignements, de ses miracles, et expliquèrent aux Juifs ce qu'ils ne connaissaient pas encore des lois et des promesses divines. Pierre se distinguait surtout par le zèle et la chaleur avec laquelle il racontait : Jean parlait aussi très bien ainsi que Jacques. Jésus, de son côté, enseignait dans une autre vallée, et Saturnin baptisait près de lui.

Je ne me souviens plus de ce qui suivit ce jour-là ; je me rappelle seulement qu'ils se réunirent le soir près de la maison de Matthieu, et qu'il y avait là une foule très nombreuse qui se pressait autour de Jésus, ce qui fit qu'il monta dans la barque de Pierre avec les douze futurs apôtres et Saturnin, et qu'il leur ordonna de se diriger vers Tibériade : il fallait pour cela traverser le lac dans toute sa largeur. Il me sembla que Jésus voulait seulement se dérober à l'empressement de la foule et prendre quelque repos, car il était très fatigué. Il se coucha sur le pont dans une des cahutes placées autour du mât et où se tiennent habituellement ceux qui sont en vedette : il s'endormit aussitôt, tant sa fatigue était grande. Les rameurs étaient au-dessus de lui. Le temps était très calme et très beau lorsqu'ils quittèrent le rivage. Ils étaient à peu près au milieu du lac lorsqu'il s'éleva une violente tempête. Je trouvais étrange que le ciel étant tout assombri on pût pourtant voir les étoiles. Le vent était terrible et les vagues venaient jusque dans le navire : la voile avait été amenée. Je vis par moments une lueur voltiger sur les flots agités : je crois qu'il y avait aussi des éclairs. Comme le danger allait toujours croissant, les disciples furent saisis d'une grande inquiétude : ils éveillèrent Jésus et lui dirent : " Maître, n'avez-vous point souci de nous ? nous périssons ". Jésus se leva, regarda autour de lui et dit d'un ton calme et grave, comme s'il eût parle à l'orage : " Tais-toi, fais silence ". Alors la mer s'apaisa subitement : tous furent effrayés et se dirent à voix basse les uns aux autres : " Quel est celui-ci qui peut commander aux flots " ? Cependant il leur reprocha leur peu de foi parce qu'ils avaient craint, et leur ordonna de revenir à Chorozaïn : on donne ce nom à l'endroit où est le bureau de douanes de Matthieu, à cause de la ville de Chorozaïn, de même que de l'autre côté la contrée de Capharnaum jusqu'à Giscala, s'appelle Génésareth. La barque de Zébédée revint avec eux : une autre conduisant des passagers alla à Capharnaum. Il était venu des messagers pour prier Jésus de venir en toute hâle parce que Marie de Cléophas était très malade.

(27 novembre.) Les deux barques étant revenues avant le jour à leur point de départ, restèrent immobiles près du rivage : Jésus et tous ses compagnons étaient endormis. Pendant l'orage, il y avait en tout quinze hommes sur la barque avec Jésus. Il ne faut pas s'étonner que les rameurs se tinssent au-dessus de l'endroit où Jésus reposait et que pourtant celui-ci pût voir au delà du navire. Comme les rames appuyées sur le bordage élevé de la barque plongeaient profondément dans l'eau, elles avaient de longs manches et les rameurs étaient placés très haut : c'est pourquoi des degrés étaient disposés autour du mât. Je vis plus tard Jésus avec les disciples gagner par les hauteurs le midi de la vallée de Chorozaïn où s'était rassemblée une grande foule de peuple qui allait toujours grossissant. Cet endroit était à peu près à une lieue au sud-ouest de Chorozaïn et un peu plus éloigné de Gergesa qui était au midi dans une situation moins élevée. J'ai vu pendant ces jours-là que le marais couvert de roseaux, situé à l'est de Gergesa, et dominé au nord par la montagne de Gamala, se déchargeait au sud-ouest dans un profond ravin qui aboutissait au lac. C'est dans cet étang que les pourceaux dans lesquels Jésus permit aux démons d'entrer se précipitèrent du haut de la montagne : nais cela n'a pas encore eu lieu.

Dans l'endroit où Jésus enseigna aujourd'hui, il y avait une chaire en pierre. Cette prédication avait été annoncée déjà deux jours auparavant. Les troupes d'auditeurs se succédaient les uns aux autres et il y eut certainement aujourd'hui deux mille personnes à l'entendre. Il guérit une grande quantité de malades, aveugles, paralytiques, muets et lépreux. Lorsqu'il commença son instruction, plusieurs possédés qu'on avait amenés devinrent furieux et firent grand bruit : mais il leur commanda de se taire et de se coucher par terre : alors ils se mirent à plat ventre comme des chiens craintifs et ne bougèrent plus jusqu'à la fin de l'instruction après laquelle il alla à eux et les délivra.

Parmi les nombreux malades qu'il guérit, je me souviens d'un homme qui avait le bras tout desséché et la main tordue et déformée. Jésus lui passa la main sur le bras, lui prit la main, lui redressa les doigts en les pliant et les pressant doucement. Tout cela se fit en aussi peu de temps qu'il en faut pour montrer comment il s'y prit : aussitôt la main de cet homme se redressa, revint à son état normal, et il put la remuer quoiqu'elle fût encore amaigrie et faible : mais elle reprit de la force promptement.

Il y avait parmi ces gens plusieurs femmes avec des enfants de tout âge. Jésus se fit amener successivement tous les enfants, les bénit en passant au milieu d'eux et parla d'eux de manière à ce que les assistants l'entendissent. Je vis que tout en parlant il tournait et retournait un enfant dans tous les sens, pour faire voir que les hommes devaient se laisser ainsi conduire par Dieu sans résistance, et rester calmes et patients sous sa main. Il s'occupait beaucoup des enfants. La plupart des assistants étaient des païens : il y avait aussi des Juifs de la Syrie et de la Décapole que la renommée de Jésus avait attirés et qui étaient venus en caravanes avec leurs serviteurs, leurs enfants et leurs malades, pour se faire instruire, guérir et baptiser. Jésus était venu ici à leur rencontre afin que l'affluence ne fût pas trop grande à Capharnaum. Je vis parmi eux des gens de Panéas, parents de l'hémorrhoisse qui résidait à Capharnaum et dont il est parlé dans L'Evangile. C'étaient l'oncle de son époux défunt, dans la maison duquel elle s'était mariée, sa fille déjà grande et encore une autre femme : ils s'adressèrent aux disciples pour être conduits par eux, le soir, à Capharnaum, et ils firent annoncer leur arrivée a leur parente malade. Ils assistèrent à la prédication de Jésus et l'oncle fut baptisé avec beaucoup d'autres.

On baptisa toute la journée de la même manière qu'hier en rangeant en cercle les néophytes agenouillés. Je vis encore baptiser beaucoup de petits garçons : ils se tenaient rangés en cercle, vêtus de leurs petites robes et leurs petites mains croisées sur la poitrine. On apporta l'eau de la vallée de Chorozaïn dans des outres. A cette prédication il y avait encore beaucoup de Pharisiens des environs qui espionnaient, et aussi de faux disciples de Jean. Le soir, Jésus se rendit à la maison de Matthieu avec les disciples. Il raconta encore une parabole touchant le trésor caché dans un champ étranger : celui qui le trouve l'y laisse et achète le champ au prix de tout ce qu'il possède. Il faisait allusion par là au grand désir du salut qu'avaient les païens et indiquait qu'ils attireraient à eux le royaume de Dieu. Jésus, à cause de la foule qui le pressait, s'assit encore dans une barque d'où il enseigna. Il ne s'éloigna pas beaucoup du rivage, mais il revint bientôt et passa la nuit en prière. Ils avaient pris quelque nourriture chez Matthieu. Les disciples conduisirent de l'autre côté du lac les parents de l'hémorroïsse. Ils passèrent aussi des disciples de Jean, lesquels se plaignaient de ce que Jésus ne venait pas en aide à leur maître et de ce que ses disciples ne jeûnaient pas.

(28 novembre.) Les disciples sont revenus ce matin de leur traversée : ils ont apporté à Jésus la nouvelle que Marie de Cléophas était très malade dans la maison de Pierre, que sa mère le priait de venir bientôt et qu'un très grand nombre de malades, dont plusieurs venus de Nazareth, l'attendaient. Jésus enseigna encore et guérit beaucoup de gens sur le bord du lac. Il était venu encore plusieurs possédés qu'il délivra. L'affluence est de plus en plus considérable et l'on ne peut dire quelle persévérance infatigable il apporte dans ses travaux charitables.

Après midi, il s'embarqua pour Bethsaïde avec tous les apôtres. Matthieu a confié son comptoir à un des mariniers déjà, depuis qu'il avait reçu le baptême de Jean, il exerçait sa profession avec la plus grande probité. Tous les autres Publicains exerçaient aussi leur emploi avec beaucoup de droiture et de charité : ils ont donné beaucoup aux pauvres, spécialement ces jours-ci. Judas, quant à présent, est encore très bon ; il est singulièrement entendu et serviable : c'est lui particulièrement qui règle les distributions et fait les comptes. Beaucoup de païens se sont embarques encore aujourd'hui. Ceux qui ne vont pas plus loin que Capharnaum laissent ici leurs chameaux : ceux de ces animaux qu'on emmène sont placés, ainsi que les ânes, sur des caisses que les navires traînent après eux, ou remontent le long du lac pour aller passer le pont du Jourdain. Jésus arriva vers quatre heures à Bethsaïde où Marie l'attendait, ainsi que Maroni et son fils qui sont ici depuis deux jours. Il prit un peu de nourriture. Les fils de Marie de Cléophas se rendirent auprès de leur mère malade. Jésus enseigna et guérit encore jusque dans la nuit beaucoup de gens rassemblés devant la maison d'André.

(29 novembre.) L'affluence des étrangers et des Juifs à Capharnaum est au delà de tout ce qu'on peut dire. De grandes troupes sont campées dans les environs, et mon guide me disait aujourd'hui qu'il y avait alors dans le pays jusqu'à douze mille étrangers venus à cause de Jésus. Dans toutes les vallées, dans tous 'es recoins du pays circonvoisin, on voit paître des chameaux et des ânes : mais le plus souvent ils sont attaches et on place le fourrage devant eux. Ils broutent beaucoup de bourgeons sur les haies et y font beaucoup de dégâts. Des camps sont établis de tous les côtés. Capharnaum s'est enrichie et agrandie depuis que Jésus y réside : beaucoup de familles viennent s'établir et les nombreux étrangers apportent de l'argent dans la ville. On bâtit aussi beaucoup et les maisons de Zorobabel et de Cornélius seront bientôt jointes à la ville sans interruption.
La maison de Pierre, qui est devant la ville et tout contre, est grande et longue : il y a sur l'un des côtés une cour spacieuse entourée de petits bâtiments, de salles et de hangars : le ruisseau de Capharnaum passe devant ; de l'autre côté de la maison il est arrêté par un barrage et forme un joli réservoir où l'on conserve du poisson. Il y a aussi des pelouses de gazon où l'on fait blanchir des toiles, et j'y vois des filets étendus. Une partie des maisonnettes qui sont à l'entour est louée : il y habite aussi des domestiques : car Pierre a des champs et du bétail et il est à la tête d'une grande exploitation. Aussi lui est-il plus difficile qu'à un autre de renoncer à tout ce qu'il possède, surtout avec le vif sentiment qu'il a de son indignité. J'ai vu que deux fois déjà, depuis le commencement de sa prédication, Jésus a appelé les pêcheurs à lui, mais qu'ils sont toujours retournés à leur travail. Cela, du reste, ne s'est pas fait contrairement à sa volonté, d'autant plus qu'ils ont rendu beaucoup de services pendant son séjour à Capharnaum en transportant les passagers sur leurs barques et en établissant des rapports très utiles avec les caravanes païennes : d'ailleurs tant qu'ils n'enseignaient pas eux-mêmes, il n'était pas nécessaire qu'ils s'attachassent complètement à lui. André qui, depuis longtemps, s'était mis à la suite de Jean Baptiste, avait presque entièrement laissé là ses affaires et Jésus l'employa plutôt que Pierre à administrer le baptême. Jacques et Jean jusqu'à présent étaient toujours revenus à Leurs filets, car c'étaient des fils très obéissants : le vieux Zébédée et leur mère, Marie Salomé, étaient assez préoccupés de leur avenir : ils pensaient que leurs fils auraient quelque charge à exercer auprès de Jésus, et ils espéraient jusqu'à un certain point qu'il fonderait un royaume temporel. Je crois pourtant à présent que Pierre, André, Jacques et Jean resteront plus constamment près de Jésus ; voilà pourquoi, si je ne me trompe, le dernier appel que Jésus, après avoir complété le nombre des apôtres par l'adjonction de Matthieu, a adressé à ces quatre pêcheurs pour qu'ils eussent à laisser là leurs barques et leur travail, et pour qu'ils allassent immédiatement baptiser, se trouve consigné dans l'Evangile comme le signe de la vocation en vertu de laquelle ils devenaient ses compagnons. Lorsqu'après la dernière Pâque, Jésus, avant de se réfugier du côté de Sidon et de Tyr, les avait réunis auprès de lui et chargés d'administrer le baptême, ils avaient enseigné en divers lieux : ils avaient même opéré des guérisons, mais sans y réussir toujours, parce que leur foi était trop faible. C'est alors qu'ils furent arrêtés et conduits devant les Pharisiens à Gennabris. Jésus, à cette époque, leur avait déjà enseigné à bénir l'eau pour le baptême, et il leur avait conféré les pouvoirs nécessaires, non par l'imposition des mains, mais par une simple bénédiction. C'est ainsi que récemment ils ont béni l'eau baptismale à Bethsaïde-Juliade, à Chorozaïn et à Capharnaum.

Il y a déjà, depuis deux jours, une grande quantité de malades à Capharnaum, et il en est venu d'endroits très reculés, car la résurrection du jeune homme de Naïm et les autres guérisons éclatantes opérées en grand nombre ont mis tout le monde en mouvement : on en a même amené beaucoup de Nazareth, qu'on avait longtemps jugés incurables, parmi lesquels des moribonds qu'on espère que Jésus sauvera. Dans la maison que Pierre possède prés de la ville, le vestibule, les dépendances et les hangars en sont remplis : sa femme et ses gens ont été obligés, pendant son absence, de faire de grandes installations pour leur donner place à tous. On a dressé des tentes et des cabanes de feuillage et l'on a fait provision d'aliments. La veuve de Naïm, qui est parente de Pierre, habite ici, ainsi que Marie de Cléophas qui a une alliance avec lui par son troisième mari. Celle-ci réside ordinairement à Cana C'est là que Maroni, la veuve de Naïm, venant ici avec son fils, l'a prise ainsi que le petit Siméon, enfant de huit ans, né de son troisième mariage. Elle est arrivée ayant déjà la fièvre, et sa maladie devient de plus en plus grave. Cependant Jésus n'est pas encore venu la voir. Aujourd'hui il enseigna et opéra des guérisons parmi les païens dans les environs. Il y a ici des gens venus de la Grèce et notamment de Patras, ville natale de Saturnin.

Aujourd'hui dans l'après-midi, avant le sabbat, plusieurs disciples de Jean envoyés par lui sont venus de Machérunte à Capharnaum ; ils étaient au nombre de ses disciples les plus anciens et les plus intimes je crois que les frères de Marie de Cléophas, Jacob, Sadoch et Eliacin, se trouvaient parmi eux. Ils firent venir les magistrats et le comité des Pharisiens dans le parvis de la synagogue, et leur présentèrent un rouleau de parchemin long et étroit, ayant la forme d'un cornet : c'était une lettre que Jean leur adressait et où il rendait témoignage à Jésus en termes très clairs et très énergiques. Pendant qu'ils la lisaient et qu'ils en conféraient entre eux, non sans un certain trouble, le peuple se rassembla en foule, et les messagers lui répétèrent à haute voix ce que Jean avait dit dans un grand discours prononcé à Machérunte en présence de ses disciples, d'Hérode et d'un nombreux auditoire. J'ai vu Jean faire ce discours.

Lorsque les disciples que Jean avait envoyés à Mageddo près de Jésus, furent revenus avec la réponse de celui-ci, et lui eurent communiqué en outre beaucoup de renseignements sur ses miracles, son enseignement et la persécution qu'il avait à souffrir de la part des Pharisiens, lui répétant en outre les divers propos qui couraient sur Jésus et les plaintes que faisaient beaucoup de gens de ce qu'il ne le délivrait pas ; Jean se sentit poussé à rendre encore hautement témoignage à Jésus, qu'il n'avait pu déterminer par ses interrogations à se rendre témoignage à lui-même. Il fit donc prier Hérode de lui permettre d'adresser un discours à ses disciples et à quiconque voudrait l'entendre ; car, disait-il, il se tairait bientôt pour jamais. Je vis qu'Hérode l'y autorisa volontiers. On permit donc à tous ses disciples et à une foule nombreuse d'entrer dans une cour du château, et Hérode avec sa méchante femme s'assit sur une extrade environnée de soldats. Alors Jean sortit de sa prison et les enseigna. Hérode s'y était prêté de bon coeur : il voulait, pour se concilier le peuple, donner à croire que la captivité de Jean était très peu rigoureuse. J'entendis le précurseur parler de Jésus avec un grand enthousiasme, dire de lui-même qu'il n'avait été envoyé que pour préparer la voie à Jésus, qu'il n'avait jamais annoncé que lui, mais que ce peuple obstiné ne voulait pas le reconnaître. Avaient-ils donc oublié ses enseignements à ce sujet ? il voulait les leur répéter encore une fois en termes bien clairs, car sa fin était proche ! Lorsqu'il dit cela, tous les assistants furent très émus, et plusieurs de ses disciples versèrent des larmes. Hérode fut inquiet et embarrassé, car il n'avait nullement l'intention de le faire mourir ; quant à sa maîtresse, elle fit la meilleure contenance qu'elle put, et Jean continua à parler avec beaucoup de chaleur : il rappela le miracle qui avait eu lieu lors du baptême de Jésus, et affirma qu'il était le fils bien-aimé de Dieu que les prophètes avaient annoncé ; que tout ce qu'il enseignait était l'enseignement de son Père ; que ce qu'il faisait, le Père le faisait ; que personne n'allait au Père que par lui, etc. Il parla longtemps sur ce ton, et réfuta tous les reproches adressés à Jésus par les Pharisiens, et spécialement ceux qui avaient trait à l'observation du sabbat. Il dit que tout le monde devait sanctifier le sabbat, mais que les Pharisiens le profanaient, parce qu'ils ne suivaient pas les enseignements de Jésus, fils de celui qui avait institué le sabbat. Il dit encore beaucoup de choses de ce genre et annonça Jésus comme celui hors duquel il n'y avait pas de salut à espérer ; car quiconque ne croirait point en lui et ne suivrait pas ses enseignements serait condamné. Il exhorta aussi tous ses disciples à se tourner vers Jésus et à ne pas rester près de lui sur le seuil comme frappés d'aveuglement, mais à entrer dans le temple même.

Après avoir fini son discours, il envoya plusieurs d'entre eux avec une lettre adressée à la synagogue de Capharnaum, lettre dans laquelle il déclarait de nouveau que Jésus était le Fils de Dieu, l'accomplissement de la promesse, et que tout ce qu'il faisait et enseignait était juste et saint Il réfutait ensuite toutes leurs objections, les menaçait du jugement de Dieu et les exhortait à ne pas repousser le salut loin d'eux Il ordonna aussi à ses disciples de lire au peuple une autre lettre conçue dans les mêmes termes, et de lui répéter tout ce qu'ils avaient entendu à Machérunte Je ils maintenant les disciples de Jean faire tout cela a Capharnaum. Une foule très considérable se rassembla autour d'eux, car les rues de la ville regorgeaient de gens venus pour ce sabbat. Il y avait ici des Juifs de tous les pays : ils entendirent avec beaucoup de plaisir les paroles de Jean touchant Jésus : beaucoup furent transportés de joie, et leur foi prit de nouvelles forces.

Les Pharisiens furent obligés de céder au nombre : ils ne trouvaient rien à opposer, mais ils se regardaient, haussaient les épaules et secouaient la tête tout en affectant des dispositions bienveillantes ; cependant ils prirent un ton d'autorité et dirent aux disciples de Jean qu'ils ne feraient point d'opposition à Jésus s'il ne transgressait pas les lois et s'il ne troublait pas la tranquillité publique Sans doute il se présentait avec de merveilleux avantages, mais ils devaient veiller au bon ordre et à ce que rien ne dépassât la mesure. Jean était un homme de bien ; il pouvait, dans sa prison, ignorer bien des choses ; il n'avait pas eu beaucoup de rapports avec Jésus, etc. Là-dessus le sabbat s'ouvrit et tout le monde se porta à la synagogue. Jésus vint aussi avec ses disciples, et tout le monde l'écouta aujourd'hui avec beaucoup d'admiration. Il enseigna sur l'histoire de Joseph vendu par ses frères (Genèse, XXXVII, 1-41) et sur des textes d'Amos (II, 6. --III, 9) renfermant des menaces contre les péchés d'Israël.

Je me souviens encore qu'au commencement de l'instruction il fut question de l'oppression des pauvres, de l'inceste et de l'impudicité. On ne le troubla pas, et les Pharisiens l'écoutèrent avec une envie secrète et un étonnement mal dissimulé. Le témoignage de Jean, proclamé devant tout le peuple, les avait un peu intimidés.

Mais tout à coup des hurlements effroyables se firent entendre dans la synagogue On y avait introduit un possédé furieux qui était de Capharnaum : il fut tout à coup pris d'un violent accès et voulut déchirer avec ses dents les personnes qui étaient autour de lui. Alors Jésus se tourna de son côté et dit : " Tais-toi ! Emmenez-le dehors ". Aussitôt cet homme redevint parfaitement tranquille. On l'emmena : il s'assit par terre devant la synagogue et parut tout intimidé Lorsque Jésus eut fini l'instruction du sabbat et sortit, il alla trouver cet homme devant la porte et le délivra du démon qui le possédait. Il se rendit ensuite avec les disciples à la maison de Pierre qui est près du lac parce qu'il y régnait plus de tranquillité. Ils prirent la quelque nourriture et il enseigna. La nuit, il se retirait d'ordinaire pour prier à l'écart.

Je n'ai jamais vu de fous proprement dits parmi ceux dont Jésus opéra la guérison : tous étaient guéris comme démoniaques et possédés.

Les Pharisiens se réunirent encore, ils feuilletèrent toute espèce d'anciens écrits touchant les prophètes leur manière de vivre, leur doctrine et leurs actions spécialement touchant Malachie, sur lequel il subsistait encore quelques traditions : ils cherchèrent des comparaisons avec l'enseignement de Jésus ; ils furent forces de reconnaître sa supériorité et d'admirer ses dons, puis à la fin pourtant ils firent des critiques sur sa doctrine.

(30 novembre.) Ce matin Jésus enseigna à la synagogue devant un nombreux auditoire. Cependant Marie de Cléophas était si gravement malade, que la sainte Vierge envoya prier Jésus de venir à son secours. Il vint vers midi à la maison de Pierre, qui est tout prés de la ville : la mère de Jésus et la veuve de Naim s'y trouvaient, ainsi que les fils de la malade (disciples de Jésus) et ses frères (disciples de Jean)

Personne n'était plus affligé de son état que Siméon son fils, âgé de huit ans, né de son troisième mariage avec Jonas, frère cadet du beau-père de Pierre, lequel avait été employé par celui-ci sur son navire et était mort depuis environ six mois. Jésus s'approcha du lit de la malade, pria et lui imposa les mains : elle était extrêmement affaiblie par la fièvre. Il la prit par la main et lui dit de cesser d'être malade. Il ordonna e lui donner à boire, et on lui apporta un breuvage : il voulut aussi qu'elle mangeât quelque chose. Il donnait cet ordre à presque tous les malades qu'il guérissait, et j'appris que cela faisait allusion au Saint Sacrement : le plus souvent il bénissait ce qu'on leur donnait. La joie de ses fils, et spécialement du petit Siméon, fut au delà de toute expression lorsque leur mère se retrouva en santé, se leva et se mit à soigner les autres malades de son sexe. Jésus se retira aussitôt et commença à guérir les nombreux malades qui étaient aux alentours de la maison : c'étaient, pour la plupart, des gens abandonnés depuis longtemps des médecins et regardés comme incurables ou même déjà moribonds On les avait amenés de loin ; il y en aval de Nazareth que Jésus avait connus dans sa jeunesse. Je vis des gens affaissés sur eux-mêmes, comme s'ils eussent été morts, que d'autres apportaient sur leurs épaules en sa présence. Je ne l'ai jamais vu guérir tant de gens dans un état si désespéré.

Les disciples de Jean, qui étaient arrivés la veille, vinrent le trouver ici, et s'accusèrent d'avoir été mécontents de lui, parce qu'il n'avait pas pris à coeur la captivité de leur maître : ils dirent quels jeûnes rigoureux ils s'étaient imposés à la seule fin d'obtenir de Dieu qu'il le portât à délivrer Jean. Ils me touchèrent beaucoup par leur grand attachement pour leur maître Jésus les consola : je ne me souviens plus de ses paroles, mais il vanta encore Jean comme un homme de la plus haute sainteté. J'entendis ensuite ces disciples demander à ceux de Jésus pourquoi il ne baptisait pas lui-même quand leur maître s'était tant fatigué a administrer le baptême. Ils répondirent à peu près que Jean avait baptisé parce qu'il était le Baptiseur, et que Jésus guérissait parce qu'il était le Sauveur. Jean, en effet, n'avait pas opéré de guérisons. Il vint aussi a Jésus des Scribes de Nazareth, qui lui firent beaucoup de politesses et l'engagèrent à visiter de nouveau Nazareth, sa patrie : ils semblaient vouloir s'excuser de ce qui s'y était passé. Jésus leur répondit que nul prophète n'était en honneur dans son pays et il leur dit d'autres choses qui se rapportaient à cette maxime. Il alla ensuite à la synagogue : il y fit un discours ou '1 enseigna jusqu'à la clôture du sabbat . Il s'y trouvait un aveugle qu'il guérit en sortant.

Il revint encore chez Pierre pour le repas : Marie de Cléophas était si bien remise qu'elle put servir à table avec les autres C'est la femme de Pierre qui tient le ménage dans cette maison située à la porte de la ville dans l'autre maison près du lac, c'est sa belle-mère et sa belle-fille. Après cela, Jésus se retira à l'écart pour prier : il permit, sur leur demande, aux disciples qui étaient pêcheurs de profession, d'aller à leurs barques et de pêcher pendant la nuit : car on avait grand besoin de poisson pour nourrir l'immense quantité d'étrangers qui étaient venus : en outre, il y avait toujours là bien des gens qui voulaient passer le lac

(Dimanche 1er décembre.) Les disciples dont il vient d'être parlé passèrent toute la matinée à pêcher, et ce matin ils conduisirent en outre quelques personnes de l'autre cote du lac : Jésus, avec les disciples restés prés de lui, s'occupa de distribuer des aumônes à ceux des malades guéris qui étaient pauvres, et à d'autres voyageurs nécessiteux. Il enseignait en même temps, et remettait lui-même à chacun ce dont il avait besoin, avec des consolations et des avis. On distribua des vêtements, des étoffes, des couvertures, du pain et même de l'argent. Les saintes femmes donnèrent de leurs provisions, et le reste fut fourni par des personnes riches et bienfaisantes. Les disciples portaient les vêtements et les pains dans des corbeilles, et en faisaient la répartition suivant les ordres de Jésus.

Dans l'après-midi, il enseigna près de l'endroit ou Pierre amarrait ses barques, au milieu d'une foule extraordinairement nombreuse. Les embarcations de Pierre et de Zébédée se tenaient à peu de distance de la terre, et les disciples pêcheurs étaient sur le rivage assez loin de la foule, occupés à nettoyer leurs filets. Le petit navire de Jésus était dans le voisinage des grandes embarcations ; mais lorsque la presse devint trop grande, car il y a peu de place sur le rivage, a cause des rochers escarpés qui s'élèvent à peu de distance, Jésus fit un signe aux pêcheurs, et ils amenèrent sa barque près du bord Pendant ce temps, un Scribe de Nazareth, qui était venu avec les malades guéris hier par Jésus, s'approcha de lui et lui dit : " Maître, je vous suivrai partout où vous irez ! " Jésus lui répondit : " Les renards ont leurs tanières et les oiseaux du ciel leurs nids : mais le fils de l'homme n'a pas ou reposer sa tête ". 

Alors la barque s'approcha : il y monta avec quelques disciples qui l'éloignèrent un peu de terre et le conduisirent tantôt à un endroit, tantôt à un autre : Jésus enseigna les auditeurs qui étaient sur le rivage, et il leur raconta plusieurs paraboles touchant le royaume de Dieu, entre autres celle où le royaume des cieux est comparé à un filet jeté dans la mer, et celle de l'ivraie semée au milieu du froment.

Comme le soir était proche, Jésus dit à Pierre de gagner le large et de jeter ses filets pour la pêche. Pierre répondit d'un ton un peu découragé : " Nous avons travaillé toute la nuit et nous n'avons rien pris cependant je jetterai les filets sur votre parole ". Ils prirent alors leurs filets sur leurs barques et allèrent au large. Jésus congédia le peuple, et sa barque, sur laquelle étaient Saturnin, le fils de Véronique, qui était arrivé la veille, et quelques autres disciples, suivit la barque de Pierre. Il leur expliqua encore les paraboles, et lorsqu'ils furent au large, il leur dit ou ils devaient jeter leurs flets. Puis il s'éloigna dans sa barque, et alla prendre terre à l'endroit du rivage le plus voisin de la maison de Matthieu.

Pendant ce temps la nuit était venue. Des flambeaux étaient allumés au bord des navires, vis-à-vis des filets. Les pêcheurs jetèrent les filets dans un endroit profond, et ils se dirigèrent vers Chorozaïn : mais ils ne purent pas les retirer. Lorsqu'enfin ? à force de rames, ils les eurent fait arriver sur un bas-fond, ils se trouvèrent tellement chargés, qu'ils rompaient par endroits. Ils entrèrent alors avec de petits canots dans l'enceinte des filets, prirent les poissons à la main, les mirent dans des filets plus petits et dans des caisses qui surnageaient attachées près des navires, puis ils hélèrent la barque de Zébédée qui les aida dans leur travail.
Ils étaient tout stupéfaits de cette pêche : car jamais ils n'en avaient vu de semblable. Pierre était confondu . Il sentait que jusqu'alors ils n'avaient pas eu pour Jésus tout le respect qui lui était dû : il comprenait combien il était inutile de tant s'inquiéter de sa pêche, car ils n'avaient rien pu faire en réunissant tous leurs efforts, et en obéissant à sa parole ils avaient pris d'un seul coup de filet plus qu'ils ne faisaient d'ordinaire en plusieurs mois. Quand le filet fut allégé, ils le ramenèrent à terre, et furent encore stupéfaits de la multitude de poissons qu'il contenait. Jésus était debout sur le rivage, et Pierre, tout confus, se jeta à ses pieds et lui dit : " Seigneur, retirez-vous de moi, parce que je suis un pécheur ". Mais Jésus répondit : " Ne crains rien, Pierre ! à l'avenir, tu seras un pêcheur d'hommes ". Pierre était profondément humilié en songeant à son indignité et à ses vaines préoccupations des choses terrestres. Il était trois ou quatre heures du matin, et le jour commençait à poindre.

(2 décembre.) Lorsque les disciples eurent mis les poissons en lieu sûr, ils prirent un peu de sommeil sur leurs barques : quant à Jésus, il partit seul avec Saturnin et le fils de Véronique, et gravit à l'est le haut plateau à l'autre bout duquel s'élève Gamala. Il se trouvait à une lieue à l'est de la chaire du haut de laquelle il avait enseigné récemment. Il y a là des collines et des bosquets de bois. Il donna à Saturnin et au fils de Véronique des instructions sur la prière, et leur indiqua d'autres points à méditer, puis il s'éloigna et s'enfonça dans la solitude. Pour eux, ils s'entretinrent ensemble, s'assirent, se reposèrent, marchèrent et prièrent.

Les disciples employèrent la journée à transporter leur poisson. Une grande partie fut, sur le lieu même, distribuée aux pauvres, et ils racontèrent à tout le monde ce qui s'était passé. Ils en vendirent beaucoup aux païens de ce côté du lac, et en portèrent beaucoup à Capharnaum et à Bethsaïde. Tous étaient maintenant persuadés que leur sollicitude au sujet de leur subsistance était insensée ; car, de même que la mer en fureur obéissait à Jésus, de même aussi les poissons lui obéissaient et venaient se faire prendre à son commandement.

Vers le soir, ils revinrent aux atterrages de la rive orientale, et Jésus, accompagné des deux disciples, se fit conduire par eux vers Capharnaüm. Il se rendit à la maison de Pierre, devant la ville, et y guérit jusque assez avant dans la nuit, à la lueur des torches plusieurs malades des deux sexes. C'étaient des gens abandonnés de tous comme impurs, et qui n'osaient pas se faire amener en public avec les autres. Il les guérit pendant la nuit et sans témoins dans la cour de Pierre. Il s'en trouvait parmi eux qui étaient séquestrés depuis des années et tombés dans le marasme.
Jésus passa le reste de la nuit en prières.

Je vis encore aujourd'hui pourquoi la fille de Jaire devait retomber malade. Jaire est un homme tiède, indolent, qui, sans être mauvais, est tout à fait dépourvu de zèle : il est âgé de trente-six ans, sa femme d'environ vingt-cinq ; elle n'est pas pieuse, mais vaine et sensuelle. La fille est une enfant délicate, débile, élevée dans des habitudes molles et recherchées : elle est très faible pour son âge, car, quoiqu'elle ait bien onze ans, on la prendrait pour une enfant de huit ans, surtout comparée aux autres jeunes Juives. Ils ont pris très légèrement la guérison de leur fille et ne se sont pas corrigés : leur péché principal est de manquer de retenue en présence de cette enfant dans leurs paroles et leurs actions, et d'avoir éveillé chez cette créature maladive des convoitises qui seront pour elle la cause d'une rechute. Les parents de l'hémorroïsse sont encore ici ; mais, comme elle vit conformément aux lois juives, ils n'ont pas de rapports avec elle. C'est aussi pour cause d'impureté légale qu'elle a quitté Panéas pour venir ici. Sa foi fait chaque jour de nouveaux progrès.