CHAPITRE DIXIÈME.

 



Jésus dans la Haute Galilée et sur les confins de Tyr..

- Jésus à Cana - à Cydessa - à Elcèse - à Cadès - Nephthali - à Dan.
- La Syro-phénicienne et sa fille.
- Jésus à Ornithopolis - à Sarepta - à Gessur - près du lac Phiala.

(Du 9 février au 4 mars.)

(9 février.) Aujourd'hui Jésus alla à Cana avec les apôtres et les disciples qui lui étaient restés fidèles. Le fiancé de Cana, Nathanaël, est à Capharnaum et lui a demandé à venir le rejoindre. Cana est à environ sept lieues de Capharnaum. Tous les habitants de Capharnaum, même les ennemis de Jésus, reconnaissent que Marie est une femme excellente et irréprochable.

(Lundi 10 février.) Aujourd'hui je vis Jésus passer près de Giscala avec les apôtres et les disciples. Il les enseigna, dit aux douze quelles étaient leurs dispositions et l'état de leur âme et les rangea en trois groupes. Dans le premier se trouvaient Pierre avec André, Jean, Jacques et Matthieu ; dans le second Thaddée, Barthélémy, Jacques et Jude Barsabas ; dans le troisième. Simon, Thomas, Philippe et Judas Iscariote.

Jésus dit encore à cette occasion : " il y a un de mon parmi vous ". Il leur dit tout ce qu'ils pensaient et tout ce qu'ils espéraient, ce qui les émut et les frappa vivement. Ce fut dans une grande instruction sur leurs épreuves et leurs souffrances futures qu'il les caractérisa ainsi. Il ne subordonna pas ces différents groupes les uns aux autres, mais les plaça seulement ensemble d'après leurs relations antérieures. Jude Barsabas se tenait assez près des' groupes et en avant des autres disciples ; c'est pourquoi il l'agrégea à l'un des groupes et dit aussi quelque chose de lui.

(11 février.) Jésus alla avec les apôtres et les disciples à Cydessa, ville située à quelques lieues au nord de Béthulie et à l'ouest de Gabara, sur le côté septentrional de la vallée où se trouvent les bains de Béthulie, et sur une hauteur qui se dirige de l'ouest à l'est vers la vallée de Magdalum. Il s'y trouve beaucoup de païens d'origine tyrienne et aussi des Juifs. Des Pharisiens appartenant à la commission envoyée de Jérusalem étaient venus ici de Capharnaum pour espionner Jésus.

(12 février.) Jésus a enseigné et guéri dans cette ville, mais il ne s'y trouvait plus que peu de malades. Aujourd'hui, après une longue instruction, les Scribes et les Pharisiens ont demandé à Jésus un signe dans le ciel comme confirmation de sa mission, et il leur a répondu devant tout le peuple qui accourait en foule pour voir ce qui allait arriver : " Cette génération perverse et adultère demande un signe, mais il ne lui sera donne d'autre signe que celui du prophète Jonas !) (Matth, XII, 38-41.)

(13 février.) Hier, Jésus est allé quelques lieues plus loin vers le nord, à Nephthali, où il n'était pas encore allé, mais seulement ses disciples. Cet endroit est à quelques lieues à l'ouest de Capharnaum et au midi de Saphet. Il y enseigna aujourd'hui dans la synagogue. Je fus très frappée de l'entendre dire aux disciples et aux apôtres, sur le chemin et dans l'hôtellerie, que désormais pour guérir et chasser les démons, ils ne devaient employer d'autres procédés que ceux dont lui-même se servirait en pareil cas. Il leur donna une force spirituelle pour opérer toujours comme lui-même opérerait, par l'imposition les mains et l'onction. Quoique cela se fit sans imposition des mains, il n'y en eut pas moins transmission effective de force. Ils se tenaient rangés autour de Jésus, et je vis aller à eux des rayons de couleurs différentes, suivant la qualité du don et les dispositions propres de chacun. Ils s'écrièrent : " Seigneur, nous sentons une force en nous : vos paroles sont vérité et vie ", et dès lors chacun sut comment il devait s'y prendre dans chaque cas pour opérer des guérisons : ils procédaient alors sans examen préalable et sans hésitation.

Je vis aujourd'hui dix soldats avec quelques officiers d'Hérode arriver d'Hésébon à Capharnaum. Ils s'enquirent de Jésus, de ses miracles et de sa doctrine, d'abord auprès du centurion Zorobabel, puis auprès des Pharisiens. Ils désiraient l'emmener avec eux parce qu'Hérode voulait le voir. Naturellement le centurion ne leur dit que du bien de Jésus ; il leur raconta la guérison miraculeuse de son fils, et tous les autres miracles plus éclatants qui avaient eu lieu en Galilée ; enfin, il leur rendit compte de tout aussi bien qu'il put.

Note : Malheureusement toutes les circonstances et les détails depuis longtemps attendus de cet incident furent perdus, comme tout le reste l'avait été depuis quatre jours, par la suite du dérangement qu'occasionnèrent des visites.

Les Pharisiens parlèrent dans un sens tout opposé. Ils dirent qu'ils n'avaient aucune autorité sur lui, que c'était un vagabond de basse extraction qui courait le pays avec des gens de toute espèce, prêchait des doctrines tout à fait étranges, et faisait divers prodiges probablement avec l'aide du démon. Du reste, il n'était pas à craindre, parce que son parti se composait de pauvres gens ignorants, de femmes infatuées de lui et de pécheresses.

Les soldats retournèrent vers Hérode avec ces informations. Ils faisaient partie d'une nouvelle cohorte attachée à la personne d'Hérode, et qui lui avait été fournie par la femme avec laquelle il vivait en adultère.

Note : La Soeur pense qu'ils sont venus des terres d'Hérodiade ou d'un de ses oncles. Elle qualifie celle-ci de bâtarde aussi bien que sa mère Bérénice. Elle croit aussi qu'Abigaïl, cette femme reléguée dans le château de Bétharamphtha, était tante maternelle d'Hérodiade. Voir sur Abigail t. II p. 396.

Hérode Antipas, depuis qu'il avait appris ce qui s'était passé à Thirza, se préoccupait beaucoup de Jésus. Depuis le meurtre de Jean, sa conscience le tourmente beaucoup, et il est plein de soucis et d'inquiétudes. Il a tenu conseil avec les Hérodiens, et il a fait venir des Sadducéens de Jérusalem pour les interroger au sujet de la résurrection des morts. Il en est venu a penser que Jésus pourrait bien être Jean ressuscité, etc. Il s'est enquis de tout ce que Jean a enseigné sur Jésus. Il a réuni autour de lui un grand nombre de soldats, et a éloigné ceux qui avaient été le plus en rapport avec Jean.

J'ai encore vu ces derniers jours plusieurs choses relatives à la tête de Jean Baptiste. J'espère que ses parents l'auront bientôt, quand le cloaque sera vidé. Les deux soldats qui ont suivi Jésus ont pris des mesures à cet effet : ils étaient précédemment Hérodiens, et faisaient partie de la troupe qui s'empara de la personne de Jean.

(14-15 février.) L'endroit où Jésus alla hier au soir avec les disciples est à une lieue et demie environ au nord de Capharnaum et à trois quarts de lieue du Jourdain. C'est sur la rive opposée que se trouve, un peu plus au midi, Bethsaide-Juliade, qui n'est pas située au point précis où le fleuve entre dans le lac : car entre cette ville et le lac il y a encore une vallée qui est devant la montagne des Béatitudes. Le pont du Jourdain est un quart de lieue plus au midi que l'endroit où se trouve à présent Jésus. Cet endroit s'appelle Elkasa ou Elcèse, et il est divisé en deux parties par une petite rivière qui va de là se jeter dans le Jourdain et qui coule autour de Saphet. (Elle a parlé précédemment déjà d'une petite rivière qui paraît être la même que celle-ci). L'un des quartiers de la ville est plus élevé que l'autre qui descend vers la vallée du Jourdain. Il y a ici des Juifs et des païens.

Jésus logea chez les gens qui étaient venus le prendre pour l'amener ici. Il guérit ce matin plusieurs malades dans les maisons et enseigna de côté et d'autre. Les apôtres se répandirent dans les environs, où ils guérirent et enseignèrent, eux aussi.

Le soir, Jésus alla à la synagogue avec tous les disciples, et il y fit l'instruction du sabbat, dans laquelle il était question du temple de Salomon. Il me revient maintenant qu'il parla aux apôtres et aux disciples comme s'il se fût adressé aux ouvriers qui abattaient et équarrissaient des cèdres sur la montagne pour la construction du temple : il traita aussi de sa décoration intérieure. Jésus, pendant son instruction, ne rencontra pas de contradiction marquée. Mais quand il sortit de la synagogue où s'étaient trouvés beaucoup de Pharisiens, notamment de ceux de Capharnaum, il fut invité à un repas. On mangea dans une salle ouverte destinée aux fêtes publiques : beaucoup de personnes se tenaient à l'entour pour entendre ce qu'il disait, et on distribua des aliments à un grand nombre de pauvres. Les Pharisiens ayant remarqué que ses disciples ne se lavaient pas les mains avant de manger, lui demandèrent pourquoi ils n'observaient pas la tradition de leurs pères et ne faisaient pas les ablutions accoutumées. Il leur demanda à son tour pourquoi ils n'observaient pas la loi et ne faisaient pas passer avant leurs traditions l'honneur dû à leurs pères et mères : il leur reprocha leur hypocrisie et leur attachement à de pures formes extérieures comme étaient leurs purifications.

Le repas ayant pris fin après cette contestation, il sortit, appela à lui tout le peuple qui se pressa en foule autour de lui, et dit : "  Ecoutez et comprenez ! Rien de ce qui entre du dehors dans la bouche de l'homme ne peut le souiller : ce qui le souille, c'est ce qui vient de l'intérieur au dehors. Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre "! Lorsqu'il fut revenu à son logis, les disciples lui dirent que ces paroles avaient scandalisé les Pharisiens, et il leur dit : " Toute plante que mon Père n'a pas plantée sera arrachée. Laissez-les : ce sont des aveugles conducteurs d'aveugles, et si un aveugle en conduit un autre, tous deux tombent dans la fosse ". Pierre lui dit alors : " Expliquez-nous cela " ! et Jésus répondit : " Etes-vous sans intelligence, vous aussi "? et le reste comme on le lit dans saint Matthieu, XV, 17-20.

(15 février.) Jésus continua encore aujourd'hui son instruction du sabbat dans la synagogue. Il parla de nouveau, comme il l'avait fait souvent dans les derniers temps, sur des textes du prophète Malachie. Il prépara aussi au baptême un grand nombre de Juifs et de païens qu'il alla visiter dans leurs quartiers après le repas. On baptisa dans un jardin de bains, au bord du ruisseau qui traverse la ville.

Le soir, il termina l'instruction du sabbat, et les Pharisiens recommencèrent à lui reprocher les irrégularités de ses disciples touchant le jeûne. Jésus répliqua en reprochant à son tour aux Pharisiens leur cupidité et leur dureté, et il dit, entre autres choses, que les disciples mangeaient après avoir beaucoup travaillé, quand eux-mêmes et quand les autres aussi avaient quelque chose : mais que quand les autres avaient faim, ils leur donnaient ce qu'ils avaient, et que Dieu les bénissait. Il cita à ce propos la multiplication des pains, où ils avaient donné aux affamés leurs pains et leurs poissons, et il demanda à ses contradicteurs s'ils en faisaient autant. Il répéta ici certaines choses qu'il avait déjà dites.

Après la clôture du sabbat, Jésus quitta la ville. Ils allèrent au nord-ouest, laissèrent Saphet à gauche et passèrent la nuit dans des cabanes de toile abandonnées par des paiens qui avaient campé là.

Ils ont fait environ trois lieues de chemin. Pendant la route, Jésus ne cessa d'enseigner sur la prière. Il leur expliqua le sens spirituel de l'oraison Dominicale et leur dit que jusqu'à présent ils n'avaient pas encore prie comme il fallait : comme ils cherchaient à se justifier à ce sujet, il leur dit qu'ils priaient, comme Esau, pour obtenir la graisse de la terre, mais qu'ils devaient prier, comme Jacob, pour obtenir la rosée du ciel ; qu'ils ne demandaient point les biens spirituels et la grâce d'être éclairés, qu'ils ne demandaient point le royaume du ciel, conformément à la volonté de Dieu, mais conformément à leurs idées, et qu'ils espéraient des avantages temporels.

Anne Catherine rapporta encore, mais d'une façon trop peu précise pour qu'on puisse la reproduire, une vision étendue qui se rattachait à ce qu'elle venait de raconter, et qui était accompagnée de beaucoup d'éclaircissements et de révélations sur l'état déplorable dans lequel est tombée, de nos jours, la prière, tant publique que privée. Elle décrivit aussi le site de plusieurs localités du pays, et mentionna une forteresse bâtie avec des pierres noirâtres et située au delà de la vallée du Jourdain. Elle est dans les montagnes qui sont au nord-ouest de Saphet. A l'ouest de ces montagnes et à leur ombre, se trouve une contrée stérile et désolée qui s'étend vers le sud : je crois que c'est la terre de Khaboul. Il y a là plusieurs villes d'un aspect singulier : elles ressemblent presque à de grandes flottes, tant on y voit de perches et de longues draperies déployées au-dessus des maisons. (il s'y trouve probablement beaucoup de tisserands et de teinturiers.) Ce pays, en outre, est très brumeux, et j'ai souvent cru qu'ils tendaient ces toiles pour se préserver du brouillard.

(16 février.) Aujourd'hui vers midi, je vis Jésus avec les disciples, au nord-ouest de Saphet, passer par cette forteresse noire qui est sur la hauteur. Elle s'appelle Cadès, c'est une ville de Lévites et une ville de refuge : le juge Barak qui défit Sisara, y était né. C'est une place forte avec une double enceinte de murailles et de tours bâties en pierres noires luisantes. Elle est située sur la hauteur à quelques lieues au nord de Saphet, toutefois plus bas que celle-ci : elle domine un petit cours d'eau qui se jette dans le Jourdain ou dans le lac Mérom. On voit de là, au nord et à l'ouest, plusieurs endroits situés dans les montagnes que Jésus doit franchir pour aller à Tyr.

Jésus n'a fait que traverser Cadès qui est bien à dix lieues de l'endroit bu il a célébré le sabbat. Aujourd'hui Jésus a rencontré souvent des troupes de païens et de Juifs de la frontière qui allaient dans un sens ou dans l'autre, et il les a enseignées sur la route tout en marchant. Une partie de ces gens venaient de Capharnaum, où ils avaient assisté à ses instructions et à ses guérisons, et ils retournaient chez eux. Il en guérit plusieurs : les apôtres en guérirent aussi quelques-uns.

Il y a des mines de fer dans le voisinage de Cadès. Nephthali. Jésus traversa Cadès et entra dans une hôtellerie située de l'autre côté de la ville : il s'en trouvait là plusieurs voisines les unes des autres. Les Pharisiens l'y suivirent et il eut encore une contestation avec eux sur quelque chose de connu, sur quelque chose qui s'était passé et que j'ai oublié ; puis après avoir pris quelques rafraîchissements, il continua son chemin. Ils descendirent du côté du nord, puis ils montèrent de nouveau : ils firent ainsi environ quatre lieues.

Anne Catherine raconta cela le soir vers cinq heures, elle l'avait vu dans l'après-midi d'une heure à trois. Elle avait eu des visions pendant toute la journée : s'étant mise sur son séant dans son lit et ayant appuyé sa tête sur ses genoux qu'elle avait relevés, elle dit, en parfait état de veille : ils vont maintenant plus au nord, à deux lieues de Cadès, par d'étroits sentiers de montagne et ils descendent vers la vallée. Ils sont seuls et marchent à la file les uns derrière les autres. Comme ils vont vite ! Ils marchent à grands pas, le corps penché en avant, et le cortège se déroule à travers les chemins comme un serpent. Jésus leur parle encore de la prière. Il leur a dit que les païens eux-mêmes prisaient peu ces prières qui se font pour obtenir des biens temporels et demandaient des biens éternels. C'est ce que j'avais ignoré jusqu'à présent.

Ils se dirigèrent vers un petit endroit situé sur le penchant méridional de la vallée et dont les maisons sont disséminées parmi des jardins. Il y a là des espaliers et une quantité d'arbres, de plantes et d'herbes aromatiques : il semble qu'on s'y occupe exclusivement du jardinage. C'est là que Jésus et les disciples trouvèrent la dernière hôtellerie préparée spécialement pour eux : il y en avait aussi une à Elcèse. Quand Jésus est arrivé au sommet de la haute arête de montagnes, il voit de l'autre côté un désert dans la direction du midi : il traverse ensuite la pointe que fait au nord le pays de Khaboul. En descendant de là vers le midi, on rencontre cet endroit qui était chargé d'une dette et où, dans une vision, je conduisis une fois les vaches des apôtres. Encore plus au midi, se trouve l'endroit où je pris le nid d'oiseaux que je donnai au petit garçon ; il est peu éloigné de la ville aquatique (Sichor Libnath).

Note : Ceci se rapporte à une vision qui sera racontée en son temps dans la biographie de la pieuse file.

(17 février.) Hier au soir, Jésus et les disciples sont arrivés à Dan ou Laïs, qu'on appelait ici Leschem. En venant de Cadès, ils avaient eu à faire environ quatre lieues, d'abord en descendant, puis en montant. Dan est située à la naissance d'une haute chaîne de montagnes. Près de là, coule une petite rivière dont on a fait passer les eaux à travers la ville. Les maisons y sont disséminées à de grandes distances avec un mélange singulier de monticules, de terrasses et de murs d'espaliers. On dirait un assemblage de maisons de campagne dont chacune a son monde établi autour d'elle, en sorte que les habitations et les jardins se touchent. Tout le monde ici s'occupe de jardinage. On cultive des fruits et des plantes de toute espèce, notamment le calamus, la myrrhe, le baume, le citronnier et un grand nombre de plantes aromatiques. Les habitants en font le commerce avec Tyr et Sidon et en remplissent des paniers d'écorce de jonc ou de roseau qu'on porte à dos d'hommes ou qu'on charge sur des ânes ou des chameaux.

La manière dont la ville est disposée fait que les paiens et les Juifs vivent ici plus mêlés que dans d'autres endroits. Quelque agréable et fertile que soit le pays, il doit pourtant être malsain l'atmosphère y est souvent chargée de brouillards qui descendent des montagnes, et les malades y sont en grand nombre.

Jésus et les disciples enseignèrent dans une hôtellerie à leur usage, qui est au centre de la ville. Les apôtres et les disciples étaient déjà venus ici lors de leur dernière mission, et ils avaient dispose cette hôtellerie. Jésus avait avec lui une trentaine de disciples, les apôtres compris. Plusieurs disciples de Jérusalem et d'autres encore étaient allés chez eux pour leurs affaires ou pour celles de la communauté : d'autres avaient été chargés d'autres missions. Ce matin, ceux des disciples qui étaient déjà venus ici et auxquels les habitants s'étaient adressés à cause de cela, conduisirent Jésus près de divers malades : après quoi les disciples se séparèrent pour se répandre dans la contrée l'alentours.

Pierre, Jean et Jacques restèrent près de Jésus : il alla avec eux dans plusieurs maisons où il guérit des hydropiques, des hypocondriaques, des possédés, un assez grand nombre de lépreux qui n'étaient pas très gravement atteints, des paralytiques et surtout beaucoup d'aveugles et de gens qui avaient des tumeurs aux joues ou ailleurs. Les aveugles et les gens qui avaient des enflures aux membres, étaient en grand nombre ici, notamment parmi les jardiniers et les journaliers.

La cécité était produite par un petit insecte ailé dont il y avait partout de nombreux essaims : il piquait les ouvriers aux yeux, ce qui les rendait promptement aveugles. Jésus leur montra une plante dont les feuilles sont douces au toucher et qui ne croît pas dans le pays ~ il leur dit d'en exprimer le suc et de s'en frotter les yeux pour empêcher l'insecte en question de les piquer. Il leur dit aussi quelque chose sur ce que représentait, dans l'ordre moral, la vertu de cette plante. Les tumeurs qui s'enflammaient, devenaient gangreneuses et causaient la mort, venaient aussi d'un petit insecte que le vent faisait tomber des arbres comme la nielle des blés. Ces insectes, qui sont d'un noir grisâtre, comme des paillettes de fer, se multiplient énormément là où ils tombent et souvent l'air en est obscurci comme par une sombre nuée. Ils se logent sous l'épiderme et causent ensuite une grande enflure. Jésus montra aux habitants un autre insecte avec lequel ils pouvaient se guérir en le mettant sur la tumeur, soit mis en morceaux, soit tout entier. C'était un scarabée assez semblable au cloporte, blanc avec quinze petits points sur le dos : il était plat, gros à peu prés comme un oeuf de fourmi, et pouvait se mettre en boule. Il y a chez nous des insectes semblables, mais d'une autre couleur et marqués d'un moindre nombre de points.

Pendant toutes ces guérisons, à l'occasion desquelles il se formait près de chaque maison un petit rassemblement qui ensuite accompagnait Jésus, le Seigneur fut constamment suivi par une femme âgée, toute courbée d'un côté. C'était une païenne d'Ornithopolis, ville située assez près de Sarepta : elle se tenait humblement à quelque distance de Jésus et implorait fréquemment son assistance. Mais Jésus ne parut pas y faire attention et il s'éloigna d'elle : car il ne guérissait pour le moment que les malades juifs. Un serviteur l'accompagnait portant son bagage. Son costume la faisait reconnaître pour étrangère : elle avait une robe d'étoffe rayée, avec des rubans autour des bras et du cou : elle portait sur la tête un bonnet pointu qui faisait saillie et autour duquel était roulée une draperie rouge ; par dessus tout cela était un voile. Cette femme avait une fille qui était possédée d'un démon impur et elle l'avait quittée depuis un certain temps pour venir ici attendre Jésus. Elle s'y trouvait déjà lorsque les apôtres y étaient venus, il n'y avait pas longtemps. Les apôtres parlèrent d'elle à Jésus plusieurs fois dans la journée. Mais il répondit qu'il n'était pas encore temps, qu'il ne voulait pas donner de scandale, ni guérir les païens avant les Juifs.

Un peu après midi, Jésus, avec Pierre, Jacques et Jean, alla dans la maison d'un vieillard qui était l'un des anciens de la communauté juive : c'était un homme riche et dont les sentiments étaient excellents. Il avait des relations d'amitié avec Lazare et Nicodème, et il était partisan secret de Jésus et des siens.

Il donnait beaucoup pour les aumônes et les hôtelleries de la communauté : il avait deux fils et trois filles d'un âge déjà mûr : c'était un vieillard tout à fait impotent. Ses enfants n'étaient pas mariés : les fils étaient comme soumis à un voeu : ils étaient Nazaréens, avaient de longues chevelures séparées en deux par une raie, et des barbes que le fer n'avait pas touchées. Les filles aussi avaient les cheveux partagés par une raie et on les voyait sous leur coiffure. Tous étaient habillés de blanc. Le vieux père avec sa longue barbe blanche fut amené au Seigneur par ses fils qui le soutenaient sous les bras, car il ne pouvait pas marcher seul. Il témoigna un profond respect et versa des larmes de joie. Les fils lavèrent les pieds à Jésus et aux apôtres et leur offrirent une collation consistant en fruits et en petits pains. Jésus se montra très affable et très amical envers eux ; il parla de ses prochains voyages et dit qu'il irait à Jérusalem pour la fête de Pâques, mais non publiquement. Il ne resta pas longtemps là, car le peuple avait appris où il était et se rassemblait autour de la maison et dans l'avant-cour.

Il était à peu prés trois heures après midi, quand Jésus alla dans la cour et dans les jardins de la maison, et bientôt tout fut rempli de malades sur son chemin. Il guérit et enseigna pendant plusieurs heures entre des terrasses en maçonnerie qui soutenaient les jardins. La femme païenne attendait déjà depuis longtemps, se tenant à distance. Mais Jésus n'alla pas du côte où elle était et elle n'osa pas s'approcher. Seulement elle criait de temps en temps, comme elle l'avait déjà fait précédemment : "  Seigneur, fils de David, ayez pitié de moi! Ma fille est tourmentée par un esprit impur ". Les disciples engagèrent Jésus à lui venir en aide. Mais il leur dit : " Je ne suis envoyé que pour les brebis égarées d'Israël ". Cependant la femme se rapprocha, entra dans la salle et se jeta aux pieds de Jésus, lui disant : " Seigneur, secourez-moi " !, Jésus répondit : "  Laissez d'abord les enfants se rassasier. Il ne convient pas de retirer le pain aux enfants pour le jeter aux chiens ". Mais la femme continua à l'implorer et répondit : " Il est vrai, Seigneur! Mais les petits chiens aussi mangent, sous la table de leur maître, les miettes que les enfants laissent tomber ". Alors le Seigneur lui dit : "  Femme votre foi est grande! à cause de cette parole soyez exaucée " !

Il lui demanda si elle ne voulait pas aussi être guérie, car elle était toute courbée d'un côté : mais elle ne s'en jugea pas digne et demanda seulement pour sa fille. Alors Jésus lui mit une main sur la tête, l'autre sur le côté, et lui dit : "  Redressez-vous! Qu'il vous soit fait comme vous voulez! le démon est sorti de votre fille ". Là-dessus, cette femme se redressa de toute sa hauteur ; elle était grande et élancée : elle garda le silence quelques instants, leva les mains au ciel et s'écria : "  Seigneur, je vois ma fille en pleine santé reposer paisiblement sur son lit ". Elle était comme hors d'elle-même, tant sa joie était grande, et Jésus se retira avec ses disciples.

Il y eut plus tard un repas chez le Nazaréen : il s'y trouvait des Lévites de Cadès, ainsi que tous les apôtres et disciples qui étaient revenus à l'hôtellerie. Ce fut un repas splendide comme on n'en avait pas vu depuis longtemps : de larges distributions furent faites aux pauvres par les disciples. Jésus revint tard à son logis. Hier et aujourd'hui, il y avait fête de la nouvelle lune.

(15 février.) Ce matin, je vis Jésus guérir dans une salle ouverte, soutenue par des colonnes, où se tient ordinairement le marché. La femme guérie hier était encore là, se tenant à quelque distance avec toute sa suite : car beaucoup de personnes étaient venues d'Ornithopolis avec elle. De ce nombre était un de ses parents qui était paralysé du bras droit, et sourd et muet : il n'était plus jeune. La femme pria Jésus de le guérir, et lui demanda en outre de vouloir bien venir dans leur pays, afin qu'ils Dussent lui témoigner leur gratitude.

Jésus emmena l'homme a l'écart hors de la foule. Il posa la main sur le bras paralysé, fit une prière et tira à lui ce bras qui se trouva guéri. Ensuite, il lui mit un peu de salive dans les oreilles, et lui dit de porter à sa langue la main qui venait d'être guérie. Le malade comprit parfaitement et fit ce qu'il lui disait Jésus leva les yeux au ciel et pria, et l'homme, s'étant redressé, lui adressa la parole pour le remercier. Jésus revint avec lui vers le peuple qui se pressait en foule : mais cet homme se mit à tenir des discours surprenants et prophétiques. Il se prosterna aux pieds de Jésus et lui rendit grâces, puis se tournant vers les paiens et les Juifs, il proféra des menaces contre Israël, nomma les uns après les autres les lieux où Jésus avait fait des miracles, parla de l'endurcissement des Juifs et dit : " La nourriture dont vous ne voulez pas, vous enfants de la maison, nous autres qui étions rejetés, nous la recueillons ; nous en vivrons pleins de reconnaissance, et aux miettes que nous ramassons viendra s'ajouter tout ce que vous laissez perdre du pain céleste " ! Il parla avec tant d'enthousiasme dit des choses si surprenantes, qu'il y eut une grande émotion parmi le peuple.

Alors Jésus, s'étant dérobé à grand peine, quitta la ville : il retrouva les disciples et les apôtres au pied des montagnes qui sont à l'ouest de Leschem. Ils arrivèrent en gravissant péniblement jusqu'à un sommet inaccessible. C'était un lieu très retiré où il y avait une caverne spacieuse dont l'intérieur était fort propre et où des bancs étaient taillés dans la pierre : ces montagnes sont pleines de grottes semblables sur ce versant et sur le versant opposé. Elles ont autrefois servi d'habitations : maintenant ce sont des lieux de repos pour les voyageurs. Ils ont bien fait deux lieues pour arriver jusque là, et ils y ont passé la nuit.
Jésus donna des instructions aux apôtres et aux disciples sur les différentes formes à observer pour opérer la guérison des différentes maladies : car ils lui avaient demandé pourquoi il avait prescrit au muet de mettre sa propre main dans sa bouche et pourquoi il l'avait emmené à l'écart. Il leur donna des explications à ce sujet : il enseigna encore sur la prière, et loua la femme païenne qui n'avait cessé de prier pour arriver à connaître la vérité. et non pour obtenir des biens temporels. Ils avaient emporté avec eux quelques aliments. Pendant la nuit, ils se levèrent à plusieurs reprise pour prier.

(19 février.) Jésus prit un peu de repos dans la grotte avec les disciples. On jouissait ici d'une très belle vue sur la vallée et sur Saphet : on avait au-dessous de soi des villes nombreuses, de petites rivières et le lac Mérom.

Jésus donna ici ses instructions aux apôtres et aux disciples sur tout ce qu'ils avaient à observer lors de leur prochaine mission. Maintenant, au commencement du prochain voyage qui se fera en pays paien, ils ne se sépareront pas : plus tard une partie des disciples ira au midi, par Aser, si je ne me trompe, quant à Jésus, il viendra avec les autres à travers la Décapole jusqu'à la mer de Galilée. Hier, à Leschem lorsque la Syro-phénicienne l'invita, il lui dit quelque chose du chemin qu'il allait suivre et il nomma à cette occasion le malheureux pays de la Décapole où le peuple est si délaissé.

Cette femme a laissé de l'argent à Leschem, elle veut faire ériger un monument avec sa posture, à l'endroit où Jésus a guéri sa fille et elle. Cette femme a dans son nom quelque chose qui rappelle celui d'Adélaide : c'est un nom étranger et on y trouve la syllabe laî ou .

Il y eut dans les enseignements de Jésus aux apôtres plusieurs prescriptions qui se trouvent dans l'Evangile à l'endroit où sont rapportées les instructions relatives à leur mission : il dit par exemple qu'ils ne doivent rien emporter avec eux, parce que l'ouvrier a droit à son salaire. Il leur donna aussi certaines règles qu'ils devaient suivre : ainsi ils devaient aller deux par deux, répéter ce qu'il leur avait enseigné en dernier lieu et traiter tous en même temps les mêmes sujets ; se réunir souvent et se communiquer mutuellement ce qui leur était arrivé ; alors les disciples devaient apprendre des apôtres ce qu'ils auraient prochainement à enseigner de concert, puis ils devaient prier tous ensemble : sur les chemins, ils devaient s'entretenir uniquement de ce qu'ils avaient à prêcher et faire la prière en commun. Il parla aussi de la fête de Pâque, dit qu'il voulait aller secrètement à la fête et leur dit qu'ils se rencontreraient là. Cette fête leur inspirait quelques craintes.

Note : La narratrice se sert de ce mot au lieu de celui de statue, et elle ne fait pas mention d'une statue de Jésus. Des écrivains récents confondent souvent Leschem avec Panéas, qui doit pourtant en être éloignée de quatre milles romains. Eusèbe place à Panéas la célèbre statue de l'hémorrhoisse de cette ville, guérie à Capharnaum. Les deux endroits n'en faisaient-ils qu'un ? L'hémorrhoisse en faisant élever son monument, a-t-elle suivi l'exemple donné par la Syro-phénicienne, ou bien a-t-on confondu à une époque postérieure les sujets des monuments ? C'est ce qu'il est difficile de décider (Note du Pèlerin.)

Cependant il était midi et ils avaient remarqué depuis longtemps qu'un grand nombre de personnes se dirigeaient par la ville vers la montagne sur laquelle ils se tenaient cachés. Mais avant que ces gens eussent eu le temps de gravir la montagne elle-même, Jésus se remit en marche avec les disciples. Lorsqu'ils eurent regagné le chemin, ils montèrent quelque temps dans la direction du sud-ouest et passèrent à un quart de lieue de distance devant une ville située dans une position élevée et qui s'appelait Amathor. Ils la laissèrent à gauche, tournèrent au nord-ouest et gravirent une pente très escarpée jusqu'au haut de l'arête, d'où l'on voyait la Méditerranée. Ils firent alors plusieurs lieues en descendant toujours et passèrent une rivière qui se jette dans la mer au nord de Tyr. Ils la passèrent sur un radeau qui se trouvait là. Je crois qu'ils ont laissé Hétalon à leur droite. Ils entrèrent dans une hôtellerie qui se trouvait près du chemin. Ils étaient encore à trois ou quatre lieues d'Ornithopolis.

La Syro-phénicienne occupait une position élevée dans sa ville natale. Elle était déjà revenue chez elle en passant par ici et elle avait préparé un très bon logement pour Jésus. Les païens vinrent dans une attitude très humble au-devant de Jésus et de sa suite : ils les conduisirent à l'écart et leur rendirent, avec beaucoup de timidité et de respect toute espèce de services : ils considéraient Jésus comme un très grand prophète.

(20 février) J'ai vu ce matin Jésus et les disciples peu de distance de l'hôtellerie où ils avaient passé la nuit, dans le voisinage d'une petite ville païenne, se diriger vers une hauteur où se trouvait une chaire en pierre qui datait de l'époque des plus anciens prophètes dont quelques-uns avaient souvent enseigné ici. Les païens de temps immémorial avaient un certain respect pour ce lieu ; aujourd'hui ils l'ont décoré en tendant un beau pavillon au-dessus de la chaire : ils ont, du reste, pour Jésus une déférence extraordinaire.

Beaucoup de malades étaient rassemblés là. Ils se tenaient respectueusement à quelque distance, et ce fut Jésus lui-même qui s'approcha d'eux. Les disciples et lui en guérirent plusieurs qui avaient des ulcères, d'autres qui étaient paralytiques ou avaient des membre desséchés, et aussi des mélancoliques, gens à moitié possédés qui lorsqu'ils étaient guéris semblaient se réveiller d'un profond sommeil. Il se trouvait là encore quelques personnes qui avaient à certains membres, par exemple autour des coudes, de grosses tumeurs d'une mauvaise nature. Je ne sais plus quelle en était la cause, mais je crois que c'était aussi la piqûre de quelque insecte ou de quelque autre bête venimeuse. Jésus mettait la main sur ces tumeurs qui s'aplatissaient et cessaient d'être douloureuses, puis il faisait apporter par les disciples une plante qui croissait là sur le roc nu et qui avait quelque ressemblance avec notre joubarbe : elle avait de grandes feuilles épaisses et grasses, avec de profondes entailles en dessous, et du milieu desquelles s'élevait une longue dessous, et du milieu desquelles s'élevait une longue tige portant la fleur. Jésus bénit une de ces feuilles sur laquelle il versa de l'eau qu'il portait avec lui dans un flacon, et les disciples l'appliquèrent par le côté entaillé suer les parties malades qu'ils bandèrent ensuite. 

Jésus fit sur cette hauteur une instruction singulièrement touchante sur la vocation des païens : il expliqua à ses auditeurs plusieurs passages des prophètes et fit ressortir le néant de leurs idoles. Après quoi il guérit encore, puis il partit avec les disciples et se dirigea du côté de la mer vers Ornithopolis, qui en est encore éloignée de trois quarts de lieue à peu près. Cette ville n'est pas très grande, mais il y a de beaux édifices. Elle se compose de deux rangées de maisons placées des deux côtés de la route : à l'est de la ville on voit sur une hauteur un beau temple d'idoles. 
Jésus y fut reçu avec une sympathie extraordinaire. La Syro-phénicienne, qui est une des personnes les plus riches et les plus considérables de l'endroit, avait fait de grands frais pour le recevoir de la manière la plus honorable, et par humilité elle avait chargé de tous les préparatifs le peu de pauvres familles juives qui habitaient la ville. La délivrance de la fille, le redressement de la mère et surtout la guérison de leur parent sourd-muet, lequel, ici comme ailleurs, en racontant ce que Jésus avait fait pour lui, l'avait exalté dans son langage prophétique, étaient déjà le sujet de tous les entretiens. Tout le peuple était rassemblé devant les maisons, les païens se tenaient à une distance respectueuse et tendaient de loin au cortège des branches vertes. 
Les Juifs qui étaient à peu près une vingtaine et parmi lesquels il y avait des hommes d'un grand âge qu'il fallait conduire, vinrent au devant de Jésus, ainsi que le maître d'école avec tous les enfants : les femmes et les filles venaient à la suite couvertes de leurs voiles.
Une maison voisine de l'école avait été préparée pour Jésus et ses disciples : la Syro-phénicienne l'avait fait garnir de beaux tapis, de vases de toute espèce et de lampes. Les Juifs leur lavèrent les pieds avec beaucoup d'humilité : on leur offrit une réfection composée de mets très choisis, et on leur donna d'autres vêtements et d'autres chaussures jusqu'à ce que les leurs eussent été battus et nettoyés. Après cela Jésus enseigna les Juifs de l'endroit et s'entretint avec les préposés de l'école.
Plus tard, il y eut un grand festin dans une salle ouverte. La Syro-phénicienne avait présidé à tout, et l'on voyait, aux apprêts, à la vaisselle, aux mets et à tout l'arrangement du repas, que tout avait été disposé par une païenne. Il y avait trois tables : elles étaient beaucoup plus hautes que celles dont les Juifs faisaient usage, et il en était de même des lits où s'étendaient les convives. On voyait sur les plats des figures singulières qui représentaient des animaux, des arbres, des montagnes et des pyramides : il y avait des mets qui étaient autre chose que ce qu'ils représentaient : spécialement des pâtisseries et des fleurs artificielles de toute espèce, des poissons façonnés en forme d'oiseaux, et des viandes en forme de poissons, des agneaux faits d'épices et de fruits, de farine et de miel ; il y avait aussi de vrais agneaux. Jésus mangeait à une table avec les apôtres et les plus vieux d'entre les Juifs : aux deux autres étaient les disciples avec d'autres Juifs : il y avait en outre pour les femmes et les enfants une autre table séparée par une cloison. Pendant le repas, la Syro-phénicienne vint avec sa fille et ses proches remercier Jésus de leur guérison. Elle était suivie de quelques serviteurs qui portaient entre eux sur des tapis des présents contenus dans plusieurs coffrets très élégants. La fille vint, couverte de son voile, se placer derrière Jésus, et ayant brisé au-dessus de sa tête une fiole d'onguent précieux, elle se retira discrètement près de sa mère. Les serviteurs remirent les présents aux disciples, c'étaient des présents de la fille. Jésus remercia, et la mère lui dit qu'il était le bienvenu dans leur pays ; elle ajouta qu'elle se trouverait heureuse de pouvoir lui témoigner sa bonne volonté et, malgré son indignité, de réparer quelque peu les torts nombreux que tant de gens de sa nation avaient envers lui. Elle dit tout cela en peu de mots, avec beaucoup d'humilité et en se tenant à une distance respectueuse. Je ne me rappelle plus ce que Jésus répondit, mais je vis qu'il fit aussitôt distribuer sous ses yeux aux pauvres Juifs une grande partie de l'or qui se trouvait parmi les Présents et aussi beaucoup des mets qui étaient sur la table.

La Syro-phénicienne est une veuve très riche, son mari est mort depuis cinq ans environ. Il avait beaucoup de grands navires sur la mer et un grand nombre de serviteurs. Je ne sais pas ce qu'il était, mais il avait de grands biens et possédait des villages tout entiers. Il y a à peu de distance d'ici, sur un promontoire qui s'avance dans la mer, tout un repaire de païens, qui appartient à cette femme. Je crois que c'était un grand négociant. Sa femme jouissait ici d'une grande considération. Les Pauvres Juifs ne vivaient guère que de ses aumônes. Elle était très intelligente et très bienfaisante et, malgré son paganisme, elle n'était pas sans quelques lumières en matière de religion. Sa fille avait environ vingt-quatre ans : elle était grande, belle et bien faite. Elle portait une robe bariolée avec des rubans au cou et des anneaux autour des bras. Elle avait eu beaucoup de prétendants à cause de sa richesse, et plus tard elle avait été possédée d'un esprit immonde. Elle était sujette à des convulsions effrayantes, et, dans son délire, elle s'élançait hors de son lit et cherchait à s'échapper Il fallait la surveiller de près et même l'attacher. Dans les intervalles de ses accès, elle était très bonne et très vertueuse. C'était un affreux chagrin et une grande humiliation pour la mère et la fille, et il fallait tenir celle-ci toujours cachée. Il y avait déjà plusieurs années qu'elle était dans cet état. Lorsque la mère revint chez elle, sa fille vint à sa rencontre et lui dit à quelle heure elle s'était trouvée guérie : c'était précisément le moment où Jésus avait annoncé sa guérison. Combien ne fut-elle pas réjouie et surprise de revoir sa mère qui l'avait quittée toute courbée devenue une femme grande et svelte ; d'entendre son cousin, le sourd-muet paralytique, la saluer d'une voix distincte et joyeuse. Elle fut pénétrée de reconnaissance et de respect pour Jésus et prit part à tous les préparatifs qu'on faisait pour le recevoir.

Les présents que Jésus avait reçus, ce soir, étaient les joyaux de la fille qu'elle avait reçus, depuis sa jeunesse, de ses parents et particulièrement de son père dont les relations commerciales étaient très étendues. C'étaient uniquement des objets d'art païens très antiques et des bijoux comme on en donne aux enfants de familles riches. Il y en avait que ses parents avaient reçus en héritage de leurs ancêtres : beaucoup de petites idoles très curieuses, faites de perles et de pierres précieuses enchâssées dans de l'or, des pierreries rares de grand prix, de petits vases, des animaux en or, des figures de la longueur du doigt dont les yeux et la bouche étaient faits de pierres précieuses, des pierres odoriférantes, des morceaux d'ambre et de petits lingots d'or ayant la forme d'arbustes et où étaient enchâssées des pierres de couleur représentant des fruits, enfin une multitude de choses. C'était tout un trésor, car il y avait là différents objets qui vaudraient aujourd'hui un millier d'écus. Jésus leur dit que tout cela devait être donné aux pauvres et aux nécessiteux, et que son Père céleste leur en tiendrait compte.

(21 février. ) Le jour du sabbat, Jésus visita tour à tour les familles juives de l'endroit. Il en était venu encore d'autres des environs. Il distribua des aumônes, guérit quelques malades et les consola. Ils vivaient ici très pauvres et très délaissés : il les réunit à la synagogue et leur tint des discours très touchants et très consolants, car ils se regardaient comme rejetés d'Israël, et comme indignes d'en faire partie. Il en prépara aussi beaucoup au baptême : après le dîner, une vingtaine d'hommes furent baptisés dans un jardin où les Juifs prenaient des bains : parmi ces néophytes était le sourd-muet, parent de la femme païenne et guéri par Jésus.

Vers midi, Jésus alla avec ses disciples chez la Syrophénicienne. Elle habitait une belle maison entourée de cours et de jardins. On fit à Jésus une réception très solennelle ; tout le monde était en habits de fête, et on étendit des tapis sous ses pieds. A l'entrée d'une belle salle ornée de colonnes qui donnait sur le jardin, la veuve et sa fille vinrent au devant de lui. voilées, se jetèrent à ses pieds et le remercièrent, ainsi que le sourd-muet guéri. Dans la salle, on lui présenta dans de la vaisselle précieuse une magnifique collation composée de pâtisseries singulières et de fruits de toute espèce. Les vases étaient pour la plupart d'une espèce de verre formé de fils de couleur fondus ensemble et entremêlés. J'ai vu parfois chez de riches Juifs quelques vases de ce genre, mais ici ils étaient en grand nombre et comme dans leur pays. Dans les angles de la salle s'élevaient contre les murs de grands dressoirs garnis de vaisselle du même genre et recouverts de rideaux. Les plats étaient servis sur plusieurs petites tables qui avaient aux pieds comme des mufles de doguins i ; on pouvait réunir toutes ces petites tables rondes et anguleuses de manière à en faire une seule grande table.

Je me souviens qu'on servit dans ces vases dont j'ai parlé, de beaux raisins secs pendant encore aux branches. Je me rappelle aussi des fruits secs d'une autre espèce, qui étaient disposés sur des tiges comme sur des arbustes : c'étaient des roseaux avec de longues feuilles en forme de coeur, au-dessus desquelles étaient insérés des fruits réunis en grappes : ils étaient blancs, peut-être couverts de sucre, et avaient l'aspect de la partie blanche du chou-fleur : on les cueillait sur ces tiges pour les manger ; ils avaient une saveur douce et agréable. Ces petits faisceaux de roseaux étaient ornés de guirlandes d'herbes aromatiques en haut, en bas et au milieu. Ce végétal se cultivait à peu de distance de la mer dans un terrain marécageux qui appartenait à la Syro-phénicienne. Il y avait encore toute sorte de mets arrangés en forme de poissons, d'agneaux et d'oiseaux, mais composés d'autres ingrédients.

Note : C'est ainsi que la Soeur avait coutume de désigner les masques ou têtes d'animaux qui servaient d'ornement aux meubles paiens.

Dans une partie séparée de la salle se tenaient beaucoup de jeunes filles païennes, amies de la fille de la maison ou attachées à son service. Jésus s'approcha d'elles et leur parla. La veuve fit de vives instances à Jésus pour qu'il voulût bien visiter les pauvres gens de Sarepta et d'autres endroits voisins. Elle était très intelligente et avait une manière très ingénieuse de présenter les choses. Elle parla à peu près en ces termes : " Sarepta, où une pauvre veuve partagea ce qu'elle avait avec Elle, est elle-même une pauvre veuve dans la détresse. Ayez-en pitié' vous le plus grand des prophètes, et pardonnez-moi, à moi qui suis aussi une pauvre veuve à laquelle vous avez tout rendu, de vous implorer aussi pour Sarepta. ~ Jésus lui promit d'y aller. Elle lui dit encore qu'elle avait le désir de faire bâtir une synagogue et elle le pria de lui en marquer la place. Je ne me souviens plus de la réponse de Jésus.

Cette femme avait de grandes fabriques de toiles et des teintureries. Je vis dans le petit endroit, voisin de la mer, que j'ai mentionné comme lui appartenant, et aussi à quelque distance de sa maison, de grands bâtiments au-dessus desquels il y avait des échafaudages où étaient étendues des pièces d'étoffe grise et jaune. Parmi les présents qu'elle avait envoyés hier, il y avait entre autres choses de petites coupes, de petites boules et des morceaux d'ambre jaune, substance très estimée dans ce pays.

Avant le sabbat Jésus enseigna encore quelques groupes de païens dans la cour de cette femme ; après quoi il alla célébrer le sabbat dans l'école des Juifs qui était très élégamment ornée. Il fit une instruction indiciblement touchante et consolante : les pauvres gens fondaient tous en larmes ; ils étaient tout heureux et tout consolés. Ils étaient de la tribu d'Aser. Je ne sais plus à la suite de quel méfait leurs ancêtres avaient été obligés d'émigrer dans ce pays. Mais cela les rendait très timides, et dans leur abandon ils se regardaient comme rejetés sans espoir de retour.

Jésus lut dans les Ecritures un passage d'Ezéchiel touchant l'autel du nouveau temple et les chapitres de l'Exode qui traitent des vêtements sacerdotaux, de la consécration des prêtres et des sacrifices. (Ezéch., XLIII, 10-27 ; Exod., ch. XXVII-XXX.) Mais pour la consolation particulière de ces pauvres gens, il dit aussi qu'on ne devait plus se servir, dans Israel, de cette locution proverbiale : "  Nos pères ont mangé des raisins verts et leurs enfants en ont eu les dents agacées ". Il leur dit que quiconque accueillait la parole de Dieu qui lui était annoncée, faisait pénitence, et recevait le baptême, n'était plus chargé des fautes de ses pères. Cela réjouit infiniment ses auditeurs.

Je ne sais plus où Jésus alla encore après être sorti de la synagogue, mais il se dirigea vers la mer avec ses disciples, peut-être pour visiter des pauvres et des malades. Il alla dans l'endroit où croissaient les roseaux dont il a été parlé plus haut.

( 22 février.) Ce matin j'ai vu Jésus dans l'école avec les enfants, puis ensuite avec les Juifs. On baptisa quelques personnes parmi lesquelles il y avait des enfants.

Dans l'après-midi, Jésus prit congé de la Syro-phénicienne : celle-ci, sa fille et leur cousin lui donnèrent encore des figures d'or, longues comme la main, qu'ils possédaient ; on lui envoya aussi à son hôtellerie, comme provisions de voyage, des pains, du baume, des fruits, du miel dans des corbeilles de jonc, et de petits flacons ; il y avait aussi des présents pour les pauvres de Sarepta. Jésus donna des avis à toute la famille, leur recommanda d'avoir pitié des pauvres Juifs et de penser à leur propre salut, puis il quitta la maison au milieu des larmes de tous les assistants qui lui témoignèrent une humble déférence. La Syro-phénicienne avait de grandes lumières et elle cherchait la vérité : elle n'ira plus dorénavant au temple paien avec sa fille. Elle veut s'attacher aux enseignements de Jésus et embrasser le judaïsme ; elle s'efforcera aussi d'y décider successivement les gens qui dépendent d'elle.

Jésus donna encore, à plusieurs reprises, des instructions à ses disciples sur la marche qu'ils avaient à suivre et sur les devoirs qu'ils avaient à remplir dans leur mission actuelle. Thomas, Thaddée et Jacques le Mineur avec tous les disciples, à l'exception de ceux qui restèrent auprès de Jésus, se dirigèrent au midi vers le territoire de la tribu d'Aser. Ils ne devaient rien porter avec eux. Quant à lui, accompagné des neuf autres apôtres, de Saturnin, de Jude Barsabas et d'un troisième encore, il partit après le sabbat, et se dirigea au nord vers Sarepta ; tous les Juifs et plusieurs paiens lui firent la conduite pendant une partie du chemin. Seize Juifs l'accompagnèrent jusqu'au bout.

Sarepta est à peu près à deux lieues et demie au nord-est d'Ornithopolis, à trois lieues de la mer, à l'endroit où les montagnes commencent. Elle ne serait pas si éloignée de la côte, si la terre ici ne s'avançait dans la mer comme un promontoire. Jésus n'entra pas à Sarepta même, mais il s'arrêta à une rangée de maisons qui sont encore assez loin de la ville ; c'était là que la veuve de Sarepta ramassait du bois mort lorsqu'elle vint à elle. Il y a là une colonie de pauvres Juifs qui sont encore plus misérables que ceux d'Ornithopolis auxquels viennent en aide les libéralités de la Syrophénicienne. Ici aussi une hôtellerie avait été préparée pour Jésus et pour les siens, par les soins de cette femme, et des présents destinés aux pauvres y avaient déjà été envoyés d'avance pour lui. Les habitants, transportés de joie et saisis de la plus vive émotion, vinrent à sa rencontre avec leurs femmes et leurs enfants et lui lavèrent les pieds. Jésus enseigna pendant le repas ; il commença dès lors à distribuer des secours aux pauvres et il leur envoya des aliments.

(23 février.) Jésus n'entra pas à Sarepta même, mais plusieurs apôtres y étaient allés pour acheter du pain et des vêtements que Jésus fit distribuer ici aux habitants qui sont très pauvres. Il y a encore trois lieues à peu près de Sarepta à la mer, et cette colonie de Juifs est bien à une demi lieue de Sarepta.

Jésus consola et enseigna les habitants ; après le repas il fit encore deux lieues en montant ; les seize hommes d'Ornithopolis et d'autres personnes de Sarepta l'accompagnèrent. Il fit encore une instruction sur une colline située dans le voisinage d'une petite ville de paiens, en présence d'une réunion nombreuse qui l'attendait, après quoi il alla plus loin. Il passa la nuit dans une hôtellerie voisine d'une ville où ses compagnons d'Ornithopolis le quittèrent.

(24 février.) Le jour suivant, Jésus et les disciples se dirigèrent à l'est, montant vers l'Hermon, qui parait être le point culminant de la haute chaîne de montagnes qui enserre la Galilée supérieure. Il franchit l'Hermon par un col situé à une grande élévation, et arriva à Rechob située au sud-ouest au pied de l'Hermon, à environ une lieue au-dessous de Baal Hermon, qui est une grande ville avec de nombreux temples d'idoles et qui domine Rechob.

(Du 25 février au 1er mars. ) Le jour suivant, Jésus fit environ sept lieues au nord-est, allant de Rechob à Gessur. Il entra là chez des publicains, qui y sont en assez grand nombre et habitent près de la grande route qui conduit à Damas. Gessur est une grande et belle ville ; il y a une garnison de soldats romains. Les païens et les Juifs y habitent des quartiers séparés, mais pourtant ils sont en rapports très intimes et très familiers, ce qui fait que les Juifs d'ici sont fort méprisés des autres Juifs.

Beaucoup de Juifs et de païens de Gessur étaient allés entendre les sermons prêchés sur la montagne des Béatitudes ; quelques malades avaient été guéris par les apôtres qui étaient venus ici récemment. Il y avait en outre un aveugle qui avait recouvré la vue pendant la prédication qui précéda la multiplication des pains. L'époux de Marie la Suphanite est de Gessur, mais actuellement il habite avec elle à Ainon.

Absalon séjourna ici un certain temps pour fuir la colère de David ; sa mère Maacha était fille d'un roi de ce pays appelé Tholmaï (1. Paralip., III, 2.) L'apôtre Barthélémy, qui est venu avec Jésus, descend de la famille de ce roi. Son père avait eu besoin de suivre un long traitement aux eaux de Béthulie : cela l'avait déterminé à aller résider à Cana, et plus tard il avait acheté du bien dans la vallée de Zabulon. C'était ainsi que Barthélémy était devenu habitant de ce pays. Mais il avait à Gessur un vieil oncle maternel qui était païen et qui possédait de très grands biens et de très grandes richesses. Ce vieillard habitait une grande maison au centre de la ville, et il se fit conduire aujourd'hui à Jésus dans le quartier des publicains, car le Seigneur y enseignait sur une terrasse où les marchandises en transit étaient visitées et payaient les droits d'entrée. Il s'entretint avec les apôtres, spécialement avec son neveu Barthélémy, et il invita Jésus à venir le lendemain prendre un repas chez lui. Jésus parla devant un auditoire mêlé, composé d'hommes et de femmes, de païens et de Juifs. Il mangea aussi chez les publicains avec plusieurs personnes, et cela produisit un grand effet, car ces gens prirent leurs mesures pour distribuer tous leurs biens aux pauvres.

(27 février.) Jésus alla le matin dans le quartier païen chez l'oncle de Barthélémy, où on lui fit une réception magnifique ; on avait étendu des tapis sous ses pieds et on lui offrit une belle collation à la mode païenne, quoique un peu moins splendide que celle d'Ornithopolis. Il opéra quelques guérisons dans la ,cour qui précédait la maison, et il fit aussi une instruction ; du reste, il n'y avait plus beaucoup de malades dans cet endroit.

Les païens d'ici adoraient une idole à plusieurs bras, ayant sur la tête un boisseau plein d'épis de blé. Mais leur idolâtrie paraissait être en pleine décadence ; beaucoup inclinaient vers le judaïsme, et même le plus grand nombre vers la doctrine de Jésus. Plusieurs avaient déjà été baptisés soit par Jean, soit par les apôtres, à Capharnaum ; toutefois, il n'était pas question de la circoncision à moins qu'ils ne voulussent embrasser complètement le judaïsme, auquel cas ils s'adressaient aux Pharisiens. Le soir, Jésus enseigna de nouveau chez les publicains, et il guérit encore quelques malades.

(28 février.) Les publicains distribuèrent la plus grande partie de leurs richesses. A l'endroit où Jésus enseignait, ils avaient de grands tas de blé dont ils faisaient des parts pour les pauvres ; ils donnèrent aussi des champs et des jardins à de pauvres journaliers et à des esclaves, et ils firent des restitutions pour tout le tort qu'ils avaient pu faire.

Ces jours-ci les disciples et les apôtres parcoururent tous les environs ; ils allèrent à Maachati et jusqu'à Aram.

Jésus enseigna près du bureau de péage devant un auditoire composé de païens et de Juifs. Il arriva aussi des Pharisiens étrangers pour le sabbat. Ici, ils reprochèrent à Jésus d'avoir pris son logement chez des publicains et de frayer avec eux et les païens. Le soir, Jésus enseigna à la synagogue et il y eut quelques contestations entre lui et les Pharisiens. La synagogue était quadrangulaire, la chaire était au milieu. Les auditeurs se tenaient sur des gradins qui s'élevaient tout autour ; au dehors était rassemblée une foule nombreuse de païens qui voyaient dans l'intérieur à travers les salles qu'on avait laissées ouvertes, et qui écoutaient en silence.

(1er mars.) Aujourd'hui, l'oncle de Barthélémy et seize autres vieillards furent baptisés dans un jardin de bains L'eau, prise à un des puits de la ville, monte dans un canal placé à une certaine élévation par lequel elle arrive dans le jardin. C'était Jude Barsabas qui baptisait. Tout le jardin était orné comme pour une fête ; tout se fit solennellement et on donna beaucoup aux pauvres. Aujourd'hui, Jésus prit encore un repas chez l'oncle de Barthélémy, qui fit d'abondantes aumônes. Plus tard, Jésus enseigna dans la synagogue pour la clôture du sabbat, puis il prit congé de tout le peuple près du bureau de péage et fit des distributions aux pauvres. Ce soir, accompagné de plusieurs personnes qui lui firent la conduite assez loin, il alla d'abord au sud-ouest, puis encore à l'est, et ayant fait ainsi cinq lieues, il arriva à un village de pêcheurs situé au bord du lac Phiala. Ce lac se trouve sur un plateau élevé à environ trois lieues à l'est de Panéas. Il arriva tard et entra près de l'école dans l'habitation du maître. Cet endroit n'était guère habité que par des Juifs.

(2-4 mars.) Le lac Phiala a une lieue de long tout au plus, ses rives sont basses, ses eaux sont limpides et elles coulent à l'est vers une montagne près de laquelle elles se perdent. De petites barques y naviguent. Le pays d'alentour est couvert de champs de blé et de belles prairies où paissent beaucoup de chameaux, d'ânes et d'autres animaux ; on y voit aussi des bois de châtaigniers. Sur les deux rives du lac, il y a des villages de pêcheurs juifs dont chacun possède une école.

Jésus enseigna ici dans l'école : il alla aussi en compagnie des apôtres et de quelques habitants, visiter les demeures de bergers disséminées autour du lac. Jean Baptiste a résidé dans cette contrée. Le soir, Jésus, avec Jean, Barthélémy et un disciple, franchit une hauteur située au midi, et descendit vers Nobah, ville de la Décapole, habitée par des païens et des Juifs.

(3 mars.) Nobah est divisée en deux parties, l'une juive, l'autre païenne : elles ne portent pas précisément le même nom. La ville est située sur la pente méridionale de la montagne. Toutes les villes de cette contrée sont bâties en pierres noires et brillantes. Jésus arriva tard. logea à l'hôtellerie, et ce matin, avec Jean et Barthélémy, il parcourut les environs et fit à peu près deux lieues, visitant de petits endroits et des métairies isolées. Les autres apôtres et disciples, ils sont en tout une quinzaine, Jésus non compris, se dispersèrent aussi dans les environs. Jésus enseigna dans quelques endroits et opéra quelques guéri sons, mais en petit nombre. La plupart des malades de ce district ont été guéris au bord de la mer de Galilée.

Il prépara aussi au baptême, et Barthélémy et les autres baptisèrent plusieurs personnes. vans ces endroits isolés, on ne trouvait que de l'eau noirâtre et bourbeuse : mais ils avaient de grands bassins ronds en pierre où ils la clarifiaient, et d'où elle se déversait dans d'autres bassins couverts. Les apôtres y versaient d'autre eau qu'ils portaient avec eux dans des vases à boire, et Jésus la bénissait. Les néophytes s'agenouillaient autour du bassin, courbant la tête au-dessus lorsqu'il était petit : ils y entraient lorsqu'il était de grande dimension. Je n'ai pas vu jusqu'à présent donner le baptême par immersion.

Dans l'après-midi, Jésus revint à Nobah, et il passa par la ville païenne où on lui fit une réception très solennelle. Les habitants allèrent au devant de lui avec des branches vertes et fleuries, et étendirent sous ses pieds des couvertures et des bandes d'étoffe qu'ils plaçaient en travers de la rue, et sur lesquelles il eut à marcher plusieurs fois, car quand il était passe, ils les relevaient et couraient en avant pour les étendre de nouveau devant lui. Arrivé à la ville juive, il y fut reçu par les rabbins qui étaient pharisiens. Il enseigna dans la synagogue. On célébrait le sabbat de la fête des Purim. Il y eut ensuite un grand repas dans une maison destinée aux fêtes publiques : les Pharisiens y eurent de grandes contestations avec lui et l'attaquèrent sur ce que ses disciples mangeaient des fruits sur le chemin et arrachaient des épis. Du reste' je n'ai pas encore vu cet incident des épis arrachés dont il est parlé dans l'Evangile.

Jésus raconta la parabole des ouvriers de la vigne et plus tard celle du mauvais riche et du pauvre Lazare. Il reprocha particulièrement aux Pharisiens de ne pas inviter les pauvres comme le voulait la coutume ; à quoi ils répondirent que leurs revenus étaient trop bornés. Il leur demanda s'ils avaient préparé ce repas pour lui, et comme ils répondirent que oui, il plaça sur la table cinq grandes pièces jaunes de forme triangulaire attachées à une chaînette, et leur dit de les appliquer au soulagement des pauvres : il fit aussi appeler par ses disciples un grand nombre de pauvres qu'il fit asseoir à table et auxquels il donna à manger. Il les servit, les enseigna, et leur distribua beaucoup d'aliments. Cet argent qu'il avait donné était peut-être l'impôt pour le temple qu'on avait coutume de recueillir ce jour-là, ou le présent qu'il était d'usage de faire pendant la fête ; car ici aussi on se faisait à cette occasion des présents mutuels consistant en fruits, en pains, en blé et en vêtements.

(4 mars.) Aujourd'hui, il y eut de grandes réjouissances. On lut l'histoire d'Esther à la synagogue, dans un volume distinct des autres, et on alla aussi la lire dans les maisons aux malades et aux vieillards. Jésus fit une tournée, il lut à plusieurs gens âgés l'histoire d'Esther et guérit quelques malades. Je vis aussi des jeux de toute espèce qui faisaient partie de la célébration de la fête et des cortèges de jeunes filles et de femmes : elles avaient de grands privilèges à cette fête. Il y eut un moment ou elles vinrent comme en ambassade à la synagogue et se mirent aux premières places : l'une d'elles, choisie par les autres, était habillée en reine, et elles donnèrent aux prêtres de beaux ornements sacerdotaux. Elles se rendirent aussi dans un jardin, où elles jouèrent à certains jeux appropriés à la circonstance : elles élisaient pour reine tantôt l'une tantôt l'autre, et la déposaient ensuite. Elles avaient aussi un mannequin qu'on maltraita et auquel on coupa la tête ; peut-être aussi qu'on le pendit, car je ne me rappelle pas la chose bien distinctement ; en outre, des petites filles frappaient sur des planches avec des marteaux et vociféraient des malédictions.

Le soir, Jésus alla encore à la synagogue, mais ensuite il prit son repas seul avec les disciples.