LES FAUX PROPHÈTES
 

 C'est plutôt à l'égard de ceux qui, au fond, veulent détruire toute religion, qu'Il faut mettre en garde nos frères parce qu'ils pourraient se laisser séduire par de prétendus instructeurs initiés « qui viennent à eux couverts de peaux de brebis, mais qui, au dedans, sont des loups ravisseurs ». 

 « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits, dit le Christ.   Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons? Ainsi tout arbre qui est bon produit de bons fruits;  mais le mauvais arbre produit de mauvais fruits ». 
 Qui ne reconnaîtrait, dans cette réprobation, les faux sages, auteurs de divers systèmes d'ascèse dans lesquels l'exalta-tion de la volonté personnelle voudrait remplacer la croix de Jésus-Christ?  

 Vous donc qui cherchez à construire, en vous-mêmes, le vrai temple, en vue de la descente du Fils unique, méfiez-vous des contrefaçons dangereuses.  Prenez garde que, sous prétexte d'initiation, on ne vous amène dans les antres de la perversité. 

 Comment distinguerons-nous la vraie Maison spirituelle de la fausse?  

 Ce point mérite un examen approfondi, car nombreux et très répandus sont, de nos jours, les systèmes qui se présentent avec les apparences du bien, « couverts de peaux de brebis », comme dit le Maître et qui conduisent à l'orgueil mental. 

 Leurs protagonistes, en général, prêchent la fraternité universelle et même certains d'entre eux citent souvent l'évangile et se réclament du Christ, Le plaçant au-dessus de tous les hommes, sans confesser toutefois Sa divinité unique.  Par leur apparent respect pour Lui, ils gagnent peu à peu la confiance de leurs disciples.  Ils ont, d'ailleurs, une grande force de suggestion qu'ils ne négligent pas d'utiliser. 

 Une fois qu'ils se sentent plus ou moins maîtres de leurs auditeurs, ils commencent à leur faire entendre qu'en somme les enseignements de Jésus peuvent être compris autrement qu'on ne l'a fait jusqu'ici.  Quel est ce Père mystérieux dont Il nous parle et avec Lequel Il s'identifie en disant :  « Le Père et moi nous sommes un? »  Ce Père, insinuent-ils, ne serait-il pas la volonté humaine dépouillée des illusions extérieures?  Le Christ n'affirme-t-il pas que le royaume est au dedans de nous-mêmes ?  

 Voilà le premier pas franchi vers la négation de la divinité unique de Jésus-Christ.   Il n'est plus qu'un homme qui aurait connu le mystère universel :   l'excellence et la toute-puissance de la volonté qu'il s'agit de développer et d'exalter. 

 Au pas suivant, ces savants nous diront que le résultat obtenu par Jésus, nous pouvons le réaliser sur nous-mêmes, par une culture rationnelle de nos forces occultes.  Nous devenons ainsi des initiés et des surhommes émergeant au-dessus de la foule de nos contemporains. Et voici le vieux serpent de l'orgueil qui se glisse subrepticement jusque dans la moelle de nos os. 

 Comment résister à ces tentations terribles, à ces ivresses du pouvoir et du savoir promis, quand on n'est qu'un pauvre homme qui cherche encore sa voie?   Et le Christ n'a-t-il pas bien stigmatisé, en les appelant des  « loups ravisseurs », ceux qui abusent ainsi de la confiance des naïfs?   Cependant, et c'est Lui-même qui nous en donne l'assurance, les vraies brebis n'écoutent pas ces mauvais bergers :  « Elles ne suivront pas un étranger;  au contraire, elles le fuiront, car elles ne connaissent pas la voix des étrangers ».  (Jean X, 5). 

 Et vous, disciples de Celui qui est tout Amour, s'il vous arrive de rencontrer quelqu'un de ces soi-disant  « instructeurs du monde », ne le jugez pas, ne le con-damnez pas :   il peut être, de bonne foi, un jouet entre les mains d'un puissant génie invisible.  Nous n'avons, d'ailleurs, à juger personne:   chacun a son travail à faire ici-bas. 

 Nous avons seulement à mettre en garde ceux qui s'adressent à nous, contre ces théories subtiles et d'autant plus dan-gereuses que leur perversité ne se décèle pas au premier abord, car le poison est au fond.  Elles semblent même prêcher toutes les vertus.  Leur fausseté, toutefois, apparaît évidente aux simples de coeur, à ceux dont l'humilité a clarifié les regards et qui sentent d'instinct que la vraie fraternité ne peut pas se concilier avec la domination de la foule par quelques initiés et savants. 
 C'est, en effet, l'Amour, le Bien, donc la Liberté, qui est à l'origine des choses et qui est aussi le couronnement de la destinée des êtres.   Cette destinée, par conséquent, ne peut pas consister dans l'asservissement à la volonté personnelle fût-ce d'une élite. 

 Ce qui entraîne avec soi une imperfection quelconque, une inégalité injustifiée, un arbitraire en faveur de qui que ce soit, ne saurait être attribué à la Cause des Causes :  Celle-ci ne peut être que toute sainteté et toute justice. 

 Si donc nous croyons à une Cause première omniprésente, intelligente et parfaite et je ne veux pas même supposer, un instant, que nous puissions n'y pas croire, notre idéal ne doit plus être de dominer, mais seulement de servir, en accomplissant la volonté de cet Etre suprême. 

 Dès lors, ce n'est pas dans l'exaltation de la volonté que consiste le salut indivi-duel ou collectif, mais bien, au contraire, dans sa crucifixion pour laisser régner à sa place le Fils unique, le Christ, notre doux Maître : « La rose de l'initiation vraie ne fleurit que sur la croix du sacrifice », selon le vieil idéal des Rose-Croix. 

 C'est parce que le sacrifice est trop dur à l'orgueil, à la nature, que les hommes ont inventé toutes ces théories compliquées, soi-disant pour le remplacer.  C'est en vain, d'ailleurs :  on ne peut pas contre- faire l'oeuvre de Dieu;  les systèmes en question sont impuissants à procurer l'affranchissement réel.   Leurs adeptes demeurent ligotés du lien le plus solide qui est la servitude du « moi ». 

 S'ils prêchent la pratique d'un certain nombre de vertus, y compris la compassion, ils ne parlent toutefois pas de la croix, de l'amour qui va jusqu'à l'abnégation totale.  Ils ne seront jamais des  «sauveurs » qui donneront leur vie au profit des autres.  Ils ne peuvent donc obtenir que des résultats incomplets, transitoires et que balayera l'aquilon de l'épreuve.  C'est toujours la maison bâtie sur le sable dont a parlé Jésus et dont la ruine sera grande.