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QUATRIÈME HOMÉLIE.
Analyse. La quatrième homélie traite de la vocation de saint Paul à l'apostolat, de la fidélité avec laquelle il a répondu à sa vocation, des causes du progrès de la foi dans le monde, malgré l'obscurité et la faiblesse de celui qui l'annonçait. Elle est terminée par un morceau fort éloquent sur le courage et le succès de l'Apôtre dans la prédication de l'Evangile.
Le bienheureux Paul, qui nous rassemble aujourd'hui, et qui a illuminé la terre, fut aveuglé pour quelque temps, à l'époque de sa vocation; mais la cécité de Paul a été l'illumination du monde;. comme ses yeux voyaient mal, Dieu fit bien de le frapper de cécité pour ensuite lui rendre une vue meilleure; en même temps Dieu lui démontrait sa puissance; il lui donnait une figure de l'avenir dans l'affliction présente; il lui enseignait, de plus, quel devait être le mode de sa prédication; qu'il fallait chasser loin de lui tous ses premiers goûts, et le suivre en fermant les yeux. De là, les paroles dont Paul se sert lui-même, pour proclamer cette vérité : Si quelqu'un d'entre vous pense être sage selon le monde, qu'il devienne fou pour devenir sage (I Cor. III, 18); la droite vue ne pouvait pas lui être donnée, sans qu'il eût auparavant perdu ses fausses lumières, chassé de son âme les pensées particulières qui ne sont propres qu'à troubler, et tout confié à la foi. Mais que personne, à ces paroles, n'aille croire que ce fut là une vocation forcée; il pouvait retourner à l'état dont il était sorti. Beaucoup d'hommes ont vu de plus grands miracles, et .sont retournés sur leurs pas; nous en avons des exemples dans le Nouveau Testament et dans l'Ancien : témoin Judas, Nabuchodonosor, Elymas le mage, Simon, Ananie et Sapphira, tout le peuple des Juifs, excepté Paul. Les yeux levés vers la pure lumière, il poursuivit sa course, et s'envola au ciel. Voulez-vous savoir pourquoi il fut aveuglé ? entendez-le lui-même : Vous avez appris que j'ai vécu autrefois dans le judaïsme, que je persécutais à outrance l'Église et que je la ravageais; que je me signalais dans le judaïsme, au-dessus de plusieurs de ma nation et de mon âge, ayant un zèle démesuré pour les traditions de mes pères. (Gal. I, 13,14.) Indomptable, impétueux, il avait besoin d'un frein également énergique pour ne pas être emporté par la fougue de ses désirs, au point de mépriser les paroles qu'on lui adressait. Voilà pourquoi Dieu réprime ces emportements; il commence par apaiser les flots de cette colère orageuse en le frappant de cécité; et alors il s'entretient avec lui; il lui montre son ineffable sagesse, l'incomparable perfection de sa science; il veut que Paul apprenne à connaître celui qu'il combat, celui dont il ne pourrait supporter non-seulement les vengeances, mais même les bienfaits. Car ce n'est pas l'obscurité qui a produit les ténèbres de ses yeux, c'est le trop vif éclat de la lumière qui l'a aveuglé. Et pourquoi, me dit-on, Dieu ne l'a-t-il pas aveuglé plus tôt? (346) Pas de curiosité indiscrète ! consentez à reconnaître que la providence du Dieu incompréhensible sait choisir ses moments. C'est ce que Paul manifeste par ces paroles : Lorsqu'il a plu à Dieu, qui m'a choisi dès le ventre de ma mère, et qui m'a appelé par sa grâce, de me révéler son Fils. (Gal. I, 15, 16.) Donc, ne recherchez rien davantage, puisque Paul s'exprime ainsi. C'était le temps, c'était le moment convenable, lorsque tant de scandales s'élevaient au milieu des peuples. Au reste apprenons de lui que jamais ni personne avant lui, ni lui-même, par son esprit propre, n'a trouvé le
En entendant ces paroles n'allez pas croire que la vocation soit une contrainte; Dieu n'exerce aucune contrainte; il nous laisse la liberté de nos volontés, même après la vocation. Il s'est révélé aux Juifs et il l'a fait dans le temps convenable, mais ils n'ont pas voulu-le recevoir à cause de la gloire qu'ils attendaient des hommes. Mais un infidèle me dira: qui prouve qu'il a appelé Paul du haut du ciel et que Paul a été persuadé? pourquoi ne m'a-t-il pas appelé moi aussi? Nous lui répondrons : croyez-vous, oui ou non, que Paul a été appelé ? Si vous le croyez, cela suffit : voilà un signe miraculeux que Dieu a fait paraître pour vous. Si vous ne croyez pas que Dieu l'a appelé du haut du ciel, à quoi bon demander : pourquoi ne m'a-t-il pas appelé, moi aussi? Si vous croyez que Dieu l'a appelé, encore une fois c'en est assez, vous avez un miracle. Ayez donc la foi: Eh ! vous aussi, Dieu vous appelle du haut du ciel, si vous avez une âme disposée à l'obéissance; si, au contraire, votre âme se révolte et se pervertit, la voix même descendue du ciel ne suffira pas pour vous sauver. Combien de fois les Juifs n'ont-ils pas entendu une voix d'en-haut, sans devenir fidèles? Combien n'ont-ils pas vu de signes dans le Nouveau Testament, dans l'Ancien, sans devenir meilleurs? Dans l'Ancien Testament, après des prodiges sans nombre, ils ont adoré le veau qu'ils avaient fait; cependant, la courtisane de Jéricho, sans avoir vu aucun miracle, a montré une foi admirable à l'égard des espions de Josué. Et dans cette terre de la promesse, quand des signes, apparaissaient, ces Juifs restaient plus insensibles que les pierres : au contraire, les habitants de Ninive, rien qu'à la vue de Jonas, crurent, se convertirent (Jon. III), éloignèrent d'eux la colère divine. Dans le Nouveau Testament, en présence même du
Et que s'est-il passé de notre temps? Le feu jaillissant des fondements du temple de Jérusalem, n'a-t-il pas consumé les constructeurs, et ruiné ainsi une sacrilège entreprise? Cependant ils ne se sont pas convertis; ils n'ont pas renoncé à leur aveuglement. Combien d'autres prodiges après celui-là sans autan profit pour les spectateurs ? Exemple : la foudre tombant sur le toit du temple d'Apollon, l'oracle de ce démon forçant le souverain d'alors à changer le sépulcre du martyr trop rapproché de lui il ne pouvait pas, disait-il, parler quand il voyait cette châsse à ses côtés; la châsse, en effet, était dans le voisinage. Ensuite, l'oncle de cet empereur, pour avoir outragé les vases sacrés, mourut mangé des vers; et le préposé du trésor impérial, pour un autre outrage à l'Eglise, vit son corps crever tout à coup par le milieu et périt misérablement. Les fontaines de nos pays, jusque-là plus abondantes que les fleuves, ont tout à coup refoulé leurs flots en arrière, et pris la fuite, prodige sans exemple avant les sacrifices et les libations du monarque qui en a souillé la contrée. Mais à quoi bon rappeler la famine sévissant partout dans les cités, avec un empereur . impie, la mort de cet empereur dans le pays des Perses, son égarement avant sa mort, son armée laissée au milieu des barbares comme dans les mailles d'un filet, le retour de cette armée, merveilleux, incroyable? Quand ce monarque sacrilège fut tombé d'une manière si misérable, un autre, celui-là un homme pieux, reçut l'empire (347) et aussitôt tous les malheurs cessèrent, et les soldais pris dans ces filets, qui n'espéraient plus le retour, les voilà, avec la permission de Dieu, délivrés de leurs ennemis, opérant leur retour en toute sécurité. Ces prodiges ne suffisent-ils pas pour attirer à la piété? N'en avons-nous pas constamment sous les yeux de plus merveilleux encore? Est-ce que la croix que l'on prêche ne voit pas tous les peuples accourir? N'est-ce pas une mort ignominieuse qu'on annonce et tous volent à la nouvelle? Est-ce que des milliers de malheureux n'ont pas été mis en croix? Est-ce qu'avec le
D'où vient donc, répondez-moi, une si merveilleuse puissance? C'était un mage, dira-t-on. C'est donc le seul mage qui se soit agrandi ainsi? Vous ne pouvez pas ignorer que les Perses, les Indiens ont eu des mages en foule, qu'ils en ont aujourd'hui encore; personne n'en parle. Cet imposteur de Tyane, ce magicien , dit-on, lui aussi a brillé. Où donc, à quel moment? Dans un coin de la terre, pendant quelques instants bien courts , et il s'est éteint bien vite, et il est mort sans laisser d'église, de peuple, rien qui y ressemble. Et que parlé je de mages et de sorciers disparus? D'où vient que tous les dieux ont perdu leur culte, et celui de Dodone, et celui de Claros, que tous ces édifices, ces ateliers d'esclavage sont dans le silence, obstrués, sans voix? D'où vient que non-seulement ce crucifié, mais que les ossements de ceux qu'on a égorgés pour lui, remplissent les démons d'épouvante? D'où vient qu'au seul nom de la croix , ils reculent en bondissant? Il fallait rire; il n'y a rien de bien brillant, de bien respectable dans une croix; au contraire, c'est une honte, une ignominie. C'est une mort infligée comme châtiment; c'est une mort, la pire de toutes , maudite chez les Juifs, infâme chez les Grecs. D'où vient la terreur que la croix inspire aux démons , si ce n'est de la puissance du Crucifié? Redouter la croix pour elle-même, c'est un sentiment tout à fait incompatible avec la nature d'êtres divins; mais, de plus, avant le
Et il ne faut pas admirer seulement qu'un homme, dans ces conditions, eut un si grand pouvoir, mais aussi que le plus grand nombre de ses disciples, furent des pauvres, des gens sans habileté, sans instruction, des indigents, obscurs et fils de gens obscurs. C'est ce qu'il publie lui-même, et il ne rougit pas quand il parle de leur pauvreté, bien plus quand il demande des secours pour eux. Je m'en vais, dit-il, à Jérusalem porter des aumônes aux saints. (Rom. XV, 25.) Autre passage : Que chacun de vous mette à part, chez soi, le premier jour de la semaine, ce qu'il aura amassé, afin qu'on n'attende pas mon arrivée pour recueillir les aumônes. (I Cor. XVI, 2.) Ce qui prouve que le plus grand nombre de ses disciples étaient des gens sans habileté, c'est ce qu'il écrit,aux Corinthiens : Considérez votre vocation, il y en a peu de sages selon la chair; vous êtes sortis de gens obscurs, il y en a peu de nobles, dit-il (I Cor. I, 26) ; et non-seulement ils ne sont pas nobles, mais tout à fait de basse naissance. Car, dit-il, Dieu a choisi les faibles selon le monde, ce qui n'existe pas, pour détruire ce qui existe. (Ibid, 27, 28.) Mais s'il était sans habileté, sans instruction, il possédait au moins, à un certain degré, le talent qui persuade? Nullement. C'est encore ce qu'il montre par ces paroles : Je suis venu vers vous, sans les discours élevés des orateurs ou des sages, vous apportant mon témoignage. Car je n'ai point fait profession de savoir autre chose parmi vous, que Jésus-
Eh bien ! quand le prédicateur n'était qu'un homme sans habileté, pauvre, obscur, quand la doctrine qu'il publiait n'avait rien d'attrayant, n'était qu'un scandale, quand les auditeurs eux-mêmes étaient des pauvres , des gens faibles, des gens de rien, quand les dangers succédaient continuellement aux dangers, quand les périls menaçaient également maîtres et disciples, quand celui qu'on annonçait était un crucifié, quelle (350) pouvait être la raison du triomphe? N'est-il pas évident que c'est la puissance ineffable de Dieu? Cette parfaite évidence se prouve par la considération même de ce qu'étaient les adversaires. En effet, quand du côté opposé, vous trouvez réunis tous les contraires de ce que nous venons de dire, quand vous voyez conspirer contre la nouvelle doctrine, la richesse, la noblesse, un grand empire, toutes les ressources de l'éloquence, la plus complète liberté d'action, une superstition puissante et raffinée, toujours prête à étouffer toute nouveauté qui tendrait à se faire jour, en un mot quand vous voyez la plus formidable puissance humaine qui se puisse imaginer, vaincue par la faiblesse même, où trouver, dites-moi, la cause d'un tel prodige? Bannissez donc des pensées fausses, décidez-vous chaque jour pour la vérité; adorez la puissance du crucifié. Si quelqu'un vous disait qu'un roi, avec une bonne armée, des troupes bien rangées en bataille, n'a pu vaincre des barbares, mais qu'un homme pauvre, nu, tout seul, n'ayant pas même un javelot, pas même un vêtement, n'a eu qu'à se présenter pour mettre en déroute tous ces bataillons que le roi, avec des armes et tout un appareil de guerre, n'avait pu vaincre, vous crieriez au prodige. Eh bien, ce qui est arrivé -à saint Paul n'est pas moins prodigieux. Si vous voyiez d'une part, un roi, un conquérant, après avoir creusé des fossés autour d'une ville, amené des machines devant les murailles, réuni tout ce qui assure le succès en pareil cas, échouer néanmoins dans l'attaque de la place; si vous voyiez d'autre" part un homme, qui s'avancerait le corps nu, qui ne ferait usage que de, ses mains, prendre non une, ni deux, ni vingt, mais des milliers de villes, les prendre, dis-je, au pas de course, avec tous leurs habitants, vous n'expliqueriez pas ces conquêtes par une force humaine. Evidemment c'est ce qu'il faut penser au sujet de saint Paul. Car si Dieu à permis que des brigands aussi fussent mis en croix, quavant les temps du
Vous faut-il un autre genre. de preuves pour vous démontrer ce qu'il y a d'admirable dans cette prédication qui renverse la raison de l'homme; vous montrerai-je que les ennemis qui l'ont combattue, l'ont glorifiée, agrandie ? Notre Paul avait des ennemis qui dans le dessein de lui nuire, prêchaient l'Evangile dans Rome. Ils voulaient irriter Néron, l'ennemi de .Paul, et ils se faisaient, eux aussi, prédicateurs, afin que la parole en se propageant, les disciples en devenant plus nombreux, excitassent la fureur du tyran ; ils voulaient irriter la bête féroce. C'est précisément ce que Paul écrivait aux Philippiens : Je veux bien que vous sachiez, mes frères, que ce qui m'est arrivé a plutôt servi au progrès de l'Evangile, de sorte que plusieurs de nos frères, se rassurant par mes liens, ont conçu une hardiesse nouvelle pour annoncer la parole de Dieu sans crainte. Il est vrai que quelques-uns prêchent par un esprit d'envie et de contention, et que les autres le font par une bonne volonté; les uns prêchent par un esprit de jalousie, avec une contention qui n'est pas pure, croyant me causer de l'affliction dans mes liens; les autres prêchent par charité, sachant que j'ai été établi pour la défense de lEvangile. Mais qu'importe, pourvu que de toute manière, soit par occasion, soit par un vrai zèle, Jésus-
Il y avait encore d'autres obstacles. Non-seulement les lois anciennes n'étaient pas des auxiliaires, c'étaient des adversaires qui faisaient la guerre à la doctrine; ajoutez à cela la perversité, l'ignorance des calomniateurs : ils ont pour roi, disait-on, ce
Donc puisqu'il est vrai que Dieu a honoré la race des hommes au point de juger un homme digne de produire, à lui seul, de si grandes choses, soyons pleins de zèle, imitons-le, faisons tous nos efforts pour nous rendre semblables à lui, nous aussi, et n'allons pas croire que ce soit chose impossible. Car je ne cesserai pas de répéter ce que j'ai dit bien souvent, que son corps ressemblait au nôtre, que sa nourriture était comme la nôtre, son âme comme la nôtre, mais sa volonté était forte, son désir, ardent, c'est par là qu'il est devenu ce qu'il a été. Donc pas de découragement, de désespoir. Préparez vos âmes, et il n'y a aucun empêchement à ce que vous receviez la même grâce. Dieu ne fait pas acception des personnes ; le même Dieu l'a formé et vous appelle; comme il fut son Seigneur, il est aussi le vôtre; comme il l'a glorifié, il veut aussi vous couronner vous-mêmes. Offrons-nous donc à Dieu et purifions-nous, afin d'obtenir, nous aussi, l'abondance des mêmes dons, et ensuite les mêmes biens, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-
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