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HOMÉLIE VIII. AINSI, MES BIEN-AIMÉS..., OPÉREZ VOTRE SALUT AVEC CRAINTE ET TREMBLEMENT... CAR C'EST DIEU QUI OPÈRE EN NOUS LE VOULOIR ET LE FAIRE. (CHAP. 11, 12 18.)
Analyse.
1 et 2. Les Philippiens exhortés à bien agir, d'après leurs propres exemples. Le salut doit se faire avec crainte et tremblement, par la pensée de la présence de Dieu. La grâce de Dieu et notre libre arbitre conciliés par l'apôtre. Agir sans murmure ni hésitation.
3 et 4. Le saint apporte l'exemple de Job, souffrant sans murmure. Longs développements. La vertu brille dans la douleur, comme les étoiles dans la nuit sombre. Les peines, vrais sujets de joie : ne pleurer la mort ni des justes ni des: pécheurs eux-mêmes.
1. Les avis, doivent être tempérés par les éloges : ainsi est-on sûr qu'ils seront bien accueillis, puisque les personnes averties de la sorte se verront invitées à rivaliser avec elles-mêmes. Telle est ici la sainte tactique de l'apôtre, et voyez sa sagesse à l'employer. « Ainsi donc, mes bien-aimés... » Il ne dit pas sans détour et brusquement : Chrétiens, obéissez ! mais il emploie d'abord cette apostrophe élogieuse, et il ajoute même : « Comme vous avez toujours obéi.», c'est-à-dire, je vous engage et je vous supplie d'imiter non pas les autres, mais vous-mêmes. « Non-seulement, lorsque je suis présent, mais encore plus lorsque je suis éloigné de vous... » Pourquoi plus encore en mon absence ? Parce que , moi présent, vous paraissiez peut-être agir par respect, par honneur pour ma personne; maintenant ce motif n'existe plus. Si vous persévérez maintenant dans les mêmes sentiments et les mêmes vertus, il deviendra évident que vous y êtes déterminés, non par égard pour moi, mais par le seul amour de Dieu. Alors, bienheureux Paul, pour vous-même que demandez-vous? Je ne demande pas que vous m'écoutiez, mais que vous opériez votre salut avec crainte et tremblement. Impossible, à qui n'a point cette crainte, de faire une oeuvre tant soit peu grande et admirable. L'apôtre, non content de réclamer ici « la crainte », demande même le tremblement », qui est une autre sorte d'appréhension plus grande et plus vive; son but est de les rendre plus attentifs encore. Au reste, lui-même éprouvait cette crainte quand il (52) écrivait : « Je crains qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé ». (I Cor. IX, 27.) Sans cette crainte, en effet, l'acquisition des biens temporels est souvent impossible : combien plus celle des biens spirituels ! Dites-moi plutôt si, sans cette crainte, on pût jamais apprendre même l'alphabet, ou savoir un métier ! Et dans ces travaux, cependant, où le démon n'intervient pas aussi menaçant, où la paresse est le seul ennemi redoutable, il faut un suprême effort pour vaincre l'inertie de notre nature; comment donc dans la guerre si redoutable, dans les obstacles si grands que rencontre l'affaire du salut, comment pourrait-on jamais réussir sans la crainte ? Mais quels sont les moyens d'éveiller en nous ce sentiment si efficace? C'est de graver dans notre âme le sentiment de la présence partout d'un Dieu qui entend tout, qui voit tout, et non-seulement nos faits ou nos paroles, mais jusqu'aux replis les plus cachés de nos coeurs et de nos esprits. « Car Dieu est le témoin des pensées et des désirs du coeur ». (Hébr. IV.) Ainsi prédisposés, nous ne ferons, nous ne dirons, nous ne penserons rien où se mêle le péché. Dites-moi plutôt : si vous deviez constamment vous tenir debout devant un prince, vous seriez dans le respect et dans la crainte. Et comment se fait-il qu'en face de Dieu l'on s'abandonne au rire, aux bâillements, sans craindre, sans trembler? N'abusez pas de sa longue patience. Il diffère de punir pour vous amener à repentante; gardez-vous, dans n'importe quelle oeuvre, d'agir comme si Dieu n'était pas partout présent : car il est là ! Ainsi dans le repas, à l'heure du sommeil, lorsque vous êtes prêt à vous livrer à la colère, à la rapine, aux plaisirs, dans toute action enfin, pensez à la présence de Dieu, et le rire coupable s'arrêtera sur vos lèvres, et la colère ne pourra vous emporter. Armé de cette continuelle pensée, vous serez constamment dans la crainte et le tremblement, puisque toujours vous vous verrez en présence du souverain Roi. Le maçon le plus expérimenté et le plus habile ne se tient debout qu'avec crainte et tremblement sur l'édifice auquel il travaille : il pourrait se précipiter ! Et vous aussi, malgré votre foi, malgré la pratique de maints devoirs de vertu, malgré le haut degré de sagesse où peut-être vous êtes arrivé, tenez-vous bien ferme sur l'endroit sûr, restez debout, mais avec crainte et l'il ouvert : vous pourriez en déchoir ! Il y a tant d'esprits de malice qui n'ont d'autre désir que de vous jeter dans l'abîme ! « Servez Dieu avec crainte », dit le Prophète, « réjouissez-vous devant lui, mais avec tremblement ». (Ps. II, 11.) Mais comment concilier l'allégresse et le tremblement? Je vous réponds que ce sont choses inséparables. Car lorsque nous aurons accompli un acte vertueux, quand nous l'aurons fait, vous dis-je, avec le même esprit qui fait agir un serviteur obéissant avec tremblement, alors, et seulement, alors la joie nous sera possible. Donc avec crainte et tremblement, « opérez votre salut » ; non pas, faites, mais opérez, en ce sens que vous fassiez la grande oeuvre non pas tant bien que mal, mais avec un soin, mais avec un zèle parfait. Or, ces paroles de crainte, de tremblement ne vont-elles pas nous jeter dans l'inquiétude ? L'apôtre la prévient et la dissipe en ajoutant : « C'est Dieu qui opère en nous»; ainsi, que la crainte et le tremblement dont je parle ne vous fassent point tomber les armes des mains; si je lés prononce, ce n'est pas pour vous désespérer ni pour vous faire croire que la vertu soit inabordable; mais seulement pour vous forcer à comprendre, à vous appliquer, à ne point vous abattre, à ne jamais vous lasser. Alors, répondrez-vous, Dieu fera tout ! il est vrai, ayez confiance ! Car c'est Dieu qui opère... « Qui opère en vous le vouloir et le faire ». Si donc Dieu opère, aussi faut-il que nous lui apportions une volonté toujours concordante, ferme, constante. Si Dieu opère en nous la volonté elle-même, sans aucune coopération de notre part, pourquoi saint Paul nous exhorte-t-il à vouloir? Si c'est Dieu qui fait toute notre volonté, vous avez tort, ô grand apôtre, de nous dire : « Vous avez obéi », car ce n'est plus nous qui obéissons; en vain vous ajoutez : « Avec crainte et tremblement » : tout est de Dieu ! L'apôtre vous répond: Ce n'est pas dans ce sens que je vous ai dit : « Dieu opère en nous le vouloir et le faire »; je n'ai voulu qu'apaiser votre inquiétude. Si vous voulez, Dieu opérera en vous le vouloir; que cette crainte ne vous trouble pas. C'est lui qui imprime le mouvement à la volonté et qui donne la force d'opérer. Dès que nous aurons voulu, il augmentera, il accomplira notre bon vouloir. Par exemple, je veux faire quelque bonne oeuvre? Il opère en moi cette bonne (53) oeuvre, il opère en moi de la vouloir. Et par le bien que j'accomplis il fortifie encore ma première volonté. 2. Peut-être aussi l'apôtre parle-t-il ainsi par un motif de grande piété, comme quand il appelle grâces nos bonnes couvres mêmes. Or, de même qu'en les appelant grâces, il ne prétend pas renverser notre libre arbitre et qu'il respecte au contraire notre parfaite autonomie; ainsi quand il déclare que Dieu opère en nous le vouloir même, il n'entend pas nous priver de notre libre arbitre, mais il nous montre qu'en faisant le bien nous acquérons plus encore l'inclination à bien vouloir. Car, comme en faisant on apprend à faire, ainsi en ne faisant pas on désapprend. Avez-vous donné l'aumône ? vous excitez d'autant plus en vous la sainte passion de la charité; avez-vous négligé de la donner? vous êtes devenu plus lent à la faire. Avez-vous passé un jour entier dans la chasteté? c'est un encouragement à faire de même le jour suivant. Avez-vous été négligent, vous aurez accru votre négligence. « L'impie », selon l'Ecriture, « arrivé aux dernières profondeurs du mal, méprise ». (Prov. XVIII, 3.) Autant donc a de mépris et d'indifférence celui qui est tombé au fond de l'abîme, autant a de zèle et de vigilance celui qui s'élève aux sommets du bien. L'un par désespoir devient plus négligent; l'autre heureux du trésor amassé déjà, grandit en vigilance de peur de tout perdre. « D'après la bonne volonté », dit saint Paul, c'est-à-dire, selon votre charité, selon votre soin à lui plaire et à produire les couvres qu'il aime, et qui sont en harmonie avec sa sainte loi. Le saint vous enseigne et vous encourage ici: certainement, dit-il, Dieu opérera en vous. Il exige, en effet, que notre vie soit d'accord avec sa volonté; or, si Dieu veut, et si d'ailleurs ce qu'il veut, il l'opère lui-même, bien certainement il le fera pour vous, il vous donnera la grâce d'une vie sans reproche : car là se réduit sa volonté. Vous voyez donc que Paul ne détruit pas ici notre liberté. « Faites donc toutes choses sans murmures et sans hésitation ». Quand le démon ne peut autrement nous détourner de la voie du bien, il essaie un dernier moyen pour faire évanouir au moins notre récompense. Il nous pousse à l'amour de la vaine gloire ou à la complaisance en nous-mêmes, ou du moins, en cas d'insuccès de ces piéges, il éveille en nous l'esprit de murmure ou d'hésitation. Voyez comme saint Paul nous en préserve. Il a parlé de l'humilité , et vous l'avez entendu combattre ainsi l'orgueil; il a parlé du goût pour la vaine gloire, et rabaissé notre vanité ; ici encore il répète ces leçons quand il recommande de bien agir, mais non pas seulement en sa présence; maintenant il nomme en passant et il condamne les murmures et l'hésitation. Mais pourquoi, voulant guérir les Corinthiens de cette même maladie, leur a-t-il apporté l'exemple des Israélites, tandis qu'en ce passage il n'emploie aucun argument de ce genre, et se contente de rappeler un précepte? C'est qu'à Corinthe le mal était invétéré et il fallait bien sonder les profondeurs de la blessure, et procéder par de vifs reproches; à Philippes, au contraire, il ne doit que prévenir le mal, et il suffit d'un avis. A des gens qui n'avaient pas encore péché il était inutile d'adresser de sévères paroles dans le seul but de les préserver. Déjà même pour leur faire aimer l'humilité, il ne s'est point servi de l'exemple évangélique où est raconté le supplice de l'orgueil; il a cherché, au contraire, en Dieu même son modèle pour les exhorter; il leur a parlé non comme à des esclaves, ruais comme à des fils légitimes. En effet, un caractère honnête et généreux n'a besoin, pour être entraîné à la vertu, que des exemples d'hommes vertueux et de nobles actions; les coeurs mauvais, au contraire, doivent entendre l'histoire funeste de ceux qui ont failli au devoir ; l'un est pris par le motif de l'honneur, l'autre par la terreur du supplice. Pour la même raison, dans l'épître aux Hébreux, Paul rappelle cet Esaü qui vendit pour un vil aliment son droit d'aînesse, et il ajoute : « Si l'homme se retire de moi, il me déplaira». (Hébr. X, 38.) Or, parmi les Corinthiens, plusieurs s'étaient livrés au libertinage. Aussi leur disait-il : « Quand je reviendrai chez vous, puisse Dieu ne pas m'humilier encore, et me réduire à pleurer bon nombre de ceux qui déjà ont péché et n'ont pas fait pénitence des impuretés, fornications, impudicités qu'ils ont commises. Puissé-je vous trouver simples, exempts de tous reproches » (I Cor. X, 10), c'est-à-dire, purs de tout blâme devant votre conscience et devant Dieu. Car l'esprit de murmure fait commettre des fautes graves. Que veut dire précisément « sans hésitation ? » Ce péché a lieu quand on se demande sans fin : (54) L'oeuvre est-elle avantageuse, ne l'est-elle pas? Ne disputez pas ainsi éternellement; agissez, quand même l'oeuvre proposée aurait sa peine et ses ennuis. Il n'ajoute pas : Craignez d'être punis, car le supplice est indubitable; l'apôtre le déclare ouvertement aux Corinthiens; ici, rien de semblable ; au contraire : « Soyez », dit-il, « irrépréhensibles et sincères, fils de Dieu sans reproche au milieu d'une nation dépravée et corrompue, parmi laquelle vous brillez comme des astres dans le monde , portant en vous la parole de vie, pour être ma gloire au jour de Jésus-Christ ». Comprenez-vous comment Paul les instruit à éviter les murmures? Car cet esprit est celui des esclaves injustes et déraisonnables. Quel fils honnête, dites-moi , travaillant sur les propriétés de son père, et sûr par là de travailler pour lui-même, oserait murmurer ? Pensez donc, dit l'apôtre, que vous travaillez pour vous-mêmes, que vous amassez pour vous-mêmes. Que d'autres murmurent parce qu'ils dépensent pour des étrangers leurs peines et leurs sueurs: mais amassant pour vous, pourquoi murmurer? Mieux vaut ne rien faire, que travailler avec cet esprit chagrin, puisqu'il détruit et tue ce que vous faites de bien. Est-ce que, dans nos maisons mêmes, nous n'avons pas sans cesse à la bouche cette maxime : Mieux vaut que besogne manque, plutôt que de se faire en murmurant? Et souvent nous aimons mieux nous passer de certains services que de souffrir qu'on nous les rende de mauvaise grâce. C'est chose grave, en effet, grave et coupable est le murmure; et qui approche du blasphème. S'il en était autrement, pourquoi les Israélites auraient-ils été si sévèrement punis de Dieu? Ce vice révèle une âme ingrate. Qui murmure, est ingrat envers Dieu; qui est ingrat envers Dieu, est déjà blasphémateur. 3. Au reste, à la naissance du Christianisme, les épreuves étaient continuelles, les dangers se suivaient sans interruption; point de cesse, point de trêve; de toutes parts une nuée de calamités; tandis que de nos jours, la paix est profonde, la tranquillité parfaite. Quel si grave motif vous fait murmurer? Votre pauvreté? Pensez à Job. Vos maladies? Que feriez-vous donc si, chargé comme il l'était, et de biens et de bonnes uvres, vous étiez tombé dans la maladie? Oui, pensez à ce saint patriarche, voyez-le, pendant de longs jours, rongé de vers, assis sur un fumier et tourmentant de ses ongles une lèpre hideuse. Après des souffrances de longue durée déjà, disent nos saints Livres, sa femme l'apostrophait : « Combien de temps encore durera votre patience? continuerez-vous toujours à répéter : J'attends, j'attends encore? Dites plutôt une parole contre Dieu, et puis mourez». (Job. II, 9.) Je reviens à vous, cher auditeur. Vous murmurez parce qu'un fils vous est mort? Que serait-ce donc si vous les aviez tous perdus, et encore par une fin cruelle comme autrefois Job? Vous savez, au contraire, oui, vous savez combien vous ont consolé les soins prodigués à leurs derniers jours, cette assiduité auprès de leur chevet, ces baisers de vos lèvres à leurs lèvres, leurs yeux que vous avez fermés, leur bouche que vous avez close, leurs dernières paroles que vous avez ouïes ! Job, si grand et si juste, n'a pas même obtenu du ciel ces suprêmes consolations : tous ses fils, d'un seul coup, furent écrasés et périrent. Mais, que dis-je? Si vous aviez reçu l'ordre de tuer vous-même votre fils, de l'immoler de voir brûler sa dépouille mortelle comme cet autre patriarche [Abraham], qu'auriez-vous fait? Et pourtant avec quel courage il construit un autel, y place le bois, y attache son fils? Mais il est des gens qui vous poursuivent de leurs insultes? Que serait-ce donc si les auteurs de ces insultes étaient des amis venus pour vous consoler? Et pourtant les péchés ne nous manquent jamais, et à ce titre nous avons mérité l'outrage. Mais Job, qui était un homme sincère, juste, pieux, qui avait évité toute faute, s'entendit calomnier par ses amis. Quelle eût été votre attitude en présence d'une épouse qui vous aurait couvert de reproches? Oui, disait-elle, me voilà, pauvre vagabonde, servante condamnée à errer çà et là, d'une maison à l'autre, n'attendant qu'avec le coucher du soleil un instant de trêve et de repos à mes chagrins ! Femme insensée, qu'oses-tu dire? Ton mari est-il donc la cause de tes malheurs? Non, non ; c'est le démon seul ! « Job », dis-tu, « Job, prononcez quelque parole contre le Seigneur, et puis mourez ». Est-ce bien ta pensée? En serais-tu plus heureuse, pauvre folle, si cet agonisant prononçait cette parole et qu'il mourût? Mes frères, il n'existe pas de maladie plus affreuse que celle dont Job était (55) affligé. Elle était si grave et de telle nature qu'elle le chassait de sa maison et de toute habitation humaine. Si ce n'avait été une maladie incurable, on n'eût pas vu le patriarche assis hors de la ville, et dans des conditions pires que les malheureux que la lèpre dévore. Ceux-ci, du moins, trouvent une demeure et se rassemblent entre eux. Mais lui, à l'injure du temps, sur un fumier, passait ainsi nuit et jour et ne pouvait même se couvrir d'un vêtement. Comment l'eût-il essayé? Sa douleur en devenait plus aiguë. « Je creuse la terre », disait-il, « et j'irrite mes plaies saignantes ». (Job, VII, 5.) Ses chairs se fondaient en pourriture, fourmillaient de vers, et cela continuellement. Rien qu'à entendre ces horreurs, ne sentez-vous pas comme chacun frissonne ? Et s'il est presque intolérable d'en ouïr le récit, combien plus l'était-il de les subir? Il les subit cependant, cet homme juste, et non pas un jour ou deux, mais longtemps; et ses lèvres ne commirent point de péché. Quelle maladie semblable pourriez-vous me citer? Quel mal fut plus fécond en souffrances? N'était-il pas pire que la perte de la vue ? J'infecte mes aliments, s'écrie-t-il; la nuit non plus que le sommeil, soulagement de toute âme qui souffre, ne m'apporte aucune consolation; elle est pour moi une douleur de plus. Voici, du reste, ses paroles mêmes.: « Mon Dieu, pourquoi m'effrayez-vous par,d'horribles rêves, pourquoi suis-je le jouet de visions cruelles ? Et quand l'aurore vient, je me dis : Quand donc tombera la nuit? » (Job, VII, 14.) Malgré tant et de si grands maux qui l'accablent, il ne murmure jamais. Nouvel et atroce ennui : la multitude avait conçu contre lui les plus tristes idées. Ces calamités qui le frappaient faisaient croire qu'il était coupable de. crimes sans nombre.. Ses amis lui répétaient : Vos souffrances n'ont pas encore atteint la mesure de vos péchés ! Lui-même ajoutait: « Je m'entends blâmer par des hommes de rien , que j'estimais moins que les chiens de mes bergers ». (Job, XXX, 1.) Une telle honte n'est-elle pas pire que mille morts? Et cependant, ce naufragé battu par tant de vagues, en proie à une si horrible tempête, demeure calme, immobile au milieu des nuées, parmi les vents, les foudres, les tourbillons et les gouffres; l'ouragan, si redoutable, ne paraît être pour lui qu'un port tranquille, et l'on n'entend point ses murmures. Tant de courage se déployait avant notre loi de grâce, avant la claire prédication de la résurrection, de l'enfer, de ses peines et de ses supplices. Et nous qui avons entendu prophètes, apôtres, évangélistes, exemples à l'infini; nous qui avons appris les preuves de la résurrection pour nous si évidentes, nous n'en sommes pas moins impatients, bien que nul d'entre nous ne soit éprouvé par tant et de si grandes calamités. Un tel a fait une perte d'argent, mais il n'a pas perdu et ses fils et ses filles; et son malheur peut-être est la punition de ses péchés. Job voit périr les siens tout à coup, pendant les sacrifices qu'il offre à Dieu, à l'heure même où il lui rend ses hommages et son culte. Supposez même qu'un chrétien ait vu s'abîmer à la fois et ses richesses et sa famille, ce qui est presque impossible : au moins ne voit-il pas tout son corps se résoudre en vers dévorants et se fondre en corruption. Accordons qu'il ait même ce dernier malheur : du moins ne trouve-t-il pas et ces insultes et ces outrages qui, d'ordinaire, nous semblent être les maux les plus poignants, et nous désolent plus que nos malheurs mêmes. Car si dans nos misères profondes, lorsque nous trouvons des amis pour nous consoler, pour adoucir nos peines et nous inspirer quelques bonnes espérances, nous sommes cependant encore si brisés, si découragés : imaginez quel devait être le supplice de Job, quand il ne trouvait que des insulteurs, Oui, si le prophète nous signale un malheur grave et incomparable dans ce trait du psaume : « J'ai attendu un ami pour pleurer avec moi, et personne n'est venu pour me consoler, et je ne l'ai point trouvé » (Ps: LXVIII, 21 ) : à quelle extrémité était donc réduit celui qui, au lieu de trouver des consolateurs, ne rencontrait que des insulteurs, et s'écriait : « Vous n'êtes tous que d'onéreux consolateurs ! » (Job, XVI, 2.) Ah ! si de pareils souvenirs nous occupaient sans cesse, si tels étaient nos raisonnements, aucun événement du siècle présent ne nous accablerait de douleur ; nos regards se porteraient sur cet athlète, sur cette âme de diamant, sur ce coeur de bronze que rien ne pouvait entamer; on eût dit, en effet, qu'il avait revêtu un corps de rocher et d'airain , tant il souffrait avec patience et générosité. 4. Armé de ces pensées, agissons toujours sans murmures, sans hésitation. Vous faites quelque bien et vous murmurez ? Pourquoi ? (56) C'est, dites-vous, une fatalité, une nécessité ! L'apôtre répondra : Je connais, en effet, dans votre entourage, des gens qui presque vous forcent à murmurer. C'est ce que laisse deviner cette phrase de saint Paul :. « Vous habitez au milieu d'une nation dépravée et pervertie ». Eh bien ! voilà précisément le seul point admirable de votre conduite: même harcelé, même poussé parles méchants, n'arrivez pas jusqu'au murmure. Voyez plutôt comme les étoiles brillent mieux dans la nuit sombre, et lancent leurs feux dans les ténèbres; loin que leur beauté s'use et se dépense par cette ombre épaisse, elle n'en a que plus d'éclat; et même à l'approche du jour, vous les verrez pâlir. C'est votre image : demeurez droit et vertueux parmi les méchants ; vous n'en aurez que plus de splendeur, vous n'en serez que plus admirable, de persévérer ainsi sans reproche. Vous voyez que l'apôtre a prévenu vos objections, quand il a écrit ces paroles. Que veut-il indiquer par celles-ci : « Portant la parole de vie? » C'est comme s'il disait : Vous qui devez arriver à la vie, vous qui êtes du nombre de ceux qui atteindront le salut. Comprenez donc qu'il se hâte de leur montrer la récompense. Les luminaires n'ont que la lumière ;vous portez, vous, la parole de vie. Qu'est-ce à dire? La semence de la vie est en vous ; vous en avez la promesse, vous en portez le germe : voilà ce que l'apôtre appelle la parole de vie. En dehors de vous, tous sont des morts : c'est encore ce que Paul donne à entendre, car s'ils vivaient, ils auraient donc aussi la parole de vie. « Pour ma gloire », dit-il encore. Pourquoi? C'est que, dit-il, j'ai ma part dans vos biens. Si grande est votre vertu , qu'elle suffit à la fois et pour vous sauver, et pour me glorifier. Mais quelle est votre gloire, ô bienheureux Paul? Pour nous, vous êtes flagellé, banni, couvert d'outrages ! « Sans doute », répond-il, « ma gloire, au jour de Jésus-Christ, sera de n'avoir pas couru en vain, de n'avoir pas travaillé en vain » ; j'aurai ainsi toujours sujet de gloire, puisque ma carrière ne sera pas sans combat. « Et si je dois subir l'immolation... » Il ne dit pas : Si je meurs, et il ne parle pas non plus de sa mort dans l'épître à Timothée; il y répète seulement cette expression : « Déjà je subis l'immolation ». Il veut à la fois et les consoler de sa mort, et leur apprendre à mourir sans crainte pour Jésus-Christ. Je deviens, dit-il, une victime, une hostie. O âme bienheureuse ! Il appelle hostie leur établissement dans la foi. Mieux vaut immoler sa vie que d'offrir un boeuf. Si donc je me livre moi-même sur cette offrande, comme victime volontaire, je me réjouis d'avance de ma mort; tel est le sens de ces paroles : « Mais quand je devrais répandre mon sang sur la victime et le sacrifice de votre foi, je m'en réjouirais en moi-même, et je m'en conjouirais avec vous tous; et vous devriez aussi vous en ré« jouir et vous en conjouir avec moi ». Voyez-vous comment il veut que les fidèles se réjouissent? Pour moi, dit-il, je suis heureux de devenir une victime, et je me conjouis avec vous d'unir le sacrifice de ma mort à celui de votre foi.,Vous-mêmes soyez-en heureux; vous-mêmes, conjouissez avec moi de ce que je suis offert en victime. Partagez la joie que j'éprouve dans ma propre mort. Ainsi la mort des justes ne veut point des larmes et mérite notre joie. Ils en sont heureux . soyons-le nous-mêmes avec eux. Il serait absurde de pleurer sur eux quand ils se réjouissent. Mais nous regrettons leur présence, direz-vous? Ce n'est là qu'un prétexte, ce n'est qu'un déguisement. Ecoutez l'avis aux Philippiens : «Réjouissez-vous; félicitez-moi ! » Vous ne les voyez plus, dites-vous, vous auriez raison de vous plaindre, si vous deviez toujours demeurer ici-bas; mais si vous devez bientôt rejoindre celui que vous pleurez, quelle raison avez-vous de regretter si fort son départ? Que celui-là regrette ses amis, qui se voit séparé d'eux pour jamais. Mais si vous devez bientôt prendre le même chemin, que signifient vos regrets? Pourquoi ne pleurons-nous. pas les absents? Pourquoi, du moins, après quelques larmes pendant un ou deux jours, cessons-nous de pleurer? Si vous ne regrettez que la séparation, pleurez seulement ce qu'il faut pour montrer que la nature vous a fait homme; puis réjouissez-vous comme le faisait Paul, qui s'écriait : Il ne m'est arrivé aucun mal; je suis heureux de m'en aller auprès de Jésus-Christ ; vous-mêmes associez-vous à ma joie; félicitez-moi. Réjouissons-nous donc à la vue d'un juste qui meurt, et même en apprenant la mort d'un pécheur impénitent. L'un est parti pour recevoir la récompense de ses travaux; l'autre (57) a cessé d'ajouter au nombre toujours croissant de ses crimes. Mais peut-être, direz-vous, peut-être il eût changé de vie. Non ! car Dieu, si ce pécheur avait dû se convertir, ne l'aurait pas enlevé de ce monde. Car, pourquoi le bon Maître qui pour notre salut prépare tout, fait tout, ne l'aurait-il pas laissé vivre, si ce pécheur un jour avait dû redevenir en état de lui plaire ? S'il supporte et attend ceux qui ne se convertissent pas, combien plus ceux qui se convertissent? Nous avons donc raison de supprimer les pleurs dans les deux cas. Quoi qu'il arrive, remercions Dieu de toutes choses; faisons tout sans murmurer; réjouissons-nous et sachons en tout lui plaire, afin de gagner l'éternelle palme, par la grâce et bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc., etc.
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