CHAPITRE X

RETOUR DE LA SAINTE VIERGE A NAZARETH.


Les saints hôtes retournèrent enfin à leur pauvre maison de Nazareth. Le voyage dura quatre jours entiers, et ils n'usèrent jamais du pouvoir qu'ils avaient sur les créatures, quoique la chaleur, les rochers, les épines, leur causassent de grandes incommodités. Ils opérèrent plusieurs miracles et délivrèrent secrètement plusieurs infirmes et plusieurs pauvres de diverses infirmités et misères. A son arrivée à Nazareth, l'humble vierge balaya les chambres et mit en ordre la pauvre maison; les saints anges l'assistaient dans cet humble travail. Elle règla les actes de vertu qu'elle devait pratiquer avec une exactitude parfaite. Ces vertus héroïques, observées avec soin par Lucifer, lui firent soupçonner, si celui qui devait le vaincre et le terrasser, pouvait naître d'une femme plus profondément vertueuse. il assembla un conciliabule de démons dans l'enfer pour leur proposer ses doutes et leur faire part de ses soupçons. La résolution de cette maudite assemblée, fut d'employer toutes sortes de tentations pour vaincre et opprimer cette femme. Le verbe incarné connut tous les desseins de Lucifer et pour revêtir notre invincible reine d'une nouvelle force, il se tient debout dans le tabernacle virginal comme celui qui voudrait se mettre en défense. Dans cette posture il pria le père éternel de renouveler ses faveurs à sa chère mère. Voici l'ordre de la bataille: Lucifer conduisit les sept légions des principaux chefs qu'il avait désignés comme tentateurs des hommes pour les sept péchés capitaux. La sainte Vierge était alors en oraison, et par la permission du Seigneur les sept légions vinrent l'une après l'autre faire tous les efforts que peuvent inspirer la malice, la rage et la nécessité d'obéir au prince des ténèbres. La prudente Vierge connut tous leurs artifices et les dissipa par sa grande sagesse et son incomparable attention. Tous ses ennemis avec leurs ruses et leur mille suggestions ne purent pas réussir à la distraire ni l'empêcher de faire toutes ses héroïques actions même les pins petites avec toute la perfection possible. Les puissances infernales furent entièrement vaincues. Lucifer en fureur, appela ses légions et voulut renouveler le combat se mettant lui-même à leur tête. Il employa contre la seule Vierge toutes les forces par lesquelles il a introduit dans le monde tant d'erreurs et tant de coupables désordres. Il mit, mais en vain tout en oeuvre contre elle; il lui fut également inutile de se servir pour instrument de la malice de quelques voisins, afin de tourmenter Marie et saint Joseph. Tous ses artifices ne servirent qu'à leur faire exercer des actes héroïques de vertus et à augmenter le mérite de leur victoire. Mais l'épreuve la plus grande où Dieu mit la sublime sainteté de ces deux saints époux, est celle dont nous devons maintenant parler. Marie était déjà dans le cinquième mois de sa grossesse, lorsque saint Joseph s'en aperçut dans la disposition de la sacrée personne, parce qu'étant très-proportionnée dans son corps elle pouvait moins le cacher. Cette connaissance pénétra de douleur le coeur de saint Joseph, et par l'amour très-vif qu'il lui portait et par le danger où il la voyait d'être lapidée conformément à la foi. Il recourut à Dieu dans l'oraison, car il soupçonnait dans cette grossesse quelque mystère caché, mais il n'en était pas assuré et il ne savait à quoi se résoudre; Dieu voulait avant de lui découvrir le secret lui donner l'occasion d'exercer plusieurs actes héroïques de vertu. La peine qu'il ressentait dans son coeur était si grande qu'elle paraissait au dehors, et sur son visage on voyait une profonde tristesse. La sainte Vierge n'avait pas besoin de ces signes extérieurs pour connaître l'affliction de son époux, car elle voyait clairement tout ce qui était dans son coeur, mais elle ne lui découvrait pas le secret des mystères. Elle abandonnait tout à la divine providence, quoiqu'elle aimât tendrement son époux et qu'elle eût une tendre compassion pour son douloureux martyre. Les soupçons croissant de plus en plus le saint devint toujours plus pensif et mélancolique; quelquefois il parlait avec plus de sévérité qu'auparavant, mais la prudente reine n'en fit jamais aucune plainte; elle avait des manières plus douces, elle le servait à table, le faisait asseoir et lui présentait à manger. Mais saint Joseph était dans une incertitude toujours plus grande; ne sachant ce qu'il devait croire, on de ses yeux, pour qui la grossesse était évidente, ou la pureté incomparable et la bonté qu'il voyait dans son épouse. Dans ces perplexités il résolut de s'éloigner avant les couches. La sainte Vierge connut aussitôt la résolution de son époux, elle s'adressa à ses anges pour porter remède à un si grand mal. Les anges envoyèrent plusieurs inspirations à saint Joseph pour le persuader de la pureté irrépréhensible de sa sainte épouse. Ces inspirations retardèrent l'exécution de sa résolution, mais ses soupçons loin de diminuer, croissant toujours, et ne pouvant trouver aucun rem~de à sa peine, il résolut enfin de se retirer après avoir passé deux mois dans cette accablante tristesse. Il prépara donc un petit paquet et un peu d'argent gagné par son travail. Avant de quitter la maison, il pria le Seigneur et lui demanda son assistance, il protesta qu'il .ne s'éloignait pas de son épouse dans la crainte qu'elle fût adultère, mais parcequ'il la voyait enceinte et ne pouvait en comprendre la cause ni la manière. Il fit voeu d'aller visiter le temple de Jérusalem et d'offrir à Dieu une partie de son argent afin que sa chaste épouse fut préservée des calomnies des hommes. Après ce voeu il se retira pour prendre un peu de repos afin de pouvoir se lever à minuit comme il l'avait résolu et partit. La sainte Vierge était dans son oratoire et considérait par une lumière divine tout ce que faisait saint Joseph, elle voyait le paquet qu'il avait préparé, le peu d'argent qu'il avait pris et le voeu qu'il avait fait d'en offrir une partie à Dieu. Touchée de compassion, elle recommanda de nouveau ardemment au Seigneur cette affaire et ses prières furent si vives que le Seigneur enfin l'exauça. Tandis que saint Joseph prenait un peu de repos, Dieu envoya, l'archange Gabriel qui lui découvrit le mystère de la fécondité de sa chaste épouse. Saint Joseph ne le vit pas, il entendit seulement la voix intérieure et comprit le mystère. Il s'éveilla, et se mettant à genoux il adora avec une profonde humilité le Seigneur, et lui rendit de vives actions de grâce de l'avoir choisi pour être l'époux de sa mère. Il demanda pardon de son trouble et de ses soupçons, mais il n'osa pas visiter la sainte Vierge qui était retirée et était élevée à une haute contemplation. Il délia le petit paquet et pratiqua plusieurs actes de vertu et lorsque l'heure fut venue il alla à la chambre de Marie, se jeta à ses pieds, lui demanda pardon, lui offrit d'être son serviteur et lui fit la promesse de la reconnaître désormais pour sa reine. La sainte Vierge fit lever son époux, et sans qu'il put l'empêcher elle se prosterna à ses pieds et lui donna les raisons qui lui avaient fait cacher le mystère. Elle le supplia de ne pas changer la conduite qu'il avait gardée jusqu'alors; car son devoir à elle était d'obéir, et à lui de commander; saint Joseph fut tout renouvelé à cette occasion dans son intérieur et rempli du St.-Esprit. Il entonna un cantique de louanges et Marie lui répondit en disant de nouveau le cantique: Mon âme glorifie le Seigneur: elle fut ravie en une extase très-sublime et fut environnée d'un globe de lumière, à la grande admiration de saint Joseph qui ne l'avait jamais encore vue dans une semblable gloire. Le saint connut alors le mystère de l'incarnation et vit le fils de Dieu dans le sein virginal. Il comprit que la vierge son épouse avait été l'instrument de la sanctification de Jean-Baptiste et d'Elisabeth, et qu'elle était la cause de la plénitude de la grâce qu'il avait lui-même reçu de Dieu avec une abondance plus grande que celle qui avait été accordée à saint Jean-Baptiste. Saint Joseph ainsi éclairé résolut de traiter la sainte Vierge avec un plus grand respect et il commença à lui témoigner sa vénération. Lorsqu'elle lui parlait, ou qu'elle passait devant lui, il fléchissait respectueusement le genou. Il ne voulut plus permettre qu'elle le servit et s'occupât aux emplois humbles et bas, comme balayer la maison, laver la vaisselle et autres choses semblables, il voulut lui-même le faire pour ne pas déroger, disait-il, à la dignité ineffable de reine et de mère de Dieu. L'humble Vierge s'opposa à cette manière d'agir; elle le pria de ne fléchir le genou devant elle, parce qu'on ne pouvait distinguer si c'était pour elle ou pour le divin fils qu'elle avait dans son sein. Saint Joseph obéit et fléchit seulement le genou lorsqu'elle ne le voyait pas. Le débat fut plus grand pour les emplois humbles et vils, parce que saint Joseph ne pouvait consentir à ce que no,tre auguste reine s'occupât à des choses si basses et il s'efforçait de la prévenir. L'humble Vierge tâchait de faire ce qui lui était possible, mais tandis qu'elle était en prières le saint pouvait facilement la prévenir pour plusieurs viles actions. La sainte Vierge ne sachant comment le vaincre, s'adressa au Seigneur et le pria de commander à son époux de ne pas l'empêcher d'exercer ces vils emplois. Le Très-Haut l'exauça, et il ordonna aux anges gardiens de saint-Joseph de lui faire entendre intérieurement de conserver un grand respect et une grande vénération intérieure à sa sainte épouse, mais de ne pas l'empêcher d'exercer les oeuvres extérieures, parce que son divin fils était venu au monde pour servir avec sa mère, et non pour être servi. Le saint suivit cet avis avec une entière soumission.

La maison des saints époux était divisée en trois petites chambres ou compartiments qui composaient toute leur habitation. Elle était suffisante parce qu'ils n'avaient point de serviteur ni de servante; il n'était pas convenable qu'il y eût des témoins des merveilles si extraordinaires que le Seigneur opérait en ce lieu. Saint Joseph dormait dans une chambre, et travaillait dans l'autre, la troisième était pour la vierge mère. Elle ne sortait pas de sa maison sans une très-grave raison, et si elle avait besoin de quelque chose, elle se servait d'une pieuse femme voisine qui en récompense de ses services reçut de grandes grâces pour elle et pour sa famille. Plusieurs fois aussi les saints époux se trouvèrent dans un extrême besoin, parce que saint Joseph ne travaillait pas pour gagner de l'argent, mais seulement pour recevoir l'aumône qu'on lui donnait sans jamais rien exiger. Le Seigneur après avoir exercé leur patience les secourait de mille manières; quelquefois par le moyen des oiseaux qui leur apportaient des fruits , du pain et même des poissons. Ils furent aussi secourus par le ministère des anges; un jour où ils n'avaient rien à manger , ils se retirèrent pour prier et ils trouvèrent la table couverte de fruits, die bon pain, de poisson et d'une sorte de mets d'un goût et d'une douceur admirables. La manière la plus ordinaire de les secourir était par le moyen de sainte Elisabeth, qui après la visite de la sainte vierge leur envoya toujours des dons. La sainte vierge dormait sur un pauvre lit de planches que lui avait fait saint Joseph. Elle avait deux couvertures dont elle s'enveloppait toute habillée pour prendre le peu de repos qui lui était nécessaire pour conserver la vie. Saint Joseph ne la vit jamais dormir et ne sut jamais par expérience si elle dormait quand elle se couchait. Son vêtement de dessous était une tunique ou chemise d'un tissu comme de coton plus douce qu'une étoffe en laine. Elle ne quitta jamais cette chemise en forme de tunique après qu'elle fut sortie du temple, elle ne s'usa ni ne se salit, et personne ne l'aperçut pas même saint Joseph qui ne vit jamais que le vêtement de dessus, visible pour tous. Ce vêtement était d'une couleur de cendre, et elle changeait seulement celui-ci et le voile, non parce qu'ils étaient sales, mais afin qu'on ne connût qu'ils étaient toujours dans le même état par un miracle évident. Tout ce qui touchait son corps virginal ne se gâtait point et n'était point sali, parce qu'elle ne suait jamais et qu'elle n'avait aucune des infirmités qu'éprouvent les corps assujettis au péché. Elle était toute pure et tout ce qu'elle faisait était parfait et extrêmement beau. Elle mangeait très peu, mais cependant elle le faisait tous les jours et toujours avec saint Joseph; elle ne mangea jamais de viande, quoique son époux en mangeât, et qu'elle même l'apprêtât. Sa nourriture était du pain ordinaire, des fruits, des herbes cuites et des poissons. Elle n'en prenait que ce qui était nécessaire pour l'entretien de sa vie selon son tempérament, et jamais elle n'excéda en rien comme mère de sagesse. Il en était de même pour le boire. Elle observa toute la vie pour la quantité cette juste proportion dans le manger, mais elle le changea pour la qualité suivant les occasions.

Le temps de l'heureux enfantement approchait, c'est pourquoi la sainte vierge commença à préparer les langes. Saint Joseph donna plusieurs ouvrages travaillés de ses mains et obtint en retour deux pièces de laine, l'une blanche et l'autre de couleur foncée, toutes les deux de-s meilleures qu'il était possible d'avoir. Elle en fit les langes pour le divin enfant. Elle fit les chemises d'une toile très-fine qu'elle avait travaillée elle-même après l'annonciation. Elle l'avait filée et tissée entièrement de ses saintes mains et toujours à genoux avec des larmes de tendre dévotion, elle avait ainsi fait les langes. Elle offrit au temple ce qui lui en resta. Elle enferma les chemises avec les langes dans un petit coffre qu'elle porta ensuite à Bethléem. Mais avant de les renfermer, elle les arrosa d'une eau de senteur qu'elle avait composée avec des fleurs et des herbes recueillies par saint Joseph. Mais En préparation intérieure fut bien plus grande, elle prépara sa grande âme par des actes héroïques de vertu et d'amour ardent pour recevoir dans ses bras le Dieu enfant. Elle préparait elle-même au Seigneur ce temple dont Salomon l'avait fait la figure. Dans tous ses actes elle se conformait à ceux que pratiquait son divin fils dans son sein virginal. Lorsqu'elle le voyait se mettre à genoux pour prier le père éternel ou qu'il se mettait en forme de croix comme pour essayer ce qu'il devait y souffrir, sa digne mère attentive à toutes ses actions s'appliquait eu elle-même à l'imiter avec une entière perfection.