CHAPITRE XIX

PRÉLUDES DE LA PRÉDICATION DE JÉSUS-CHRIST.

Jésus ayant atteint sa vingt-septième année, commença à se préparer à la prédication. Il sortait donc plus souvent de la maison, et quelquefois il restait trois jours entiers sans retourner vers sa mère. Elle souffrait beaucoup de cette absence, aussi elle envoyait souvent les saints anges auprès de lui, pour qu'ils l'informassent dans le plus grand détail, de ses occupations. Lorsqu'il restait ensuite à la maison, elle le recevait prosternée à terre et lui rendait des actions de grâces, pour les grâces qu'il avait accordées aux pécheurs. Elle le servait comme une tendre et affectueuse mère qu'elle était, et lui préparait quelque petit mets pour soulager sa sainte humanité qui en avait besoin, car il était resté quelque fois trois jours sans prendre du repos ni aucune nourriture. Non contente de cela, elle offrait de l'accompagner dans ses courses, pour aider aussi ceux qui entendraient ses divines paroles. Le Seigneur agréa cette offre, et lui donna la permission de le suivre, aussi dès ce moment toutes les fois que le divin maître sortait de Nazareth, la divine mère allait avec lui. Notre-Seigneur commença à parcourir les environs de Nazareth en annonçant le Messie, et il accompagnait ses enseignements d'inspirations intérieures de la grâce, afin qu'on fût préparé à le recevoir. Il proportionnait ses instructions à la qualité des personnes qui l'écoutaient, aux savants il alléguait le témoignage des prophéties, il parlait aux ignorants de la venue des Mages et du massacre des innocents et ainsi d'une manière différente suivant la capacité et les diverses dispositions des personnes. Le fruit de ces divins enseignements fut grand et abondant, quoiqu'il le fit en secret et non comme plus tard dans le temps de la prédication publique. Il visitait souvent les malades et assistait les moribonds qui étaient à l'agonie, il donnait aussi la santé du corps à un grand nombre, sans qu'ils en connussent la cause. La Vierge mère se trouvait ordinairement présente et coopérait avec lui, mais elle instruisait les femmes plus que les hommes, car le nombre de ceux qui suivaient Jésus était bien petit en ce temps là, le moment n'étant pas encore venu pour les appeler à sa suite. La compagnie ordinaire de Jésus était seulement sa mère et les anges qui, lorsqu'ils retournaient à la maison leur servaient comme d'abri, pour les défendre contre les rigueurs du temps. Ils enseignaient à toute sorte de personnes la venue du Messie sauveur du monde, les pauvres néanmoins étaient les plus privilégiés, parce qu'ils sont mieux disposés à recevoir la divine lumière, car leurs péchés sont plus légers, leur sollicitude des choses de ce monde moindre, et ils ont plus d'humilité.

En ce temps là, la voix du Seigneur se fit entendre à Jean-Baptiste, fils de Zacharie, comme le rapporte l'évangéliste. Il entendit cette voix dans une extase, dans laquelle Dieu lui fit comprendre qu'il devait sortir du désert et préparer les voies à la prédication du verbe. Le saint précurseur sortit donc du désert vêtu d'une peau de chameau, les pieds nus, le visage pâle. Il avait un air plein de gravité, avec une modestie incomparable et une humilité profonde; son âme était forte, généreuse et enflammée de charité pour Dieu et pour le prochain. Il était tel, en un mot, qu'il le fallait pour être le précurseur du verbe incarné et le prédicateur des hébreux, peuple dur, ingrat, opiniâtre, gouverné par des magistrats idolâtres et conduit par des prêtres avares et orgueilleux. Les anges avaient fait à Jean-Baptiste dans le désert une belle croix, devant laquelle il faisait plusieurs exercices de mortification, et souvent il s'y mettait en prière en forme de croix. Il ne crut pas convenable de laisser ce trésor dans le désert et il l'envoya par les anges en don à la sainte Vierge, qui la reçut avec une grande vénération et une douleur très- amère, à cause du mystère que sa vue représenta à son esprit. Elle la mit dans son oratoire, jusqu'au temps où les apôtres se dispersèrent dans le monde, et elle la leur donna avec plusieurs autres choses, comme nous le verrons clans la suite.

Jésus était parvenu à la trentième année de son âge. La Vierge mère qui avait atteint le comble de son amour envers lui, étant un jour élevée à une très-haute contemplation, entendit une voix sortie du trône de Dieu qui dit: Marie ma fille et mon épouse, offrez-moi votre fils en sacrifice. L'obéissante Marie le fit aussitôt avec une si grande et si inexprimable intensité d'amour, que ce sacrifice fut incomparablement plus agréable à Dieu que celui d'Abraham, et que tous ceux qui lui avaient été offerts jusqu'alors. En récompense, la sainte Vierge fut élevée à une claire vision de la divinité, où il lui fut donné de voir tous les mystères de la rédemption des hommes, par le moyen de la prédication, de la passion et de la mort de son fils, à laquelle elle devait elle-même coopérer par son consentement. Revenu de son extase, Jésus vint se présenter à elle, pour lui demander la permission d'aller accomplir en faveur des hommes tout ce qu'elle savait que Dieu lui avait imposé, lui promettant de revenir vers elle, et de l'avoir dès-lors pour compagne dans tous ses travaux. La sainte Vierge se jeta à ses pieds, et Jésus embrassa sa mère, et fondant tous les deux en larmes ils firent l'oblation d'eux-mêmes pour le salut du monde. Le rédempteur se dirigea vers le Jourdain où Jean-Baptiste prêchait et baptisait les pécheurs. Il se mêla parmi. la foule et demanda d'être baptisé par Jean-Baptiste, celui-ci éclairé d'une nouvelle lumière intérieure s'humilia en sa présence, demanda son baptême et rendit témoignage de lui. Ensuite il obéit au Sauveur et le baptisa comme il est raconté dans l'évangile. En ce moment on entendit une voix du ciel qui dit: hic est filius meus delectus, et on vit le Saint-Esprit descendre sur lui en forme de colombe, ainsi la divinité de Jésus-Christ fut confirmée par ces témoignages éclatants. Jésus exauça dans la suite la prière de Jean, il le baptisa de sa main, et lui conféra le premier le grand caractère de chrétien, instituant à cette occasion le sacrement de baptême, quoique la promulgation en ait été différée jusqu'après la résurrection.

Jésus se dirigea du Jourdain vers le désert accompagné des anges, et parvint à l'endroit que sa divine volonté avait désigné. C'était un lieu désert au milieu des broussailles et des rochers ou se trouvait une grotte entièrement cachée. Il se prosterna à terre avec une profonde humilité, et remercia le Père éternel de lui avoir donné ce lieu si propre à la retraite, et il continua sa prière en forme de croix, priant pour le salut des hommes. Ce fut sa prière la plus ordinaire dans ce désert, et il la fit le plus souvent en forme de croix et plusieurs fois il eut des sueurs de sang dans ses prières. Plusieurs bêtes sauvages vinrent reconnaître leur créateur, mais surtout les oiseaux qui chantèrent de joie en se voyant en présence de leur Dieu fait homme. Aussitôt que notre grande reine sut que son divin fils était dans le désert, elle se retira aussi dans sa chambre pour l'imiter en tout, selon sa coutume. Elle pleurait fréquemment et souvent avec des larmes de sang les péchés des hommes. Les anges lui apprenaient à chaque instant ce que faisait Jésus-Christ, la manière dont il priait, et toutes ses divines occupations. Elle lui envoya diverses ambassades, et leur commandait de le visiter en son nom, et leur donnait quelque fois des linges faits de ses propres mains pour l'essuyer, lorsque accablé de fatigue dans ses prières il avait des sueurs. Sa retraite fut si grande pendant ces quarante jours, que les voisins crurent qu'elle était partie de Nazareth, comme ils savaient que Jésus l'avait fait. Elle tint toujours fermée la porte de sa pauvre maison, et elle s'occupa le jour et la nuit à faire tout ce que faisait le rédempteur son fils dans le désert. Elle ne prit pendant ces quarante jours aucune espèce de nourriture; elle se prosternait à terre trois cents fois par jour, comme le faisait Jésus son fils dans le désert, elle s'unissait à lui dans ses adorations, ses génuflexions et ses prières, et les faisait à la même heure que lui. Lorsqu'il fut tenté par le diable, elle vit toute la terrible bataille de Lucifer, et l'imita dans tous les actes par lesquels son divin fils le confondit; elle participa ainsi à son glorieux triomphe, et elle lui en envoya des félicitations par ses anges. A leur retour par l'ordre de Jésus-Christ, les anges lui servirent une part des mets qu'ils avaient apportés du ciel, et elle fut aussi fortifiée par le ministère des anges dans son long jeûne. Les quarante jours étant passés, avant de quitter le désert, le fils de Dieu rendit grâces au Père éternel et fit une très-fervente prière pour ceux qui, à son exemple se retiraient ou pour toute la vie, ou pour quel- que temps dans la retraite, pour s'y appliquer à la contemplation et aux saints exercices, en se séparant du monde. Le Très-Haut lui promit de les favoriser, de faire entendre à leurs coeurs des paroles de vie éternelle, et de les prévenir de grâces toutes particulières. Il alla ensuite trouver Jean- Baptiste, qui rendit de nouveau témoignage de lui à ceux qui l'écoutaient, il partit de ce lieu et s'arrêta dix mois dans la Judée, éclairant les personnes humbles et simples de l'arrivée du Messie, dans les pays qu'il parcourait. Notre grande reine de son côté sortit aussi de sa retraite et instruisit plusieurs personnes des pays voisins, en leur annonçant la venue du Messie rédempteur du monde, sans découvrir celui qui l'était.