CHAPITRE XXI

ENTRÉE TRIOMPHANTE DE JÉSUS-CHRIST A JÉRUSALEM.


Le jour qui correspond à celui du dimanche des rameaux étant arrivé, le Seigneur alla à Jérusalem accompagné d'une multitude d'anges qui louaient par de saints cantiques son ardente charité pour les hommes. Lorsqu'il fut près de la ville sainte, il envoya deux de ses disciples à la maison d'un homme riche, qui habitait auprès de Bethphagé, et avec son consentement ils amenèrent à Jésus une ânesse et l'Anon, sur lesquels les disciples mirent leurs vêtements et le rédempteur y monta. En outre de tout ce que rapportent les évangélistes de ce grand fait, il arriva encore plusieurs autres choses. L'archange saint Michel fut envoyé aux Limbes pour faire connaître aux pères ce glorieux triomphe. Tous ceux qui dans la Judée et dans l'Égypte avaient connu le Sauveur, ressentirent une grande joie spirituelle intérieure et adorèrent en esprit le Seigneur. Dieu ordonna dans ce jour si glorieux que personne ne mourût dans tout l'univers. Tous les démons furent forcés de rester dans le plus profond des abîmes. Arrivé à ..Jérusalem, le Seigneur descendit de l'ânon et s'avança à pied du côté du temple, où il renversa par terre les tables de ceux qui vendaient et achetaient, et les chassa du temple. Ensuite il se mit à enseigner et à prêcher sans prendre aucune nourriture, car, parmi tant de peuple et de personnes même de considération qui l'avaient acclamé en criant: hosanna in excelsis! personne ne l'invita à manger dans sa maison, c'est pourquoi il se retira le soir à Béthanie. La Vierge mère y était restée tout le jour, renfermée dans sa chambre, d'où elle vit en esprit tout ce qui arriva à son fils dans la ville et dans le temple, elle vit les acclamations que les anges faisaient dans le ciel et sur la terre, et tout ce qui arriva aux démons. Ce triomphe fit soupçonner à Lucifer que Jésus était le vrai Messie, c'est pourquoi il résolut de ne pas lui faire donner la mort, mais de l'empêcher au contraire de toutes ses forces, car il craignait que par Cette mort il ne détruisit son empire. Il alla donc pour dissuader Judas du dessein de vendre le Seigneur, et de traiter avec les princes des prêtres et les pharisiens; il lui apparut même d'une manière visible, et lui offrit l'argent qu'il voudrait, s'il voulait changer son désir et son dessein. Mais l'ingrat ne mérita pas d'être aidé de la grâce pour ce changement. Lucifer voyant ce moyen inutile, essaya de persuader au conseil de ne pas le faire mourir un jour de fête, de crainte qu'il ne s'élevât quelque tumulte parmi le peuple. Ce moyen ne lui ayant pas réussi, il essaya auprès de la femme de Pilate, afin qu'elle engageât son mari à ne pas le condamner à mort, et il insinua aussi à Pilate diverses suggestions.

Jésus revenu à Béthanie, y resta jusqu'au jeudi pour instruire ses disciples et s'entretenir avec sa très-sainte mère, néanmoins, le lundi et le mardi il alla au temple de Jérusalem. Il régla dans ses entretiens avec la Vierge mère, tout ce qu'elle devait faire dans tout le cours de sa passion et de sa mort. Dans ses discours et ses entretiens, il ne lui parla pas avec la tendresse d'un fils, mais comme un roi, avec gravité et majesté. Le jeudi, à l'aurore il appela sa mère, qui se prosternant aussitôt à ses pieds: parlez Seigneur, dit-elle, votre servante est à vos pieds. Le Seigneur la releva, et lui annonça que l'heure de sa cruelle passion était venue; non seulement il lui demanda la permission de mourir pour le salut éternel des hommes, mais encore il l'exhorta à coopérer elle-même à la rédemption. Qui pourrait jamais exprimer l'ineffable douleur qui pénétra le coeur très-pur de la Vierge mère, lorsqu'elle se sépara de son tendre et bien-aimé Jésus. Mais elle se résigna avec la plus parfaite soumission à sa volonté, lui demanda la grâce d'aller avec lui, et de pouvoir participer avec magnanimité aux souffrances si terribles et si cruelles de la croix. Elle le pria de lui donner avant de mourir son corps divin dans le saint sacrement qu'il devait instituer, comme il le lui avait révélé. Le Seigneur y condescendit avec amour, et il ordonna à ses anges de l'assister dès ce moment en forme visible, et il lui recommanda de le suivre constamment avec les trois autres saintes femmes. Il lui donna enfin la divine bénédiction, en proie tous les deux à une ineffable et profonde douleur. Jésus ayant pris congé de sa tendre mère sortit de Béthanie un peu avant midi, accompagné de ses anges. La sainte Vierge vint peu après accompagnée des saintes femmes. Le Seigneur instruisait ses disciples en marchant, et la divine mère faisait la même chose pour les saintes femmes. Judas n'était pas présent lorsque le Seigneur dit : Scitis, quia post biduum pascha fiet, et filius hominis tradetur ut crucifigatur. Il allait demander avec perfidie, tantôt aux Apôtres, tantôt à la divine mère et tantôt même au divin maître, en quel lieu ils devaient célébrer la Pâque. Le Seigneur quoiqu'il connût sa disposition perverse et déréglée, ne lui répondit que ces paroles: O Judas qui pourra comprendre les secrets du Très-Haut. Les Apôtres proposèrent quelques doutes au divin maître qui y répondit avec une grande prudence et une grande sagesse, ensuite il envoya saint Pierre et saint Jean préparer le lieu pour la cène légale. Il y avait un palais près de Jérusalem, que possédait un homme riche, très-dévoué au Sauveur, qui avait cru à sa doctrine et à ses miracles, il avait été touché d'une grâce particulière pour offrir volontairement son habitation avec tout ce qui était nécessaire à la cène, un grand cénacle, orné avec la décence qui était convenable pour les grands mystères qui devaient y être célébrés.