CHAPITRE XXXIV

ON FAIT CONNAITRE UN NOUVEAU MIRACLE DE JÉSUS POUR LA TRÈS SAINTE VIERGE.


Il est incontestable que les faveurs que la divine mère reçut de son divin fils, après qu'elle fut descendue du ciel pour diriger l'Église, sont ineffables, si en effet, auparavant elles avaient été très-grandes, elles augmentèrent dès ce moment d'une manière incroyable, pour montrer que le pou. voir de celui qui les communiquait était infini, et que la capacité de cette créature unique, singulière et élue entre toutes les autres, qui les recevait était immense. Le grand et incomparable miracle fut que les espèces sacramentelles du corps divin de Jésus, se conservaient dans le cœur ardent de la Vierge mère jusqu'à l'autre communion, qui avait lieu le lendemain. II ne faut pas en chercher d'autres raisons que celles qu'eurent les autres faveurs dont le Dieu tout- puissant combla uniquement cette grande reine, qui sont sa volonté sainte, et son pouvoir infini par lequel il opère toujours ce qui convient avec poids et mesure. il suffit à la piété chrétienne de savoir que cette pure créature fut la mère naturelle de Dieu, et qu'elle fut seule digne de l'être entre toutes les créatures, et puisque cette merveille a été unique et sans exemple, ce serait un aveuglement trop grand de chercher un exemple, pour être ainsi persuadé de ce que Dieu fit pour sa mère, car il a fait pour elle seule ce qu'il n'a jamais fait et ce qu'il ne fera jamais pour les autres créatures, car seule MARIE est établie et élevée au-dessus de l'ordre commun de tous les êtres. Ce fondement supposé, le Très-Haut veut que par les lumières de la foi eUes autres lumières divines nous puissions découvrir les raisons de convenance et de justice, par lesquelles son bras tout-puissant a opéré ces merveilles en faveur de sa très-digne mère, afin que nous puissions ainsi parvenir à le connaître et à le louer en elle et par elle, et que nous comprenions combien notre espérance et notre destinée est certaine et assurée, dans les mains de cette reine si puissante dans laquelle Dieu a mis en dépôt toute la force de son amour.

Nous devons considérer que la sainte Vierge vécut trente-trois ans dans la compagnie de son divin fils, et dès l'instant que la divine Majesté humanisée vint au monde, elle ne le quitta jamais jusqu'à la croix. Ainsi, elle le nourrit, le servit, l'accompagna, le suivit, l'imita, faisant toutes ses saintes actions comme mère, comme fille, comme épouse, comme bien-aimée et comme servante; elle jouissait de sa vue, de sa conversation, de sa doctrine, et des faveurs qu'en considération de ses mérites et de ses hommages , elle reçut dans sa vie mortelle. Jésus ensuite monta au ciel, et la grandeur de son amour et toutes les raisons l'obligèrent d'amener avec lui sa mère bien-aimée, afin de ne pas y être privé d'elle et qu'elle ne. restât pas au monde sans lui, mais l'ardente charité que le fils et la mère avaient pour les hommes, rompit en quelque manière autant qu'il fut possible ce lien, en obligeant la miséricordieuse mère. de revenir au monde pour affermir l'Église naissante, et le divin fils à l'envoyer et à permettre qu'elle fût éloignée de lui, pendant le temps nécessaire. Mais puisque le fils de Dieu est tout-puissant et qu ml pouvait récompenser cette privation de bonheur d une manière possible, il devait à l'amour immense qu'il portait à sa mère, de lui accorder pour récompense de rester avec elle de cette manière, autrement, elle lui eut fait éprouver une peine insupportable, si elle eût dû être éloignée de lui et privée de sa présence pendant un si grand nombre d'années. Le divin fils satisfait à tout en restant toujours sous les saintes espèces dans le coeur divin de sa mère, il récompensa aussi avec abondance la joie qu'il avait éprouvée lorsqu'il était sur la terre, de la part de sa tendre mère, car alors il s'éloignait souvent pour s'appliquer à l'oeuvre de la rédemption, et elle s'affligeait dans ces occasions, car elle craignait qu'à cause de ses grandes fatigues il ne retournerait point, et lorsqu'elle le voyait, elle ne pouvait détourner son esprit de la passion et de la mort de la croix qui l'attendaient, et cette douleur diminuait le bonheur qu'elle avait de sa présence. Mais lorsqu'il était à la droite de son père, que la passion était accomplie, et que son divin fils était dans son sein virginal sous les espèces sacramentelles, la divine mère jouissait alors pleinement de sa vue et de sa présence sans crainte et sans appréhension, car avec son fils, elle avait la très-sainte Trinité.

Par cette faveur que la divine mère reçut, le Seigneur satisfit à la promesse qu'il avait faite d'être dans son Église jusqu'à la fin du monde, car dans ces premières années les apôtres n'avaient ni temples, ni lieux de réserve, ni tabernacles pour conserver la divine Eucharistie, c'est pourquoi toutes les saintes espèces étaient consommées le jour même. La sainte Vierge fut le temple et le tabernacle, dans lequel pendant quelques années le Seigneur se conserva sous les saintes espèces, afin que le verbe incarné fût toujours présent dans son Église. Quoiqu'il ne fut pas présent dans ce saint tabernacle pour l'usage des fidèles, il y était sans aucun doute pour leur avantage et pour d'autres fins très-élevées, car la mère de la piété priait, demandait, suppliait pour tous les fidèles dans le temple de son coeur, elle adorait Jésus sous les espèces sacramentelles au nom de toute l'Église. Par le moyen de cette miséricordieuse mère et par la présence que Jésus faisait par elle dans l'Église, il était uni d'une certaine manière au corps mystique des fidèles. Cette grande reine rendit surtout ce siècle plus heureux, en conservant dans son coeur son fils sous les saintes espèces, qu'en restant comme à présent dans les tabernacles, car dans le coeur de la sainte Vierge il fut toujours adoré, vénéré, aimé, loué et honoré d'une manière parfaite et jamais il ne fut outragé, offensé et profané comme il l'est maintenant presque toujours dans nos temples. Jésus trouvait dans Marie avec abondance les délices qu'il avait souhaité de prendre dès l'éternité avec les enfants des hommes; la présence perpétuelle de Jésus dans son Église avait été résolue pour se réjouir avec nous, sa divine majesté obtint ce but, et il ne l'eût jamais complètement obtenu d'une autre manière, s'il ne fut resté sous les espèces sacramentelles dans le coeur brûlant d'amour de sa mère bien-aimée. Elle fut la sphère propre et le vrai centre où il prit pleinement son repos, de sorte que toutes les créatures excepté la Vierge mère n'étaient pour lui qu'un lieu étranger, car il ne retrouvait dans aucune cet aliment que trouvait dans Marie le feu de sa divinité, qui brûle toujours parce qu'il est la charité infinie.

La manière dont le Très-Haut opérait ce nouveau miracle était celui-ci. Lorsque la sainte Vierge recevait les espèces sacramentel1es, elles se retiraient de. l'estomac où se fait la coction de la nourriture et où les aliments naturels se trans- forment, afin que les saintes espèces ne se confondissent pas avec le peu de nourriture que la divine reine prenait pour conserver sa vie, et ne se consommassent pas ainsi avec elle. Ainsi Jésus sous les espèces sacramentelles, n'entrait pas dans l'estomac, mais par miracle il se plaçait dans le coeur même de Marie, que le Seigneur récompensait ainsi du sang précieux qu'il avait fourni dans l'incarnation du Verbe, lorsque la très-sainte humanité fut formée, à laquelle il s'unit aussitôt hypostatiquement. Et si la communion sacramentelle est appelée une extension de l'incarnation, il était juste et convenable que la divine mère participât à cette extension par une nouvelle et particulière manière, puisqu'elle avait concouru aussi d'une manière miraculeuse et singulière à l'incarnation du Verbe éternel. Il est vrai que la chaleur du coeur chez les personnes vivantes et saines est très-grande, et la nature prévoyante prend soin d'y envoyer de l'air qui donne une ventilation, pour tempérer cette chaleur naturelle qui est le principe de la vie, mais dans la noble et si parfaite organisation de la souveraine de l'univers, la chaleur du corps était très-grande, et elle était encore augmentée par les affections ineffables de son coeur ardent, néanmoins les espèces sacramentelles n'étaient pas consommées, et il y avait encore là un autre miracle, mais ils ne manquaient pas dans cette créature unique qui était le miracle des miracles et qui les rassemblait tous en elle.

Cette faveur commença à la première communion qu'elle reçut du Seigneur à la cène, et elle dura jusqu'à la seconde qu'elle fit des mains de saint Pierre, et en avalant les secondes espèces, les premières se consommaient. Ainsi de cette manière miraculeuse, de ce jour jusqu'à la dernière heure de sa vie, Jésus sous les espèces sacramentelles resta dans son sacré coeur. Par ce privilège et celui de la continuelle vision abstractive de la divinité, la sainte Vierge fut si divinisée et ses opérations et ses facultés furent si élevées au-dessus de tout ce que peut concevoir l'esprit humain qu'il est impossible de l'expliquer. Qui parmi les mortels et même les séraphins pourra faire connaître l'embrasement de l'amour divin qui brûlait dans son coeur très-pur? Qui pourra comprendre l'impétuosité du fleuve de la divinité qui a inondé cette cité de Dieu? Très-souvent le corps de Jésus lui apparaissait tout glorieux dans son sein très-pur, d'autre fois avec la beauté naturelle de la très-sainte humanité. Elle connaissait ensuite tous les miracles que renferme la sainte Eucharistie et tous les mystères, mais ce qui pour elle était au-dessous de tout prix, c'était que son très-saint fils étant sous les espèces sacramentelles dans son coeur très-pur trouvait plus de joie d'être avec elle, qu'avec tous les sainte et tous les anges ensemble. Ranimons donc notre foi envers elle, élevons notre espérance, enflammons-nous d'amour pour Dieu et pour une si sainte mère, et implorons son secours dans tous nos besoins, car elle est toute-puissante, très miséricordieuse et pleine de charité