CHAPITRE XLIV

EXERCICES DE DÉVOTION DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE, ET PRÉPARATION A LA SAINTE COMMUNION.


Parmi les innombrables faveurs qu'avait reçues la divine mère, elle eut celle, et elle l'eut dès le premier instant de sa conception, de ne jamais rien oublier en aucune manière, de ce qu'elle avait une fois connu ou appris, jouissant ainsi par privilège de ce que les anges possèdent par nature. Toutes les images et les espèces de la passion de son fils restèrent vivement gravées dans son intérieur, de la même manière qu'elle les reçut, et dans ces dernières années qu'elle eut la grâce d'une continuelle vision abstractive, elle en jouissait miraculeusement, et elle souffrait de la mémoire de la passion du fils, et désirait toujours être crucifiée avec le Christ. Tantôt elle considérait pendant plusieurs heures dans son oratoire la passion de son fils bien-aimé, tantôt elle visitait les saints lieux où il avait souffert, en versant toujours des larmes de douleur. Elle régla avec saint Jean, que chaque vendredi de l'année elle célèbrerait la mort de son fils, de sorte que ce jour elle ne sortait pas de son oratoire, et l'apôtre restait dans le cénacle pour répondre aux personnes pieuses et dévotes qui voulaient la voir et la visiter, et lorsque l'apôtre était absent, un autre disciple restait à sa place. La grande reine se retirait pour ce saint exercice le soir du vendredi, deux heures avant la nuit, et ne sortait plus jusqu'au dimanche : et s'il survenait une nécessité pressante de venir elle-même en personne, elle envoyait un ange sous sa forme, tant elle était attentive et prévoyante pour tout ce qui regardait la charité envers ses chers fidèles, qu'elle estimait et aimait comme des enfants bien-aimés. Elle portait toujours avec elle une croix, et pendant ce temps elle se plaçait sur une autre plus grande, ainsi pendant qu'elle vécut elle renouvela en elle-même la passion de son fils, et par ses saints exercices elle obtint du Seigneur de grands bienfaits et des grâces pour tous ceux qui seraient dévots à la divine passion, et comme reine toute-puissante, elle promit de leur accorder des grâces ineffables, dans le désir que ce souvenir se conservât dans la sainte Église.

Elle célébrait l'institution de l'auguste sacrement de l'eucharistie et faisait de nouveaux cantiques de louanges, des actes ardents d'amour et d'action de grâce; elle invitait ses anges gardiens et les anges du ciel à l'accompagner dans ses vives actions de grâces, et comme elle possédait dans son coeur très-pur Jésus sous les espèces sacramentelles, elle excitait ces esprits bienheureux à admirer ce prodige et les priait d'en rendre au Seigneur louange, gloire et honneur. Les anges étaient confondus d'étonnement et stupéfaits de voir dans une pure créature une si incomparable charité, une sainteté si élevée, et une humilité si profonde. Leur étonnement redoublait en la voyant se préparer à la communion suivante: En premier lieu, elle offrait à cette fin l'exercice de la passion, de chaque semaine, aussitôt après les exercices de la passion lorsqu'elle se retirait le soir qui précédait le jour de la communion, elle commençait de nouveaux exercices de prosternations, et se mettait par terre en forme de croix, ensuite elle se levait et continuait ses génuflexions pour adorer l'être immuable de Dieu, elle demandait au Seigneur la permission de lui parler, et le suppliait que, sans considérer sa bassesse naturelle, il lui accordât la sainte communion, elle lui offrait la passion de son fils, la mort, l'union hypostatique et toutes les oeuvres et les mérites du Christ, elle lui offrait la pureté et la sainteté de toutes les hiérarchies angéliques, ainsi que toutes leurs oeuvres, celles de tous les justes et de toute l'Église, présentes et futures. Après cela elle faisait des actes de très-profonde humilité, en considérant qu'elle n'était que poussière et d'une nature de boue, qui est inférieure à l'infini, à l'être divin; et dans la considération de ce qu'elle était et de ce qu'était Dieu, qu'elle allait le recevoir sous les espèces sacramentelles, elle se répandait en affections si sublimes, qu'elle surpassait même tous les séraphins. Mais comme elle s'estimait la dernière de toutes les créatures, avec un sentiment de très-profonde humilité, elle invitait les anges à demander au Seigneur et à le prier de la préparer et de la disposer pour le recevoir dignement, car elle était une créature qui leur était inférieure. Les anges lui obéissaient avec admiration et avec joie, et l'accompagnaient dans les prières où elle employait la plus grande partie de la nuit qui précédait la sainte communion. Lorsque l'heure de faire la sainte communion était venue, elle entendait d'abord à genoux, avec une modestie incomparable, la sainte messe que saint Jean célébrait, en récitant des hymnes, des psaumes et d'autres prières, car le prêtre ne pouvait pas alors lire les épîtres et les évangiles qui n'étaient encore écrits; la consécration fut toujours la même. A la fin de la messe elle se préparait à communier, elle faisait trois prostrations profondes, et toute brûlante et enflammée elle recevait sous les espèces sacramentelles ce même fils, à qui elle avait donné la sainte humanité dans son sein virginal. Ensuite elle se retirait et continuait son recueillement et son action de grâce pendant trois heures, saint Jean eut le bonheur de la voir plusieurs fois dans ce moment revêtue de splendeur et plus rayonnante de lumière que le soleil.

Reconnaissant comme mère de la sagesse avec quelle ineffable décence le sacrifice non sanglant devait se célébrer, elle tissa et cousut de ses propres mains les habits sacerdotaux et les ornements pour célébrer la sainte messe, et la première elle introduisit la sainte coutume de célébrer avec des ornements de diverses couleurs. Elle recevait des aumônes et des dons dans ce but, elle travaillait elle-même, tantôt à genoux, tantôt debout, aussi les habits sacrés conservaient un parfum céleste qui enflammait le coeur des ministres. Il venait d'un grand nombre de provinces où prêchaient les apôtres, divers personnages de distinction déjà convertis, pour voir et vénérer la divine mère, et après avoir vu ce modèle de toutes les Vertus, ils lui offraient des sommes considérables pour son usage et pour le soulagement des pauvres, mais la grande reine répondait qu'elle faisait profession de pauvreté comme son divin fils, et que tous les disciples se conformaient à leur divin maître. Ils lui répondaient en versant des larmes de les distribuer aux pauvres et de les appliquer au culte divin, et la miséricordieuse mère pour les consoler acceptait quelque chose de ce qu'on lui offrait avec tant d'instances, comme des toiles fines ou des ornements précieux, qu'elle préparait ensuite et faisait servir au culte divin, pour ornements des prêtres et pour parures des autels; elle distribuait le reste aux pauvres et aux maisons où ils étaient réunis, qu'elle Visitait elle-même et où elle les servait de ses propres mains, elle donnait aux pauvres les aumônes qu'elle avait reçues, et elle le faisait à genoux, parce qu'elle voyait dans ces pauvres son divin fils, retirée ensuite dans son oratoire elle les recommandait au Seigneur. Elle donnait à tous ces bienfaiteurs des lumières et des conseils de vie éternelle, les enflammait d'ardeur pour suivre Jésus-Christ, et elle agissait ainsi avec tous indifféremment et sans exception; mais la merveille la plus grande était l'étonnement des étrangers qui la voyaient pour la première fois, fidèles, païens ou juifs, tous étaient ravis d'admiration en contemplant sa majesté, sa grâce, son humilité et sa charité plus qu'humaine, et tous attendris ils confessaient et disaient : Celle-ci est véritablement la mère de Dieu, et ils embrassaient la sainte foi par la force qu'ils ressentaient intérieurement. Dans leurs rapports avec elle, ils expérimentaient ensuite qu'elle était le vrai canal des grâces divines; ses paroles, remplies d'une profonde sagesse portaient la conviction dans toutes les intelligences et communiquaient des lumières de vie éternelle, de même aussi par la grâce infinie et la beauté ineffable de son visage et sa douce majesté, elle attirait tous les coeurs et les amenait à une vie parfaite; les uns en étaient saisis d'étonnement, les autres fondaient en larmes, et d'autres en parlaient avec admiration ne cessant de l'exalter par des louanges, ils confessaient le Christ pour vrai Dieu, puisque sa mère était si incomparablement belle, aimable, humble et sainte.

La grande reine, dans ces derniers temps, ne mangeait presque pas et dormait très-peu, elle le faisait même pour obéir à saint Jean, qui la priait de se retirer la nuit, pour prendre un peu de repos. Son sommeil était d'une demi-heure, au plus d'une heure entière, mais jamais elle ne perdait la vue de Dieu, et son coeur ne cessait de veiller, elle s'humiliait, se résignait et aimait avec ardeur. Sa nourriture ordinaire consistait dans quelques bouchées de pain et quelque fois, sur les instances de saint Jean, elle y ajoutait un peu de poisson pour lui tenir compagnie, car le saint fut très-favorisé comme son Dieu, en ceci, qu'il mangeait à la même pauvre table, et sa nourriture lui était préparée par la grande Reine, qui le servait comme une mère sert son fils, de plus elle lui obéissait comme prêtre et comme tenant la place du Christ, Quoique la divine mère eût pu vivre sans cette légère nourriture, et ce peu de sommeil (1) elle le prenait néanmoins, non par nécessité, mais pour pratiquer l'obéissance envers l'apôtre, et par humilité, pour payer en quelque manière la dette de la nature humaine, car elle était la prudence même. Elle employait tout le reste du temps à des exercices de charité envers Dieu et envers le prochain.

C'était la quarante-cinquième année de la naissance du Seigneur, et la Vierge-Mère avait soixante ans, deux mois et quelques jours; elle n'avait plus que peu de temps à vivre, comme viatrice, aussi comme la pierre par le mouvement naturel qui l'attire vers le centre de la terre, acquiert toujours une rapidité d'autant plus grande, qu'elle s'en rapproche davantage, de même en approchant du terme de sa vie si glorieuse, les élans de l'esprit si pur de la divine mère étaient d'autant plus rapides et les désirs amoureux de son coeur d'autant plus impétueux, pour atteindre le centre de son éternel repos. Dès le premier instant de sa conception elle fut comme un fleuve débordé sorti de l'immense océan de la Divinité, dans l'entendement de laquelle elle avait été formée dès l'éternité; elle vint ensuite au monde avec une effusion incroyable de dons, faveurs, grâces, privilèges, vertus, mérites et sainteté, et elle grandit de telle sorte en tout, que la sphère de toutes les créatures devint trop étroite, aussi par le mouvement incompréhensible de son ineffable charité, elle se hâtait de s'unir à la mer dont elle était sortie, pour rentrer dans son sein, et pouvoir ensuite de nouveau par sa maternelle piété inonder l'Église. La grande Reine vivait dans ces dernières années par la douce violence de l'amour, dans une espèce de martyre continuel de charité. Son très-saint fils descendit du ciel sur un trône de gloire entouré de milliers d'anges, pour la visiter, et s'approchant de sa divine mère, il la renouvela et la fortifia dans ses langueurs d'amour, en lui disant: Ma mère et ma colombe, venez avec moi à la patrie céleste, où vos larmes se changeront en allégresse, et où vous vous reposerez, délivrée de toute peine. Les anges placèrent aussitôt leur reine sur le trône à côté de son fils, et ils montèrent tous au ciel au milieu de célestes mélodies. Elle adora la très-sainte Trinité, son fils bien-aimé la retint toujours à ses côtés, ce qui causa une nouvelle joie à toute la cour céleste, et le Verbe incarné parla ainsi à son père éternel: Père éternel, cette Vierge est celle, comme vous le savez, qui m'a donné dans son sein très-pur la forme humaine, qui m'a nourri de son lait, m'a entretenu par ses fatigues, m'a accompagné dans mes travaux et mes souffrances, qui toujours fidèle à coopéré avec moi à la rédemption des hommes, et a exécuté en tout votre sainte volonté. Elle est toute pure et exempte de toute tache de péché; par ses saintes oeuvres et ses héroïques vertus elle est parvenue au comble de la plus sublime sainteté. En outre des dons communiqués par notre puissance infinie, lorsqu'elle est parvenue à la récompense qu'elle avait méritée, et pouvant en jouir en liberté, elle s'en est privée pour notre seule gloire, et elle est revenue à l'Église militante pour l'instruire et la gouverner, se confiant sur l'équité de notre divine providence; il est temps qu'elle soit récompensée comme reine de toutes les choses créées. Le Père éternel répondit: Mon divin fils, chef de tous les élus, tous mes trésors et toutes choses sont déposés dans vos mains, rendez-en participante notre bien-aimée, suivant sa dignité, et pour notre gloire. Sur ces paroles le divin fils annonça en présence de tout le paradis, et en le promettant à sa mère, que chaque dimanche après ses saints exercices, elle serait apportée par les anges dans le ciel, afin de célébrer, en présence du Très-Haut en corps et en âme le grand mystère de la résurrection. Le Seigneur voulut aussi que dans la sainte communion qu'elle faisait chaque matin, la sainte humanité lui apparût unie à la Divinité dans la personne divine, d'une manière admirable et plus élevée qu'elle n'avait été par le passé. Ensuite il se tourna vers sa chère mère et lui dit: Mère bien-aimée, je serai toujours avec vous pendant le temps qui vous reste de votre vie mortelle, et d'une manière particulière incompréhensible aux anges mêmes, ainsi je serai la récompense de votre exil.

Au milieu de ses ineffables faveurs, la sainte Vierge se retirait dans le plus profond de son néant, elle louait, exaltait le Tout-Puissant et lui rendait grâces, elle se concentrait dans le bas sentiment qu'elle avait de son être, elle s'humiliait et s'abaissait dans le même temps qu'elle recevait l'exaltation, dont elle se rendait ainsi digne. Elle fut encore plus grandement illuminée et renouvelée dans ses facultés, pour être préparée à la claire vision intuitive, le voile fut ouvert aussitôt, et elle vit l'essence infinie de Dieu, et posséda pendant quelques heures plus que tous les saints le bonheur et la gloire du ciel, buvant ainsi les eaux de la vie à la source-même, elle rassasiait ses désirs enflammés, et arrivée alors à son centre, sa violence d'amour s'apaisait, pour venir de nouveau communiquer la grâce. Après cette faveur ineffable, elle fit des actions de grâces indicibles à la très-sainte Trinité, elle pria de nouveau avec de vives instances pour l'Eglise, et elle fut rapportée dans son oratoire; là, elle se prosterna le visage contre terre selon sa coutume, et s'humilia après cette faveur plus que tous les enfants d'Adam ne s'humilieront jamais. Dès ce jour, pendant tout le temps qu'elle vécut, elle fut transportée chaque dimanche au ciel, le Christ son fils venait la recevoir, et elle était plongée dans un océan de bonheur, alors les anges chantaient: regina caeli, laetare, alleluia : elle consultait ensuite sur les affaires les plus difficiles de l'Église, elle intercédait pour tous les fidèles et en particulier pour ses chers apôtres et disciples, et revenait sur la terre chargée comme ce riche vaisseau dont parle Salomon, Prov. XXXI. Cette grâce spéciale lui fut justement accordée parce qu'elle s'était privée de la gloire béatifique, lorsqu'elle fut conduite au ciel le jour de l'ascension de son fils, pour s'appliquer au gouvernement de l'Église. Dans sa sollicitude, la violence de son amour lui enlevait toutes les forces, aussi pour lui conserver la vie, il était convenable qu'elle fût transportée au ciel pour recevoir une nouvelle force, afin qu'elle continuât le gouvernement de l'Eglise et souffrit les excès de son amour, et encore aussi parce que renouvelant en elle-même chaque semaine toute la passion de son fils, elle la ressentait de telle sorte, qu'elle mourait pour ainsi dire de nouveau avec son fils, et par conséquent elle devait ressusciter avec lui. (2)

                                                



(1) On lit dans la vie de plusieurs saints, qu'ils ont passé quarante jours sans manger ni dormir. De nos jours même, la Vierge stigmatisée du Tyrol n'a pris aucune nourriture pendant vingt ans, pas même une goutte d'eau, voir les relations de M. E. de Cazalès et autres. Dans le ciel ne vivrons-nous pas sans manger ni dormir.

(2) Nous rappellerons à ceux qui trouveraient trop extraordinaire ce qui est raconté dans ce chapitre, de méditer un peu sur les miracles de la sainte messe, qui se dit tous les jours en tous lieux. Un bomme, qui transubstantie du pain et du vin, au corps, au sang, âme et divinité de Notre-Seigneur. La matière du pain et du vin qui est anéantie, les attributs qui subsistent sans la substance. Jésus qui se donne invisiblement à tous, et le reste. Après une courte réflexion, on verra que ce que nous croyons, que Jésus a fait et fait tous les jours pour nous, n'est pas moins merveilleux, que ce qu'il a voulu faire pour sa mère, d'après notre vie divine. Pourquoi prescrire des bornes à l'amour de Dieu.