CHAPITRE VII

COMMENT LE TRÈS HAUT PRÉPARA LA SAINTE VIERGE ET LA COMBLA DE GRÂCES POUR LA RENDRE DIGNE D'ÊTRE LA MÈRE DE DIEU

La sainte Vierge s'occupa à des oeuvres de profonde humilité et d'héroïques vertus pendant les six mois et dix-sept jours qui s'écoulèrent depuis le mariage jusqu'à l'incarnation du verbe éternel. Pour accomplir ce mystère avec plus de décence le Seigneur prépara la sainte épouse d'une manière singulière les derniers jours qui précédèrent son incarnation dans son sein virginal. Le premier jour de cette préparation, Marie se levant à minuit, selon sa coutume, pour louer le Seigneur; les anges lui parlèrent ainsi : épouse de notre divin maître, levez vous, car sa divine majesté vous appelle. Elle répondit : le Seigneur ordonne à la poussière de se lever de la poussière, et se tournant vers lui, mon divin maître dit-elle; que voulez-vous faire de moi? à ces paroles gon âme fut élevée à un nouveau séjour plus rapproché du Seigneur. La divinité lui fut manifestée d'une manière abstractive et elle connut avec une grande clarté les oeuvres du second jour de la création du monde. Le Seigneur lui découvrit qu'elle devait lui demander avec instance l'accomplissement de l'incarnation. Dans cette vision elle connut en particulier comment elle était formée de la ville matière de la terre; elle eut une si profonde connaissance de son être terrestre qu'elle s'humilia profondément et s'abaissa plus que tous les enfants d'Adam bien qu'ils soient remplis de misères. Le Seigneur lui donna cette connaissance pour creuser dans son coeur des fondements d'humilité qui fussent en proportion avec l'édifice qu'il voulait élever en elle; et comme la dignité de mère de Dieu est en quelque sorte infinie, il fallait que l'humilité qui devait lui servir de fondement fut sans bornes.

Le second jour elle connut tout ce qui était du second jour de la création du monde. Dieu lui donna un plein pouvoir sur les cieux et tous les éléments; principalement pour deux raisons : la première, parce que la Vierge étant exempte du péché originel, devait dès-lors être exempte de toutes les misères des enfants d'Adam, contre lesquels Dieu avait donné aux créatures, en punition du péché, le pouvoir de venger l'outrage fait au créateur. La seconde, parce qu'il était convenable que toutes les créatures obéissent à celle à qui le créateur même devait obéir. Mais elle n'usa jamais de l'empire qu'elle avait sur les vents, la mer, le froid, le chaud, les saisons, si ce n'est lorsque la gloire de Dieu le demandait.

Le troisième jour elle reçut la science infuse de tout ce qui fut fait au troisième jour de la création. Elle connut avec une grande clarté les propriétés des eaux, les herbes, les fruits, les plantes, les métaux, les pierres, les minéraux et la connaissance qu'elle en eut surpassa celle d'Adam, de Salomon et des autres hommes. Elle reçut un si grand pouvoir qu'aucune créature ne pouvait lui nuire, si elle ne le permettait. Mais elle n'usa jamais de sa science ni de son pouvoir pour se préserver des souffrances; quelquefois seulement elle s'en servit pour les pauvres. Dieu lui donna aussi la connaissance de l'amour infini de Dieu jour les hommes et cette vue fit naître en elle un si grand désir de nous sauver et de réparer nos malheurs, pour plaire à Dieu, qu'elle serait morte mille fois, si le Seigneur ne lui eût conservé la vie par sa puissance. Sa grande charité et son ardent désir de sauver les pécheurs la disposait de plus en plus à être la mère du sauveur, et puisque son fils devait sauver le monde par le moyen de sa passion, usant de son pouvoir sur les créatures elle. le mir commandait de lui faire supporter ce qu'elles devaient faire souffrir à leur créateur.

Le quatrième jour elle fut élevée à une plus haute connaissance des divines grandeurs; elle vit tout ce qui fut créé et ordonné au quatrième jour de la création. Elle connut l'arrangement, le nombre, les propriétés, la matière, la forme et les influences des planètes, des étoiles et de tous les corps célestes, sur lesquels elle reçut un empire absolu, dont elle se servit quelquefois pour son fils, particulièrement en Egypte où les chaleurs sont très-grandes. Elle commanda au soleil de tempérer son ardeur pour le divin enfant, mais non pour elle qui ne voulut jamais être privée de souffrir. Le Seigneur lui révéla en ce jour par une lumière particulière la nouvelle loi de grâce que le sauveur du monde devait instituer avec les sacrements qu'elle devait contenir, les dons abondants et les grâces préparés à ceux qui voudraient profiter des mérites de la rédemption. Mais connaissant l'état de corruption du monde, qui mettait obstacle par des péchés innombrables à l'amoureuse volonté du Très-Haut pour le salut éternel de tous, elle éprouva un nouveau genre de martyre causé par la douleur qu'elle avait de la perdition des hommes. Elle fit à Dieu de ferventes prières, afin qu'à l'avenir personne ne fût damné, et que tous obtinssent la gloire éternelle. Son coeur fut inondé d'une grande amertume par la folie et la dureté des pécheurs à résister à l'inclination miséricordieuse de Dieu pour leur salut éternel et cette amertume se prolongea pendant tout le temps de sa vie mortelle.

Le cinquième jour, le Seigneur lui découvrit combien les hommes avec leurs péchés mettaient obstacle à l'accomplissement de l'incarnation, le petit nombre de ceux qui en profiteraient et correspondraient à un si grand bienfait. Elle connut dans cette vision toutes les créatures passées, présentes et futures, avec leurs bonnes et leurs mauvaises actions, et la fin qu'elles auraient. Dieu lui donna aussi la connaissance de tout ce qu'il avait créé au cinquième jour de la création, et le pouvoir sur toutes les oeuvres de ce jour. Il lui demanda en outre quel était son nom, elle répondit : je suis fille d'Adam, formée par vos mains d'une vile matière. Le Très-Haut lui répartit : désormais vous vous appellerez l'élue pour mère de mon fils unique, les esprits bienheureux entendirent seuls ces dernières paroles, elle n'entendit que le nom d'élue. Le coeur enflammé d'amour, elle demanda au Seigneur avec de très-vives instances l'accomplissement de l'incarnation, la très-sainte Trinité lui en fit la promesse, et remplie de joie elle demanda la bénédiction qui lui fut accordée aussitôt.

Le sixième jour, Marie persévérant neuf heures dans la prière, les oeuvres du sixième jour de la création lui furent montrées. Elle connut toutes les espèces d'animaux avec leurs qualités et leurs fonctions; il lui fut accordé sur eux un empire absolu et le commandement leur fut donné de lui obéir en toute chose : ils le firent dans quelques circonstances, comme le boeuf et l'âne qui se prosternèrent devant le Seigneur, au jour de sa naissance. En outre de la connaissance des créatures privées de raison, elle connut parfaitement la manière dont fut créé le premier homme, elle vit la parfaite harmonie du corps humain avec ses facultés et son tempérament; la nature et les perfections de l'âme raisonnable et son union avec le corps. Elle connut l'état de la justice originelle et comment il fut perdu par Adam; elle comprit la manière dont il fut tenté et vaincu, les effets de sa faute et la fureur des démons contre le genre humain. Dans cette connaissance, elle se chargea de pleurer ce premier péché et tous les autres qui en résultèrent comme si elle en eut été coupable. On peut donc appeler heureuse la faute d'Adam, pour avoir fait couler des larmes si précieuses. Se reconnaissant descendante de parents si ingrats envers Dieu, elle s'humilia et s'abaissa dans son néant, non pour avoir eu part à la faute d'Adam, mais parce qu'elle avait la même nature et était aussi sa fille.

Le septième jour, elle fut transportée par les anges dans l'empyrée où Dieu l'appelait à célébrer de nouvelles épousailles. A cet effet Dieu commanda à deux séraphins de l'assister en forme visible; ensuite il la fit revêtir d'une robe d'un éclat extérieur en rapport avec la beauté intérieure .. de l'âme. Cette robe semblable à une longue tunique était si resplendissante que si un seul rayon fut parvenu jusqu'à la terre il l'eut mieux éclairé que le soleil et même que si les étoiles eussent été des soleils. Les séraphins lui mirent une riche ceinture, symbole, de la crainte de Dieu, comme la robe était limage de son incomparable pureté et de sa grâce. Ils l'ornèrent de beaux cheveux à fils d'or liés avec une précieuse attache, pour faire comprendre que toutes ses pensées devaient être animées de la plus ardente charité dont l'or était le symbole. Ils lui mirent aux pieds une belle chaussure pour signifier que tous ses pas et ses mouvements devaient être dirigés aux fins les plus hautes de la gloire de Dieu. Ses mains furent ornées de riches bracelets signifiant la magnanimité qui lui était donnée, et ses doigts de bagues. précieuses, pour signifier les dons du saint Esprit. Elle reçut aussi un collier d'un éclat merveilleux d'où pendait un chiffre avec trois pierres précieuses qui correspondaient par les trois vertus théologales aux trois personnes divines. On lui mit aux oreilles de beaux pendants pour préparer son ouïe à l'ambassade de l'archange qu'elle devait bientôt recevoir. Aux extrémités de la robe pendaient des chiffres qui signifiaient, les uns Marie mère de Dieu, et les autres, Marie vierge et mère.

Le huitième jour, elle fut transportée de nouveau en paradis en corps et en âme, à la grande admiration des esprits bienheureux pour son incomparable beauté dans laquelle le Très-Haut prit aussi ses complaisances, et pour l'honorer davantage il déclara aux anges qu'elle était leur reine, Ils la reconnurent et l'acceptèrent tous avec joie et chantèrent avec une harmonie inexprimable des hymnes de reconnaissance au Seigneur, et ce jour fut pour eux celui d'une joie et d'un bonheur plus grand que ne l'avait été aucun autre depuis leur création. Le Très-Haut parla ensuite ainsi à Marie : « Mon épouse et mon élue, puisque vous avez trouvé grâce à mes yeux, demandez moi sans crainte ce que vous souhaitez; je vous assure comme Dieu fidèle à ses promesses et roi tout puissant, que je vous ne refuserai ce que vous demanderez quand même ce serait une partie de mon royaume. » L'auguste Vierge humiliée et abaissée dans son néant lui répondit : « Je ne demande pas une partie de votre royaume pour moi, mais je le demande humblement tout entier pour le genre humain. Je demande, ô roi tout puissant, de nous envoyer par votre miséricorde infinie votre fils unique notre rédempteur. » Le Seigneur lui dit : « Vos supplications me sont agréables, et vos prières me sont chères, il sera fait selon vos demandes et mon fils unique descendra bientôt sur la terre. » Remplie de joie par cette divine promesse, elle fut rapportée par les anges sur la terre.

Le neuvième et dernier jour, elle fut portée de nouveau dans l'empyrée en corps et en âme. Dans une vision abstractive de Dieu, elle connut les choses créées de tout l'univers, qu'elle avait vu auparavant dans ses parties. Elle comprit l'harmonie, la connexion, l'ordre et la dépendance que les choses ont entre elles, et la fin que Dieu a donnée aux diverses créatures. Alors lui fut placée sur la tête comme reine de toutes les oeuvres de la toute puissance divine, une magnifique couronne incrustée d'or avec un chiffre qu'elle ne comprenait pas, et qui signifiait Mère de Dieu. Des dons ineffables lui furent encore donnés comme dernière disposition à cette éminente et incomparable dignité. Ce qu'il faut surtout admirer, c'est qu'en recevant des faveurs si extraordinaires et si merveilleuses, il ne vint pas en pensée à l'humble vierge qu'elle était choisie pour mère du messie attendu, tant était profond dans son coeur le bas sentiment d'elle-même.