La providence est une bonne caissière
Que de traits charmants on pourrait raconter si l'on voulait mentionner les mille et une circonstances dans lesquelles Don Bosco a reçu, de la façon la plus inattendue et souvent la plus étrange, les sommes précises dont il avait besoin ; et cela souvent à jour et à heure fixes, comme si le caissier le plus ponctuel était chargé de ses affaires.
Je choisis quelques faits, presque au hasard.
La Maison de Turin devait trente mille francs à un entrepreneur. Celui-ci, mécontent du retard qu'on mettait à le payer, commençait à se fâcher tout rouge. Un matin, il arrive à l'Oratoire fort monté, et disposé à faire une scène. Il s'adresse au Préfet, et déclare qu'il ne s'en ira pas avant d'avoir reçu la somme qui lui est due.
Le Préfet avoue qu'il n'a pas un sou en caisse.
Cela ne se passera pas ainsi, fait l'entrepreneur d'un ton fort élevé ; je veux parler à Don Bosco.
On le conduit dans l'antichambre où une certaine quantité de personnes attendaient leur tour d'audience. Il s'assied de mauvaise humeur et maugréant très fort.
Sur ces entrefaites entre un monsieur aux allures impérieuses, parlant bref, et paraissant très impatient.
Je veux parler à Don Bosco tout de suite.
Monsieur, veuillez vous asseoir et attendre un instant ; vous passerez à votre tour.
Je n'ai pas le temps d'attendre.
Et sans autre formalité, il va frapper à la porte de la chambre où Don Bosco était en conférence avec une personne.
Don Bosco ouvre :
Que voulez-vous, mon ami ?
Mon Père, je veux vous parler.
Mais à votre tour, s'il vous plaît ; je ne puis vous recevoir avant toutes ces personnes qui sont ici depuis longtemps.
Je suis pressé, et ce que j'ai à vous dire ne sera pas long.
En face de pareille insistance, Don Bosco demande si l'on veut bien laisser passer ce personnage, lequel, sans même attendre la réponse, entre carrément dans le cabinet.
Ce ton brusque et un peu cassant ne rassurait guère Don Bosco :
Asseyez-vous, je vous prie.
Je ne veux pas m'asseoir.
Mais enfin dites-moi ce qui vous amène.
Pas grand chose ; je n'en ai que pour une minute. Tenez, voulez-vous prendre cela ?
Et il pose un petit paquet sur la table.
Allons, mon Père, adieu, et priez pour moi. Et il sort.
Entre la comtesse V***
Mon Père, il ne vous est rien arrivé au moins ? Cet homme me faisait vraiment peur ; il a un air singulier et je craignais qu'il ne vous fît quelque mal !
Le mal n'est pas grand, dit en souriant Don Bosco. Voici ce qu'il vient de me remettre ; et, dépliant le petit paquet, il compte trente billets de mille francs.
Quand vint le tour de l'entrepreneur, Don Bosco lui remit les trente mille francs qui lui étaient dus.
Notre homme, un peu confus de l'insistance qu'il avait montrée, fit toutes ses excuses.
Mon Père, on me disait que vous n'étiez pas en mesure de payer ; on a eu tort de me parler ainsi.
Une fois, l'Oratoire avait à payer trois cent vingt-cinq francs pour les impôts. On était arrivé à l'extrême limite de l'échéance, et le jour même, à midi, si la petite somme n'était pas versée, le percepteur devait commencer l'exécution, c'est-à-dire les poursuites.
Don Rua va à la porterie ; il fouille dans la caisse : rien. Pas un sou dans toute la maison. Il se rend dans la chambre de Don Bosco et expose son embarras, lui demandant s'il n'aurait pas cette somme :
Je n'ai absolument rien, fait Don Bosco ; prions Notre-Dame Auxiliatrice. Et il se remet tranquillement au travail.
Quelques instants après on frappe, et un monsieur demande à voir Don Bosco. Il est introduit ; et, après un court entretien :
Mon Père, je ne suis pas riche, mais j'ai là une toute petite somme que j'ai amassée pour vos enfants. Voulez-vous accepter cette modeste offrande ?
Bien volontiers, fait Don Bosco.
Le monsieur lui remet un petit papier qui contenait exactement trois cent vingt-cinq francs. Don Bosco sourit : Veuillez avoir l'obligeance, en vous en allant, de remettre cela à Don Rua,
Don Rua reconnaît la somme, et dit :
Le Père a compté juste ; c'est bien là ce que nous devons. Vite, il dépêche un messager au bureau du percepteur.
Il était alors plus de midi et l'exécution avait été lancée. Mais on put retrouver le porteur, qui s'était attardé par hasard, et on se libéra sans frais.
Celui qui avait été comme l'envoyé de la divine Providence, est entré, par la suite, dans les Ordres, et est devenu prêtre Salésien.
* *
*
Un jour Don Bosco se trouvait dans une gêne bien douloureuse : il y avait une grosse, grosse note chez le boulanger, qui menaçait de suspendre ses fournitures.
À ce moment survint le comte R. d'Agliano :
Mon père, ma femme est bien gravement malade ; faites donc prier pour elle. Et il lui remit une somme qui était précisément la moitié de celle qu'on devait au boulanger.
Tout aussitôt les enfants dirent des prières spéciales, avec une grande ferveur. Le troisième jour le comte revenait :
Mon père, ma femme est guérie. Et il remettait à Don Bosco pareille somme que la première fois, de sorte que la note du boulanger était intégralement couverte.
On le paya sans retard, et vous pensez si l'on rendit grâces à Notre-Dame Auxiliatrice.
Au mois de mars 1880, Don Bosco vint passer huit jours à Nice. À cette occasion M. Ernest Harmel régala tous les enfants du Patronage Saint-Pierre d'un bon dîner, auquel furent invités plusieurs membres de la famille Salésienne.
Quelques instants avant le repas, M. l'avocat Michel, bien connu par son zèle pour toutes les uvres, s'entretenait avec D. Bosco, qui lui dit au courant de la conversation :
Notre chapelle est trop petite, insuffisante et peu convenable ; il faut absolument mieux loger Notre-Seigneur. Voici un plan que vient de me remettre notre excellent et digne architecte, M. Levrot ; le devis se monte à trente mille francs.
Trente mille francs ! Mon Père, je doute que vous les trouviez en ce moment à Nice. Nous avons eu, cet hiver, tant de sermons de charité, tant de loteries, tant de quêtes de toutes sortes, que les bourses sont à sec.
Cependant il me faudrait cette somme aujourd'hui même.
Sur ces entrefaites midi sonne, et l'on se met à table. Au dessert, le notaire de la maison, M. Sajetto, se lève :
Mon Père, je vous annonce qu'une personne charitable m'a remis, pour vous, trente mille francs. Vous pouvez les faire toucher dans mon étude quand vous voudrez.
Louée soit Notre-Dame Auxiliatrice ! fit Don Bosco en joignant les mains, et levant les yeux au ciel : c'est le commencement.
Quant à l'avocat, il reste tout saisi en voyant ainsi arriver la somme précise qu'avait demandée Don Bosco, un instant auparavant.
Don Bosco, dans une récente conférence faite à Lyon, a raconté lui-même comment il devait un jour payer, à cinq heures, quinze mille francs, dus à un entrepreneur, pour des travaux faits à l'église du Sacré-Cur, à Rome.
À quatre heures et demie il n'avait encore rien, lorsque survint un ecclésiastique qui lui apporta exactement cette somme, et cela avec des circonstances vraiment étranges. Il ne devait pas venir ce jour-là ; puis, par suite d'un malentendu, il s'était trouvé au chemin de fer, il ne savait comment, et il s'était mis en route, presque contre son gré.
Ô bonne et divine Providence ! Ce sont là de tes coups !
On nie le surnaturel : mais il est partout, en nous, autour de nous ; nous en sommes enveloppés. Hélas ! Nos yeux, collés à la terre, ne veulent pas s'élever en haut, pour recevoir la lumière.