1866

Un secret pour mourir volontiers

 

 

En 1866, Don Bosco avait lancé une importante loterie, dans le but de procurer à ses œuvres les ressources nécessitées par leur extraordinaire extension. Un jour, il reçut, de Rome, une lettre assez singulière. La marquise V... lui faisait une demande et une offre, dont voici la substance :

 

« Heureuse autant qu'on peut l'être sur la terre, je n'ai qu'une angoisse, mais elle est terrible : la pensée de la mort me cause des tortures indicibles, et ma foi ne m'aide en aucune façon à surmonter ces terreurs involontaires. À mesure que je vous écris, un tremblement convulsif s'empare de moi. Je suis prête à tous les sacrifices pour obtenir que ce sentiment pénible cesse de me tourmenter, et voilà pourquoi je m'adresse à vous. Le temps presse : j'ai un mal qui ne pardonne pas, et qui peut amener, bientôt peut-être, l'épouvantable épreuve. Assurez-moi, je vous en supplie, que votre bonne Vierge, Marie Auxiliatrice, m'accordera la grâce de ne point redouter la mort, et de voir arriver, sans effroi, l'heure du dernier passage ; et, à mon tour, je vous ferai une promesse : déjà Coopératrice de vos Œuvres, je deviendrai votre servante, votre chose, la chose de vos orphelins. Tout ce que j'ai de fortune et de bonne volonté, tout ce qui me reste de vie, je le dépenserai pour vous. Je ne ménagerai rien de ce que j'ai, rien de ce que je puis, pour devenir l'instrument de la Providence à votre égard ; mais, de grâce ! Que Marie Auxiliatrice me délivre de l'horrible épouvante que me cause la mort. »

 

Après avoir pris connaissance de cette lettre, Don Bosco ; sans la moindre hésitation, répondit courrier par courrier : « Je vous donne l'assurance que Marie Auxiliatrice vous a accordé la grâce désirée : vous mourrez sans appréhension et sans même vous en apercevoir. Tenez votre promesse, et la Sainte Vierge tiendra la sienne. »

 

Plusieurs années s'écoulèrent. La marquise V... ne manqua pas à ses engagements. Certes, la Providence a placé, sur les pas de Don Bosco, d'admirables dévouements, et il les a multipliés dans une mesure merveilleuse ; mais celui de la marquise V... rayonne, entre tous, d'un éclat particulier. Elle ne paraissait vivre et respirer que pour les orphelins de Don Bosco.

 

On était à la fin de 1871. Un jour la marquise dit à son mari :

— Mon ami, il y a longtemps que je n'ai pas fait de confession générale ; si vous le trouviez bon, j'y consacrerais les derniers jours de cette année. Qu'en pensez-vous ?

— Mais j'en suis tout heureux, répondit le marquis, fervent chrétien lui aussi. Suivez cette inspiration qui me paraît excellente.

Le dernier jour de décembre, la marquise avait terminé sa confession générale. Le lendemain, premier janvier, après la sainte Communion, elle voulut réunir toute la famille au déjeuner ; elle goûtait une joie inaccoutumée.

Tout à coup, elle appelle un domestique :

— Mais ouvrez donc les volets.

— Madame la marquise, ils sont ouverts.

— Ouvrez-les, vous dis-je ; il fait sombre.

Nouvelle observation respectueuse du domestique.

Tout le monde était attentif, se demandant quel était ce mystère, quand la marquise, comme illuminée par une pensée subite, s'écrie, avec un accent impossible à rendre :

— Ange ! – c'était le prénom de son mari – Ange ! Peut-être que je meurs !

Une allégresse surnaturelle se reflète sur son visage ; elle répète, deux fois encore : Ange, je meurs, je meurs ! Et elle était morte. Marie Auxiliatrice avait tenu sa promesse.

Don Bosco reçut cette nouvelle au Collège de Varazze, où l'avait retenu une indisposition. Le marquis terminait sa lettre en disant : « Je ne pleure pas cette mort comme un malheur ; j'en bénis Notre-Dame Auxiliatrice comme d'une grâce insigne. »