Les paroles magiques de Don Bosco

 

 

Les enfants de l’Oratoire avaient donné ce nom à certains mots que D. Bosco avait coutume de glisser à l'oreille de l'intéressé, et dont l'effet était aussi prompt que merveilleux. Quelquefois, c'était une réflexion toute simple, mais pleine d'une saveur surnaturelle, ou bien une réponse inattendue, ou encore un acte en apparence tout ordinaire, mais qui frappait étrangement.

 

Don M*** était préfet de l'Oratoire de Turin. Un jour, Don Bosco le prend à part et lui dit, avec le plus grand sérieux :

— Mon cher ami, écoute, tu vas te mettre à faire le négociant d'huile.

— Négociant d'huile ! répète le préfet ahuri.

— Oui, négociant d'huile.

— Mais, Don Bosco... un religieux !

— Sans doute ; mais tu es préfet, et, à ce titre, tu dois veiller à l'entretien des bâtiments de l'Oratoire. Or, il me semble avoir entendu certaines portes grincer : un peu d'huile aux gonds arrangera tout.

— Oh ! qu'à cela ne tienne. Mais je ne vois pas pourquoi... ?

— Et puis, ajouta Don Bosco, avec un sourire à la saint François de Sales, et en appuyant un peu sur les mots, et puis... tes confrères grincent aussi... Quand tu traites avec eux, n'oublie pas de te munir d'un peu d'huile.

 

Don M*** avait compris. En voyant combien il est devenu bon, affable, doux, Salésien en un mot, on constate que Don Bosco ne perdait pas son temps en donnant, le plus aimablement du monde, de précieuses leçons.

 

Ce bon Père tenait dans sa main le cœur de ses enfants. Un mot de lui les mettait aux anges ; l'ombre d'un reproche les plongeait dans la tristesse.

Ayant besoin d'une poésie, pour la fête d'une bienfaitrice de ses Œuvres, il chargea un de ses enfants de tourner quelques vers.

Le condamné se mit à l'ouvrage en conscience. Mais, hélas ! La Muse se montra sourde à ses appels désespérés ; et notre malheureux poète resta les mains vides.

Qu'allait dire D. Bosco ? Se coucher sans être allé lui baiser la main... c'était vraiment trop dur.

Bah ! pensa-t-il, il aura peut-être oublié, – et quoique un peu tremblant au fond, il se présente, d'un air dégagé, à Don Bosco qui, aussitôt, l'interpelle :

— Et ma poésie ?

— J'ai essayé... il n'est rien venu.

— Vraiment ! Alors, une autre fois, je saurai à qui m'adresser.

Le reproche était bien doux ; cependant, le pauvre petit resta comme atterré, et il fallut toute l'ingénieuse sollicitude de D. Bosco pour effacer la douloureuse impression qu'il avait produite.

Il y a bien des années de cela. Le jeune homme est devenu un favori des muses ; mais il ne peut encore, sans émotion, évoquer ce souvenir.

 

Un soir – c'est D. Francesia qui parle –, nous ne nous étions pas pressés de faire silence, après le signal. Don Bosco nous dit, avec douceur :

— Je ne suis pas content de vous. Et il nous envoya au lit sans nous donner sa main à baiser.

C'était le châtiment le plus fort, le plus redoutable, le plus sensible que ce bon père put nous infliger. Ce fut fini. À partir de ce jour mémorable, D. Bosco n'avait qu'à paraître pour qu'on entendît voler une mouche. La clochette, qui avait eu, jusque là, fort à faire pour éteindre tout bavardage, prit une retraite définitive. On tremblait à la seule pensée de voir la punition se renouveler.

 

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Le comte de M***, bienfaiteur de l'Oratoire, venait de mourir subitement. Ses enfants, sous l'impression de ce coup doublement cruel, firent demander D. Bosco, qui trouva le château dans la désolation.

À peine était-il entré dans la chambre mortuaire, que la famille, fondant en larmes, se jette à ses pieds.

Don Bosco se borna à dire :

— Et votre foi, où est-elle ?

Pour comprendre la force de cette parole, il faut savoir que la vie admirable du défunt était une continuelle préparation au départ suprême : il faisait la communion quotidienne et se confessait tous les huit jours.

 

Immédiatement le calme revint, dans ces cœurs brisés, et la résignation fit place au désespoir.

 

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D. Bosco fut, un jour, prié à dîner chez le comte de Camb***. Parmi les invités, se trouvait un général de l'armée piémontaise, qui avait une vie militaire des mieux remplies. Mais les préoccupations religieuses n'avaient jamais beaucoup tourmenté le vieux soldat, et il ne pensait nullement à compléter ses états de service par une dernière campagne contre l'indifférence et le respect humain.

Pendant tout le temps du repas, il ne put s'empêcher d'observer, du coin de l'œil, Don Bosco, et l'attitude de ce Curé-là lui causait une surprise manifeste.

 

Lorsqu'on fut sorti de table, chacun se mit à demander, à Don Bosco, des avis et des conseils, qu'il distribuait, d'ailleurs, avec une bonne grâce parfaite.

Il faut que j'aie mon tour, se dit le général ; je serais curieux de savoir... ! Et il se met en devoir d'arriver jusqu'au Père.

Mais voilà que lui, qui n'avait jamais connu la peur, il se sent envahir par une inquiétude vague et indéfinissable.

Domptant cette étrange émotion, il finit par se camper au premier rang :

— Eh bien ! Mon Père, et moi ? Vous n'avez rien à me dire ?

— Oh ! Monsieur le général, pardon, pardon ; j'ai aussi quelque chose pour vous. Tous ceux qui m'entourent s'imaginent que le pauvre Don Bosco est prêt à être canonisé. Vous, du moins, aidez-moi à sauver mon âme !

 

On devine la stupéfaction du général ! Revenu de sa surprise :

— Merci, s'écria-t-il, merci, Don Bosco. Vous seul pouviez me dire mon fait avec autant de délicatesse et de franchise.

Et l'excellent homme ne tarda pas à mener la grosse affaire de son salut, avec une rondeur et une crânerie qui firent l'admiration et le bonheur de tous ses amis.

 

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Dans les régions officielles, on redoutait singulièrement un entretien avec D. Bosco, tant sa parole, cependant si calme et si humble, avait de puissance, même sur les cœurs les moins bien disposés.

À l'époque où l'on avait décrété la fermeture de l'Oratoire, on avait, en même temps, pris toutes les mesures nécessaires, pour que Don Bosco ne pût être reçu chez aucun ministre.

 

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Un jour, il venait de prêcher sur le détachement des biens de ce monde. Quelques instants après, se présente à Don Bosco un monsieur qui lui avait prêté le matin même, une somme de douze mille francs, contre un reçu bien en règle.

Voici, dit-il en présentant le reçu à Don Bosco, voici un papier que vous pourrez déchirer ; je n'en ai plus besoin. Vous avez ouvert mes yeux à la vraie lumière : Dieu seul ! il n'y a que Dieu !

Bientôt, ce trop heureux néophyte quitta le siècle, et renonça à une belle fortune, pour se faire pauvre volontaire, et vivre pauvre avec Don Bosco.

 

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Les lettres de Don Bosco étaient admirables, mais si simples, en apparence, que celui qui était chargé de les écrire s'étonnait, naïvement, de l'effet produit.

Un jour, par exemple, il avait exposé ses embarras financiers à une personne bien résolue à ne rien donner. Or, après avoir lu la lettre de Don Bosco, elle envoya, une somme certainement fort au-dessus de ses ressources.

 

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En 1865, Don Bosco était à Florence. Comme partout, il avait conquis son monde ; aussi, quand il annonça son départ, ce fut une exclamation générale :

— Partir si tôt !

— Mes enfants m'attendent.

— Mais pourquoi ?

— Pour payer leur pain.

— Et si, par hasard, je le payais moi, dit une dame ?

— Oh ! Dans ce cas je passerais volontiers encore une semaine au milieu de vous.

— Bien. Et quelle est votre dette ?

— Deux mois, à six mille francs.

— Ce soir, vous aurez les douze mille.

L'interlocutrice de Don Bosco tint parole et voilà comment Don Bosco passa une semaine de plus à Florence.

 

En 1883,  Don Bosco était à Paris. Un jour se présente à lui un inconnu, aux manières distinguées, qui vient demander un conseil.

Dès les premiers mots, Don Bosco arrête son interlocuteur pour lui dire :

— Faites vos Pâques, monsieur.

Celui-ci, presque un vieillard, d'abord un peu surpris de cette réponse ex abrupto, veut poursuivre. Mais D. Bosco, d'une voix douce et pénétrante :

— Monsieur, faites vos Pâques.

Nouvel arrêt, puis reprise du discours.

—Monsieur, faites vos Pâques, répète Don Bosco avec un accent à la fois impérieux et tendre.

Ne comprenant rien à cette insistance étrange, le visiteur, un peu troublé, prend un ton froidement poli et fait encore une ou deux tentatives.

Don Bosco ne modifie point sa formule ; mais il la souligne d'un regard et d'un sourire qui font pénétrer, comme un trait, jusqu'au fond de ce cœur obstiné, la parole magique.

 

Attendri jusqu'aux larmes, monsieur X*** proclama bien haut que le conseil donné, avec un à-propos tout divin, avait renoué une chaîne de grâces interrompue depuis bien des années. Le lendemain on put le voir à la sainte Table, entouré de toute sa famille, et, à partir de ce moment béni, il est devenu un chrétien fervent et exemplaire.