1848
Comment on voulut tuer Don Bosco
L'émancipation des Israélites et des Vaudois, faite par le roi Charles-Albert, au commencement de 1848, avait affreusement surexcité les diverses sectes. Sous prétexte de propagande, on remuait le bas peuple, en débitant, contre le clergé catholique, les inventions les plus fausses et les plus perfides. Il en résulta qu'un ministre de Dieu n'était pas toujours en sûreté, à cette époque, en traversant certains quartiers de ce Turin, si remarquable cependant par son urbanité.
En outre, Don Bosco avait soulevé bien des haines, en établissant son Oratoire au Valdocco. Ce quartier, alors fort mal hanté, était le repaire naturel d'une foule d'industries équivoques que dérangeait sa présence. Là se réunissaient les viveurs, joueurs, buveurs, sans compter les musiciens ambulants, montreurs d'ours et rouleurs de toute espèce, gens prompts à jouer du couteau, et ne reculant devant aucun moyen pour empêcher l'envahissement de ce qu'ils regardaient comme leur domaine.
Ces diverses circonstances expliquent, en partie, comment on s'acharna si furieusement contre ce pauvre prêtre.
Un jour qu'il était dans la chapelle, entouré des enfants auxquels il faisait le catéchisme, un coup de feu fut tiré sur lui par la fenêtre ouverte. La balle passa entre le bras et la poitrine, déchirant la soutane, et elle alla s'aplatir contre le mur.
Les jeunes gens, effrayés, se levèrent en tumulte. Mais Don Bosco, impassible et souriant :
Si la Sainte Vierge ne lui avait pas fait manquer la mesure, il mattrapait tout de même. Mais c'est un mauvais musicien.
Puis considérant sa soutane trouée :
Oh ! Pauvre soutane ! Je suis vraiment désolé de ce qui t'arrive ; tu étais mon unique ressource.
Une autre fois, il était également au milieu de ses enfants, lorsquun forcené se précipita sur lui, un énorme couteau de boucher à la main, et c'est par miracle qu'il put se réfugier dans sa chambre.
En soir, on sonne à l'Oratoire et l'on prie Don Bosco de venir, en toute hâte, administrer les secours de la religion à une femme du voisinage qui, disait-on, touchait à ses derniers moments.
La nuit était sombre et, comme le Père avait récemment échappé à un guet-apens, on ne voulait pas le laisser sortir. Mais Don Bosco ayant déclaré que sa volonté était de se rendre immédiatement auprès de la malade, on dut obéir ; seulement on le fit accompagner par quatre étudiants, capables de le protéger au besoin.
La petite troupe arrive à une maison assez isolée. Deux des jeunes gens restent dehors ; les deux autres montent jusqu'à la porte de la chambre, où Don Bosco pénètre seul.
À son entrée, quatre grands gaillards se lèvent et lui souhaitent le bonjour d'un air qu'ils cherchent à rendre gracieux ; mais Don Bosco remarque que leurs mines sont rébarbatives et, en outre, qu'ils sont tous munis de gourdins d'une dimension fort peu rassurante.
Il s'approche du lit où était la prétendue malade. Pour une mourante, elle avait le teint bon et même singulièrement haut en couleur.
Eh bien ! ma bonne dame, êtes vous disposée à vous réconcilier ?
Certes, je le veux, répond l'autre d'une voix qui était loin d'être faible ; mais il faut d'abord que ce pendard, ce gueux, que vous voyez là, et qui est mon beau-frère, me demande pardon ; et elle se met à vomir un torrent d'injures.
Veux-tu te taire ; misérable vermine, hurle un des assistants qui, d'un revers de main, jette à terre l'unique chandelle.
Voilà la pièce dans une obscurité complète et, au même instant, Don Bosco reçoit un coup de bâton, qui l'aurait bien assommé s'il n'eût glissé sur l'épaule.
Sans perdre son sang-froid, il saisit tout aussitôt une chaise et s'en coiffe la tête. Les coups pleuvent, dru comme grêle, sur ce casque improvisé qui lui protège le crâne. Il peut ainsi gagner la porte et, ayant mis la main sur le loquet, il lance sa chaise sur les assaillants, et se trouve au milieu des deux jeunes gens qui l'attendaient.
Tout cela avait été si prompt qu'ils étaient restés saisis et immobiles.
Une fois dans la rue, les enfants virent avec terreur que Don Bosco était couvert de sang. Il n'avait heureusement pas reçu de blessures graves ; seulement, pendant qu'il se protégeait la tête avec la chaise, un coup de bâton lui avait enlevé, jusqu'à l'os, les chairs du pouce gauche.
Tout récemment encore, Don Bosco a échappé à un sérieux danger.
Au mois de décembre 1881, il était dans sa chambre, à l'Oratoire de Turin, lorsquon introduit un monsieur, bien mis, qui l'avait demandé.
Cet individu commence à parler de choses et d'autres ; peu à peu il s'anime et gesticule avec exaltation. Don Bosco, qui l'examinait, s'aperçoit, à ce moment, qu'un revolver à six coups est tombé de la poche de son interlocuteur et a glissé, sans bruit, sur le canapé où ils étaient assis tous les deux.
Sans manifester la moindre émotion, il s'empare adroitement de l'arme, et la cache sous sa soutane.
L'inconnu, bientôt, se met à tâter ses poches, à se fouiller ; il cherche par terre.
Qu'avez-vous, mon cher monsieur, fait Don Bosco ; auriez-vous perdu quelque chose ?
Oui, je ne sais où jai pu mettre...
Quoi donc ?
Rien, rien.
Et il cherche encore, regarde sous le canapé, et va même dans la chambre voisine, où était le secrétaire de Don Bosco.
Vous n'avez rien trouvé ?
Absolument rien.
Il rentre auprès de Don Bosco qui, toujours impassible, et le regardant dans les yeux, sort le revolver et le braque sur la poitrine de mon homme :
C'est sans doute ce que vous cherchez, n'est-ce pas ?
Confusion de l'individu qui veut s'emparer de l'arme. Mais Don Bosco l'en empêche, et il trouve des paroles brûlantes pour lui reprocher sa monstrueuse entreprise.
L'autre se trouble, reste interdit, et finit par avouer qu'il était venu pour le tuer, mais qu'il y renonçait.
Don Bosco ouvre la porte, et lui rendant son arme :
Allez, mon ami, que le bon Dieu vous éclaire, et qu'il daigne vous faire miséricorde.
Dans le chapitre suivant, nous verrons comment, dans plusieurs circonstances, la vie de Don Bosco fut protégée, on peut dire d'une façon merveilleuse, et quel singulier défenseur lui envoya la divine Providence.